Ottawa (Ontario), le 29 mai 2006
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN
ENTRE :
YEE HONG CENTRE FOR GERIATRIC CARE
et
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] En l’espèce, Yee Hong Centre for Geriatric Care (la demanderesse) présente une requête en jugement sommaire en vertu des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), contre Grace Christian Chapel (la défenderesse).
II. Les faits
[2] La demanderesse est une personne morale constituée en vertu des lois de l’Ontario. Elle offre des services aux personnes âgées et aux personnes ayant une déficience par l’intermédiaire de services de soins infirmiers, de centres communautaires, de centres médicaux et d’autres services connexes. À l’époque en cause, ces services étaient fournis à des personnes vivant à domicile ou dans des installations situées en Ontario et en Colombie‑Britannique. Les noms de ces installations comportent les mots « yee hong » en lettres romaines et en caractères chinois. « Yee » est la translittération en anglais du mot chinois signifiant « paix » ou « tranquillité ». « Hong » est la translittération en anglais du mot chinois signifiant « santé », prononcé dans le dialecte cantonais.
[3] Le 26 février 1999, la demanderesse a présenté à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada des demandes en vue de l’enregistrement des marques « yee hong » et « yee hong centre for geriatric care ». L’enregistrement de chacune de ces marques a été accordé le 4 décembre 2000. La demanderesse possède deux marques de commerce déposées, l’une pour les mots « yee hong » en vue de leur emploi avec des marchandises, c’est-à-dire des aliments préparés et emballés, ainsi qu’avec des services, c’est-à-dire des services de soins infirmiers et des services connexes, et l’autre pour le dessin employé en liaison avec les mêmes marchandises et services; le dessin enregistré comporte les caractères chinois correspondant à « yee » et à « hong ». Les deux enregistrements comportent une description de marque de commerce qui explique la translittération en anglais des caractères chinois. L’emploi que fait la demanderesse de ces marques en liaison avec des marchandises découle d’un contrat de licence conclu avec Ellen’s Health Food.
[4] La défenderesse est une société à but non lucratif enregistrée en Colombie-Britannique. Elle gère quatre maisons de soins infirmiers dans le Lower Mainland de la Colombie‑Britannique. Ces installations sont exploitées sous la dénomination commerciale « Grace Christian Chapel ».
[5] Le 5 décembre 2003, ou aux environs de cette date, la défenderesse a commencé à faire de la publicité pour ses maisons de soins infirmiers à Vancouver et à Richmond. Les annonces contenaient la mention suivante traduite en anglais : [Traduction] « deux centres yee hong offrant des services complets à Vancouver ». Les mots « yee hong » étaient en caractères chinois. Ces annonces ont paru dans le journal de langue chinoise Ming Pao Daily News, qui s’adresse aux membres de la communauté chinoise parlant le cantonais.
[6] Des locataires de la demanderesse et des membres de la communauté ont communiqué avec des représentants de la demanderesse et leur ont demandé s’il y avait un lien entre la demanderesse et les centres annoncés. Préoccupée par la situation, la demanderesse a donné instruction à son conseiller juridique d’intervenir afin d’empêcher la défenderesse d’utiliser les mots « yee hong » dans ses annonces. L’avocat de la demanderesse a donc envoyé une lettre de mise en demeure à la défenderesse le 9 décembre 2003. Dans une lettre datée du 19 décembre 2003, l’avocat de la défenderesse a répondu que sa cliente n’obtempèrerait pas à la mise en demeure. La défenderesse était d’avis que sa dénomination commerciale ne créait pas de confusion avec les activités de la demanderesse, en particulier pour les personnes parlant un dialecte chinois autre que le mandarin, car les prononciations étaient différentes.
[7] D’autres annonces ont été publiées sur le site Web de la défenderesse. Elles comportaient les caractères chinois signifiant « yee hong ». Dans la semaine du 22 décembre 2003, ou environ à cette époque‑là, une station radiophonique de Toronto a diffusé des annonces sur le centre « yee hong » de la défenderesse. À la suite de la diffusion de ces annonces, la demanderesse a reçu de nombreux appels au sujet des nouveaux centres de la défenderesse. Se rendant compte qu’il y avait dans le public de la confusion entre ses activités et celles de la défenderesse, et en réaction à la situation, la demanderesse a tenu une conférence de presse le 8 janvier 2004 pour confirmer qu’il n’y avait aucun lien entre ses activités et celles de la défenderesse.
[8] Le 31 décembre 2003, l’avocat de la demanderesse a envoyé une autre lettre de mise en demeure à la défenderesse. La demanderesse n’a pas reçu d’engagement que la défenderesse cesserait d’employer les mots « yee hong » en liaison avec ses activités. C’est pourquoi, le 14 avril 2004, la demanderesse a intenté la présente action.
[9] Dans sa déclaration, la demanderesse a allégué que la défenderesse violait ses marques de commerce déposées en faisant passer sa propre entreprise pour celle de la demanderesse, ce qu’interdit l’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, dans sa forme modifiée (la Loi). La demanderesse a soutenu que les efforts considérables qu’elle a faits en matière de stratégie commerciale ont permis d’établir une réputation pour la marque et la dénomination commerciales « yee hong » au sein de la communauté chinoise, et d’en faire une référence exclusive à ses activités. Dans sa déclaration, la demanderesse sollicite une ordonnance interdisant à la défenderesse d’utiliser les mots « yee hong » en liaison avec l’exploitation de ses maisons de soins infirmiers.
[10] Le 14 mai 2004, la défenderesse a déposé sa défense dans laquelle elle a nié l’affirmation de la demanderesse selon laquelle sa conduite est assimilable à de la commercialisation trompeuse. La défenderesse a déclaré que la version anglaise de sa dénomination commerciale est « Grace Seniors Home » et non « Grace Yee Hong Seniors Home ». Lorsque cette dénomination commerciale est présentée en caractères chinois, elle comporte cinq caractères, dont deux sont les mêmes que ceux qu’emploie la demanderesse dans sa marque « yee hong ». Elle ajoute que la translittération directe des cinq caractères qu’elle emploie est « Tian En Yi Kang Yuan ».
[11] La défenderesse soutient que ces caractères sont de nature générique lorsqu’il est question de maisons de repos et de maisons de soins infirmiers. L’expression permet d’évoquer l’idée des services de maison de repos sans recourir au caractère qui désigne les « personnes âgées », ce qui comporte une connotation négative.
[12] Se fondant sur la nature générique des caractères, la défenderesse nie qu’il y ait une confusion quelconque entre ses activités et celles de la demanderesse. Elle nie aussi que le public a présumé à la suite de ses activités qu’il y avait un lien entre elle et la demanderesse. Elle met en doute l’achalandage important que décrit la demanderesse et affirme qu’avant de recevoir une lettre des avocats de la demanderesse, elle ignorait l’existence de cette dernière et de ses activités. En outre, elle nie avoir tenté de faire passer ses services pour ceux de la demanderesse, ou avoir violé de quelque façon les droits liés aux marques de commerce de la demanderesse.
[13] La demanderesse a déposé une réponse le 25 mai 2004 et a fait remarquer que la défenderesse emploie la translittération en mandarin des caractères « yee hong », plutôt que la translittération en cantonais. Elle a répété que la défenderesse fait de la publicité auprès de la communauté cantonaise et, de plus, elle a nié que les caractères « yee hong » sont génériques. Elle a déclaré que ses enregistrements de marque de commerce sont valides et que la défenderesse n’a pas contesté leur validité. En outre, elle affirme que l’enregistrement de la marque est une preuve prima facie que les termes « yee hong » ne sont ni génériques ni descriptifs des services de soins infirmiers fournis au Canada ou ailleurs.
[14] La demanderesse a présenté une requête en jugement sommaire le 20 décembre 2004. L’instruction de cette requête a été ajournée le 10 février 2005 afin de permettre aux parties de tenter de régler l’affaire par voie de médiation. Cette tentative a échoué et le litige s’est poursuivi.
[15] Une défense modifiée a été déposée, avec le consentement des parties, le 4 février 2005. Dans sa défense modifiée, la défenderesse a soutenu que les marques de commerce de la demanderesse ne sont pas valides parce qu’elles n’étaient pas distinctives au moment de leur enregistrement. La défenderesse a répété ses arguments antérieurs, à savoir qu’il n’y a aucune confusion entre ses services et ceux de la défenderesse, qu’elle n’a pas fait de commercialisation trompeuse et qu’elle n’a enfreint d’aucune manière les droits liés aux marques de commerce de la demanderesse.
[16] Les parties ont obtenu des rapports d’expert portant sur le sens et l’emploi des caractères chinois signifiant « yi kang/yee hong ». M. Zhenyi Li, directeur adjoint, Canadian and International Cooperative, Centre of Intercultural Communication, à l’Université de la Colombie‑Britannique, a présenté un rapport pour le compte de la demanderesse. Mme Alice Siu‑Ping Wong, professeure de langue et administratrice universitaire au Kwantlen University College, a présenté un rapport pour le compte de la défenderesse. M. Li et Mme Wong ont tous les deux été contre‑interrogés sur leurs rapports respectifs.
[17] En résumé, M. Li a affirmé que les caractères chinois « yee hong » ne constituent pas une expression générique pour « Senior’s Home » (résidence pour personnes âgées). La combinaison de ces caractères peut servir à désigner un éventail d’industries ou de services. Il a fait des commentaires sur la nature de la langue chinoise qui emploie des caractères pour exprimer des idées et des concepts. Il a souligné que, dans cette langue, la combinaison de deux caractères chinois ne forme pas nécessairement un mot. Il a conclu que la combinaison de « yee » et de « hong » est une expression, et non un mot ou un terme.
[18] Mme Wong est arrivée à une conclusion différente. À son avis, le terme « yi kang yuan » est un mot générique qui signifie « Senior’s Home » (résidence pour personnes âgées).
III. Questions en litige
[19] Les parties ont soulevé les questions suivantes dans la présente requête en jugement sommaire :
1. Compte tenu des actes de procédure et des éléments de preuve présentés au soutien de la requête, y a-t-il une véritable question litigieuse?
2. Convient-il de rendre un jugement sommaire en faveur de la demanderesse?
3. Si un jugement sommaire est rendu, quel est le montant approprié des dommages‑intérêts?
IV. Observations
A. Observations de la demanderesse
[20] La demanderesse fait valoir qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse car la défenderesse continue d’employer la marque « yee hong » en liaison avec ses services de soins infirmiers. Elle ajoute que la défenderesse fait passer ses services pour les siens, violant ainsi la marque « yee hong ». Elle allègue que les droits qui lui sont conférés par ces marques ont été établis par une utilisation étendue et par voie d’enregistrement.
[21] La demanderesse invoque l’arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120, où sont énoncés les éléments requis d’une action en commercialisation trompeuse, et elle prétend avoir établi l’existence de ces trois éléments. Elle soutient que son organisation est distinctive et connue au Canada, et que sa réputation est établie. Elle prétend qu’il y a un risque de confusion entre ses services et ceux de la défenderesse. S’appuyant sur la décision Source Perrier (Société Anonyme) c. Canada Dry Ltd. (1982), 36 O.R. (2d) 695 (H.C. Ont.), elle soutient que la question des chances de réussite doit être tranchée en fonction du critère de la première impression et de celui de la personne ordinaire. Cependant, elle allègue qu’il y a bel et bien eu confusion en l’espèce. Elle affirme en outre que si l’on ne met pas fin aux agissements de la défenderesse, la perte de l’achalandage attaché à la marque lui causera un préjudice irréparable.
[22] La demanderesse soutient qu’elle a satisfait au critère relatif à l’inscription d’un jugement sommaire, compte tenu du paragraphe 213(1) des Règles. Elle prétend qu’il convient d’accorder un jugement sommaire lorsque la partie qui en fait la demande démontre qu’il n’y a aucune véritable question de fait importante qui requiert la tenue d’un procès. Une fois que l’auteur de la requête a fait cette démonstration, il incombe ensuite à la partie intimée d’établir que son action a vraiment des chances de réussir; voir Guarantee Co. of North America c. Gordon Capital Corp., [1999] 3 R.C.S. 423.
[23] La demanderesse soutient que la défenderesse n’a rien fait de plus que nier son allégation et n’a soulevé aucun moyen de défense au fond. Elle prétend que l’allégation de la défenderesse selon laquelle l’expression « yee hong » est générique est dénuée de fondement, car l’enregistrement de cette expression sous forme de marque de commerce est une indication prima facie du caractère distinctif de la marque.
[24] La demanderesse sollicite des dommages-intérêts. Elle soutient que lorsque la violation d’une marque de commerce, la commercialisation trompeuse, la concurrence déloyale et la diminution de la valeur de l’achalandage sont établies, le propriétaire de la marque de commerce a droit, à son choix, à des dommages‑intérêts ou à la remise des profits. S’appuyant sur la décision Hershbain c. Robert Simpson Montreal Limited (1959), 19 Fox Pat. C. 154 (C.S. Qué.), elle affirme que la Cour peut attribuer tout montant de dommages-intérêts qu’elle estime approprié.
[25] La demanderesse allègue par ailleurs qu’il n’est pas nécessaire d’établir les dommages réels si la violation ou la commercialisation trompeuse a été démontrée. Lorsque l’on ne peut pas qualifier la conduite d’un défendeur d’innocente, il peut être justifié d’accorder des dommages‑intérêts majorés.
[26] Pour ce qui est de l’évaluation des dommages‑intérêts, la demanderesse soutient que les tribunaux examinent si les défendeurs sont des concurrents du demandeur, si la marque du demandeur est bien connue, et si la perte de confiance à l’égard des services du demandeur pourrait avoir des conséquences néfastes sur la valeur de l’achalandage attaché à la marque. À cet égard, la demanderesse invoque les décisions Lee’s Food Products Ltd. c. Shafer-Haggart Ltd. (1984), 81 C.P.R. (2d) 204 (H.C. Ont.), et Canwest Telephone Co. Inc. c. Canwest Commercial Phone Centre Ltd. (1985), 8 C.P.R. (3d) 360 (C.S.C.-B.). La demanderesse soutient qu’il a été satisfait à tous ces critères dans la présente espèce. Enfin, elle allègue que les [traduction] « activités illégales flagrantes » de la défenderesse, comme elle les appelle, justifient une adjudication de dépens sur la base avocat‑client.
B. Observations de la défenderesse
[27] La défenderesse soutient qu’une preuve crédible montre qu’il existe en l’espèce une véritable question litigieuse. Premièrement, elle affirme ne pas avoir employé la marque de la demanderesse en liaison avec ses services pour maisons de soins infirmiers. Deuxièmement, elle prétend qu’il n’y a pas eu et qu’il n’y aura probablement pas de confusion dans le public canadien avec l’emploi qu’elle fait des caractères chinois en question ou au sujet de la source de ses services. Enfin, la défenderesse prétend que les marques de la demanderesse sont invalides parce qu’elles ne sont pas distinctives ou qu’elles n’étaient pas enregistrables à l’époque où elles ont été enregistrées.
[28] La défenderesse soutient qu’il existe en rapport avec sa défense des questions litigieuses qui sont étayées par une preuve crédible. La présente affaire ne permet pas de rendre un jugement sommaire.
[29] La défenderesse prétend que, pour avoir gain de cause dans une action en violation de marque de commerce en vertu des articles 19 ou 20 de la Loi, la demanderesse doit démontrer que la défenderesse a employé la marque « yee hong » en tant que marque de commerce et de manière à ce que l’on fasse une distinction entre ses services pour maisons de soins infirmiers et ceux d’autres parties, ou en vue de montrer l’origine de ses services. La défenderesse soutient qu’elle a fourni une preuve crédible qu’elle n’a pas employé les marques de la demanderesse de manière à ce que l’on fasse une distinction entre ses services pour maisons de soins infirmiers et ceux d’autres parties ou en vue de montrer l’origine de ses services.
[30] À cet égard, la défenderesse se reporte à la preuve. Elle soutient que, d’après la preuve, l’élément essentiel de sa dénomination commerciale est le mot anglais « Grace » et son symbole chinois équivalent. Elle soutient également que, d’après la preuve, le seul emploi qu’elle a fait des symboles chinois équivalant à « yee hong » a été en liaison avec un autre symbole chinois. Elle qualifie ces caractères de [traduction] « caractères promotionnels » qui, lorsqu’on les lit ensemble, créent un terme générique pour l’expression « rest home » (maison de repos). En outre, elle affirme que son seul emploi des caractères promotionnels a été de bonne foi et constituait une description exacte de la qualité et de la nature de ses services, et non un moyen de faire une distinction entre ses services et ceux d’autres parties.
[31] La défenderesse soutient également que, pour obtenir gain de cause en vertu de l’article 19 de la Loi, la demanderesse doit montrer que la défenderesse a employé des marques identiques aux siennes. Des différences dans la marque de commerce suffiront pour qu’il n’y ait pas violation de l’article 19; voir Meubles Domani’s c. Guiccio Gucci S.P.A. (1992), 43 C.P.R. (3d) 372 (C.A.F.). La défenderesse soutient qu’elle n’a pas employé des marques de commerce identiques à celles de la demanderesse dans la stratégie commerciale utilisée à l’égard de ses maisons de soins infirmiers ou de quoi que ce soit d’autre.
[32] La défenderesse soutient de plus qu’il y a des différences de forme et de prononciation très nettes entre la marque de commerce déposée de la demanderesse et les caractères promotionnels qu’elle utilise dans le nom de sa maison. Elle ajoute que la marque de commerce et les caractères promotionnels doivent être considérés dans leur intégralité et que, en tant que tels, les caractères promotionnels signifient « rest home » (maison de repos). Leur sens est distinct de celui que la demanderesse attribue à ses marques.
[33] La défenderesse soutient qu’elle a fourni une preuve crédible pour réfuter les allégations de la demanderesse au sujet de la confusion, c’est-à-dire une preuve suffisante pour montrer qu’il n’y a pas eu de confusion ni de risque de confusion. Elle ajoute que l’absence de caractère distinctif inhérent des marques de la demanderesse a une incidence sur l’étendue de la protection que la Cour peut leur accorder. Elle affirme que les caractères chinois pour les mots « yee hong » et leur prononciation en cantonais décrivent de façon générale le concept du bien-être des personnes âgées. Elle fait valoir que les petites différences qu’il y a entre ses propres marques et celles de la demanderesse sont suffisantes pour les distinguer les unes des autres.
[34] La défenderesse soutient de plus qu’il y a une preuve crédible qu’un acheteur ordinaire des services pour maisons de soins infirmiers de la demanderesse ou de la défenderesse ne trouverait pas que la marque de la défenderesse crée de la confusion avec les caractères promotionnels. Elle ajoute que la Cour utilise habituellement le critère du « membre ordinaire » du public canadien pour déterminer si la marque créera de la confusion ou non chez un acheteur. La Cour n’attribuera pas nécessairement à l’acheteur la connaissance d’une langue précise; voir Cheung’s Bakery Products Ltd. c. Saint Anna Bakery Ltd. (1992), 46 C.P.R. (3d) 261 (C.O.M.C.).
[35] La défenderesse fait valoir que, au yeux d’un acheteur ordinaire qui ne parle pas un dialecte chinois, il n’y a pas de ressemblance entre ses caractères promotionnels et les marques de la demanderesse. À cause des différences de prononciation entre les dialectes chinois, le mot qui sert de marque à la demanderesse n’aurait aucun sens pour une personne ne parlant pas le cantonais. La marque ne crée donc pas de confusion avec les caractères promotionnels de la défenderesse. Cette dernière soutient à cet égard que les différences entre les marques et les caractères promotionnels sont suffisamment importantes pour qu’une personne, cantonaise ou autre, qui les prononcerait ou qui les lirait ne pourrait pas se méprendre à première vue. Cette question a été examinée dans l’opinion d’expert de Mme Wong.
[36] Enfin, la défenderesse a mis l’accent sur le caractère distinctif des marques de la demanderesse. Elle soutient que ces marques sont invalides parce qu’elles n’étaient pas distinctives à l’époque où les procédures ont été engagées et qu’il s’agit du nom, en chinois, des services de la demanderesse. Suivant l’article 18 de la Loi, l’enregistrement d’une marque de commerce est invalide si la marque n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement. Suivant l’alinéa 12(1)c) de la Loi, une personne ne peut pas enregistrer comme marque le nom, dans une langue, des services à l’égard desquels cette marque est employée. La défenderesse se fonde sur la preuve citée selon laquelle les marques sont de nature générique en chinois et décrivent les services de la demanderesse dans cette langue.
[37] Pour ce qui est des dommages-intérêts, la défenderesse soutient que si un jugement sommaire est rendu, il n’y a pas de raison d’accorder des dommages-intérêts majorés ni d’adjuger des dépens sur la base avocat‑client. Il n’existe aucune preuve d’activités manifestement illégales de la part de la défenderesse. En outre, elle soutient qu’il n’y a aucune preuve qu’il y aura perte de confiance dans les services de la demanderesse ou qu’il y aura des conséquences néfastes pour la valeur de son achalandage.
V. Analyse et décision
[38] La demanderesse présente sa requête en jugement sommaire en vertu des Règles. Le paragraphe 216(1) des Règles énonce le motif pour lequel un jugement sommaire peut être rendu :
216.(1) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence. |
216.(1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly. |
[39] Les principes généraux liés au prononcé d’un jugement sommaire sont résumés dans la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853 (1re inst.). L’élément essentiel est la question de savoir s’il existe une véritable question litigieuse.
[40] Dans l’arrêt Succession MacNeil c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [2004] 3 R.C.F. 3 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a commenté la difficulté qui se pose quand un juge conclut qu’il y a une véritable question litigieuse et qu’il est saisi d’une demande de jugement sommaire au motif qu’une preuve suffisante a été produite pour justifier le prononcé d’un jugement sommaire en vertu du paragraphe 216(3) des Règles. Au paragraphe 36, la Cour a dit ce qui suit :
[…] Il serait fort difficile pour un juge de savoir s’il dispose réellement de suffisamment d’éléments de preuve pour rendre pareille décision, étant donné que le défendeur n’était pas obligé de présenter toute sa preuve.
[41] Dans la présente espèce, chacune des parties a produit une preuve d’expert au sujet du sens des caractères chinois en question. Les parties ont également traité de la question du son de ces caractères. Il y a des preuves contradictoires au sujet de chacune de ces questions.
[42] Sans commenter la crédibilité et le poids des éléments de preuve produits, je suis convaincue que la preuve montre, à ce stade‑ci, que les parties ne s’entendent pas sur le sens de ces mots. Le statut des mots « yee hong », en tant qu’expression générique ou autrement, est une question essentielle qui a une incidence sur les questions du caractère distinctif et de la confusion. Il est essentiel que ces questions soient tranchées en faveur de la demanderesse pour que celle‑ci ait gain de cause dans son action en commercialisation trompeuse.
[43] Il y a désaccord sur la question de savoir si les marques de commerce de la demanderesse sont distinctives et si l’emploi, par la défenderesse, des mots « yee » et « hong » pourrait raisonnablement créer de la confusion dans le public. En bref, il y a des preuves contradictoires au sujet des questions principales qui sont soulevées dans la présente action. Ces contradictions ne devraient être tranchées qu’après le dépôt à l’instruction d’un dossier de preuve complet.
[44] Je ne suis pas convaincue que la demanderesse a produit assez d’éléments probants pour qu’il soit justifié de faire droit à sa requête en jugement sommaire. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’examiner la question des dommages-intérêts. La requête est rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse.
ORDONNANCE
La requête est rejetée, avec dépens en faveur de la défenderesse.
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-759-04
INTITULÉ : YEE HONG CENTRE FOR GERIATRIC CARE
c.
GRACE CHRISTIAN CHAPEL
LIEU DE L’AUDIENCE : VANCOUVER
(COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 29 NOVEMBRE 2005
ET ORDONNANCE : LA JUGE HENEGHAN
DATE DES MOTIFS : LE 29 MAI 2006
COMPARUTIONS :
David Wotherspoon |
|
Trevor M. Kaatz |
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Fasken Martineau DuMoulin s.r.l. Avocats Toronto (Ontario) |
POUR LA DEMANDERESSE |
Boughton Peterson Yang Anderson Law Corporation Vancouver (Colombie-Britannique) |
POUR LA DÉFENDERESSE |