Date : 20200430
Dossier : IMM-5027-19
Référence : 2020 CF 571
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 30 avril 2020
En présence de monsieur le juge Campbell
ENTRE :
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ALMAN DOUKOURE
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration (la SI) datée du 8 août 2019, par laquelle il a été déclaré interdit de territoire pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Aux États-Unis (É.‑U.), le demandeur a plaidé coupable et a été condamné au titre des articles 21 U.S.C. §§ 846 et 841 pour le transport de 1 000 kg de cannabis. La question en litige dans le cadre du contrôle judiciaire est de savoir si la SI a procédé à une analyse raisonnable de l’équivalence entre les dispositions criminelles américaines et les dispositions criminelles canadiennes applicables.
I.
Les dispositions criminelles pertinentes et la norme juridique en matière d’équivalence
[2]
Les dispositions criminelles des É.‑U. sont libellées comme suit :
[traduction]
21 U.S.C. §§ 841
(a) ACTES ILLICITES Sauf dans les cas autorisés par le présent sous‑chapitre, il est illégal pour toute personne de, sciemment ou intentionnellement –
(1) fabriquer, distribuer céder ou posséder dans l’intention de fabriquer, de distribuer ou de céder une substance désignée; ou
(2) créer, distribuer ou céder ou posséder dans l’intention de distribuer ou de céder une substance contrefaite.
(b) PEINES Sauf disposition contraire des articles 849, 859, 860 ou 861 du présent titre, quiconque contrevient à l’alinéa a) du présent article sera passible de ce qui suit :
(B) Dans le cas d’une violation de l’alinéa a) du présent article concernant –
(vii) 100 kilogrammes ou plus d’un mélange ou d’une substance contenant une quantité détectable de marijuana, ou au moins 100 plants de marijuana, quel que soit leur poids; ou
[Non souligné dans l’original.]
21 U.S.C. §§ 846
Quiconque tente de commettre une infraction définie au présent sous‑chapitre ou complote dans le but de commettre une telle infracton est passible des mêmes peines que celles prévues pour l’infraction qu’il a tenté de commettre ou en vue de laquelle il a comploté.
[3]
Les dispositions de la Loi sur le cannabis, L.C. 2018, ch. 16 du Canada sont libellées comme suit :
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[4]
Dans l’affaire Hill c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1987] A.C.F. no 47, 1 Imm. L.R. (2d) 1 (CAF), la Cour d’appel fédérale précise au paragraphe 6 qu’une analyse d’équivalence doit être effectuée de l’une des trois manières suivantes :
[…] tout d’abord, en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives; en second lieu, par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales; en troisième lieu, au moyen d’une combinaison de cette première et de cette seconde démarches.
[Non souligné dans l’original.]
[5]
Dans l’affaire Li c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] 1 C.F. 235 (CAF), la Cour d’appel fédérale affirme ce qui suit, aux paragraphes 17, 25 et 28 :
Cette disposition a pour objet d’exclure du Canada des personnes reconnues coupables à l’étranger d’infractions que la loi canadienne considère comme des transgressions graves.
[…]
Comme noté supra, le sous‑alinéa 19(2)a.1)(i) vise à interdire l’entrée aux personnes qui ont été déclarées coupables à l’étranger d’actes qui, eussent‑ils été commis au Canada, auraient été réprouvés au moyen d’une poursuite par voie d’accusation. Ce qu’il faut comparer, ce sont les faits et la qualification juridique qui caractérisent l’infraction au Canada et dans le pays étranger.
[…]
La comparaison des "éléments essentiels" de l’une et l’autre infractions requiert la comparaison de leurs définitions respectives, y compris les moyens de défense propres à ces infractions ou aux catégories dont elles relèvent.
II.
La décision faisant l’objet du contrôle
[6]
Dans sa décision rendue séance tenante, la SI a souligné que le demandeur a plaidé coupable et a été condamné au titre des articles 21 U.S.C. §§ 846 et 841, à savoir de complot en vue de distribuer de la marijuana et de possession de marijuana en vue d’en faire le trafic. La SI a ensuite présenté les conclusions suivantes sur les éléments essentiels de la législation dans les deux pays :
À mon avis, il est clair que la représentante du ministre a été en mesure de démontrer qu’il y a des motifs raisonnables de croire que M. Doukoure a été déclaré coupable aux États‑Unis de l’infraction de complot en vue de faire la distribution dans l’intention de distribuer de la marijuana.
[…]
La distribution, qui comprend le transport, selon la définition établie à l’alinéa 2(1) de la Loi sur le cannabis, est un crime au Canada à l’heure actuelle.
Si cette infraction est visée à l’alinéa (1)a), si elle se rapporte à plus de 30 grammes. Or, la preuve montre qu’il s’agissait d’une grande quantité de drogue, supérieure à 30 grammes.
Et s’il s’agit de distribution à un mineur ou à une organisation ou si vous savez qu’il s’agit de cannabis illicite.
Donc, si nous comparons à la Cour fédérale les moyens utilisés pour établir l’équivalence et en utilisant le troisième [inaudible] pour comparer le libellé et les faits, il est manifeste ici que la distribution, si elle était organisée comme la preuve montre qu’elle l’était aux États‑Unis, ne se ferait pas par les voies légales au Canada.
Nous parlons principalement de drogues illicites, et non pas seulement de la simple distribution à des personnes âgées de 18 ans ou de moins de 18 ans.
Il s’agit clairement de drogues illicites, et M. Doukoure aurait dû le savoir lorsqu’il était aux États‑Unis.
Ainsi, je crois que l’alinéa 36(1)a) s’appliquerait également.
Si jamais je me trompe concernant la première partie, il s’appliquerait ici.
Les deux types de persécution sont considérés comme des infractions punissables par mise en accusation et sont donc passibles de 13 ans suivant l’alinéa 5a)(i) de la Loi sur le cannabis.
Cela relève de la grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
[Non souligné dans l’original.]
[Décision, par. 20, 40 à 49]
III.
Les observations dans le cadre du contrôle judiciaire
[7]
Les observations du demandeur peuvent être paraphrasées ainsi :
La SI a commis une erreur en se référant au moment où le demandeur a été condamné aux États‑Unis. Le moment qui est pertinent pour une analyse d’équivalence est celui de l’enquête sur l’interdiction de territoire.
La SI n’a pas comparé convenablement les
« éléments essentiels »
des dispositions criminelles américaines et canadiennes.Si une disposition criminelle contient des moyens de défense que la disposition criminelle correspondante ne contient pas, les lois seront considérées comme non équivalentes.
En appliquant la règle de l’indulgence au demandeur, nous devons supposer qu’il ne distribuait pas de cannabis à des personnes âgées de moins de 18 ans, et qu’il aurait donc été poursuivi par procédure sommaire en vertu de l’article 5 de la Loi sur le cannabis. Par conséquent, le demandeur n’a pas commis d’infraction passible d’une peine d’emprisonnement maximal de dix ans.
La décision est inintelligible.
[Mémoire des arguments supplémentaires du demandeur, aux par. 29 à 42.]
[8]
La réponse du défendeur est la suivante :
[traduction]
[…] Selon la SI,les éléments de preuve ont démontré que le plaidoyer de culpabilité concernait la distribution de cannabis illicite, et pour une très grande quantité, bien supérieure à la limite de 30 grammes mentionnée dans la Loi sur le cannabis.
[…]
Tant que la quantité est supérieure à 30 grammes, ou tant qu’il s’agit de cannabis illicite, l’âge des personnes qui reçoivent la substance n’est pas du tout pertinent pour la condamnation et il ne l’est pas non plus pour l’équivalence.
[Mémoire des arguments supplémentaires du défendeur, aux par. 51 et 57]
IV.
Conclusion
[9]
Je souscris à l’analyse du défendeur.
[10]
La décision de la SI, bien qu’elle ne soit pas exprimée avec perfection, présente les conclusions essentielles aux paragraphes 20 et 40 à 49 cités au paragraphe 6 des présents motifs. Le demandeur a plaidé coupable, et a donc été condamné aux États‑Unis, pour avoir transporté plus de 30 grammes de cannabis, et pour avoir transporté du cannabis qu’il savait être illicite. Il est évident que l’objet de la condamnation contrevient à l’alinéa 9(1)a) de la Loi sur le cannabis. La SI a donc conclu que le transport de plus de 30 grammes de cannabis illicite serait punissable d’une peine d’emprisonnement maximal de 14 ans en vertu de l’alinéa 9(5)a) de la Loi sur le cannabis. Par conséquent, elle a déterminé que le demandeur était interdit de territoire pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. J’estime que la décision de la SI est défendable au regard des faits et du droit, et qu’elle est donc raisonnable.
[11]
Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 7e jour de mai 2020.
Semra Denise Omer, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-5027-19
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INTITULÉ :
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ALMAN DOUKOURE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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AFFAIRE EXAMINÉE SUR DOSSIER À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À LA DIRECTIVE DE PRATIQUE ET ORDONNANCE (COVID-19) DATÉES DU 17 MARS 2020 (MISES À JOUR LE 4 AVRIL 2020 ET LE 29 AVRIL 2020)
jugEment ET MOTIFS :
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LE JUGE CAMPBELL
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 30 AVRIL 2020
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OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :
Me Annabel E. Busbridge
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POUR LE DEMANDEUR
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Me Jocelyne Murphy
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bertrand Deslauriers
Avocats
Montréal (Québec)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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