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Date : 20200327


Dossier : IMM‑4409‑19

Référence : 2020 CF 433

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2020

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

DONALDO GRIJALVA GODOY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Godoy, un citoyen du Guatemala, a demandé l’asile au Canada en novembre 2016, en se fondant sur sa crainte pour sa vie, après avoir été témoin de la conduite d’un haut responsable de la police guatémaltèque qui donnait fortement à penser à la corruption. La demande a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] en avril 2018, et son appel a été rejeté par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. La SPR et la SAR ont toutes deux conclu que son compte rendu n’était pas crédible, en raison de son souvenir inexact des dates et de son comportement depuis l’incident allégué.

[2]  Le demandeur soutient que la conclusion de la SAR, selon laquelle il n’était pas crédible, n’était pas raisonnable, compte tenu de la preuve explicative qu’il avait fournie, y compris un rapport psychologique [le rapport Kwa] qui décrivait des signes de troubles cognitifs qui auraient pu nuire à sa capacité de rassembler ses souvenirs avec précision.

[3]  Dans l’analyse suivante de ces questions, je conclus que sa contestation de la décision de la SAR doit être rejetée.

[4]  M. Godoy a été policier au Guatemala de 2003 à 2010 et, alors qu’il exerçait ses fonctions à Guatemala, il a été affecté au service du directeur général adjoint de la Police nationale civile, Rember Larios Tobar [M. Larios], en tant que garde du corps. Comme l’attestent les médias guatémaltèques et internationaux, le 24 avril 2009, des gangs ont attaqué un dépôt d’armes de la police près de Guatemala, tuant cinq policiers. M. Godoy était en service avec M. Larios lorsqu’ils se sont rendus en voiture au dépôt d’armes après l’attaque, les policiers victimes gisant encore par terre. Il a vu M. Larios prendre une mallette dans un véhicule sur les lieux [l’incident du dépôt].

[5]  Après avoir pris des vacances prévues antérieurement, M. Godoy a été informé que M. Larios avait ordonné son transfert à Jutiapa, la ville natale du demandeur, pour travailler comme policier en uniforme ordinaire. À Jutiapa, il a remarqué qu’il était suivi, et il a réduit au minimum ses contacts avec les membres de sa famille pour les protéger. Il a déclaré qu’il avait vu dans les médias que deux de ses confrères gardes du corps avaient été assassinés. Un autre ancien collègue ainsi que l’ex‑femme de M. Larios l’avaient averti, en mars 2010, de quitter le Guatemala immédiatement, car M. Larios souhaitait le tuer. M. Larios avait été écarté de son poste dans les forces de police en juin 2009, mais est demeuré à titre de conseiller auprès du gouvernement.

[6]  M. Godoy a fui aux États‑Unis, où il a vécu pendant environ un an, avant d’entrer au Canada sans autorisation en mars 2011. Il est demeuré au Canada jusqu’à ce qu’il soit détenu et qu’une mesure d’exclusion d’un an soit prise à son endroit, en janvier 2015. À cette époque, il a refusé une demande d’examen des risques avant renvoi. Il affirme l’avoir fait parce que son avocat de l’aide juridique lui avait dit que cela aurait comme conséquence qu’il demeurerait en détention. Il est retourné à Jutiapa, au Guatemala, pendant environ 13 mois, où, selon lui, il a été encore une fois suivi par des véhicules banalisés. Il a quitté le Guatemala en février 2016 et est revenu au Canada sans autorisation. Il a présenté sa demande d’asile en novembre 2016 après avoir été appréhendé par la police.

[7]  Dans son formulaire Fondement de la demande d’asile et l’exposé circonstancié à l’appui à l’annexe A, il a écrit que l’incident du dépôt s’était produit à la fin de 2008 et qu’il avait quitté le Guatemala en mars 2009. Il déclare qu’il s’agissait d’erreurs commises involontairement et que son conseil devant la SPR a négligé de revoir ses documents. L’ancien conseil a envoyé une lettre à la SPR le 9 janvier 2018, dans laquelle il affirmait que le demandeur avait commis une erreur dans ses documents de demande et que [traduction« tout ce qui commen[çait] en 2009 [était] décalé d’un an ».

[8]  Lors de l’audience devant la SPR en mars 2018, le commissaire de la SPR et le conseil du défendeur ont interrogé M. Godoy au sujet d’un certain nombre d’incohérences dans son compte rendu. Parmi ces incohérences, il y avait la divergence entre son témoignage (et la vague allusion dans la lettre de son conseil), selon lequel l’incident du dépôt s’était produit en novembre 2009, et un article de presse, produit en preuve, qui mentionnait que M. Larios avait été écarté de son poste, sur des soupçons de corruption, en juin 2009. On a demandé à M. Godoy comment il aurait pu être toujours le garde du corps de M. Larios pendant l’incident du dépôt si cela s’était produit cinq mois après que M. Larios eut été écarté de son poste. Le demandeur a déclaré à plusieurs reprises qu’il avait de la difficulté à se rappeler des dates.

[9]  La SPR a jugé que le récit de M. Godoy sur sa persécution n’était pas crédible, en raison (1) de son incertitude quant à la date de l’incident du dépôt; (2) de son défaut de signaler la conduite de M. Larios au titre des mesures disponibles relativement à la protection des dénonciateurs de la police; (3) de l’omission par son service de police de mentionner qu’il avait déjà été en poste à Guatemala; (4) du fait que son frère a présenté une raison contradictoire pour laquelle le demandeur était en danger; (5) de son retard à fuir le Guatemala; (6) de son séjour non autorisé de quatre ans au Canada, sans demander l’asile; (7) de son retour volontaire sur le lieu de sa persécution alléguée, à Jutiapa, pendant plus d’un an.

[10]  La SPR a conclu que la preuve était insuffisante pour conclure qu’il était exposé à une possibilité sérieuse de persécution, à une menace à sa vie, à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture, et elle a mentionné que le demandeur n’avait pas lié ensemble les éléments de preuve de façon crédible.

[11]  À la suite de la décision défavorable de la SPR, M. Godoy a retenu les services de ses avocats actuels, qui ont organisé pour lui deux entrevues avec Mme Lydia Kwa, une psychologue clinicienne qui a rédigé le rapport Kwa. Mme Kwa lui a fait passer des tests de dépression et de traumatisme, et elle a écrit que les symptômes signalés et observés subis par M. Godoy étaient conformes au syndrome de stress post‑traumatique [le SSPT], qui nuit souvent à [traduction« la capacité de se souvenir ou de produire des souvenirs précis verbalement ».

[12]  Devant la SAR, M. Godoy a allégué que l’inefficacité de son conseil précédent l’avait privé de son droit à l’équité procédurale, que la SPR avait commis une erreur en ne reconnaissant pas qu’il était une personne vulnérable, en raison de ses troubles de santé mentale, et qu’elle avait commis une erreur dans son analyse de la preuve. L’allégation selon laquelle le conseil précédent était inefficace n’a pas été acceptée par la SAR et n’a pas été poursuivie dans la présente demande.

[13]  La SAR a rejeté la demande pour que M. Godoy soit désigné comme une personne vulnérable, au titre des Directives no 8 du président de la CISR, parce que les protections liées à ce statut concernaient la procédure d’audience et que la SAR avait refusé de tenir une audience.

[14]  Le demandeur a cherché à présenter divers documents à titre de nouveaux éléments de preuve, y compris des documents à l’appui du rapport Kwa sur son état psychologique et six articles de presse sur la corruption policière au Guatemala, qui décrivaient le renvoi de M. Larios en juin 2009 et sa nomination ultérieure en tant que conseiller en matière de police. La SAR a accepté tous les éléments de preuve, sauf les articles des médias, puisqu’ils étaient normalement accessibles avant l’audience de la SPR et qu’ils ne satisfaisaient donc pas au critère des nouveaux éléments de preuve énoncé au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27.

[15]  La SAR a accordé peu de poids au rapport Kwa, en raison du problème posé par la conciliation de sa description des difficultés qu’éprouve le demandeur à rassembler ses souvenirs dans un récit cohérent avec « la spontanéité manifestée par [le demandeur] lorsqu’il répondait à d’autres questions dans l’enregistrement de son audience ». De plus, la SAR a conclu que « le rapport ne refl[était] pas fidèlement l’état mental de l’appelant au moment de l’audience de la SPR, car il a[vait] été produit après l’audience et la décision ».

[16]  La SAR a également conclu que le comportement du demandeur après l’incident du dépôt était incompatible avec une crainte subjective de persécution, soulignant plusieurs problèmes semblables à ceux mentionnés par la SPR, à savoir : la fuite retardée, le fait de ne pas avoir demandé l’asile aux États‑Unis ou au Canada pendant cinq ans, le retour volontaire pendant plus d’un an, ainsi que l’insuffisance des explications fournies pour chacun de ces éléments. La conclusion générale de la SAR est que le compte rendu du demandeur manque de crédibilité et qu’il ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver sa qualité de réfugié ou de personne à protéger.

[17]  Les avocats soutiennent qu’il était déraisonnable que la SAR ne tienne pas compte du rapport Kwa comme elle l’a fait, parce qu’il a été présenté pour répondre expressément à la question de savoir pourquoi il avait donné des dates incohérentes à la SPR au sujet de l’incident du dépôt. Le rapport le décrit comme souffrant du SSPT, de temps à autre, ce qui explique sa confusion quant aux dates.

[18]  Le défendeur souligne que le rapport Kwa, en plus d’offrir le diagnostic du SSPT, fait observer que, si on laisse du temps à M. Godoy et qu’on lui communique les faits connus dont il s’est souvenu, il devrait être en mesure de reconstituer les bonnes dates pour les faits pertinents. Elle écrit qu’il l’a fait lors de l’examen, pour conclure en fin de compte que l’incident du dépôt [traduction] « a[vait] dû se produire à la fin d’avril 2009 ».

[19]  Si la position du demandeur concernant la pertinence du rapport Kwa ainsi que le poids à lui donner était acceptée, je ne suis pas convaincu que le résultat serait différent. La conclusion de la SAR quant à la crédibilité ne reposait pas uniquement sur les dates contradictoires dans le témoignage. Aux paragraphes 34, 35 et 38 de sa décision, la SAR conclut que sa crédibilité, et son allégation d’une crainte subjective, sont également remises en question, en raison de son retard à quitter le Guatemala et de son défaut de demander l’asile aux États‑Unis et au Canada :

[34] Dans cette affaire, le tribunal de la SPR n’a pas, comme le fait valoir le conseil actuel, considéré seulement le défaut de l’appelant de dissiper une contradiction grave dans la date de l’incident l’ayant amené à croire qu’il devait quitter le pays pour sa protection. Dans ses motifs de décision, le tribunal a reconnu que l’appelant avait [traduction] « de la difficulté avec les dates ». Dans mon analyse indépendante, je constate que, même si la SPR a admis que l’appelant était simplement embrouillé au sujet de la date à laquelle l’incident marquant est survenu, plusieurs autres questions de crédibilité soulevées relativement à la crainte subjective n’ont pas été résolues, et je traiterai de ces questions ci‑dessous. La SPR a fait observer qu’il subsistait également des contradictions entre le témoignage de l’appelant et celui de son frère au sujet des raisons pour lesquelles l’agent de persécution voulait faire du mal à l’appelant. Je souscris à la conclusion de la SPR en ce qui a trait au témoignage du témoin, mais j’estime qu’elle n’est pas, en soi, déterminante de la crédibilité de l’appelant.

[35] J’estime que la conduite de l’appelant est incompatible avec celle d’une personne vivant dans la crainte d’être persécutée dans son pays. Il y a lieu de s’attendre à ce qu’une personne ayant véritablement qualité de réfugié au sens de la Convention se réclame d’une protection dès qu’il lui est possible de le faire une fois hors de portée de ceux qu’il craint. Je garde en tête le fait qu’un des facteurs importants qui témoignent d’une crainte subjective et de la crédibilité est l’aspect de la demande tardive. Dans cette affaire, le temps global écoulé avant de demander l’asile à l’étranger équivaut à près d’une décennie.

[…]

[38] J’estime que l’appelant n’est pas crédible en ce qui concerne son allégation de crainte subjective pour les raisons suivantes : il est demeuré dans son village pendant approximativement un an avant de fuir aux États‑Unis; il n’a pas présenté de demande d’asile aux États‑Unis, même s’il y a vécu pendant près d’un an; il est venu au Canada et y est demeuré pendant plusieurs années sans demander l’asile; il est volontairement retourné dans son pays pendant qu’il était visé par une mesure d’expulsion sans chercher à profiter d’un ERAR et a informé les agents de l’ASFC à l’époque qu’il ne craignait pas de retourner au Guatémala; il est retourné résider dans le même village au Guatémala, où il aurait été menacé par des personnes qui, selon lui, travaillaient pour un puissant haut fonctionnaire de police corrompu qui, craignait‑il, voulait le tuer; et il a tardé à demander l’asile à son retour au Canada pendant près d’un an. Je conclus que l’appelant n’a pas démontré avoir une crainte subjective, ce qui est l’un des deux éléments de la définition d’un réfugié.

[20]  À la lumière de ces conclusions, je juge que la présente demande d’asile n’aurait pas obtenu gain de cause, même si on avait attribué le poids suggéré par les avocats au rapport Kwa.

[21]  Les parties n’ont proposé aucune question à certifier.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑4409‑19

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 4e jour de juin 2020

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4409‑19

 

INTITULÉ :

DONALDO GRIJALVA GODOY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 février 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 27 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Erica Olmstead

Will Tao

POUR LE DEMANDEUR

Erica Louie

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann & Company

Vancouver (C.‑B.)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (C.‑B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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