Date : 20200427
Dossier : T-983-19
Référence : 2020 CF 555
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 27 avril 2020
En présence de monsieur le juge James W. O’Reilly
ENTRE :
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S.R.
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le demandeur, SR, qui est citoyen iranien, a obtenu la résidence permanente au Canada après être arrivé au pays avec ses parents dans les années 1990. Quelque 20 années plus tard, il a demandé la citoyenneté canadienne. Alors que sa demande était en instance, une formation de la Section de l’immigration a conclu que SR était interdit de territoire pour des raisons de sécurité et elle a pris une mesure de renvoi contre lui.
[2]
SR a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la SI et la Cour fédérale a autorisé la demande. Peu après, l’agent saisi de la demande de citoyenneté de SR lui a fait parvenir une lettre expliquant que la citoyenneté ne pouvait lui être attribuée pendant qu’il était sous le coup d’une mesure de renvoi (suivant l’alinéa 5(1)f) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29 (la Loi); les dispositions citées figurent en annexe).
[3]
En réponse à la lettre, le conseil de SR a informé l’agent qu’une demande de contrôle judiciaire était en instance et lui a demandé de mettre la demande de son client en suspens jusqu’au prononcé de la décision de la Cour fédérale. L’agent a refusé. Il a souligné que l’examen d’une demande de citoyenneté pouvait être suspendu uniquement dans l’attente des résultats d’une enquête visant à établir si le demandeur est admissible à la citoyenneté, ce qui n’était pas le cas de SR (il a cité à cet effet l’article 13.1 de la Loi).
[4]
SR sollicite à présent le contrôle judiciaire du refus de l’agent de suspendre l’examen de sa demande de citoyenneté. Selon lui, l’agent disposait du pouvoir discrétionnaire de reporter le traitement de la demande, et la décision de s’en abstenir était injuste, compte tenu de l’étape où en était son recours à l’encontre de la mesure de renvoi. Il me prie d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner le réexamen de sa demande par un autre agent.
[5]
Je ne vois aucune raison d’infirmer la décision de l’agent. Le pouvoir discrétionnaire de l’agent était circonscrit par les dispositions de la Loi sur la citoyenneté, qui ne l’autorisait pas à suspendre l’examen de la demande de SR jusqu’à l’issue du contrôle judiciaire de la mesure de renvoi. Je devrai donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Je signale au passage que SR peut désormais présenter une nouvelle demande de citoyenneté, puisque la mesure de renvoi prise contre lui a été annulée par la juge Elizabeth Walker en août 2019 (2019 CF 1118).
[6]
Ainsi, la seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si l’agent a commis une erreur en refusant de mettre en suspens la demande de citoyenneté de SR jusqu’à ce que la Cour fédérale se prononce sur sa demande de contrôle judiciaire de la mesure de renvoi.
II.
L’agent a-t-il commis une erreur en refusant de mettre en suspens la demande de citoyenneté de SR?
[7]
SR fait valoir que l’agent avait le pouvoir d’ajourner l’examen de sa demande de citoyenneté pour assurer l’équité du processus (Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560). Selon lui, ce pouvoir d’ordre discrétionnaire existe, même s’il n’est pas explicitement reconnu par une loi ou un règlement.
[8]
Je partage l’avis de SR lorsqu’il affirme que l’agent dispose d’un pouvoir discrétionnaire lui permettant, dans certaines circonstances, d’ajourner une procédure. Toutefois, il doit exercer ce pouvoir discrétionnaire dans le respect du cadre législatif à l’intérieur duquel s’inscrit son action.
[9]
En l’espèce, la Loi sur la citoyenneté énonce un principe général, à savoir que la citoyenneté ne peut être attribuée à la personne qui se trouve sous le coup d’une mesure de renvoi (alinéa 5(1)f)). La Loi prévoit en outre qu’une mesure de renvoi reste en vigueur jusqu’à son annulation définitive par un tribunal administratif ou une cour de justice (alinéa 2(2)c)). Or, à l’époque où sa demande de citoyenneté était à l’étude, SR était visé par une mesure de renvoi. Le fait que cette mesure de renvoi était contestée devant la Cour n’avait aucune incidence sur sa validité. L’agent de la citoyenneté ne pouvait rien faire pour modifier ces deux réalités qui résultaient de la Loi.
[10]
SR a demandé à l’agent de mettre sa demande en suspens jusqu’à ce que la Cour fédérale statue sur sa demande de contrôle judiciaire. L’agent a consulté la Loi sur la citoyenneté et il a constaté que le seul pouvoir qu’il avait de suspendre l’examen d’une demande de citoyenneté lui venait de l’article 13.1, lequel prévoit que l’examen d’une demande peut être suspendu pendant la période nécessaire, dans l’attente des résultats d’une enquête sur l’admissibilité du demandeur ou d’autres questions connexes.
[11]
À mon avis, l’agent a eu raison de conclure qu’il n’était pas autorisé à mettre en suspens une demande de citoyenneté, sauf dans les circonstances décrites à l’article 13.1.
[12]
Citant l’arrêt Prassad, le demandeur affirme à juste titre que les décideurs administratifs ont le pouvoir discrétionnaire d’accorder un ajournement pour assurer l’équité de la procédure. Mais ce même arrêt reconnaît que ce pouvoir est assorti de limites.
[13]
En effet, dans l’arrêt Prassad, la Cour suprême du Canada a admis que, de façon générale, les décideurs administratifs sont « maîtres chez eux »
en « l’absence de règles précises établies par loi ou règlement »
(au paragraphe 16). Dans les limites de ces paramètres, les ajournements relèvent du pouvoir discrétionnaire du décideur. De plus, la Cour suprême a déclaré que le décideur n’était pas tenu d’ajourner une enquête pour attendre le résultat d’une autre procédure (au paragraphe 23). Autrement, cela créerait un mécanisme de suspension automatique qui n’est pas envisagé par le régime législatif (au paragraphe 24).
[14]
En l’espèce, l’action de l’agent était limitée par les dispositions applicables de la Loi sur la citoyenneté. SR était visé par une mesure de renvoi présumée valide jusqu’à son éventuelle annulation. En pareilles circonstances, une personne ne peut se voir attribuer la citoyenneté. Un agent ne peut pas suspendre l’examen d’une demande de citoyenneté, sauf si cela est nécessaire pour permettre qu’une enquête soit menée à terme. En réalité, SR demandait à l’agent un sursis, ce que ce dernier n’avait pas le pouvoir de lui accorder.
[15]
Par conséquent, l’agent n’a pas commis d’erreur en refusant de mettre en suspens la demande de citoyenneté de SR jusqu’à ce que l’issue de sa demande de contrôle judiciaire soit connue.
III.
Conclusion et dispositif
[16]
L’agent a refusé à juste titre de mettre en suspens la demande de citoyenneté de SR. Il n’avait pas le pouvoir d’accéder à cette demande. Je dois, par conséquent, rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé la certification d’une question de portée générale, et aucune n’est énoncée.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER T-983-19
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée; aucune question de portée générale n’est énoncée.
« James W. O’Reilly »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 21e jour de mai 2020
C. Laroche, traducteur
Annexe
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-983-19
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INTITULÉ :
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S.R. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 26 FÉVRIER 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS
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LE JUGE O’REILLY
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DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
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LE 27 AVRIL 2020
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COMPARUTIONS :
Charles Steven
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POUR LE DEMANDEUR
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Jocelyne Murphy
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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