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Date : 20050120

 

Dossier : IMM‑895‑04

 

Référence : 2005 CF 85

 

 

 

ENTRE :

 

 

 

                                                             HUNG PONG MAN

 

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

 

                                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                         DE L’IMMIGRATION et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

                                                                                                                                            défendeur

 

 

 

ET :

 

 

 

                                                                                                                                       IMM‑896‑04

                                                             HUNG PONG MAN

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et


 

                                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

                                                         DE L’IMMIGRATION et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                            défendeur

 

 

                                                  MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

LA JUGE HENEGHAN

 

 

INTRODUCTION

 

 

[1]               M. Hung Pong Man (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de deux décisions, à savoir une décision négative relativement à sa demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR) datée du 3 décembre 2003 et le rejet de sa demande d’exemption, pour des motifs d’ordre humanitaire (H&C), des dispositions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, modifiée (la Loi), qui exigent qu’une demande de visa d’immigrant soit faite à l’étranger, laquelle décision est datée du 4 décembre 2003. Chaque décision a été rendue par le même agent d’immigration, Robert North (l’agent), et communiquée au demandeur le 30 janvier 2004.

 

CONTEXTE

 


[2]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine qui est entré au Canada à l’aéroport international de Vancouver en septembre 1988 comme personne sans papiers. La revendication du demandeur a été intégrée au « groupe 4 » qui est composé de personnes dont l’enquête n’a pas eu lieu mais qui ont exprimé l’intention, avant le 1er janvier 1989, de revendiquer le statut de réfugié. Le demandeur était admissible à ce programme au motif qu’il avait l’intention de revendiquer le statut de réfugié, mais il n’a jamais revendiqué ce statut au Canada.

 

[3]               À la fin 1988-1989, le demandeur a conclu une union de fait avec Mme Sui Fong Fung. Mme Fung est devenue citoyenne canadienne en 1995 et le couple a eu un enfant, Vincent Kit Man, en avril 1990.

 

[4]               Le 18 juin 1991, le demandeur a demandé et obtenu le droit d’établissement à titre de résident permanent, conformément à un programme spécial adopté après le massacre de la place Tian An Men.

 

[5]               Le demandeur et Mme Fung se sont mariés en octobre 1991 et leur deuxième enfant est né en mars 1992.

 

[6]               En mai 1992, le demandeur a été accusé et déclaré coupable de deux chefs d’accusation de mise en circulation de monnaie contrefaite. La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a annulé par la suite ces déclarations de culpabilité.

 

[7]               Le 12 février 1993, le demandeur a été accusé de possession d’un stupéfiant en vue d’un trafic. Il a été déclaré coupable le 16 février 1994 et condamné à une peine d’emprisonnement de quatre ans. Après avoir purgé 16 mois de sa peine et avoir passé quatre mois dans une « maison de transition », il a obtenu sa libération conditionnelle totale en octobre 1995.

 

[8]               Le demandeur a fait l’objet d’un rapport fondé sur l’article 27, en conformité avec l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C., 1985, ch. I-2, modifiée (l’ancienne Loi). Le 17 novembre 1994, il a été jugé que le demandeur était une personne visée au sous‑alinéa 27(1)d)(i), aujourd’hui l’alinéa 27(1)d) (modifié par L.C. 1992, ch. 47, article 78) et une mesure d’expulsion a été prise contre lui en conformité avec le paragraphe 32(2) de l’ancienne Loi. Il a été privé de son statut de résident permanent et, le 7 novembre 1995, le ministre a délivré un avis selon lequel le demandeur constituait un danger pour le public au Canada en conformité avec le paragraphe 70(5) de l’ancienne Loi.

 

[9]               Pendant sa libération conditionnelle suivant la première déclaration de culpabilité de possession de stupéfiants, le demandeur a été de nouveau arrêté et accusé de possession en vue d’un trafic. Il a été déclaré coupable le 23 février 1998 et condamné à une peine d’emprisonnement de 38 mois. Après avoir purgé 37 mois, il a été libéré en mars 2000. Il a obtenu le sursis de l’exécution de la mesure d’expulsion prise contre lui le 31 mars 2000.

 

[10]           Le 2 novembre 2000, le demandeur et sa femme ont eu un troisième enfant.


 

[11]           Le 16 mai 2001, une ordonnance a été rendue dans l’affaire no IMM-1618-00. Selon l’ordonnance, le ministre ne pouvait renvoyer le demandeur en Chine tant qu’une évaluation du risque n’aurait pas été effectuée et tant qu’une décision n’aurait pas été prise à cet égard.

 

[12]           Le 22 avril 2002, le demandeur a demandé d’être exempté des exigences habituelles de demander un visa de l’extérieur du Canada, pour des motifs d’ordre humanitaire, conformément au paragraphe 25(1) de la Loi. Le 23 août 2003, l’agente principale, C. Shapka, a fait parvenir une lettre au demandeur le convoquant à une entrevue personnelle le 4 septembre 2002. À ce moment-là, il a été avisé qu’il pouvait demander une ERAR.

 

[13]           Le 3 octobre 2002, le demandeur a présenté une demande ERAR à l’unité ERAR de bureau d’exécution de CIC à Vancouver. Le 6 octobre 2003, l’unité ERAR a contacté le demandeur concernant sa demande ERAR et sa demande pour des motifs d’ordre humanitaire l’invitant à soumettre tout nouveau renseignement au sujet de ces deux demandes. Le 31 octobre 2003, l’avocat du demandeur a envoyé de nouveaux renseignements, documents et observations concernant les deux demandes.

 


[14]           Le 13 novembre 2003, l’agent a envoyé, par courrier, à l’avocat du demandeur deux documents, savoir une note de service datée du 4 septembre 2001 rédigée par C. Shapka, ainsi qu’un extrait renvoyant à un courriel du 17 septembre 2002 acheminé par Ray Bowes, un agent d’intégrité des mouvements migratoires (AIMM) posté à l’ambassade canadienne de Beijing, en Chine. Le demandeur disposait de 15 jours pour soumettre des observations finales et pour signaler toute erreur ou omission dans ces deux documents.  

 

[15]           Le 25 novembre 2003, l’avocat du demandeur s’est objecté à la participation continue de l’agent à la demande pour des motifs d’ordre humanitaire au motif que la manière dont les deux demandes avaient été réunies soulevait une crainte de partialité institutionnelle. L’agent a réagi le 1er décembre 2003 en refusant de se récuser du dossier du demandeur.

 

[16]           Le 3 décembre 2003, l’agent a rejeté l’ERAR du demandeur. Le 4 décembre 2003, la demande pour des motifs d’ordre humanitaire a également été rejetée, sans entrevue personnelle.

 

[17]           Le demandeur a été convoqué au bureau d’exécution de Vancouver de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), le 30 janvier 2004. Il a été avisé que sa demande ERAR ainsi que celle pour des motifs d’ordre humanitaire avaient été rejetées. Il a également été avisé qu’il allait être arrêté et détenu avant d’être renvoyé en Chine le 3 février 2004.

 

[18]           Le 16 février 2004, des ordonnances ont été émises afin de surseoir à l’exécution des mesures de renvoi tant que les demandes de contrôle judiciaire relativement à l’ERAR négative et au rejet de la décision pour des motifs d’ordre humanitaire ne seraient pas tranchées.

 


LA DÉCISION ERAR

 

[19]           En prenant une décision concernant la demande ERAR, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas une crainte subjective d’être persécuté, d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en Chine. Par conséquent, le demandeur n’avait pas qualité de personne à protéger en conformité avec l’article 96 ou 97 de la Loi.

 

[20]           En particulier, l’agent a conclu que puisque le demandeur était une personne décrite à l’alinéa 112(3)b) de la Loi, c’est‑à‑dire une personne qui a été déclarée coupable, au Canada, d’une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins deux ans, par conséquent, en conformité avec l’alinéa 113d), seuls les facteurs établis à l’article 97 devaient être pris en compte dans l’évaluation d’une demande ERAR. Ces dispositions sont ainsi libellées :


112(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

...

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

...

 

112(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

...

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

...

 

 

 


113. Il est disposé de la demande comme il suit :

...

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

...

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

 

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

...

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

...

 

 

 


 

[21]           Les notes consignées au dossier de l’agent, qui constituent essentiellement les motifs de sa décision, révèlent qu’il a examiné les documents suivants :

1.         tous les documents concernant la demande ERAR du demandeur;

2.         le contenu du dossier d’immigration du demandeur, notamment la note de service datée du 4 septembre 2001 de C. Shapka;

3.         l’extrait du courriel daté du 17 septembre 2003 de l’AIMM Bowes;


4.         la lettre datée du 25 novembre 2003 de l’avocat du demandeur;

5.         les rapports d’Amnestie internationale, de Human Rights Watch, ainsi que du Département d’État des États‑Unis;

6.         plusieurs rapports de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) préparés par la Direction de la recherche entre 1999 et 2003.

 

[22]           L’agent a conclu notamment que le sursis d’exécution de la mesure d’exclusion obtenu par le demandeur devant la Cour fédérale en 2001 par suite de l’avis de danger du ministre ne pouvait constituer, aux yeux des autorités chinoises, une tentative de nuire à la réputation de la Chine, même si la décision avait été portée à l’attention des autorités chinoises. Cette appréciation a été faite en réponse à la prétention du demandeur selon laquelle il serait exposé à un risque en Chine par suite de son départ illégal de ce pays, de sa participation à des manifestations de protestation contre le gouvernement chinois, des incidents de persécution auxquels il avait fait face en Chine, ainsi que par suite des déclarations de culpabilité prononcées contre lui au Canada.

 

[23]           L’agent a examiné toutes ces questions et, en particulier, la prétention du demandeur selon laquelle il serait exposé au risque d’être torturé, d’être soumis à des peines ou traitements cruels et inusités ou à la peine de mort en Chine par suite de ses deux déclarations de culpabilité au Canada pour trafic de stupéfiants.

 

[24]           L’agent a noté que l’article 10 du Code criminel de la République populaire de Chine autorise les autorités à traduire de nouveau devant le tribunal et peut‑être à condamner un citoyen chinois qui a perpétré, dans un pays étranger, une infraction pour laquelle il a été déclaré coupable et jugé dans ce pays étranger. L’agent a également mentionné que les rapports publiés par Amnestie internationale, Human Rights Watch et le Département d’État des États‑Unis reconnaissent que cela est possible.

 

[25]           Nonobstant ces rapports, l’agent a conclu que, compte tenu de la preuve dont il était saisi, il était peu probable que le demandeur soit persécuté par les autorités chinoises pour des infractions perpétrées au Canada et pour lesquelles il avait été condamné. À cet égard, l’agent a mentionné un rapport de la CISR qui faisait état de l’opinion d’un spécialiste en droit chinois qui avait dit qu’il [traduction] « ne connaissait aucun cas où le gouvernement chinois avait traduit de nouveau devant le tribunal une personne qui avait perpétré un crime à l’étranger et qui avait déjà purgé sa peine. »

 

[26]           En outre, l’agent s’est fondé sur une note de service rédigée par C. Shapka, datée du 4 septembre 2001, dans laquelle cette dernière mentionnait que le demandeur croyait qu’il ferait face à un nouveau procès au sujet des infractions reliées à la drogue s’il était renvoyé en Chine, en ces termes :

[traduction]

 

 


Contrairement à l’opinion de l’avocat selon lequel le demandeur est exposé à un risque, aucune preuve n’établit que la personne qui a été déclarée coupable, au Canada, d’une accusation reliée à la drogue soit exposée à des sanctions sévères ou à son exécution si elle est renvoyée en Chine. Je connais personnellement quatre personnes que j’ai renvoyées du Canada en Chine au cours des quatre dernières années qui ont toutes été déclarées coupables d’avoir perpétré des infractions reliées à la drogue qui ont entraîné des peines plus sévères que celles du demandeur et aucune de ces personnes n’a fait l’objet d’un procès, pour ces infractions, à son retour en Chine. En fait, deux des personnes sont par la suite revenues illégalement au Canada et elles ont été renvoyées une deuxième fois. Seulement une des personnes a dit qu’elle avait été emprisonnée lors de son premier renvoi en Chine parce qu’elle était sortie du pays illégalement (elle a été condamnée à travailler dans une ferme pendant douze mois mais elle s’est enfuie après trois mois) et, la deuxième fois qu’elle a été renvoyée, elle n’a pas du tout été emprisonnée.

 

 

 

[27]           L’agent a également noté que l’agente Chapka avait mentionné une conversation avec un agent de liaison et de renseignements, aujourd’hui appelé AIMM, qui l’avait avisé qu’à sa connaissance, aucune personne renvoyée en Chine n’avait dû subir un deuxième procès en Chine.

 

[28]           L’agent a reconnu que le rapport de la CISR, ainsi que la note de service de Shapka dataient de plus de trois ans et qu’il fallait leur accorder peu de poids à titre de preuve de la situation actuelle en Chine. Toutefois, l’agent a mentionné des communications plus récentes, datées du 17 septembre 2003, de l’AIMM Bowes qui appuyait sa conclusion. L’AIMM Bowes avait dit : [traduction] « il est rare qu’un citoyen chinois soit accusé de nouveau d’un crime perpétré dans un pays étranger ». Subsidiairement, compte tenu des documents dont il était saisi, l’agent a conclu qu’il était peu probable que les autorités chinoises traduisent le demandeur en justice en rapport avec des accusations reliées à la drogue dont il avait déjà été déclaré coupable au Canada.

 


LA DÉCISION POUR DES MOTIFS D’ORDRE HUMANITAIRE

 

[29]           En évaluant les observations du demandeur relativement à sa demande pour des motifs d’ordre humanitaire, l’agent a examiné les lettres d’appui provenant de Mme Fung, du frère de cette dernière et de son épouse, de la mère du demandeur et de ses deux aînés ,ainsi qu’un rapport du médecin de sa fille, la demande pour des motifs d’ordre humanitaire du demandeur, les lettres de l’avocat datées du 31 octobre 2003 et du 25 novembre 2003, la décision ERAR du 3 décembre 2003, le rapport CHN35869.E de la CISR, daté du 20 novembre 2000, ainsi que le rapport du Département d’État des États‑Unis daté du 31 mars 2003.

 

[30]           Le demandeur prétend notamment qu’il est le seul soutien de famille parce qu’il a travaillé à plein temps sauf pendant qu’il était en prison. Il prétend qu’il ferait face à des difficultés indues et injustifiées s’il devait retourner en Chine eu égard au fait qu’il a été déclaré coupable au Canada de deux infractions graves reliées à la drogue.

 


[31]           Il prétend que la séparation géographique résultant de son renvoi en Chine alors que sa famille demeurerait au Canada serait difficile. Si sa famille devait l’accompagner en Chine, ses enfants seraient grandement défavorisés puisque, jusqu’à maintenant, toute leur scolarité s’est déroulée en anglais. En outre, la fille du demandeur souffre de troubles graves de la thyroïde qui exigent des traitements et des médicaments spéciaux. Le demandeur a également mentionné la politique « de l’enfant unique » en Chine et il prétend que sa famille pourrait être exclue et faire face à des mauvais traitements.

 

[32]           L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il serait vraisemblablement exposé au risque d’être persécuté ni qu’il ferait face à des difficultés indues s’il était renvoyé en Chine pour demander sa résidence permanente. L’agent a fourni plusieurs raisons précises de rejeter la demande pour des motifs d’ordre humanitaire du demandeur.

 

[33]           L’agent a dit que même si le demandeur avait fait vivre sa famille au moyen du revenu qu’il avait gagné, sa famille avait bénéficié de l’aide sociale pendant qu’il purgeait sa peine. Il a également mentionné que la femme du demandeur faisait partie d’une nombreuse famille à Vancouver et que, même si une famille monoparentale n’est pas l’idéal, il s’agissait selon lui d’une solution raisonnable au problème que soulèverait le départ de toute la famille pour la Chine.

 

[34]           En outre, l’agent a conclu que tous les enfants du demandeur étaient des citoyens canadiens puisqu’ils étaient nés au Canada. Par conséquent, il était difficile, selon lui, de prendre pour acquis que sa femme, qui est une citoyenne canadienne, ainsi que ses enfants accompagneraient le demandeur en Chine.

 

[35]           L’agent a reconnu qu’un des enfants souffrait d’une maladie congénitale. Il note qu’il n’y a aucune preuve concernant la possibilité d’obtenir des traitements médicaux en Chine, mais il a reconnu que les médicaments et le traitements dont elle avait besoin n’y seraient peut-être pas disponibles.

 

[36]           L’agent a également mentionné les préoccupations du demandeur concernant la discrimination à l’égard de sa femme et de sa fille en Chine à cause de leur sexe. Il a conclu que ces préoccupations n’existaient pas si la femme et les enfants demeuraient au Canada.

 

[37]           Subsidiairement, l’agent a mentionné que même si les documents sur le pays donnent à penser que la violence et la discrimination sexuelle sont des problèmes en Chine, les documents indiquent que le gouvernement a pris plusieurs moyens, depuis 1949, pour promouvoir l’égalité entre les sexes et qu’il a adopté des lois pour atteindre ce but.

 


[38]           En outre, l’agent a mentionné que la désignation du demandeur comme constituant un « danger pour le public du Canada » ainsi que sa participation à deux actes criminels graves en vue d’importer des stupéfiants au Canada étaient des questions importantes. L’agent a conclu que les responsabilités personnelles du demandeur à l’égard de sa famille ne l’avaient pas dissuadé de s’adonner à ces activités. Après avoir analysé la nature, le moment et l’étendue des activités criminelles du demandeur, ainsi que sa désignation en tant que danger pour le public du Canada, l’agent a conclu que ces facteurs l’emportaient sur le désir légitime et réel de sa femme et de ses enfants que leur mari et père demeure au Canada.

 

ANALYSE

 

[39]           En l’espèce, les deux demandes de contrôle judiciaire découlent des mêmes faits, savoir l’historique des activités du demandeur au Canada depuis son arrivée en 1988. En 1991, le demandeur avait obtenu le statut de résident permanent. En 1994, il a perdu ce statut lorsqu’il a été désigné personne visée à l’alinéa 27(1)d) de l’ancienne Loi et qu’il a fait l’objet d’une mesure d’expulsion en conformité avec le paragraphe 32(2) de la même loi.

 

[40]           Chacune de ces demandes vise le contrôle judiciaire de l’exercice, par le décideur, de son pouvoir discrétionnaire. Au regard de la demande de contrôle judiciaire de la décision ERAR négative, le droit n’est pas fixé sur la question de savoir si la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter ou celle de la décision manifestement déraisonnable; voir Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 30 (1re inst.), au paragraphe 7 et Joseph c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 248 F.T.R. 105 (1re inst.), à la page 111. À mon avis, il n’est pas nécessaire de préciser la norme appropriée puisque la décision en cause satisfait au critère plus rigoureux de la décision raisonnable simpliciter.

 

[41]           Selon moi, la décision de l’agent concernant l’ERAR était équitable, eu égard à la preuve dont il était saisi. Le demandeur a soulevé la question de la partialité institutionnelle en se fondant sur la participation alléguée de l’agente C. Shapka à la préparation de la note de service versée au dossier du demandeur, mais il a renoncé à cet argument à l’audience du 27 octobre 2004.

 

[42]           Contrairement aux observations du demandeur, il n’y a aucune raison de conclure que l’agent n’a pas tenu compte de toute la preuve dont il était saisi, y compris les documents produits par le demandeur.

 

[43]           Le demandeur a prétendu que l’agent avait commis une erreur en appliquant la norme de la prépondérance des probabilités pour évaluer les facteurs décrits à l’article 97 de la Loi. Je ne suis pas d’accord. À la lumière de la décision de la Cour dans Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2003] A.C.F. no 1934 (1re inst.), confirmée 2005 CAF 1, il s’agit de la norme applicable et l’agent n’a pas commis d’erreur à cet égard.

 

[44]           Par conséquent, il n’y a aucun motif qui justifierait l’intervention de la Cour au sujet de l’ERAR négative et cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


[45]           Quant à la contestation du demandeur du rejet de sa demande pour des motifs d’ordre humanitaire, la première question qui se pose est celle de la norme de contrôle applicable. La demande pour des motifs d’ordre humanitaire soulève la question de l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 25 de la Loi qui prévoit :


25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

(2) Le statut ne peut toutefois être octroyé à l’étranger visé au paragraphe 9(1) qui ne répond pas aux critères de sélection de la province en cause qui lui sont applicables.

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

(2) The Minister may not grant permanent resident status to a foreign national referred to in subsection 9(1) if the foreign national does not meet the province’s selection criteria applicable to that foreign national.


 

[46]           La décision peut faire l’objet d’un contrôle en conformité avec la norme de la décision raisonnable simpliciter : voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

 

[47]           Le demandeur a de nouveau soulevé la partialité en rapport avec la décision négative H&C, surtout à cause de la manière dont la décision lui avait été communiquée. La décision négative H&C lui a été remise en même temps que la décision ERAR négative. Le demandeur prétend que cela donne à penser qu’il y avait collusion entre les divers employés et agents qui avaient pris la décision. Encore une fois, le demandeur a renoncé à cet argument à l’audience.

 

[48]           Je suis convaincue que l’agent a pris une décision raisonnable en tenant compte de la preuve et des arguments qui lui avaient été soumis. Il a tenu compte de la situation du demandeur. Il a tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants du demandeur et de leur qualité de citoyens canadiens.

 

[49]           Compte tenu des circonstances et eu égard à la preuve dont l’agent était saisi et aux observations présentées au nom du demandeur, je conclus que l’agent n’a pas commis une erreur susceptible de contrôle dans son évaluation de la demande pour des motifs d’ordre humanitaire. Il n’y a aucune raison pour que la Cour intervienne et cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[50]           L’avocat du demandeur a présenté des questions aux fins de certification et l’avocate du défendeur s’est opposée à la certification d’une question. Je ne suis pas convaincu que les demandes principales de contrôle judiciaire donnent lieu à une « question grave de portée générale », tel que l’exige l’alinéa 74d) de la Loi. Aucune question ne sera certifiée.

 

[51]           Les présents motifs seront versés au dossier IMM‑895‑04 et une copie desdits motifs sera versée au dossier IMM‑896‑04.

 

 

                                                                                 _ E. Heneghan _               

                                                                                                     Juge                        

Ottawa (Ontario)

Le 20 janvier 2005

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jacques Deschênes, LL.B.


                                    COUR FÉDÉRALE

 

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                            IMM‑895‑04 et IMM‑896‑04

 

 

INTITULÉ :                          HUNG PONG MAN

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE : LE 27 OCTOBRE 2004

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :          LA JUGE HENEGHAN

 

 

DATE DES MOTIFS :         LE 20 JANVIER 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Negar Azmudeh et                  POUR LE DEMANDEUR

Darryl W. Larson

 

Esta Resnick                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Embarkation Law Group        POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

John H. Sims, c.r.                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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