Date : 20200421
Dossier : IMM-3741-19
Référence : 2020 CF 539
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 21 avril 2020
En présence de monsieur le juge Mosley
ENTRE :
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ROMULO ANDRADE LIMA
et
RUBIA GONDIM LIMA
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent d’exécution a refusé de reporter leur renvoi du Canada. Les demandeurs sont des ressortissants brésiliens et des demandeurs d’asile déboutés qui soutiennent qu’ils ne devraient pas être renvoyés alors qu’ils sont toujours en attente d’une décision concernant leur demande de dispense relative aux exigences en matière de visa récemment présentée pour des motifs d’ordre humanitaire au titre de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
[2]
Les demandeurs, Romulo Andrade Lima et Rubia Gondim Lima, sont des ressortissants du Brésil et sont mariés. En juin 2019, M. Lima avait 63 ans et sa femme Rubia allait avoir 60 ans.
[3]
Le couple est arrivé au Canada en mai 2012 et a présenté une demande d’asile en novembre de la même année. Ils ont attendu plusieurs années pour que leur demande d’asile soit entendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR]. L’audience a finalement eu lieu le 5 octobre 2018. Par une décision datée du 16 octobre 2018, leur demande a été rejetée. Ils ont ensuite présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, mais l’autorisation a été rejetée.
[4]
L’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] a alors commencé à prendre des mesures en vue de renvoyer les demandeurs. En mai 2019, les mesures ont été reportées à la mi-juin, un médecin ayant recommandé à M. Lima de ne pas prendre l’avion en raison d’une récente opération au genou.
[5]
Le 7 juin 2019, les demandeurs ont sollicité le report de leur renvoi jusqu’à ce que leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ait été présentée et traitée. La demande en question a été présentée le 25 juillet 2019 ou vers cette date, soit après le rejet de la demande de report et l’octroi d’un sursis. Le 29 novembre 2019, les demandeurs ont été informés que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne pouvait pas être traitée, car il s’était écoulé moins de 12 mois depuis que la Cour fédérale avait rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable de la SPR. La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a alors été présentée à nouveau.
[6]
Le 14 juin 2019, l’agent a rejeté la demande et refusé de reporter le renvoi visé à l’article 48 de la LIPR. Il a souligné que les éléments de preuve présentés par M. et Mme Lima, notamment en ce qui concerne leurs problèmes médicaux, n’étaient pas suffisants pour justifier le report du renvoi.
[7]
Les demandeurs ont ensuite présenté une demande de sursis à la mesure de renvoi, qui a été accueillie par le juge Denis Gascon le 27 juin 2019. En accordant le sursis, le juge Gascon a appliqué le seuil élevé établi dans l’affaire Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 CF 682, et avalisé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron CAF]. Il est allé au-delà du volet de la « question sérieuse »
du critère à trois volets et a examiné de près le fond de la demande sous-jacente : Sanabria Castillo c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 172, au par. 11. Puisqu’elle est favorable aux demandeurs, cette [traduction] « décision relative à la demande interlocutoire accorde effectivement la réparation demandée dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente »
: Patel c Canada (Citizenship and Immigration), 2018 CF 882, au par. 4.
[8]
Il convient de souligner que M. Lima souffre d’un certain nombre de problèmes médicaux, dont un blocage cardiaque (nécessitant un stimulateur cardiaque), un cancer de la prostate, une arthroplastie totale du genou gauche, une dépression réactive et une coronaropathie. Toutes ces affections nécessitent un suivi de la progression sur un cycle de six mois ou plus. Selon son médecin, [traduction] « au cours des 2 ou 3 dernières années, les problèmes de santé de M. Lima sont devenus beaucoup plus complexes »
. Son stimulateur cardiaque, par exemple, nécessite [traduction] « un suivi régulier pour maintenir une programmation optimale ainsi que pour identifier tout problème de système »
.
[9]
Une personne décrite comme un médecin brésilien a indiqué dans une lettre que M. Lima serait incapable de recevoir des soins médicaux adéquats au Brésil et qu’il ne survivrait pas. Mme Lima souffre apparemment aussi d’un problème cardiaque. L’auteur de la lettre affirme également qu’elle souffrirait sans aucun doute. Les éléments de preuve documentaire provenant de sources internationales crédibles soulèvent de graves inquiétudes quant à l’état du système de santé brésilien. Celui-ci dépend depuis quelques années des médecins cubains qui sont maintenant rapatriés en raison de ce qui est décrit comme des [traduction] « conditions inacceptables »
. Selon le British Medical Journal, les droits constitutionnels aux soins de santé au Brésil ont été minés par des politiques d’austérité.
[10]
La norme de contrôle applicable aux décisions prises par les agents d’exécution au titre de l’article 48 de la LIPR est celle de la décision raisonnable : Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 (CanLII), au par. 43; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Shpati, 2011 CAF 286 (CanLII), au par. 27; Baron CAF, au par. 25.
[11]
Dans l’arrêt récent Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], la Cour suprême du Canada a expliqué ce que suppose l’application de la norme de la décision raisonnable. Comme les juges majoritaires l’ont souligné dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 85, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti
»
.
[12]
La décision d’un agent de rejeter une demande de report est une décision discrétionnaire qui commande la déférence, et la cour de révision ne peut y substituer la solution qui serait à son avis préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59). Toutefois, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a fait la mise en garde suivante, au paragraphe 135 : « Bon nombre de décideurs administratifs se voient confier des pouvoirs extraordinaires sur la vie de gens ordinaires, dont beaucoup sont parmi les plus vulnérables de notre société. Le corollaire de ce pouvoir est la responsabilité accrue qui échoit aux décideurs administratifs de s’assurer que leurs motifs démontrent qu’ils ont tenu compte des conséquences d’une décision et que ces conséquences sont justifiées au regard des faits et du droit. »
[13]
En l’espèce, l’agent a écarté ou mal soupesé les éléments de preuve, de sorte que sa décision était déraisonnable. L’agent a déclaré que, [traduction] « [à] son retour au Brésil, M. Lima aura amplement le temps de prendre des dispositions pour obtenir le suivi dont il a besoin »
. Cette déclaration témoigne d’un manque de compréhension des éléments de preuve qui démontrent que M. Lima pourrait être incapable d’obtenir un suivi. Les demandeurs ont des moyens modestes. Les éléments de preuve documentaire indiquent qu’ils pourraient ne pas être en mesure d’accéder à des soins de santé qui ne sont pas couverts par le système de santé publique limité du Brésil, ou de payer les services disponibles dans le secteur privé.
[14]
La décision de l’agent témoigne d’un scepticisme injustifié quant à la crédibilité des sources d’information indépendantes et réputées telles que la Deutsche Welle et les revues évaluées par des pairs, notamment l’International Journal for Equity in Health et BMJ Global Health. L’agent ne donne aucune source à l’appui de son observation selon laquelle les questions soulevées par les articles sont assimilables aux préoccupations que les médias et le gouvernement canadiens reconnaissent comme étant des problèmes liés au système de santé canadien, comme le sous-financement, les longs délais d’attente, l’accès limité et la mauvaise planification à long terme. Au mieux, cela semble être anecdotique ou représenter l’opinion personnelle de l’agent.
[15]
Les agents d’exécution ont le pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi lorsque le défaut de le faire exposera le demandeur à un risque de mort, de sanction extrême ou de traitement inhumain. Les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ne justifient pas à elles seules les reports, « en l’absence de considérations particulières »
, à moins qu’elles ne soit fondées sur une menace à la sécurité personnelle : Wang, précité, au par. 45; Baron CAF, au par. 51. La notion de considérations particulières dépasse la menace à la sécurité personnelle, mais ne comprend pas « la force ou la nature impérieuse de la demande [fondée sur des motifs d’ordre humanitaire] sous-jacente »
: Danyi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 112, au par. 32.
[16]
Après examen du dossier soumis à la Cour, je suis convaincu que la décision de l’agent était déraisonnable car celui-ci n’a pas tenu suffisamment compte des problèmes médicaux des demandeurs en tant que circonstances particulières justifiant le report.
[17]
À la lumière des restrictions de voyage imposées à l’échelle mondiale en raison de la pandémie de la Covid-19, je ne vois aucune raison pratique de renvoyer la demande de report à un autre agent pour nouvel examen. Il se peut que le ministre considère qu’un sursis administratif est justifié jusqu’à ce que la demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire des demandeurs soit traitée. C’est au ministre de décider.
[18]
Aucune question n’a été proposée en vue de la certification.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3741-19
LA COUR STATUE que la demande est accueillie. Aucune ordonnance n’est rendue en vue de renvoyer l’affaire pour nouvel examen, et aucune question n’est certifiée.
« Richard G. Mosley »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 1er jour de mai 2020.
Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3741-19
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INTITULÉ :
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ROMULO ANDRADE LIMA et RUBIA GONDIM LIMA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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toronto (ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 11 FÉVRIER 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE MOSLEY
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 21 AVRIL 2020
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COMPARUTIONS :
H.J. Yehuda Levinson
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POUR LES DEMANDEURS
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Amy King
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Levinson & Associates
Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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