Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040518

Dossier : IMM-3719-03

Référence :2004 CF 711

Ottawa (Ontario), le mardi 18 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                          RAFIQUE ISLAM

                                                                                                                                 demandeur

                                                                        et

                    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                   défendeur

                           MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]                Rafique Islam est un citoyen du Bangladesh, qui allègue une crainte fondée de persécution au Bangladesh en raison de ses opinions politiques en tant que membre du Parti Jatiya (PJ). Il prétend aussi être une personne à protéger en vertu de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 parce qu'il serait exposé à un risque de torture ou à un risque pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels ou inusités au Bangladesh. Il demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR) selon laquelle il n'est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[2]                M. Islam a témoigné qu'il craignait à la fois les fiers-à-bras de la Ligue Awami (LA) et du Parti national du Bangladesh (PNB) qui l'ont ciblé en raison de son travail au sein du PJ et de son refus de joindre les rangs de ces partis. Selon le témoignage de M. Islam, il avait été victime d'agressions violentes en 1997 et en 2000.


[3]                La SPR a décidé que le témoignage de M. Islam n'était ni crédible ni digne de foi. En ce qui concerne le fondement subjectif de la crainte de persécution du demandeur, la SPR a conclu qu'il avait attendu jusqu'en décembre 2000 avant de quitter le Bangladesh, et ce, malgré les incidents qui se sont produits en 1997. La SPR a également conclu que M. Islam avait tardé à faire une demande d'asile au Canada parce qu'il était arrivé au Canada le 11 décembre 2000, mais qu'il n'avait présenté sa demande que le 18 décembre 2000. Après avoir tiré ces conclusions, la SPR a de plus constaté que la « dernière question déterminante » concernait la composante objective de la crainte fondée de persécution. Selon la SPR, un certain nombre de questions liées à la crédibilité se posaient relativement à la composante objective de la demande de M. Islam.

[4]                M. Islam affirme que la SPR a commis un certain nombre d'erreurs lorsqu'elle a apprécié la crédibilité de son témoignage. Vu mon opinion sur cette question, il n'est pas nécessaire que je m'arrête à chacune des erreurs mentionnées.

[5]                Lorsqu'elle a conclu que le témoignage de M. Islam n'était pas crédible ou digne de foi, la SPR n'a pas relevé d'incompatibilités, de contradictions ou d'évasions dans son témoignage. La conclusion était plutôt fondée sur l'appréciation par la SPR de la vraisemblance du témoignage offert par le demandeur. Il était loisible à la SPR de fonder son appréciation sur la vraisemblance du témoignage, pourvu que ses conclusions soient clairement énoncées et expliquées et qu'elles soient fondées sur des critères comme la raison et le bon sens. Voir : Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.). Pour être rationnelles, les conclusions sur la vraisemblance doivent être fondées sur l'examen du témoignage à la lumière de faits connus ou incontestés.


[6]                La majeure partie des motifs de la SPR se concentre sur son analyse du fondement objectif de la demande. L'élément clé de sa décision selon laquelle le fondement objectif de la demande n'a pas été démontré et de sa décision selon laquelle le témoignage de M. Islam concernant le fondement objectif de sa demande n'était pas crédible, était la conclusion de la SPR selon laquelle il était invraisemblable que des efforts violents aient été déployés pour recruter M. Islam dans une période où le PJ donnait son appui à la LA. La SPR a renvoyé à de la preuve documentaire selon laquelle, après la victoire électorale de la LA en 1996, le PJ a donné son appui à la LA dans l'espoir que son chef, M. Ershad, soit libéré de prison. Dans la mesure où la conclusion sur la vraisemblance était fondée sur l'appréciation du témoignage de M. Islam à la lumière de faits documentés, on ne peut pas dire que la conclusion de vraisemblance est manifestement déraisonnable.

[7]                Toutefois, lorsqu'elle a tiré cette conclusion, la SPR ne s'est pas arrêtée à l'explication de M. Islam selon laquelle, malgré cette alliance, il subsistait des tensions à l'échelon local et les partisans locaux de la LA continuaient à lui en vouloir. M. Islam a également dit qu'en 1997, l'appui du PJ à la LA avait commencé à s'estomper. La SPR s'est contentée de rejeter cette explication en affirmant qu'elle ne « consi[dérait] pas que c'[était] là une explication raisonnable » . La SPR n'a offert aucun motif pour cette conclusion.


[8]                La preuve documentaire soumise à la SPR a démontré que la compétition politique au Bangladesh est très vigoureuse et que la violence est très répandue en politique. Les partis d'opposition et les partis au pouvoir ont l'habitude de recourir à la violence où à la menace de violence pour en arriver à leurs fins sur le plan politique. Les alliances politiques sont de courte durée. Même si la SPR a cité de la preuve documentaire selon laquelle le PJ avait donné son appui au PA après l'élection de 1996, la preuve documentaire a également démontré que, dès 1999, le chef du PJ avait conclu une alliance avec d'autres partis d'opposition dans le but d'exercer des pressions sur le gouvernement de la LA pour qu'il démissionne. Vu cette preuve, la SPR a commis une erreur importante lorsqu'elle a sommairement, sans fournir de motifs, rejeté les raisons offertes par M. Islam pour expliquer pourquoi des fiers-à-bras de la LA l'auraient ciblé en 1997 et en 2000, surtout lorsqu'on sait que l'agression de 2000 est survenue après que le PJ se fut joint à une alliance contre la LA.

[9]                M. Islam a témoigné qu'il faisait des discours lors de divers rassemblements politiques regroupant entre 50 et 60 personnes, qu'il a été l'orateur principal lors d'un rassemblement tenu le 21 février 1999 et qu'il figurait parmi plusieurs orateurs lors d'un rassemblement tenu le 22 septembre 2000 devant environ 4 500 personnes. Selon le texte de la SPR, M. Islam a témoigné que le PNB et la LA l'avaient ciblé parce qu'il s'était exprimé à plusieurs occasions dans des discours prononcés devant des foules de 500 personnes. Sur cette base, la SPR a conclu qu'il serait tout à fait raisonnable de présumer que des discours prononcés devant des foules aussi importantes attireraient l'attention des médias, et elle a tiré une inférence défavorable de l'absence de rapports des médias.


[10]            Lorsqu'elle a tiré cette conclusion, la SPR a erronément rapporté le témoignage de M. Islam concernant la taille des foules. Il n'a jamais affirmé s'être adressé à des foules de 500 personnes. Il a dit qu'à l'exception d'un ou deux discours, ils avaient tous été prononcés devant des groupes de 50 à 60 personnes. Il n'est pas clair que la SPR aurait tiré la même inférence sur l'invraisemblance si elle avait correctement énoncé le témoignage de M. Islam concernant la taille des foules auxquelles il s'est adressé. Je constate incidemment que le rapport pertinent préparé par le Département d'État américain mentionne que tous les journalistes pratiquaient une certaine autocensure et que des officiels du gouvernement et des activistes de partis politiques agressaient des journalistes dans le but de les intimider. Un rapport d'Amnistie internationale dont disposait la SPR mentionne que « [l]a police a souvent recours à la violence contre les manifestants et, pour tenter de dissimuler ses agissements, elle agresse les journalistes présents » . Vu la preuve qui soulève un doute sur la situation entourant les reportages des médias, il faut faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit de tirer des inférences fondées sur ce qui est ou ce qui n'est pas rapporté.


[11]            La SPR a également conclu qu'il était invraisemblable que M. Islam ait dit qu'on avait déposé contre lui une plainte concernant son opposition politique à l'État et au gouvernement, et qu'on avait émis contre lui un mandat d'arrestation qui est toujours pendant, mais que M. Islam ne connaisse pas la nature de la plainte déposée à son endroit. Une lettre que M. Islam a fournie provenant d'un avocat au Bangladesh a été rejetée par la SPR au motif qu'elle constituait un embellissement, qu'elle était intéressée et d'une validité douteuse parce qu'elle ne mentionnait pas la nature de l'accusation portée contre M. Islam. En fait, la lettre disait que [traduction] « la cour de la région métropolitaine » (chief Metropolitan Magistrate's court) de Dhaka avait délivré un mandat d'arrestation concernant M. Islam en vertu du paragraphe 54(B) du code de procédure criminelle.

[12]            Parmi les éléments de preuve soumis à la SPR, le rapport préparé par le Département d'État américain pour 2001 dit que les citoyens du Bangladesh peuvent être détenus sur un simple soupçon d'activité criminelle sans qu'une accusation formelle soit portée ou que des plaintes précises soient déposées et que la disposition législative à laquelle renvoie la lettre de l'avocat est utilisée pour harceler et intimider les membres de l'opposition politique. Vu la preuve qu'il n'est pas nécessaire que des accusations formelles soient portées ou que des plaintes précises soient déposées, la SPR a agi de manière manifestement déraisonnable lorsqu'elle a rejeté le témoignage de M. Islam et la lettre de l'avocat parce qu'ils ne précisaient pas la nature du dossier déposé contre M. Islam.


[13]            Ces trois erreurs sont au coeur de la conclusion de la SPR que M. Islam n'a pas réussi à démontrer le fondement objectif de sa prétention de crainte fondée de persécution et qu'il n'a pas réussi à démontrer l'existence d'un risque pour sa vie ou d'un risque de traitements ou peines cruels ou inusités au Bangladesh. Je ne suis pas convaincue que si la SPR avait correctement apprécié les éléments de preuve dont elle disposait, elle serait nécessairement arrivée à la même conclusion. En raison du fait que la décision de la SPR aurait pu être différente si elle n'avait pas commis d'erreur, la décision sera annulée et l'affaire sera renvoyée pour nouvel examen.

[14]            Les avocats n'ont soulevé aucune question pour certification et aucune question ne ressort de ce dossier.

ORDONNANCE

[15]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié datée du 7 avril 2003 est par les présentes annulée.

2.          L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié afin que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

                                                                                                               « Eleanor R. Dawson »          

                                                                                                                                           Juge                          

Traduction certifiée conforme

Caroline Raymond, LL.L.



                                                        COUR FÉDÉRALE

                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3719-03

INTITULÉ :                                        RAFIQUE ISLAM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 6 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                       LE 18 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Michael Crane                                       POUR LE DEMANDEUR

Neeta Logsetty                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane                                       POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)                                 

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                               


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.