Date : 20011019
Dossier : IMM-2772-00
Référence neutre : 2001 CFPI 1134
ENTRE :
JOZSEF OLAH, JOZSEFNE OLAH,
KALMAN OLAH, ZOLTAN OLAH
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
A. INTRODUCTION
[1] Par sa décision du 26 avril 2000, la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a rejeté la revendication présentée par la famille Olah dont les membres, les demandeurs, sont tous des Hongrois roms qui ont affirmé craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur ethnie. La demande de contrôle judiciaire soulève, entre autres, des questions sur la pratique, qui consiste à utiliser les causes types des revendications présentées par des Roms, adoptée par les tribunaux chargés de trancher les revendications du statut de réfugié.
[2] La famille Olah est composée du père, Jozsef, de la mère, Jozsefne, et de leurs deux fils, Kalman et Zoltan. Les revendications ont été jointes.
[3] La famille Olah comporte un autre membre, Jozsef, le fils aîné, qui a présenté une revendication séparée.
B. LA DÉCISION DU TRIBUNAL
[4] Le tribunal a conclu que Jozsef Olah avait témoigné d'une manière directe et n'a pas tiré de conclusions défavorables quant à sa crédibilité, mais a conclu que « en regard de l'ensemble de leur vie en Hongrie, les attaques récentes dont ils ont été victimes sont, selon la preuve matérielle, atypiques » .
[5] Les skinheads et les policiers ont été identifiés comme étant les agents de persécution; le tribunal a déclaré que les principales questions soulevées à l'égard de la revendication étaient la question de distinguer la discrimination d'avec la persécution et celle d'établir si la protection de l'État est adéquate.
(1) La crainte des skinheads
[6] Le tribunal a énuméré trois agressions commises par des skinheads comme étant le fondement de la crainte des demandeurs :
(1) l'agression de 1997 contre la mère lorsqu'on a fait tomber à coups de pied les sacs d'épicerie qu'elle transportait;
(2) l'agression par des skinheads dont le fils aîné de la famille Olah et son épouse ont été victimes en juillet 1998;
(3) l'agression subie en octobre 1998 par le père au cours de laquelle son automobile a été endommagée; à la suite de cet incident, le père a remarqué que les skinheads qui l'avaient agressé pointaient du doigt sa maison et il a craint que sa famille soit en danger d'être agressée par des bandes de skinheads; il n'a pas signalé l'incident aux policiers étant donné qu'il ne croyait pas qu'ils interviendraient.
[7] Le tribunal, se fondant sur des éléments de preuve documentaire, soit (1) le témoignage d'un spécialiste dans l'une des causes types (SSR no T-98-04435), et (2) le document de la CISR intitulé « Hongrie : La situation des Roms selon plusieurs spécialistes » , a conclu qu'il y avait maintenant moins de 1 000 skinheads et néonazis, concentrés à Budapest, qui étaient actifs en Hongrie et que les agressions par les skinheads avaient rapidement diminué au cours des dernières années. À l'égard de la crainte des skinheads que les demandeurs éprouvent, le tribunal a déclaré :
Étant donnéune population rom de plus d'un demi-million de personnes éparpillées dans toute la Hongrie, une population skinhead de quelques centaines d'individus concentrée en grande partie à Budapest et la diminution des attaques des skinheads au cours des dernières années, le tribunal conclut qu'il n'y a tout au plus qu'une faible possibilitéque les revendicateurs ou d'autres personnes soient victimes des attaques des skinheads. Il n'y a aucune preuve selon laquelle les attaques des skinheads dont sont victimes les Roms se poursuivent durant une certaine période de temps. Nous concluons qu'il n'y a pas de possibilitégrave de persécution par des skinheads pour les revendicateurs s'ils devaient retourner en Hongrie.[Non souligné dans l'original.]
[8] Le tribunal a de plus fait remarquer que Jozsef Olah avait deux soeurs qui vivaient encore en Hongrie, dont une à Budapest. Le tribunal a déclaré que la fille de Jozsef Olah qui était venue au Canada était retournée en Hongrie, puis était revenue au Canada pour revendiquer le statut de réfugiée. Le tribunal a en outre fait remarquer que les demandeurs avaient vécu en Autriche de 1987 à 1990 et qu'ils étaient retournés en Hongrie. Il a déclaré que les demandeurs, pendant qu'ils étaient en Autriche, avaient revendiqué le statut de réfugié aux États-Unis, au Canada et en Australie, mais que ce statut leur avait été refusé. Le tribunal a conclu que les demandeurs ne voulaient pas rester en Autriche parce qu'ils devaient commencer à payer des frais pour leurs permis de travail. De plus, Jozsef Olah voulait être avec sa mère qui était aveugle et paralysée.
[9] Au sujet des retours en Hongrie, le tribunal a déclaré ce qui suit :
Le retour de la famille en Hongrie, le retour d'Elvira [la fille de Jozsef Olah] et le fait que les deux soeurs y demeurent convainquent le tribunal que, même si la vie en Hongrie peut ne pas être agréable pour les Roms, elle n'atteint pas le plateau de risque qui peut causer un préjudice grave. [Non souligné dans l'original.]
(2) La crainte des policiers
[10] Dans sa décision, le tribunal énumère les éléments de la crainte des policiers qu'éprouvent les demandeurs en Hongrie et mentionne qu'ils sont convaincus que les policiers ne leur apporteront pas d'aide. Les demandeurs n'ont témoigné, selon le tribunal, que relativement à deux incidents isolés survenus dans un intervalle de plus de vingt-cinq ans, savoir :
(1) en 1971, alors qu'il avait 14 ans, le père a été détenu, battu et accusé d'être entré par effraction dans un magasin;
(2) en 1998, les deux fils du demandeur, Kalman et Zoltan, ont été « tabassés » par des policiers qui croyaient par erreur qu'ils étaient responsables d'un accident d'automobile. Jozsef Olah a témoigné que son plus jeune fils, Zoltan, avait été psychologiquement troublé par cet incident. Le père n'a pas signalé l'incident aux policiers parce que, selon ce qu'il prétend, ils l'auraient battu.
[11] Le tribunal a alors tiré la conclusion suivante :
Le tribunal accepte que la police hongroise a étéen général insensible aux plaintes des Roms. Nous avons considéréles présentations du conseil visant à attirer notre attention sur la preuve documentaire relative à la discrimination policière et à la brutalitépolicière. En ce qui a trait aux attaques des skinheads, le tribunal considère les deux attaques mentionnées comme des incidents isolés. Nous ne sommes pas convaincus par la preuve documentaire selon laquelle les attaques non provoquées de la police envers les Roms se produisent assez régulièrement pour atteindre le plateau de possibilitégrave.[Non souligné dans l'original.]
[12] Les éléments de preuve documentaire sur lesquels le tribunal a appuyé sa conclusion étaient les pièces C-5 et C-6, soit des documents fournis par les demandeurs sur la situation dans le pays en Hongrie.
[13] Relativement aux répercussions de la brutalité policière et à ses conséquences sur le demandeur, Zoltan, établies dans le rapport médical fourni par le Dr daCosta et déposé comme pièce C-7 par les demandeurs, le tribunal a déclaré :
Nous avons examinéle rapport médical portant sur Zoltan Olah, le revendicateur mineur. Sans vouloir minimiser l'expérience effrayante qu'a vécue le revendicateur mineur avec la police (nous avons notéqu'il s'agissait d'un incident isolé), le tribunal ne croit pas que le pronostic médical semble grave.
[...]
Nous partageons l'opinion du médecin selon laquelle nous ne pouvons pas affirmer que le revendicateur mineur n'a pas subi de discrimination. Nous notons aussi l'opinion du médecin selon laquelle [TRADUCTION] « les enfants ont une plus grande habiletéà résoudre les séquelles psychologiques d'un traumatisme que les adultes. »
[14] Relativement aux relations entre la police et les Roms, le tribunal a adopté les conclusions des causes types auxquelles il avait précédemment renvoyé comme étant des éléments de preuve dignes de foi :
[...] le tribunal adopte les conclusions de la cause type dans laquelle le professeur Barany déclare que bien qu'il y ait eu des exceptions, depuis 1991, la tendance générale se traduit par une vigilance accrue de la part des agents d'application de la loi qui cherchent à contrôler les skinheads et les groupes néonazis. De plus, des programmes ont étéciblés pour recruter davantage de Roms au sein des forces policières, de la formation sur les relations police-Roms a étémise en place et les jeunes Roms reçoivent de l'aide durant leurs études à l'académie de police.[Non souligné dans l'original.]
Étant donnéla preuve documentaire présentée et les expériences isolées des revendicateurs, nous concluons qu'il n'y a pas de possibilitégrave de persécution par la police pour les revendicateurs s'ils devaient retourner en Hongrie.
(3) Les conclusions quant à la protection de l'État
[15] Le tribunal a déclaré qu'il « croit que la protection de l'État existe pour les revendicateurs s'ils devaient malheureusement subir des préjudices » . [Non souligné dans l'original.]
[16] À l'appui de sa conclusion, le tribunal s'est fondé sur :
(a) une réponse de la CISR à une demande d'information contenue dans les documents additionnels que doit communiquer l'ACR, mai 1999, qui citait un document du Comité Helsinki hongrois sur le taux de rapports déposés auprès de la police comparativement aux enquêtes refusées et aussi sur le nombre d'enquêtes policières entreprises comparativement à celles qui ont par la suite été achevées. Au sujet de ce rapport, le tribunal a déclaré :
Bien que ce rapport cherche à comparer les enquêtes criminelles et les plaintes sur tous les crimes en comparaison aux crimes commis par la police, il indique néanmoins que les enquêtes sur les crimes de la police ont moins de chance de porter fruit. Le rapport a des limites relativement à notre analyse parce qu'aucune distinction n'est faite entre les enquêtes au nom des citoyens hongrois en général et celles des Roms.
(b) un élément de preuve en provenance du Centre de presse rom, 9 juin 1998, contenu dans la pièce R-1, la Trousse d'information des causes types hongroises, soumise par l'ACR. Le tribunal s'est exprimé ainsi :
Nous notons l'élément de preuve du Centre de presse rom selon lequel la Cour de Budapest a trouvésept membres d'un groupe skinhead coupables de vandalisme et de violence. Le groupe avait battu un chanteur rom. Un an après que les crimes ont étécommis, le code criminel a étémodifié : [TRADUCTION] « selon la nouvelle loi, les violences contre un membre d'un groupe national, racial ou religieux seront dorénavant punies plus sévèrement. » Cet élément de preuve semble laisser croire que dans les tribunaux, les abus commis envers les Roms peuvent être poursuivis jusqu'à une conclusion raisonnable.
(c) Le tribunal a cité un élément de preuve documentaire sous forme de réponse de la CISR à une demande d'information de septembre 1998, contenue dans la pièce R-1, la trousse d'information de la SSR, qui démontre qu'il est évident que les Roms ont à leur disposition des moyens leur permettant d'obtenir des réparations. Le tribunal a déclaré :
De plus, à la lumière de la preuve documentaire, il apparaît que les Roms disposent de nouveaux recours leur permettant de demander réparation. Ces recours comprennent le Bureau du commissaire parlementaire (ombudsman) des minorités nationales et ethniques, le Bureau de défense juridique des minorités nationales et ethniques (NEKI) et le Bureau d'aide juridique pour les minorités. Environ dix p.100 des plaintes reçues par l'Ombudsman portent sur la police et presque la majoritéd'entre elles sont portées par des Roms. Les services offerts par le NEKI sont gratuits et le NEKI peut poursuivre une cause devant les tribunaux. Il s'agit de longs processus, et il peut être difficile de maintenir l'intérêt envers les plaintes roms tout au long des procédures. Ces processus sont donc loin d'être idéaux mais ils offrent une possibilitéet, si la discrimination ou la persécution est grave, il semblerait qu'il existe des recours autres que la police pour poursuivre de façon efficace.[Non souligné dans l'original.]
[17] L'élément de preuve documentaire qui se rapporte aux plaintes logées aux ombudsmen, et que la CISR a cité, est compris dans la pièce R-1, dans les documents additionnels que l'ACR doit communiquer, élément 3, Exposé - Hongrie : La situation des Roms selon plusieurs spécialistes, sous le titre « Rapports avec la police » .
[18] Le tribunal a résumé comme suit l'ensemble de ses conclusions :
En résumé, notre évaluation du témoignage du revendicateur, notre analyse de la jurisprudence et notre évaluation de la preuve documentaire amènent le tribunal à conclure que les revendicateurs ne sont pas confrontés à une possibilitégrave de persécution s'ils devaient retourner en Hongrie. S'ils subissent des préjudices graves, nous croyons que les organismes légaux, juridiques et des droits des minorités de l'État leur sont accessibles. Ils devront peut-être se battre plus vigoureusement pour leurs droits que le reste de la population hongroise.[Non souligné dans l'original.]
C. LES QUESTIONS EN LITIGE
[19] Les demandeurs ont soulevé de nombreuses questions dont certaines étaient liées aux motifs de la décision rendue par le tribunal à l'égard de la revendication de la famille Olah et d'autres à la contestation de l'utilisation par le tribunal des causes types.
[20] Le demandeur a notamment allégué ce qui suit :
(1) le tribunal est parti d'un principe erroné pour déterminer la composante objective du critère en deux volets d'une crainte fondée de persécution. Le tribunal aurait dû suivre l'arrêt Adjei c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 7 Imm.L.R. (2d) 169 (C.A.F.);
(2) le tribunal a confondu la persécution et la discrimination lorsqu'il a pris en compte les agressions physiques que les demandeurs avaient subies;
(3) la pratique du tribunal qui consiste à utiliser les causes types était incorrecte parce qu'il a adopté les conclusions de ces causes types et parce qu'il a importé à l'affaire qui lui était soumise des faits et des conclusions des causes types;
(4) le tribunal n'a pas tenu compte de ce que l'avocat des demandeurs a affirmé être une quantité importante de preuve sur l'incapacité de l'État à assurer la protection.
D. ANALYSE
(1) Première question en litige - Le critère erroné
[21] L'avocat des demandeurs a allégué que le tribunal a commis une erreur de droit lorsqu'il a décidé que le préjudice physique grave était ce que ses clients devaient démontrer afin d'établir objectivement qu'ils craignaient avec raison d'être persécutés.
[22] Je partage l'opinion de l'avocat du défendeur qu'une telle interprétation du raisonnement du tribunal n'est pas une interprétation juste. À mon avis, l'interprétation juste serait que le tribunal a mis l'accent sur les actes de persécution qui avaient fait l'objet du témoignage des demandeurs, mais a conclu que ces actes n'étaient pas systématiques et n'étaient pas exécutés sans relâche au point de représenter une possibilité sérieuse de persécution si les demandeurs devaient retourner en Hongrie.
[23] Comme l'a mentionné l'avocat du défendeur, le tribunal n'a pas exigé que les demandeurs démontrent qu'ils seraient persécutés et n'a pas limité le préjudice grave à un préjudice physique.
[24] Le critère adopté par le tribunal est (1) conforme à l'arrêt de la Cour suprême du Canada Chan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1995] 3 R.C.S. 593, quant à l'exigence qu'une sérieuse possibilité de persécution existe; (2) conforme à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129, quant à l'exigence selon laquelle les demandeurs doivent démontrer que les actes pour lesquels ils portent plainte sont des actes qui se répètent ou sont des actes infligés systématiquement au point de constituer de la persécution suivant la définition de la Convention; (3) adapté à l'exigence énoncée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Salibian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 165, à la page 175, et dans l'arrêt Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 796, quant au concept selon lequel le préjudice doit être un préjudice grave.
(2) Deuxième question en litige - La confusion entre la persécution et la discrimination
[25] L'avocat des demandeurs a allégué que le tribunal a confondu les notions de persécution et de discrimination lorsqu'il a décidé que les actes de violence physique que les demandeurs ont identifiés équivalaient à de la discrimination.
[26] À mon avis, cette allégation ne peut être retenue parce que le tribunal n'a aucunement mentionné dans ses motifs que la violence physique n'équivalait qu'à de la discrimination et n'a aucunement exclu la persécution.
(3) Troisième question en litige
[27] L'avocat des demandeurs a indiqué à quel endroit dans sa décision le tribunal a déclaré que des éléments de preuve dignes de foi ont été trouvés dans l'une des causes types de la SSR et à quel endroit il a fait siennes les conclusions du Pr Barany à l'égard de la tendance générale de l'augmentation de la vigilance des policiers dans la surveillance des attaques des skinheads.
[28] Se fondant sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Procureur général du Canada c. Pompas (1994), 94 D.T.C. 6630, et sur la décision de M. le juge MacKay dans l'affaire Osadolor c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (dossier : IMM-2239-99, 20 janvier 2000, (C.F. 1re inst.)), l'avocat allègue que le tribunal a illégalement importé des éléments de preuve (des faits ou des conclusions mixtes de fait et de droit). Il allègue en outre que le tribunal n'a pas examiné la preuve sous-jacente lorsqu'il a importé les conclusions du Pr Barany.
[29] À mon avis, l'avocat des demandeurs s'appuie erronément sur l'arrêt Pompas, précité. Dans l'arrêt Pompas, M. le juge Décary, bien qu'il ait établi le principe qu'un juge ne peut pas prendre en compte les faits d'une autre affaire, a de façon prudente limité ce principe à l'importation de faits non invoqués en preuve dans la deuxième affaire.
[30] La caractéristique distinctive de la présente affaire d'avec l'arrêt Pompas, précité, est que le tribunal en l'espèce a obtenu en preuve, et les a identifiés comme pièces, les éléments de preuve documentaire invoqués par l'ACR et par les demandeurs (voir le dossier certifié à la page 446 pour les documents communiqués par l'ACR en juin 1999 qui consistaient en la trousse d'information de la SSR, Hongrie, septembre 1998, les documents additionnels qui devaient être communiqués - Hongrie/Roms, mai 1999 et le la trousse d'information des causes types hongroises). Je dois ajouter que la trousse d'information des causes types hongroises, qu'on trouve à la page 451 du dossier certifié, précise quels sont les documents déposés comme éléments de preuve dans les causes types et inclut les transcriptions des témoignages de spécialistes des causes d'Hongrois roms aux pages 453 à 460 du dossier certifié.
[31] Je fais deux remarques additionnelles. La déclaration quant à la diminution du nombre de skinheads est tirée du 1997 U.S. DOS Report dont le tribunal disposait à même la trousse d'information des causes types hongroises, pièce soumise par l'ACR, numéro 3.29, dossier certifié à la page 459. Le témoignage du Pr Barany avait aussi été soumis au tribunal, encore une fois à même la trousse d'information des causes types hongroises, pièce R-3, HUN30081EX, DIRB, 18 septembre 1998, à la page 6 du dossier certifié, numéro 3.33, à la page 459.
[32] Cette évaluation des faits amène à conclure que le tribunal n'a pas importé des faits ou des conclusions qui ne lui avaient pas été soumis en preuve.
[33] Je suis en outre d'avis que les demandeurs ont tort de s'appuyer sur la décision Osadolor, précitée. Contrairement à l'affaire Osadolor, les demandeurs en l'espèce avaient reçu tous les documents sur lesquels le tribunal allait s'appuyer. Mme le juge Hansen dans Polgari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] C.F.P.I. 626, une affaire dans laquelle les demandeurs étaient des Hongrois roms, a tiré une conclusion semblable à celle tirée par Mme le juge Dawson dans l'affaire Jozsef Olah et Eva Turu c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2001] C.F.P.I. 382. (Jozsef Olah est le fils des demandeurs principaux en l'espèce qui a présenté, selon ce qui a été précédemment mentionné, une revendication séparée.)
[34] Le juge Hansen, dans la décision Polgari, précitée, se référant à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Koroz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 9 Imm. L.R. (3d) 12, a en outre déclaré qu'il aurait été légitime pour le tribunal de s'appuyer sur le raisonnement d'autres tribunaux dans les causes types et sur les conclusions de fait qu'ils auraient tirées quant à la situation dans le pays.
[35] Dans l'arrêt Koroz, précité, la Cour d'appel fédérale a tranché une question aux fins de la certification qui était rédigée comme suit :
[2] [...]
Un tribunal peut-il « adopter le même raisonnement qu'un autre tribunal » lorsqu'il a été saisi de la même preuve documentaire pour conclure à l'existence d'une possibilité de refuge dans le même pays?
[36] M. le juge Linden, au nom de la Cour d'appel fédérale, a répondu de façon affirmative à cette question. Il a écrit ce qui suit :
[3] À notre avis, on doit répondre à cette question de façon affirmative lorsque, comme en l'espèce, la preuve documentaire est à toutes fins utiles identique dans les deux cas. Cela ne revient pas à dire qu'une formation peut automatiquement adopter les conclusions de fait d'autres formations. Cependant, lorsqu'il s'agit de déterminer les faits concernant la situation qui régnait au pays vers la même époque, une formation peut se fonder sur le raisonnement d'une formation antérieure au sujet de la même preuve documentaire. Lorsqu'une formation estime qu'elle doit adopter l'analyse d'une autre formation au sujet de la même preuve concernant une telle question, rien ne l'empêche légalement de se fonder sur cette analyse. [Non souligné dans l'original.]
[37] À mon avis, le raisonnement de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Koroz, précité, s'applique aux circonstances en l'espèce.
(4) Quatrième question en litige - La capacité de l'État à assurer la protection
[38] L'avocat des demandeurs prétend que le tribunal n'a pas pris en compte la multitude d'éléments de preuve documentaire sur l'incapacité de l'État à assurer la protection. Il mentionne les éléments de preuve documentaire suivants qu'il avait soumis au tribunal relativement à la discrimination et à la brutalité policière :
(1) un article de journal daté du 2 février 1999 qui mentionnait que la police ne respectait soi-disant pas une décision de la cour suprême de Hongrie quant à la distribution d'une édition en hongrois du livre Mein Kampf (dossier certifié, à la page 169);
(2) un rapport sur la Hongrie qui mentionnait que les victimes d'abus de pouvoir des policiers, généralement des Roms, étaient incapables d'obtenir des réparations appropriées pour de tels abus, qui faisait remarquer que seulement trois pour cent des cas dénonçant les policiers conduisaient à une condamnation et qui précisait que lorsqu'il y avait une condamnation la sanction était généralement une amende, une probation ou une condamnation avec sursis pendant laquelle le policier restait généralement en fonction (dossier certifié, à la page 172);
(3) un extrait du Roma Rights, un bulletin du European Roma Rights Centre, paru à l'été 1997, qui mentionnait les conséquences de la brutalité policière continuelle (dossier certifié, à la page 265);
(4) un rapport du Comité des Nations Unies sur la torture, de l'automne 1998, qui établissait que souvent, par peur, les victimes romes étaient réticentes à porter plainte (dossier certifié, à la page 308);
(5) un article qui mentionnait le besoin de réformer le système judiciaire (dossier certifié, à la page 205);
(6) un extrait en provenance du Comité Helsinki hongrois qui mentionnait un rapport de 1995 d'Amnistie internationale sur l'efficacité ou le manque d'efficacité des recours judiciaires;
(7) des extraits de l'affidavit de Roger Rodriguez auxquels était joint un document de la CISR intitulé « Hongrie : La situation des Roms selon plusieurs spécialistes » . À l'affidavit de M. Rodriguez étaient en outre joints des extraits de la transcription des instances devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié des causes types y compris la preuve et le contre-interrogatoire des spécialistes dans ces causes types.
[39] L'avocat des demandeurs affirme qu'il ressort des éléments de preuve ci-dessus mentionnés que la protection de l'État hongrois pour ses citoyens roms n'est pas efficace.
[40] L'avocat du défendeur répond, en s'appuyant sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Hassan c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'Immigration) (1993), 147 N.R. 317, que le fait que certains éléments de preuve documentaire sur la situation dans le pays n'étaient pas mentionnés dans les motifs du tribunal n'entache pas sa décision de nullité et il allègue que des extraits des éléments de preuve documentaire sur lesquels les demandeurs s'étaient appuyés faisaient partie de l'ensemble de la preuve que le tribunal pouvait apprécier pour décider de la crédibilité et de la force probante, selon ce que la Cour suprême du Canada a établi dans l'arrêt Woolaston c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1973] R.C.S. 102.
[41] Dans son argumentation, l'avocat du défendeur a déclaré qu'il ressortait de la décision du tribunal qu'il avait reconnu que les policiers en Hongrie n'étaient pas, de façon générale, réceptifs aux plaintes des Roms. Le tribunal a en outre reconnu la preuve documentaire soumise à l'audience par l'avocat des demandeurs à l'égard de la discrimination et de la brutalité exercées par les policiers. L'avocat du défendeur a affirmé que le tribunal avait en outre examiné la question des enquêtes policières et qu'il était conscient que, bien qu'imparfaites, les procédures de réparations en Hongrie offraient, dans les cas de discrimination ou de persécution grave, des solutions de rechange à l'intervention policière.
[42] L'avocat du défendeur m'a guidé à travers les pièces C-5 et C-6 qui sont, selon ce qui a déjà été mentionné, des éléments de preuve déposés par les demandeurs, et a fait remarquer que le tribunal s'y était référé expressément en ce qui touche la brutalité policière et la discrimination.
[43] L'avocat du défendeur a de plus examiné le dossier du tribunal et a déclaré que toute la documentation mentionnée dans l'affidavit de Rodriguez était à la disposition du tribunal à même les pièces déposées par l'ACR à l'audience et que cette documentation avait été précédemment communiquée aux demandeurs.
[44] J'accepte les représentations de l'avocat du défendeur à cet égard. Je suis d'opinion que toute la documentation à laquelle l'avocat des demandeurs a renvoyé et dont, selon ses prétentions le tribunal n'a pas tenu compte, avait été soumise en preuve au tribunal.
[45] L'avocat des demandeurs a ensuite allégué qu'il ne suffit pas de dire voici la preuve. Cette preuve doit être analysée et les motifs doivent démontrer de quelle façon la protection doit être efficace.
[46] Sur la question de l'incapacité d'un État à assurer la protection de ses citoyens, je remarque que M. le juge LaForest a déclaré dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 724, qu'il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité d'un État à d'assurer la protection.
[47] L'avocat des demandeurs ne m'a pas convaincu que les motifs du tribunal étaient superficiels. Les motifs du tribunal doivent être lus comme un tout et la question de l'efficacité de la protection de l'État doit être appréciée par rapport à la jurisprudence illustrée par l'arrêt Ward, précité.
[48] À mon avis, le tribunal a apprécié la preuve sur cette question et a conclu, tout en reconnaissant que la vie puisse être désagréable pour eux, que les Roms en Hongrie ont accès à des organismes d'État qui s'occupent de la loi, de la justice et des droits des minorités. Cette conclusion est de la compétence du tribunal. Selon la Cour suprême du Canada, les tribunaux saisis des demandes de contrôle judiciaire ne doivent pas apprécier à nouveau la preuve; voir à cet effet l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville) [1997] 1 R.C.S. 793, à la page 844. J'aurais peut-être conclu autrement que le tribunal l'a fait, mais là n'est pas la question. Les demandeurs en l'espèce, quant aux faits particuliers de la présente affaire, ne m'ont pas convaincu que le tribunal a commis une erreur en concluant comme il l'a fait sur la question de la protection de l'État.
DÉCISION
[49] Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n'a été soumise aux fins de la certification.
« François Lemieux »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
LE 19 OCTOBRE 2001
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
Date : 20011019
Dossier : IMM-2772-00
OTTAWA (ONTARIO), LE 19 OCTOBRE 2001
En présence de MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX
ENTRE :
JOZSEF OLAH, JOZSEFNE OLAH,
KALMAN OLAH, ZOLTAN OLAH
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
Pour les motifs énoncés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n'a été soumise aux fins de la certification.
« François Lemieux »
Juge
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-2772-00
INTITULÉ : Jozsef Olah et autres c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 27 mars 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge Lemieux
DATE DES MOTIFS : Le 19 octobre 2001
COMPARUTIONS :
Rocco Galati POUR LES DEMANDEURS
Lori Hendricks POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Roger Rodrigues POUR LES DEMANDEURS
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada