IMM-4730-96
ENTRE
THIRUNAVUKARASU KANDASAMY,
DIVIUA THIRUNAVUKARASU,
(PAR SON TUTEUR À L'INSTANCE:
THIRUNAVUKARASU KANDASAMY),
requérants,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE REED
Les requérants sollicitent une ordonnance portant annulation d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Il a été conclu dans cette décision qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.
Les requérants sont un père âgé de 68 ans et sa fille de 24 ans. Ils sont venus de la partie septentrionale du Sri Lanka. Le père était enseignant et directeur d'école pendant de nombreuses années. En tant que tel, il était un employé du gouvernement sri-lankais pendant plus de 30 ans.
Il a passé un an et demi en Inde (juillet 1988 à décembre 1990) afin que sa fille pût être traitée à une école de réadaptation pour les enfants déficients mentaux et, puis, ils sont retournés à Jaffna via Colombo. Les L.T.T.E. l'ont harcelé à Jaffna, tentant de lui extorquer de l'argent, recourant à des méthodes dont la description est habituelle dans ces cas. Un de ses anciens étudiants qui vivait dans la région de Colombo a proposé qu'ils quittent le pays. Il a dit au requérant qu'il connaissait un agent qui pouvait prendre des dispositions à cet égard. Les dispositions ont été prises. Les requérants ont quitté Jaffna en octobre 1995 dans l'intention de passer quelques jours à Colombo, d'y être de passage, pour se rendre ensuite au Canada.
L'analyse que la Commission a faite de la revendication des requérants portait principalement sur la question de savoir si lui et sa fille avaient une P.R.I. à Colombo. Dans cette analyse, la Commission a noté que le témoignage du requérant selon lequel le gouvernement sri-lankais avait pour politique de détruire la race tamoule était une exagération choquante. La Commission a dit qu'elle ne croyait pas qu'il n'avait pas de contacts, par exemple des étudiants, à Colombo. Elle a conclu qu'il avait droit à une pension du gouvernement sri-lankais. D'après son témoignage, il avait de la difficulté à la percevoir.
L'aspect de la décision de la Commission qui est particulièrement attaquée dans cette demande de contrôle porte sur le fait que la Commission préférait la preuve documentaire aux dépositions orales du requérant concernant le traitement que la police avait réservé aux requérants lorsque ceux-ci étaient à Colombo. Le requérant, qui a rendu témoignage en son nom et en celui de sa fille, a dit qu'ils avaient été arrêtés à l'auberge où ils demeuraient et soumis à de sévères abus physiques. Particulièrement, sa fille avait fait l'objet de tels mauvais traitements parce que la police avait considéré son manque de communication comme indiquant qu'elle cachait quelque chose.
Il a témoigné qu'il avait été libéré le même jour où il avait été arrêté après qu'il eut versé un pot-de-vin, et que sa fille l'avait été le jour suivant, après qu'il eut donné aux autorités des documents médicaux concernant l'état de sa fille.
La Commission a dit qu'elle considérait la description par les requérants des mauvais traitements qu'ils avaient subis lors de leur détention comme étant exagérée. Le motif invoqué pour une telle conclusion était que [TRADUCTION] "le traitement réservé par la police aux requérants au cours de leur détention, tel qu'il a été décrit par le revendicateur, diffère de celui décrit dans la preuve documentaire. Même si le tribunal devait croire que la détention avait eu lieu, il estime que le mauvais traitement qu'aurait infligé la police était exagéré". La Commission a également dit que [TRADUCTION] "le tribunal préfère la preuve documentaire aux dépositions orales du revendicateur, et il conclut que, en raison de l'âge de ce dernier, il n'est pas le profil visé par la police sri-lankaise".
L'avocat des requérants soutient que la décision de la Commission doit être annulée parce que celle-ci n'y a invoqué aucun motif pour préférer la preuve documentaire à la preuve directe du requérant. En second lieu, il soutient que la Commission a, dans ses motifs, seulement fait état de la preuve documentaire qui provenait du Haut-commissariat canadien. Elle n'a pas mentionné un document portant une date ultérieure publié par Amnistie internationale.
La Commission a fait état de la documentation du Haut-commissariat canadien qui décrivait la situation du Sri Lanka telle qu'elle existait après le 19 avril 1995, la date de la fin du cessez-le-feu. Selon la Commission, la documentation dit que, à Colombo : 1) le traitement réservé aux gens (Tamouls) détenus à court terme aux fins de vérification d'identité est considéré par les O.N.G. comme étant conforme à la loi; 2) le risque d'abus physiques et mentaux au cours d'une telle détention est très bas, et les incidents lors de la survenance des abus sont isolés et ne sont pas systématiques; 3) de jeunes Tamoules font de plus en plus l'objet de ces vérifications parce que les L.T.T.E. emploient des femmes comme combattantes; 4) des sauvegardes existent vraiment quant à la détention de femmes, savoir qu'on détenait les femmes dans l'unité pour femmes ou au moins en la présence d'un membre féminin du personnel. La documentation note également que les Tamouls qui sont visés sont ceux qui sont de passage ou des résidents temporaires de Colombo.
L'examen du document d'Amnistie internationale ne sape pas les renseignements figurant dans les communications du Haut-commissariat canadien, renseignements mentionnés par la Commission. Le document d'Amnistie internationale fait état d'environ la même période; les renseignements y figurant ne sont pas plus à jour de façon significative. Le document est toutefois rédigé d'un point de vue différent. Il porte principalement sur les cas où les violations des droits de la personne ont eu lieu. Il ne décrit pas une situation de persécution de grande envergure de Tamouls dans Colombo. Il décrit la situation de la totalité du Sri Lanka et indique que la plupart des abus établis se rapportent à la réapparition du conflit dans le nord et l'est du pays (certains sont le fait de groupes tamouls non contrôlés par le gouvernement qui s'opposent aux L.T.T.E.) L'omission de faire expressément état de ce document n'était pas une erreur.
J'ai examiné la jurisprudence citée par l'avocat pour appuyer l'idée qu'un tribunal ne peut préférer la preuve documentaire à la preuve directe produite par un revendicateur devant un tribunal sans expressément dire pourquoi : Okyere-Akosah c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration (6 mai 1992, A-92-91) (C.A.F.) et Olschewski c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (20 octobre 1993, A-1424-92) (C.F.1re inst.). J'ai également examiné la jurisprudence qui dit qu'un tribunal, lorsqu'il ne croit pas un revendicateur, doit motiver son doute sur la crédibilité de ce dernier et ce, en termes clairs et explicites : Hilo c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.).
Ni la décision Okyere-Akosah ni la décision Olschewski ne ressemblent à l'espèce. Dans l'affaire Okyere-Akosah, le revendicateur a témoigné qu'il appartenait à une église, que le gouvernement interdisait, à un moment où le gouvernement exigeait que tous les organismes religieux s'inscrivent auprès du gouvernement. La Commission s'est appuyée sur un article figurant dans un magazine, appelé West Africa, pour conclure que l'église à laquelle, selon le revendicateur, il appartenait s'engageait dans des pratiques plutôt douteuses ( exploitation sexuelle de femmes, accumulation excessive de richesses), pratiques dont le requérant n'était pas au courant. Le requérant avait témoigné que ces allégations étaient fausses et étaient de la pure propagande gouvernementale. La Cour a décidé que la Commission ne pouvait préférer la description figurant dans l'article du magazine au témoignage du requérant sans dire en termes clairs pourquoi elle le faisait. Il en était particulièrement ainsi étant donné qu'une autre édition du même magazine avait fait le compte rendu de l'interdiction de trois autres églises et des protestations de dirigeants religieux bien en vue.
Dans la décision Olschewski, bien qu'il y ait la déclaration selon laquelle "la Commission... a malheureusement omis d'exprimer de quelque façon que ce soit les motifs pour lesquels elle a préféré la preuve documentaire aux témoignages des requérants", la Cour a également dit que "la Commission peut fort bien avoir cru que ces témoignages ne révélaient pas une crainte fondée de persécution, mais elle n'a pas tiré cette conclusion".
L'omission de donner des motifs explicites pour préférer la preuve documentaire à la preuve directe du revendicateur n'était, ni dans l'une ni dans l'autre de ces décisions, le motif unique de la conclusion selon laquelle la Commission avait commis une erreur. Dans L'affaire Okyere-Akosah, c'était dans le contexte de l'omission par la Commission de soupeser tous les éléments de preuve, notamment les autres éditions du même magazine, qui était le centre de la décision. Dans l'affaire Olchewski, la mention d'une préférence pour la preuve documentaire par rapport à la preuve directe d'un revendicateur a été faite dans le contexte de l'omission par la Commission de tirer une conclusion sur la question de savoir si une crainte fondée de persécution existait.
Il a été à plusieurs reprises dit qu'en tirant des conclusions de crédibilité, les tribunaux doivent tenir compte de tous les éléments de preuve. Je pense pas que la Commission ait fait quelque chose autre que cela en l'espèce. Elle avait conclu que le témoignage du revendicateur était, à d'autres aspects, exagéré. Dans ce contexte, elle a examiné la description que le requérant avait faite de ce qui avait eu lieu à la lumière de la preuve documentaire, et elle a conclu que le requérant avait exagéré dans ce domaine aussi. Le danger dans la préférence pour la preuve documentaire par rapport à la preuve directe d'un revendicateur réside dans le fait que la preuve documentaire est de nature habituellement générale. La relation par un requérant de ce qui lui est arrivé est particulière et personnelle. Ainsi donc, sans une explication claire de la raison pour laquelle le général est préféré au particulier, on peut douter d'une conclusion qui repose sur une préférence pour le premier par rapport au second. Toutefois, telle n'est pas la situation en l'espèce. La conclusion de la Commission découlant de son recours à la preuve documentaire est raisonnable dans le contexte de l'ensemble des éléments de preuve.
Chose plus importante encore, même si la Commission sous-estimait le témoignage des requérants sur ce qui leur était arrivé à Colombo, cela ne porte pas atteinte à la décision de la Commission. Cette décision se concentrait, comme il se devait, sur ce qui arriverait probablement aux requérants dans l'éventualité de leur retour au Sri Lanka. Même si les requérants subissaient, à la seule occasion où ils ont été détenus à Colombo, des abus plus excessifs que ne le reconnaissait la Commission, cela ne porterait pas atteinte à la décision selon laquelle leur crainte de persécution, dans l'éventualité de leur retour, n'était pas fondée.
Par ces motifs, la demande est rejetée.
"B. Reed"
Juge
Toronto (Ontario)
Le 5 novembre 1997
Traduction certifiée conforme
Tan Trinh-viet
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats et procureurs inscrits au dossier
No DU GREFFE : IMM-4730-96 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : |
THIRUNAVUKARASU KANDASAMY, |
DIVIUA THIRUNAVUKARASU, |
(PAR SON TUTEUR À L'INSTANCE: |
THIRUNAVUKARASU KANDASAMY) |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
DATE DE L'AUDIENCE : Le 5 novembre 1997 |
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario) |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR : le juge Reed
EN DATE DU 5 novembre 1997 |
ONT COMPARU :
Michael Crane pour les requérants
Sally Thomas pour l'intimé
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Michael Crane
Avocats
166, rue Pearl
Pièce 200
Toronto (Ontario)
M5H 1L3
pour les requérants
George Thomson
Sous-procureur général du Canada pour l'intimé
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
IMM-4730-96
Entre
THIRUNAVUKARASU KANDASAMY,
DIVIUA THIRUNAVUKARASU,
(PAR SON TUTEUR À L'INSTANCE:
THIRUNAVUKARASU KANDASAMY),
requérants,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE