Date : 20200402
Dossier : T‑2063‑18
Référence : 2020 CF 475
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 2 avril 2020
En présence de madame la juge McVeigh
ENTRE :
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LAURA S. BIRD
MATTHEW W. ADAM
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requérants
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et
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BERNIE MAKOKIS,
PRÉSIDENT D’ÉLECTION
BANDE DE PAUL (PREMIÈRE NATION)
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intimés
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
La Cour est saisie d’une requête présentée en vertu de l’article 31 de la Loi sur les élections au sein de premières nations, LC 2014, c 5 [la LEPN], en vue de contester l’élection tenue par la Bande de Paul (Première Nation) [la BP (PN)] le 2 novembre 2018 [l’élection]. En raison de plusieurs contraventions qui auraient été commises à la LEPN, les requérants sollicitent notamment, à titre de réparation, l’annulation de l’élection et la tenue d’un nouveau scrutin.
II.
Le contexte
[2]
Laura S. Bird et Matthew W. Adam [les requérants] sont deux membres de la BP (PN). Mme Bird et M. Adam agissent tous les deux pour leur propre compte et ont formulé des observations orales lors de l’audience.
A.
Avant‑propos
[3]
Dans leurs documents écrits, les requérants ont mentionné qu’ils subissaient une injustice du fait de ne pas être représentés par un avocat, étant donné qu’ils n’avaient aucune formation juridique. Les requérants se disent victimes d’une injustice, parce que, contrairement à l’intimée, ils n’ont pas les moyens d’engager un avocat. Ils affirment qu’il [traduction] « ressort de la jurisprudence citée que l’assistance d’un avocat était nécessaire tout au long de la présente instance »
.
[4]
Il n’existe pas de règle interdisant à un requérant d’agir pour son propre compte, même lorsqu’il aurait été préférable qu’il engage un avocat. Le fait d’agir pour son propre compte ne crée pas d’injustice, même s’il ne s’agit peut‑être pas de la solution idéale. La requête a fait l’objet d’une gestion de l’instance par un protonotaire, ce qui a pu aider les requérants. Les personnes physiques requérantes ont eu droit de la part de la Cour à toute la courtoisie et à toute l’attention dont elles avaient besoin pour faire valoir leurs arguments, étant donné qu’elles n’avaient pas de formation juridique. Il n’y a eu aucune injustice intrinsèque.
[5]
Lors de l’audience, les requérants ont exprimé le désir de présenter une autre preuve par ouï‑dire, d’autres témoignages ainsi que des éléments de preuve qui, selon ce qu’ils affirmaient, se trouvaient dans leur téléphone. Ils ont formulé cette demande au cours de la présentation de leurs arguments. Je leur ai alors demandé d’indiquer où se trouvaient les éléments de preuve en question dans les pièces versées au dossier. Les requérants ont répondu qu’ils pouvaient obtenir les éléments de preuve en question, mais qu’ils ne les avaient pas encore déposés. J’ai refusé aux requérants la possibilité de présenter, pour la première fois à l’audience, les nouveaux éléments prétendus, compte tenu du fait que l’affaire avait fait l’objet d’une gestion de l’instance par un protonotaire, que les éléments de preuve étaient disponibles depuis très longtemps et qu’aux termes de la LEPN, une élection doit être contestée au moyen d’une requête, ce qui signifie que la preuve doit être déposée sous forme d’affidavit. Le préjudice causé aux intimés ainsi que le respect de la LEPN et des Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106) l’emportaient de loin sur la possibilité de faire apparaître ce type d’éléments de preuve à l’audience.
B.
Aperçu
[6]
Les requérants ont présenté leur requête en vertu de la LEPN, un régime législatif créé en 2014 pour la tenue d’élections au sein de Premières Nations. La LEPN accorde à des Premières Nations la faculté de se soustraire à la Loi sur les Indiens, LRC 1985, c I‑5, et d’adopter la LEPN comme modèle pour la tenue de leurs élections.
[7]
La BP (PN) a choisi d’être régie par la LEPN le 1er mars 2018. L’élection du chef et de cinq conseillers était prévue pour le 2 novembre 2018. Bernie Makokis [Bernie ou M. Makokis] — qui n’est pas membre de la bande — a été engagé le 28 août 2018 à titre de président d’élection au moyen d’une résolution. Il a été accrédité comme président d’élection conformément à la LEPN. Le président d’élection a nommé par écrit, le 31 août 2018, trois présidents d’élection adjoints dont deux, Veronica Rain Bearhead et Shalanna Rain, étaient des membres de la bande qui ont toutes les deux voté à l’élection, alors que le troisième, Toni YoungChief n’était pas membre de la bande.
[8]
Après avoir reçu de la BP (PN) la liste de noms des électeurs, le président d’élection a établi une liste électorale qui a par la suite été modifiée et parachevée. Il a été décidé que l’élection aurait lieu en personne, au gymnase de l’école de la BP (PN), ou par bulletins de vote postal. Un avis a été publié en ce sens.
[9]
Le 28 septembre 2018, la BP (PN) a tenu une assemblée de mise en candidature. Au terme de cette assemblée, cinq candidats ont remis des formulaires de déclaration de candidature et acquitté les frais nécessaires pour pouvoir briguer les suffrages au poste de chef, et 33 personnes ont été mises en candidature à des postes de conseiller. À la suite du retrait de la candidature de sept candidats aux postes de conseiller, il y avait 26 candidats sur le bulletin de vote définitif pour les postes de conseiller.
[10]
L’élection a eu lieu le 2 novembre 2018 au gymnase, et le président d’élection a été présent en tout temps. Après la fermeture des bureaux de scrutin à 20 h, quatre équipes différentes mandatées à cette fin ont procédé au dépouillement du scrutin.
[11]
Une des bénévoles affectées au comptage, Dawn Rain, a déclaré : [traduction] « Il n’y avait pas de précédent établi et, d’après ce que j’ai compris, chaque équipe avait un système différent. »
Chaque équipe chargée du dépouillement était composée de trois bénévoles et d’un membre du personnel électoral qui [traduction] « comptaient manuellement les bulletins de vote »
. Le membre du personnel électoral auquel Dawn Rain faisait allusion était une présidente d’élection adjointe. Dawn Rain a expliqué que la présidente d’élection adjointe présente à leur table dépliait les bulletins de vote et lisait les noms à voix haute pendant que les quatre personnes comptaient manuellement les votes. Il s’agissait de la même procédure que celle qui, selon Shannon Bird, une autre compteuse, a été suivie à sa table. Dawn Rain a expliqué que, dans son groupe, on ne leur avait pas montré les bulletins de vote, à l’exception de celui qui avait été annulé. Shannon Bird a déclaré que, dans son groupe, la présidente d’élection adjointe avait rejeté certains bulletins de vote comme étant annulés. Mme Rain a raconté qu’on lui avait dit que, dans d’autres équipes, les compteurs avaient pris connaissance des bulletins de vote dépouillés. Elle a expliqué que, dans son équipe, il avait fallu intervenir auprès de la présidente d’élection adjointe pendant le dépouillement, car [traduction] « elle semblait très pressée et déchirait un grand nombre de bulletins en les dépliant »
. Dawn Rain a également déclaré que, dans sa précipitation, la présidente d’élection adjointe avait mélangé les noms des candidats sur sa feuille de décompte et commis des erreurs de calcul. Toutes les feuilles de décompte de cette table avaient été recueillies par la présidente d’élection adjointe, mais Dawn Rain a affirmé que l’on n’avait pas vérifié laquelle était la feuille officielle, ajoutant que les feuilles avaient été placées sans ordre particulier et remises au président d’élection. Selon Shannon Bird, après le dépouillement, on s’était contenté de signer la feuille de décompte, et le président d’élection avait ensuite commencé à afficher les résultats au mur.
[12]
Parmi les bulletins de vote postal, quatre ont été jugés valides et deux ont été rejetés, parce que la déclaration de l’électeur n’avait pas été remplie conformément aux directives. Pour revenir à la preuve offerte par Dawn Rain, cette dernière a déclaré que, bien qu’elle n’ait pas été présente lors du recomptage, on lui avait raconté que les bulletins de vote postal n’avaient été découverts que le lendemain, au moment du recomptage, et elle s’est demandé pourquoi ces bulletins n’avaient pas été produits plus tôt.
[13]
Arthur Rain a été élu chef à l’issue du dépouillement du scrutin. Le nombre de voix exprimées en faveur du chef n’est pas en litige, étant donné qu’il a remporté la victoire avec un écart de 54 voix sur son plus proche rival. Les résultats du vote pour les postes de conseiller étaient plus serrés. Il y avait un écart de moins de cinq voix (déclaration faite sous serment par Shannon Bird, au par. 2) ou de neuf voix (affidavit du président d’élection, au par. 15) entre les candidats arrivés au quatrième, cinquième et sixième rang pour les postes de conseiller. Étant donné que les cinq candidats ayant obtenu les meilleurs résultats seraient élus au conseil et que l’écart entre les résultats respectifs était si mince, le président d’élection a annoncé sa décision de procéder à un recomptage le lendemain à midi. Il a alors, avec un président d’élection adjoint, apposé des sceaux sur les boîtes de scrutin et les a conservées avec lui jusqu’au lendemain.
[14]
Le 3 novembre 2018, le président d’élection a rapporté les boîtes de scrutin au gymnase de l’école de la BP (PN) et les a descellées à midi, en vue du recomptage des bulletins de vote.
[15]
Shannon Bird, une compteuse, a expliqué le déroulement du recomptage : le président d’élection lisait à haute voix les bulletins de vote et mettait de côté les bulletins de vote nuls. Étant donné qu’aucun compteur n’avait vu les noms figurant effectivement sur les bulletins de vote, à mi‑chemin au cours du dépouillement, il y a eu une plainte selon laquelle personne ne voyait les bulletins de vote, ce dont un des présidents d’élection adjoints a été témoin. À cause du fait que personne n’avait pu au départ prendre connaissance des bulletins de vote et que les résultats étaient différents, le dépouillement a été repris depuis le début. Tous les bulletins de vote ont été dépouillés à nouveau, sauf ceux pour le poste de chef. Un homme en état d’ébriété a fait irruption dans le gymnase pendant le dépouillement final. On lui a reproché son comportement insupportable, mais le déroulement du recomptage n’a pas été perturbé.
[16]
Il y a eu une panne d’électricité dans le gymnase au cours du dépouillement. On a toutefois ouvert les portes pour permettre à la lumière extérieure d’éclairer le lieu où l’on effectuait le dépouillement des votes, et le président d’élection a fait déplacer les compteurs plus près de la lumière. Le courant est revenu lorsqu’on a entamé le recomptage final.
[17]
Le recomptage a confirmé que, en ce qui concerne les suffrages exprimés pour le poste de chef, 676 bulletins de vote étaient valides, et 13 étaient nuls. En ce qui concerne les voix exprimées pour les postes de conseiller, on a compté 675 bulletins de vote étaient valides, et 16 étaient nuls.
[18]
Lors du recomptage final, on a signalé un plus grand nombre de bulletins de vote nuls que la première fois, et les résultats étaient différents de ceux du premier dépouillement, bien que la Cour ne dispose pas des chiffres complets au sujet du premier dépouillement.
[19]
Le président d’élection a déclaré élus les cinq candidats au poste de conseiller ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages :
- Jason Rain Sr. (209 voix) – élu
- Simon D. House (191 voix) – élu
- Faron Bull (179 voix) – élu
- Baron Adams (165 voix) – élu
- Myrna Rabbit‑Bearhead (164 voix) – élue
- Roderick Burnstick (158 voix)
- Dwight Joseph Paul (147 voix)
- Russell Ted (Rusty) Bird (146 voix)
- Isaac Rain (140 voix)
- Calvin D. Bird (137 voix)
- Carl Bird (134 voix)
- Darren Samuel Rain (129 voix)
- Matthew Adam (120 voix)
- Warren Bird (118 voix)
- Joni House‑Roux (110 voix)
- Wesley Ross Rain (91 voix)
- William Baldwin House (86 voix)
- Rodney Paul (74 voix)
- Jason Saulteaux (70 voix)
- Donovan N. Adams (67 voix)
- William Bearhead (60 voix)
- Shawn Eric Rain (57 voix)
- Marlene A. Adams (55 voix)
- Kyle Isaac Bird (53 voix)
- Duchess Bird (38 voix)
- Jonathan Adams (24 voix)
[20]
Les requérants ont contesté les résultats du scrutin en vertu de l’article 31 de la LEPN, affirmant qu’il y avait eu un manquement à l’équité procédurale, ainsi que plusieurs irrégularités qui avaient influé sur le résultat de l’élection.
[21]
Dans leur mémoire, les requérants sollicitent les réparations suivantes :
1. une ordonnance annulant l’élection;
2. une ordonnance désignant un nouveau président d’élection et de nouveaux présidents d’élection adjoints;
3. une ordonnance prévoyant la tenue d’un scrutin par anticipation;
4. une ordonnance prévoyant la tenue d’un scrutin en ligne et d’un scrutin en personne le jour du vote;
5. une ordonnance prévoyant la présence d’un interprète et d’agents de sécurité aux bureaux de scrutin;
6. l’adjudication des dépens;
7. toute autre mesure que la Cour juge juste et appropriée.
III.
Les questions en litige
[22]
Les questions en litige en l’espèce sont les suivantes :
Y a‑t‑il eu violation du droit des requérants à l’équité procédurale?
Y a‑t‑il eu une contravention à la LEPN qui
« a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection »
?
IV.
Analyse
A. Y a‑t‑il eu violation du droit des requérants à l’équité procédurale?
[23]
Les requérants allèguent que leur droit à l’équité procédurale a été violé, sans, toutefois, préciser comment le président d’élection aurait dû les traiter de façon plus équitable. Je vais examiner la procédure électorale choisie par le président d’élection pour m’assurer qu’elle était conforme à la LEPN. En revanche, l’équité procédurale est un concept distinct des règles de droit administratif qui s’appliquent à la façon dont un décideur administratif doit garantir une protection procédurale à quelqu’un, compte tenu de l’importance de la décision pour la personne visée, de la nature de la décision recherchée et d’autres facteurs propres au contexte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, au par. 77).
[24]
Les élections se tiennent dans un contexte différent, et l’article 31 de la LEPN prévoit une voie unique pour en contester les résultats. Ainsi qu’il est expliqué dans la décision O’Soup c Montana, 2019 SKQB 185, au par. 112 [O’Soup] :
[traduction]
L’article 31 permet à l’électeur qui s’estime lésé de contester les résultats d’une élection s’il peut démontrer qu’il y a eu contravention à la LEPN ou au REPN. En tant que président d’élection, M. Montana était tenu de suivre la procédure prévue par ces dispositions, et c’est ce qu’il a fait. Il n’est assujetti à aucune obligation d’équité procédurale envers les électeurs lorsqu’il s’acquitte de ces responsabilités.
[25]
Comme il n’existe pas, en droit administratif, d’obligation d’équité procédurale envers les membres de la Première Nation, l’argument avancé par les requérants du manquement à l’équité procédurale ne saurait être retenu.
B. Y a‑t‑il eu une contravention à la LEPN qui « a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection »?
[26]
Les parties admettent que la BP (PN) a choisi d’être régie par la LEPN. Conformément au règlement DORS/2018‑175, la BP (PN) a tenu sa première élection sous ce régime le 2 novembre 2018. Les requérants ont exprimé leurs préoccupations du fait de la courte période entre le moment où la BP (PN) a opté pour la LEPN et la date à laquelle l’élection a eu lieu. Ils allèguent qu’en raison de cette courte période, la Première Nation n’a pas eu le temps de s’adapter à la nouvelle loi et de se familiariser avec celle‑ci, ce qui explique pourquoi certaines des infractions alléguées ci‑dessous ont été commises.
[27]
Les dispositions pertinentes de la LEPN sont reproduites à l’annexe A. Plus précisément, l’article 31 de la LEPN dispose :
[28]
Lorsqu’elle est saisie d’une requête en contestation, la Cour doit examiner les affidavits et déterminer si les requérants ont démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait eu contravention à la LEPN (Good c Canada (Procureur général), 2018 CF 1199, aux par. 49 et 57 [Good]).
[29]
Les requérants doivent d’abord démontrer qu’il y a eu contravention à la LEPN. La contravention peut [traduction] « prendre la forme d’une action ou d’une omission commise par un électeur, un candidat ou un membre du personnel électoral »
(O’Soup, précitée, au par. 27). Le tribunal doit présumer que toutes les procédures nécessaires ont été suivies lors de l’élection contestée (O’Soup, par. 91).
[30]
Ensuite, en plus de prouver qu’il y a eu contravention, les requérants doivent démontrer que cette contravention a « vraisemblablement influé sur le résultat »
de l’élection. Comme le juge Layh l’a fait remarquer dans le jugement Paquachan c Louison, 2017 SKQB 239, au par. 19 [Paquachan], il faut tenir compte dans une certaine mesure des erreurs administratives lors de toute élection, et les contraventions qui ne sont pas susceptibles d’en avoir influencé le résultat n’entraînent pas son annulation. Pour démontrer qu’une irrégularité a « vraisemblablement »
influé sur le résultat, il [traduction] « est nécessaire de présenter une preuve convaincante »
, puisque la décision d’ordonner la tenue d’un nouveau scrutin a de graves répercussions (O’Soup, par. 117).
[31]
Suivant la jurisprudence, même si les requérants satisfont à ces deux exigences, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de refuser d’ordonner la tenue d’une nouvelle élection. L’invalidation d’une élection comporte de conséquences considérables, car elle prive des électeurs de leur droit de vote, augmente le risque de litiges futurs, ébranle la certitude des résultats démocratiques et peut provoquer désillusion et apathie chez les électeurs (Paquachan, précitée, au par. 20).
[32]
De plus, dans Papequash c Brass, 2018 CF 325, le juge Barnes a expliqué qu’il sera plus difficile d’invalider une élection dans les cas impliquant des irrégularités procédurales, comme c’est le cas en l’espèce, par opposition aux cas de corruption flagrante :
[33]
Les requérants ont produit un affidavit souscrit par Laura Bird auquel étaient jointes des déclarations faites sous serment par des membres de la bande, à savoir Isaac Rain, Bernice Bird, Shannon Bird et Dawn Rain. Sur la foi de cet affidavit et de ces déclarations sous serment, les requérants font valoir qu’ils ont relevé plusieurs anomalies dans le déroulement de l’élection. Ils soutiennent que chacune de ces irrégularités aurait vraisemblablement influé sur le résultat. Leurs arguments peuvent être classés dans les cinq catégories suivantes :
a) la procédure suivie avant l’élection;
b) le libellé des bulletins de vote;
c) le soudoiement;
d) le personnel électoral;
e) les méthodes de dépouillement et de recomptage des bulletins de vote.
[34]
Compte tenu de ces cinq grandes catégories d’irrégularités, les requérants prient la Cour d’invalider les résultats de l’élection, d’ordonner la tenue d’une nouvelle élection et de leur accorder les autres réparations énumérées au paragraphe 21 ci‑dessus.
[35]
En revanche, le président d’élection soutient qu’il n’y a pas eu contravention à la LEPN. Le président d’élection reprend une à une les allégations des requérants, faisant valoir soit que la LEPN ne prévoit pas les exigences en question, soit que les exigences prévues par la LEPN ont été respectées. À titre subsidiaire, les intimés affirment que, même s’il y a eu contravention à la LEPN, il faut que cette contravention ait « vraisemblablement influé sur le résultat »
pour qu’il puisse être ordonné la tenue d’une nouvelle élection. Or, selon eux, aucune des contraventions alléguées ne satisfait à cette exigence minimale.
a)
La procédure suivie avant l’élection
[36]
Dans la première catégorie, la procédure suivie avant l’élection, les requérants critiquent trois décisions du président d’élection. Ils affirment, en premier lieu, qu’un vote par anticipation aurait dû être organisé pour permettre aux membres de la bande à Calgary et à Edmonton de voter. Deuxièmement, ils laissent entendre que la procédure de mise en candidature ne respectait pas le paragraphe 9(4) du Règlement sur les élections au sein de premières nations, DORS/2015‑86 [le Règlement], selon lequel un électeur ne peut présenter plus d’une candidature par poste à pourvoir au conseil. Troisièmement, ils contestent la façon dont la liste électorale a été révisée au cours de l’élection.
i.
Les bureaux de scrutin par anticipation
[37]
Les pièces A et B de l’affidavit de Laura Bird sont deux messages publiés sur Facebook faisant état de préoccupations au sujet de l’absence de bureaux de scrutin à Calgary et à Edmonton, pour les gens ne pouvant se déplacer le jour de l’élection. À l’audience, les requérants ont indiqué que la BP (PN) comptait environ 1 200 membres vivant tant dans une réserve que hors réserve et que bon nombre d’entre eux ne pouvaient se déplacer pour aller voter le jour du scrutin, de sorte que la tenue d’un vote par anticipation aurait pu changer le résultat de l’élection.
[38]
Toutefois, le paragraphe 18(1) du Règlement prévoit que le président d’élection « peut établir un bureau de vote par anticipation à tout emplacement qu’il juge convenable et tenir un vote par anticipation »
. Le mot « peut »
indique qu’il ne s’agit pas d’une obligation impérative. Rien ne permet de penser que quelqu’un a officiellement demandé la tenue d’un vote par anticipation pour l’élection en question et que le président d’élection aurait décidé de ne pas organiser de vote par anticipation. Les requérants ont affirmé qu’ils avaient droit à la tenue d’un vote par anticipation, mais ce n’était pas le cas.
ii.
La mise en candidature
[39]
Les requérants ont déposé des éléments de preuve tendant à démontrer que des membres de la bande avaient rempli des formules de mise en candidature pour plus d’un candidat, ce qui, ont‑ils fait valoir, constituait une contravention qui devrait entraîner l’invalidation de l’élection. Dans leur plaidoirie, les requérants ont prétendu que la double mise en candidature démontrait que le président d’élection avait appliqué à cette élection les anciennes normes prévues par la Loi sur les Indiens, plutôt que la nouvelle procédure prévue par la LEPN, à laquelle la BP (PN) avait choisi de se soumettre.
[40]
En ce qui concerne le protocole de mise en candidature, le paragraphe 9(4) de la LEPN prévoit qu’« [u]n électeur ne peut présenter plus d’une candidature par poste à combler »
.
[41]
Des éléments de preuve ont été déposés pour démontrer que la candidature de William Bearhead (candidat no 14 sur la liste préliminaire des candidats) et celle de Cynthia Rain (candidate no 17) avaient été proposées par Gloria Bearhead. De même, la candidature de Larry Bird (candidat no 22) et celle de Gordon Bull (candidat no 23) avaient été proposées par Cecillia Bull. Il s’agit de toute évidence d’une contravention au paragraphe 9(4).
[42]
Or, tous les candidats qui avaient été irrégulièrement mis en candidature se sont retirés de la course, et le nom d’aucun d’entre eux ne figurait sur le bulletin de vote sur lequel étaient inscrits les 26 candidats aux postes de conseiller. Un candidat peut retirer sa candidature « avant la fermeture du scrutin »
, selon le paragraphe 10(1) du Règlement. Il est important de tenir compte du fait que les candidats proposés en question qui auraient profité de cette infraction aux règles de mise en candidature n’étaient pas candidats à l’élection.
[43]
Dans Good, la Cour a conclu que le fait qu’une personne n’a pas réussi à se faire élire est pertinent pour déterminer si une contravention a vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection (Good, aux par. 180 à 182). Je juge que cette contravention au paragraphe 9(4) n’a pas « vraisemblablement influé sur le résultat »
au sens de l’article 31, de sorte que la Cour ne peut accueillir la requête en contestation d’élection sur ce point, compte tenu du fait que les candidats ont retiré leur candidature et n’ont pas brigué les suffrages lors de l’élection.
[44]
Je n’accepte pas non plus la proposition selon laquelle l’effet cumulatif de la preuve démontre que le président d’élection ignorait qu’il présidait cette élection sous le régime de la LEPN et qu’il ne s’est pas assuré de suivre la procédure qui y est prévue.
iii.
La liste électorale
[45]
On a fait valoir à l’audience que les modifications apportées à la liste électorale auraient dû être faites à l’initiative du président d’élection. La liste électorale définitive pour 2018 a été produite par les intimés. On y constate que les modifications ont été apportées à la main. Parmi ces modifications, il y avait celles portant sur l’ajout ou le décès de membres. Je conviens qu’aucune de ces modifications n’est paraphée. Il convient de signaler qu’il n’est pas allégué que la liste électorale définitive contenait des erreurs, mais que les modifications n’étaient pas paraphées.
[46]
Le président d’élection a expliqué comment il avait mis à jour la liste électorale lors du déroulement de l’élection, au fur et à mesure qu’on lui signalait que le nom de certaines personnes avait été omis ou que d’autres étaient décédées. Il ressort clairement du paragraphe 7 de son affidavit que le président d’élection mettait à jour la liste électorale, de manière adéquate, au fur et à mesure que de nouveaux renseignements étaient portés à sa connaissance.
[47]
On trouve à l’article 3 du Règlement les exigences relatives à la liste des électeurs. L’article 3 explique comment compiler la liste (article 3.2) et comment la réviser (article 3.3). Il n’est mentionné nulle part dans la LEPN ou dans le Règlement que les révisions doivent être paraphées. En revanche, d’autres articles du Règlement, notamment ceux concernant l’apposition d’un sceau sur les boîtes de scrutin et d’une marque sur les bulletins de vote postal, mentionnent effectivement l’obligation pour le président d’élection d’apposer ses initiales, ce qui permet de penser que, si les modifications devaient être paraphées, le règlement l’aurait précisé.
[48]
Les requérants n’ont pas étayé leur position suivant laquelle les modifications apportées à la liste des électeurs devaient être paraphées, se contentant d’affirmer que, dans le domaine juridique, il était courant de parapher des documents.
[49]
Comme les requérants n’ont pas formulé de grief précis au sujet de la liste électorale, je ne suis pas d’accord pour dire que l’absence d’initiales en marge des modifications apportées à la liste des électeurs constitue une contravention à la LEPN ou au Règlement.
iv.
Conclusions sur la procédure suivie avant l’élection
[50]
Les requérants n’ont, en fin de compte, pas démontré que les décisions prises par le président d’élection avant l’élection contrevenaient à la LEPN au Règlement, ou qu’une contravention a été commise qui aurait vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.
b)
Le libellé des bulletins de vote
[51]
Les requérants critiquent ensuite le libellé des bulletins de vote en ce qui concerne les postes de conseiller (surbrillance ajoutée) :
i.
Les directives figurant sur les bulletins de vote
[52]
Les requérants affirment tout d’abord que la directive suivante figurant sur le bulletin de vote, à savoir : [traduction] « vous pouvez voter pour moins que cinq candidats »
, était inutile et qu’elle a pu influer sur le résultat de l’élection. Ils ne citent aucun élément de preuve concret pour démontrer que cette mention a le moindrement influé sur le résultat de l’élection.
[53]
Pour ce qui est des directives figurant sur le bulletin de vote, toute ambiguïté était dissipée par l’intitulé [traduction] « CHOISISSEZ JUSQU’À CINQ CANDIDATS »
en lettres majuscules (voir le par. 51 ci‑dessus). Bon nombre d’électeurs ont effectivement choisi le nombre maximal de cinq candidats. En fin de compte, le président d’élection exerce [traduction] « de vastes pouvoirs de surveillance sur le déroulement de ce type d’élections »
(O’Soup, au par. 63). Le président d’élection est engagé pour prendre des décisions sur des questions comme le libellé des bulletins de vote. Il a cherché un juste équilibre en encourageant les électeurs ([traduction] « CHOISISSEZ JUSQU’À CINQ CANDIDATS »
), tout en les informant qu’ils pouvaient voter [traduction] « pour moins que cinq candidats »
s’ils le souhaitaient. La LEPN ne prescrit aucun libellé particulier en ce qui concerne les bulletins de vote, et l’approche adoptée par le président d’élection était sensée. Il ne conviendrait pas d’intervenir pour corriger un problème mineur de choix de mots sur les bulletins de vote ou d’ordonner la tenue d’une nouvelle élection pour ce motif.
[54]
Je vais examiner de plus près cette allégation. Si un électeur a voté pour plus de cinq candidats, son bulletin de vote est annulé. Il semble que six bulletins (numérotés 1365, 1371 à 1374 et 1380) aient été annulés, parce que l’électeur avait voté pour plus de cinq candidats. Cependant, un seul de ces bulletins de vote comportait une tentative de vote pour Roderick Burnstick. Celui‑ci a été le candidat malheureux ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages, puisqu’il s’est classé 6e sur 26, avec un écart de seulement six voix sur le candidat du cinquième rang. L’examen des bulletins nuls a permis de constater que les bulletins 1365, 1371, 1372, 1373 et 1380 ne comportaient pas de vote en faveur de Roderick Burnstick. Seul le bulletin 1374 était en sa faveur. Il aurait fallu que les six bulletins de vote nuls soient tous en sa faveur pour que Roderick Burnstick se retrouve à égalité avec le candidat occupant la cinquième place. Or, la preuve démontre qu’un seul des six bulletins nuls était en sa faveur.
[55]
Rien n’indique que les instructions ont créé de la confusion dans l’esprit d’un nombre suffisant d’électeurs pour que le résultat de l’élection en soit modifié.
ii.
Le nom inscrit sur le bulletin de vote
[56]
En deuxième lieu, requérants affirment que le nom d’« Isaac Rain »
figurant sur le bulletin de vote était trompeur. Ils signalent qu’il y a un Isaac Rain Sr. et un Isaac Rain Jr., et que ce dernier était candidat à l’élection. Son nom complet est Isaac Mason Rain. Les requérants ont déposé des éléments de preuve démontrant que : a) le chèque qu’il avait joint à son formulaire de mise en candidature était libellé sous le nom d’« Isaac Rain Jr. »
; b) son nom est inscrit au 22e rang comme « Isaac Rain Jr. »
sur la liste officielle non datée de candidats; c) sur la liste préliminaire manuscrite des candidats aux postes de conseiller, il est inscrit au 7e rang comme « Isaac Rain Jr. »
De plus, les requérants ont joint une déclaration sous serment dans laquelle Isaac Rain affirme qu’il a été surpris de constater que la mention « Jr. »
ne figurait pas à la suite de son nom sur le bulletin de vote.
[57]
À l’audience, les requérants ont fait valoir devant la Cour, à titre subsidiaire, que, si l’on se fiait à la façon dont Isaac Rain Jr. avait rempli son formulaire de mise en candidature en inscrivant « Isaac Rain »
à la ligne réservée au prénom, et « Rain »
à celle réservée au nom de famille, il aurait en principe fallu que le nom inscrit sur le bulletin de vote soit « Isaac Rain Rain »
.
[58]
En ce qui concerne l’inscription du nom « Isaac Rain »
sur le bulletin de vote, le document déterminant est la déclaration du candidat :
[59]
Comme l’image reproduite ci‑dessus l’illustre, la déclaration n’indique pas qu’il souhaitait que le nom figurant sur le bulletin de vote soit « Isaac Rain Jr. »
La mention « Jr. »
n’apparaît nulle part sur le document. Il a inscrit « Rain »
comme nom de famille et « Isaac Rain »
comme prénom. Il était logique qu’en voyant cette déclaration, le président d’élection inscrive « Isaac Rain »
comme nom sur le bulletin de vote. Il aurait été absurde d’inscrire comme nom sur le bulletin de vote « Isaac Rain Rain »
, du fait que le candidat avait par mégarde inscrit « Rain »
tant sur la ligne de son prénom que sur celle de son nom de famille. Il incombait au candidat de remplir le formulaire en s’assurant que le nom qui y figurait correspondait à celui qu’il voulait voir inscrit sur le bulletin de vote. Le fait qu’il affirme maintenant qu’il a indiqué verbalement « Jr. »
n’a pas le même poids que la preuve relative à son formulaire de déclaration de candidature. Le fait que le formulaire indique comme date d’élection le 28 septembre 2018, ce qui est de toute évidence inexact, ne tire pas à conséquence, étant donné qu’il s’agissait de la date de l’assemblée de mise en candidature et que l’élection a eu lieu le 2 novembre 2018.
[60]
L’argument suivant lequel c’était une erreur de l’inscrire comme « Isaac Rain »
, alors que deux personnes portaient ce nom au sein de la BP (PN), ne signifie pas pour autant que le président d’élection a contrevenu à la loi. Le président d’élection avait notamment l’obligation de faire en sorte qu’un candidat ayant déposé un formulaire de déclaration indique comment il souhaitait que son nom figure sur le bulletin de vote. Il s’avère que d’autres candidats ont inscrit sur le bulletin de vote des surnoms ou des noms d’emprunt, comme « Russell Ted (Rusty) Bird »
, et que d’autres ont utilisé l’initiale de leur deuxième prénom, pour aider les électeurs à les différencier des autres candidats. En revanche, Isaac Rain n’a pas exprimé son désir d’être différencié des autres candidats par l’ajout de la mention « Jr. »
sur le bulletin de vote.
[61]
L’argument serait plus convaincant si Isaac Rain Sr. et Isaac Rain Jr. avaient tous les deux brigué les suffrages à un poste de conseiller, mais ce n’est pas le cas, puisque la candidature d’Isaac Rain Sr. n’a pas été proposée. Malgré la déclaration sous serment dans laquelle Dawn Rain affirme qu’elle croyait voter pour Isaac Rain Sr., et non pour Isaac Rain Jr., un seul Isaac Rain s’est porté candidat à cette élection. En outre, Isaac Rain Jr. n’a pas remporté de siège au conseil, arrivant en fait à la neuvième place avec 140 voix. La façon dont il était désigné sur le bulletin de vote ne contrevenait pas la LEPN et n’aurait de toute façon pas influé sur le résultat de l’élection.
iii.
Les divergences entre le bulletin de vote et le formulaire de mise en candidature
[62]
Troisièmement, les requérants font valoir que la mention de « William Baldwin House »
inscrite sur le bulletin de vote induisait en erreur. Comme le nom inscrit sur la liste préliminaire de candidats proposés était celui de « William N. House »
et que c’était « William Baldwin House »
qui figurait sur le bulletin de vote, ce nom contredit, selon les requérants, celui présenté lors de l’assemblée de mise en candidature et il constitue donc une infraction à la LEPN.
[63]
Comme cet argument n’a pas été invoqué avant les plaidoiries, les intimés n’ont pas eu l’occasion d’y répondre ou de soumettre le formulaire de déclaration de candidature, comme ils l’avaient fait pour Isaac Rain (voir le par. 58 ci‑dessus).
[64]
Après avoir examiné les documents, j’estime qu’ils confirment que, bien qu’il soit désigné comme étant le candidat no 17 « William N. House »
sur le formulaire manuscrit de mise en candidature, il est désigné sur la liste officielle de candidats et sur le relevé du scrutin sous le numéro 17 comme « William Baldwin House »
. Je ne dispose d’aucun élément de preuve me permettant de penser que William Baldwin House n’était pas la même personne que celle dont la candidature avait été proposée et dont le nom figurait sur le bulletin de vote. À défaut d’autres renseignements permettant de savoir si M. House lui‑même, ou quelqu’un d’autre, a réclamé ce changement, je conclus qu’il ne s’agit pas d’une contravention à la LEPN. De plus, M. House est arrivé au 17e rang sur 26 lors de l’élection des conseillers, de sorte que le nom inscrit sur le bulletin de vote n’aurait pas influé sur le résultat de l’élection.
iv.
Conclusions sur le libellé des bulletins de vote
[65]
Le libellé des bulletins de vote ne contrevenait pas à la LEPN, et les requérants n’ont pas démontré que les lacunes prétendues des bulletins de vote auraient vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.
c)
Le soudoiement
i.
Le déjeuner‑causerie organisé par Jason Rain Sr.
[66]
En troisième lieu, les requérants affirment qu’il y a eu soudoiement, en contravention à l’alinéa 16f) de la LEPN. Les requérants font valoir que le président d’élection n’aurait pas dû permettre à Jason Rain Sr. — un candidat retenu pour un poste de conseiller — de tenir, six jours avant l’élection, un [traduction] « dîner‑causerie »
où l’on servirait de la soupe, du bannock et du champagne. Durant la plaidoirie, la requérante, Mme Bird, a mentionné que Jason Rain était son cousin, mais qu’il aurait dû savoir qu’il ne devait pas être l’hôte d’une telle activité.
[67]
Jason Rain Sr. a fait la promotion de ce dîner-causerie sur Facebook :
[68]
L’alinéa 16f) interdit à quiconque d’« offrir de l’argent, des biens, un emploi ou toute autre contrepartie valable en vue d’inciter un électeur à voter ou à s’abstenir de voter, ou encore à voter ou à s’abstenir de voter pour un candidat donné »
.
[69]
Le juge Mandamin s’est penché sur la question de l’achat de votes au sens d’un code coutumier électoral dans Henry c Conseil coutumier de la Première Nation Anishinabe de Roseau River, 2017 CF 1038. Il a insisté sur l’importance de la liberté de choix des électeurs et sur l’importance de la confiance envers les représentants élus (par. 48 et 49). Malgré cela, le juge Mandamin a conclu qu’« il ne [pouvait] s’agir de soudoiement ni d’achat de vote, lorsque l’argent [était] donné sans la condition de voter pour une personne en particulier »
(par. 59).
[70]
Dans la présente affaire, le dîner‑causerie a eu lieu un dimanche après‑midi, et le scrutin s’est déroulé le vendredi suivant. J’accepte l’opinion générale des intimés suivant laquelle il est fréquent lors de toute élection — qu’il s’agisse d’une élection au sein d’une Première Nation ou non — de parrainer des activités, y compris des dîners, lors d’une campagne électorale. Je conclus qu’il ne s’agit pas de soudoiement. Mais, même si j’ai tort, il n’en demeure pas moins que Jason Rain s’est fait élire six jours plus tard avec une majorité de plus de cinquante voix sur le candidat au poste de conseiller ayant recueilli le plus grand nombre de suffrages parmi les candidats malheureux. Attribuer la cinquantaine de voix en question au dîner‑causerie relèverait de la spéculation, d’autant plus que Jason Rain avait énuméré plusieurs points de son programme sur l’affiche annonçant cette activité, laquelle semble avoir été une activité authentique organisée dans le cadre de sa campagne pour communiquer ses idées à la communauté.
ii.
Conclusions sur le soudoiement
[71]
Je vais par conséquent rejeter l’allégation des requérants sur ce moyen, puisque je conclus qu’il n’y a pas eu contravention à la LEPN et que, même si cela avait été le cas, elle n’aurait pas influé sur le résultat.
d)
Le personnel électoral
[72]
En ce qui concerne le personnel électoral, les requérants ont exprimé quatre réserves dans l’ensemble de leurs documents. Premièrement, ils laissent entendre que les électeurs qui avaient besoin d’aide pour voter n’ont pas reçu l’assistance appropriée. Deuxièmement, ils affirment que deux présidents d’élection adjoints n’auraient pas dû voter à l’élection, étant donné qu’ils étaient censés être impartiaux. Troisièmement, les requérants font valoir que les personnes affectées au dépouillement du vote n’étaient pas indépendantes. Quatrièmement, ils affirment que la rémunération du président d’élection était trop élevée.
i.
L’assistance aux électeurs
[73]
La première question concernant le personnel électoral porte sur l’assistance offerte aux électeurs. Shannon Bird affirme qu’on a refusé de lui permettre d’offrir son aide à Thomas Kimiksana Jr. [Thomas ou M. Kimiksana Jr.], un électeur souffrant d’un traumatisme crânien. Shannon Bird a demandé qu’on lui permette d’accompagner M. Kimiksana Jr. jusqu’à l’isoloir. On lui a refusé cette permission, mais le président d’élection [traduction] « a laissé Thomas voter seul, de sorte que je ne suis pas certaine que Thomas a pu voter correctement, puisqu’il n’a pas reçu d’assistance »
. Les requérants ont affirmé dans leur plaidoirie qu’on aurait dû permettre à M. Kimiksana Jr. d’être assisté [traduction] « d’une personne, par exemple d’un témoin »
, mais ils n’ont pas précisé leur pensée.
[74]
Le paragraphe 21(6) prévoit que lorsqu’un électeur est dans l’isoloir pour marquer son bulletin de vote, personne d’autre ne doit pouvoir voir son bulletin de vote. Par ailleurs, le paragraphe 21(7) du Règlement, sous l’intitulé Assistance, indique qu’à la demande de l’électeur qui est incapable de voter de la manière habituelle, le président d’élection ou le président d’élection adjoint « remplit, en présence d’un témoin choisi par l’électeur »
, le bulletin de vote de l’électeur. Si le président d’élection ou un président d’élection adjoint a fourni son assistance à un électeur, cela doit ensuite être inscrit sur la liste des électeurs.
[75]
La LEPN et le Règlement ne renferment aucune disposition qui permettrait à une autre personne que le président d’élection ou le président d’élection adjoint d’aider quelqu’un à voter. Le président d’élection a eu raison de refuser de permettre à Shannon Bird d’aider M. Kimiksana Jr. à voter, mais si l’argument est qu’en tant que témoin, elle aurait vu le bulletin de vote, il semblerait illogique qu’on permette au témoin, au président d’élection et à l’électeur de se retrouver tous ensemble dans l’isoloir, compte tenu des dispositions relatives à la confidentialité de l’isoloir du paragraphe 21(6). Selon mon interprétation, le Règlement signifie que le président d’élection et l’électeur devaient se rendre dans l’isoloir et que le rôle du témoin ne consistait pas à voir le bulletin de vote, mais à s’assurer que seuls le président d’élection et l’électeur pénètrent dans l’isoloir et que rien de déplacé n’arrive. Rien ne permet de penser que M. Kimiksana Jr. n’a pas pu voter pour qui il voulait. Shannon Bird a effectivement vu le président d’élection aider M. Kimiksana Jr. à marquer son bulletin de vote, mais elle n’a pas personnellement vu le bulletin de vote.
[76]
À titre subsidiaire, même si Shannon Bird aurait dû être autorisée, en tant que témoin, à voir le bulletin de vote, en ce sens qu’il s’agissait techniquement d’une contravention à la LEPN, cette contravention n’aurait vraisemblablement pas influé sur le résultat de l’élection, puisqu’il ne s’agissait que d’un seul vote. De même, bien que le président d’élection n’ait pas inscrit sur la liste des électeurs qu’il avait assisté M. Kimiksana Jr., alors qu’il devait le faire, cette omission n’aurait vraisemblablement pas influé sur le résultat de l’élection.
[77]
Il ressort de ces faits qu’il n’est pas allégué que le président d’élection a rempli le bulletin de vote différemment de ce que M. Kimiksana Jr. lui avait indiqué. En outre, les requérants ont reconnu que le président d’élection n’était pas membre de la bande, ce qui affaiblit leur position selon laquelle il aurait eu un parti pris ou aurait eu une raison d’influencer le vote de M. Kimiksana Jr.
[78]
Je conclus qu’il n’y a pas eu de contravention à la LEPN ou au Règlement du fait que le président d’élection a aidé M. Kimiksana Jr. à voter.
ii.
Les présidents d’élection adjoints
[79]
La deuxième contravention alléguée relativement au personnel électoral concerne les présidentes d’élection adjointes Veronica Rain Bearhead et Shalanna Rain. Suivant les requérants, elles se trouvaient en situation de conflit d’intérêts, parce qu’elles étaient toutes les deux des membres de la bande ayant voté lors de cette élection et avaient donc un intérêt personnel.
[80]
Aux termes du paragraphe 15(2) du Règlement, le président d’élection n’est pas habile à voter, mais ce n’est pas la question qui se pose en l’espèce, étant donné que le président d’élection n’a jamais tenté de voter et qu’il n’est même pas membre de la bande. Le paragraphe 2(4) du Règlement permet au président d’élection de nommer des adjoints, mais rien dans la LEPN ou le Règlement ne prévoit qu’un adjoint ne peut être membre d’une bande et ne peut voter lors de l’élection. Dans son affidavit, le président d’élection mentionne que, le 31 août 2018, il a nommé trois présidents d’élection adjoints pour faciliter le déroulement de l’élection. Ils ont tous les trois signé un formulaire dans lequel ils affirmaient qu’ils s’acquitteraient de leurs fonctions conformément à la LEPN. La LEPN et le Règlement n’interdisent pas à un président d’élection adjoint de voter lors de l’élection tenue au sein de sa bande. Les requérants n’ont pas non plus établi l’existence d’un parti pris ou d’un conflit qui aurait empêché ces adjoints de s’acquitter de leurs fonctions. Je conclus qu’il n’y a pas eu de contravention à la LEPN ou au Règlement du fait de la nomination des présidentes d’élection adjointes qui étaient membres de la bande et qui ont voté.
iii.
Les compteurs indépendants
[81]
Comme nous l’avons déjà expliqué au paragraphe 11, dans l’énoncé des faits, la position des requérants est que l’absence de compteurs indépendants constitue une contravention à la LEPN et au Règlement. Dans ce contexte, le manque d’indépendance semble avoir trait au fait que les compteurs sont des membres de la bande ou des parents de ceux‑ci. La pièce L1 de l’affidavit de Laura Bird est une déclaration faite sous serment, dans laquelle Bernice Bird affirme que, lors du dépouillement initial, elle a constaté ceci : [traduction] « Les compteuses étaient des épouses ou des sœurs des candidats à l’élection »
ainsi que [traduction] « quelques dames que je ne connais pas »
.
[82]
Les requérants ont déposé une déclaration faite sous serment de Shannon Bird, laquelle décrivait la manière dont le dépouillement s’était déroulé. La preuve de Shannon Bird correspond au récit fait par le président d’élection (voir le par. 11, dans l’exposé des faits). Rien dans la preuve ne permet de conclure qu’il y a effectivement eu un parti pris ou une autre contravention à la LEPN ou au Règlement. Je conclus que le système de comptage des votes qui a été établi en l’espèce, comportant des personnes affectées au dépouillement et un président d’élection adjoint à chaque table, constituait une procédure équitable. La procédure de dépouillement des voix est encadrée par des personnes indépendantes, ainsi que par des adjoints tenus d’agir équitablement.
[83]
Avec près de 700 bulletins de vote déposés dans une petite communauté où 26 candidats briguaient les suffrages pour un poste de conseiller, et cinq le poste de chef, il était inévitable que des conflits surgissent entre les différents compteurs. Mais des adjoints ont été postés à chaque table lors du dépouillement du 2 novembre pour éviter toute manipulation des résultats de l’élection. La question du manque d’indépendance des compteurs ne se posait plus le 3 novembre, lorsque le président d’élection et les présidents d’élection adjoints ont effectué ensemble le recomptage plus minutieux ayant mené aux résultats officiels. Aucune personne non indépendante qui aurait pu influencer dans un sens ou dans l’autre le premier dépouillement du 2 novembre ne se trouvait parmi les personnes qui ont procédé au dépouillement lors du recomptage du 3 novembre. Rien n’indique que des compteurs aient contesté les résultats définitifs lorsque le président d’élection et les adjoints ont terminé le décompte final.
[84]
Je conclus que l’argument des requérants, selon lequel l’élection était entachée d’irrégularités, parce que certains des compteurs n’étaient pas indépendants, est mal fondé.
iv.
Le président d’élection
[85]
En quatrième lieu, les requérants affirment, en ce qui concerne la rémunération du président d’élection, que ce dernier a été payé entre 30 000 $ et 40 000 $ pour présider l’élection, ce qui constituait [traduction] « une somme considérable »
. De plus, lors de la plaidoirie, les requérants ont mentionné à plusieurs reprises que le président d’élection était bien connu dans la communauté et que, d’une certaine manière, cela le rendait inhabile à exercer cette fonction ou, à tout le moins, était un motif suffisant pour que j’annule l’élection.
[86]
Le président d’élection a été régulièrement nommé le 28 août 2018, aux termes d’une résolution du conseil de bande (annexe L de l’affidavit de Laura Bird). À l’exception de ce document, aucun élément de preuve n’a été présenté pour appuyer les allégations concernant la nomination du président d’élection ou sa rémunération.
[87]
À la lumière de ces faits, je ne remettrai pas en question la nomination de la personne que la bande a choisie à titre de président d’élection. La rémunération versée au président d’élection n’est pas non plus un motif permettant à la Cour d’intervenir, étant donné que la nomination était valide sous le régime de la LEPN.
v.
Conclusions sur le personnel électoral
[88]
Je conclus qu’aucune des questions soulevées au sujet du personnel électoral ne constitue une contravention à la LEPN.
e)
Les méthodes de dépouillement et de recomptage des bulletins de vote
[89]
Outre les diverses questions qui ont été examinées au sujet de la procédure suivie avant le dépouillement, les requérants soulèvent des préoccupations relativement à la méthode suivie lors du dépouillement et du recomptage des bulletins de vote. Ils font valoir que la décision de procéder à un recomptage était mal avisée, parce qu’un recomptage n’aurait dû avoir lieu qu’en cas d’écart de cinq voix ou moins. Ils prétendent en outre que, lorsque la décision d’ordonner le recomptage a été prise, les boîtes de scrutin n’ont pas été scellées correctement pour la nuit avant le recomptage. Les requérants affirment que les bulletins de vote postal sont apparus soudainement au cours du recomptage et que la méthode utilisée pour les dépouiller n’a pas été clairement expliquée. Ils s’inquiètent du fait qu’il a fallu recommencer le recomptage en cours de route. Les requérants allèguent un manque de transparence générale ayant marqué le processus relatif au dépouillement des bulletins de vote et à l’annulation de certains d’entre eux.
[90]
Ces préoccupations valent pour le dépouillement et le recomptage des bulletins de vote pour les postes de conseiller, bien que les requérants soulèvent également une question au sujet du dépouillement distinct des bulletins de vote pour le poste de chef. Ils affirment que le relevé du scrutin concernant l’élection au poste de chef — le document officiel faisant état des résultats — n’est pas exact.
[91]
Les requérants laissent également entendre qu’un des membres du personnel électoral aurait dû expulser la personne qui s’était présentée en état d’ivresse au bureau de scrutin lors du dépouillement des bulletins de vote.
i.
La décision d’effectuer un recomptage
[92]
Examinons tout d’abord la première des trois allégations concernant le dépouillement des suffrages, laquelle a trait à la décision prise le soir du 2 novembre de procéder à un recomptage. Le paragraphe 24(2) du Règlement prévoit que, lorsqu’un candidat a été élu avec un écart de cinq voix ou moins, cet écart est suffisant pour qu’il y ait un recomptage.
[93]
Shannon Bird a déclaré ce qui suit : [traduction] « Il y avait trois candidats avec un écart de cinq voix, de sorte que Bernie a déclaré qu’il y aurait un recomptage »
pour les candidats au poste de conseiller qui étaient arrivés aux quatrième, cinquième et sixième rangs. Il y avait effectivement des motifs suffisants pour ordonner un recomptage. Dans son affidavit, le président d’élection donne une version des faits légèrement différente : [traduction] « Selon les résultats du premier dépouillement, les candidats aux postes de conseiller qui étaient arrivés aux quatrième et cinquième rangs avaient tous les deux un écart de neuf vois avec le candidat occupant la sixième place. »
Les termes vagues employés par le président d’élection donnent à penser que l’écart entre les cinquième et sixième places était peut‑être, en fait, supérieur à cinq voix, contrairement au critère prévu au paragraphe 24(2). Pourtant, même si l’on retenait la version des faits du président d’élection, il serait toujours possible qu’il y ait eu un écart inférieur à neuf voix entre les cinquième et sixième places. En raison du manque de données concernant le premier dépouillement et de l’imprécision des affidavits, sans oublier le fait que la charge de la preuve repose sur les requérants, je ne peux conclure que la décision d’ordonner un recomptage était mal avisée.
[94]
Le paragraphe 20(4) du Règlement prévoit que les bureaux de scrutin doivent être ouverts jusqu’à 20 h, ce qui a été respecté en l’espèce. Le président d’élection a précisé que le recomptage aurait lieu le lendemain à midi, se conformant ainsi aux paragraphes 24(2) et (3) du Règlement. Compte tenu du fait que le premier dépouillement de près de 700 bulletins de vote s’était poursuivi longtemps après la fermeture des bureaux de scrutin, je conclus que le fait d’attendre au lendemain pour procéder au recomptage ne posait aucun problème. Je ne remettrai pas en question la décision de procéder au recomptage. Je conclus que cette décision était conforme au Règlement.
ii.
La conservation des bulletins de vote pendant le recomptage
[95]
L’allégation d’irrégularité suivante qu’ont soulevée les requérants est que le président d’élection n’a pas pris les mesures appropriées pour conserver les bulletins de vote entre le premier dépouillement et le recomptage. Ils affirment qu’ils ignorent ce qui s’est passé ce soir‑là et ce qu’il est advenu des bulletins de vote ou si ceux-ci avaient été manipulés. À l’audience, la requérante, Mme Bird, a déclaré ce qui suit :
[traduction]
Les bulletins de vote n’ont pas été placés dans une [enveloppe] scellée ou devant témoin ou quelque chose qui me démontrerait à moi, à Matthew, aux gens là‑bas, à notre Nation, que les bulletins de vote n’ont pas été manipulés au cours de la nuit […] c’est la transparence et la reddition de comptes auxquelles nous nous attendons aussi […] elles devraient être paraphées et placées de façon à ce qu’il soit impossible de les ouvrir… les placer dans une enveloppe jaune scellée n’est pas sûr. Pour moi, il s’agit de la sauvegarde de notre Nation, de sorte que, pour les protéger, il aurait fallu les déposer dans une boîte, une boîte de métal, et confier la clé à quelqu’un d’autre, et revenir le lendemain, et fixer une heure pour ouvrir la boîte devant tout le monde et me rendre les clés. [Transcription de l’enregistrement du SEA]
[96]
Le paragraphe 24(4) du Règlement prévoit que, si le recomptage n’a pas lieu immédiatement après le dépouillement du scrutin, le président d’élection doit placer les bulletins de vote dans des boîtes de scrutin scellées qu’il garde en lieu sûr jusqu’au recomptage. Plus précisément, le président d’élection « place tous les bulletins de vote dans des enveloppes qu’il scelle de façon qu’il soit impossible de les ouvrir sans en briser le sceau »
, appose ensuite ses initiales sur le sceau et dépose les enveloppes scellées dans la boîte de scrutin qu’il scelle.
[97]
Les affidavits et les arguments présentés à l’audience confirmaient que les bulletins de vote avaient été placés dans des enveloppes jaunes qui avaient été scellées et déposées dans des boîtes de scrutin scellées. Le président d’élection a déclaré sous serment que [traduction] « les boîtes de scrutin [avaient] été scellées et gardées en ma possession dans la nuit du 2 au 3 novembre 2018, jusqu’à ce que le recomptage [ait été] commencé »
.
[98]
Coreen House a confirmé par écrit, comme en fait foi la [traduction] « Déclaration du témoin à l’ouverture du recomptage »
du 3 novembre 2018, que les bulletins de vote avaient été descellés à midi pour procéder au recomptage (annexe J de l’affidavit du président d’élection). Dans sa déclaration faite sous serment soumise par les requérants, Shannon Bird a affirmé que le président d’élection avait, en compagnie d’un président d’élection adjoint, [traduction] « placé les bulletins de vote dans des enveloppes scellées et déclaré qu’on ne les rouvrirait qu’au moment où le dépouillement débuterait à midi, pour effectuer le recomptage relativement aux trois candidats »
.
[99]
La seule allusion au fait que les bulletins de vote auraient été mal conservés se trouve au paragraphe 5 de l’affidavit de Laura Bird, où cette dernière déclare, sous forme de ouï‑dire, que [traduction] « Bernice Bird mentionne l’absence de sceau de sécurité et le fait que les enveloppes ont été déposées sur la table »
. Bernice Bird a effectivement fait une déclaration sous serment, toutefois, qui n’a pas signalé de problèmes au sujet de la conservation des bulletins de vote au cours de la nuit.
[100]
En ce qui concerne les observations faites oralement par les requérants au sujet du fait que les bulletins de vote avaient été conservés dans une grande enveloppe jaune, plutôt que dans une boîte de scrutin en métal munie d’une clé qui aurait été remise à un tiers, ces arguments n’ont pas été présentés dans les documents écrits. De plus, la LEPN ne prescrit pas de tels protocoles spécifiques.
[101]
Je conclus que les mesures prises pour conserver les bulletins de vote au cours de la nuit ne constituent pas une contravention à la LEPN.
iii.
L’interruption et la reprise du recomptage
[102]
Il semble que le recomptage ait été interrompu puis repris en raison de questions soulevées par Shannon Bird et/ou Elania Adams. Les résultats du recomptage préliminaire n’ont pas été communiqués, si l’on fait abstraction de l’argument des requérants qu’il y avait un écart de quatre voix (164 à 160) entre les cinquième et sixième places avant la reprise du recomptage. Après avoir remarqué une différence entre les résultats du dépouillement initial et ceux du recomptage, Shannon Bird a affirmé avoir dit ce qui suit à M. Makokis : [traduction] «
Bernie, nous les gens de la Première Nation de Paul, nous vous donnons beaucoup d’argent pour présider notre élection, de sorte que nous nous attendons à ce que les choses soient faites
correctement. »
Au paragraphe 29 de sa déclaration sous serment, Dawn Rain confirme que [traduction] « les bulletins de vote ont été recomptés au moins deux fois au gymnase de l’école de la bande de Paul »
.
[103]
Le président d’élection aurait pu mieux documenter les résultats du dépouillement du 2 novembre ainsi que du recomptage du 3 novembre, et mieux expliquer le raisonnement derrière la décision de reprendre le recomptage. Mais aucune des parties n’a présenté à la Cour d’éléments de preuve détaillant les résultats de l’un ou l’autre des dépouillements, hormis les bulletins de vote mêmes.
[104]
Bien que la LEPN ne donne pas explicitement au président d’élection le pouvoir de reprendre un recomptage, ce qui s’est produit en l’espèce ne saurait être qualifié de contravention à la LEPN ou au Règlement, et, s’il y a effectivement eu contravention, celle‑ci n’aurait pas influé sur le résultat de l’élection. En outre, comme nous le verrons plus loin, le dernier recomptage a permis d’obtenir le résultat exact.
iv.
Les bulletins de vote nuls
[105]
Les requérants ont avancé un argument selon lequel Shannon Bird avait affirmé qu’un des compteurs présents au dépouillement du 2 novembre [traduction] « lisait les bulletins de vote à haute voix, sans nous les montrer »
et [traduction] « avait effectivement mis de côté certains bulletins de vote, en indiquant qu’elle était d’avis qu’ils étaient nuls »
. Shannon Bird a affirmé que, lors du recomptage du 3 novembre, des bulletins de vote avaient été annulés et mis de côté, et elle a ajouté ceci : [traduction] « Il n’a pas été mentionné pourquoi ils étaient nuls, et ils n’ont pas été montrés aux compteurs. »
Dans leur plaidoirie, les requérants ont laissé entendre que 16 bulletins de vote nuls étaient soudainement apparus, alors qu’il n’y avait à l’origine aucun bulletin de vote nul.
[106]
Cette allégation des requérants est incompatible avec les éléments de preuve qu’ils ont eux‑mêmes présentés en produisant les déclarations sous serment de Shannon Bird et de Dawn Rain. Ces deux déclarations confirment qu’au moins quelques bulletins de vote avaient déjà été considérés comme nuls au cours du premier dépouillement, que l’on avait montré à Dawn Rain le bulletin de vote nul provenant de sa table et qu’elle n’avait pas disconvenu du fait qu’il était nul.
[107]
La Cour a dépouillé les 691 bulletins de vote (675 bulletins de vote valides et 16 bulletins de vote nuls) soumis par le président d’élection. Le calcul de la Cour confirme que les résultats du denier recomptage reflètent fidèlement les résultats obtenus par les cinq candidats ayant recueilli le plus grand nombre de voix pour les postes de conseiller, et que le nombre total de bulletins de vote correspond aux résultats officiels. Les 16 derniers bulletins de vote pour les postes de conseiller qui faisaient partie de ce lot de bulletins de vote étaient effectivement nuls, puisqu’ils ne contenaient aucun vote, que l’électeur avait voté pour plus de cinq candidats ou que les marques étaient illisibles.
[108]
Le fait que les résultats du dépouillement distinct du vote pour le poste de chef semblent faire état de 13 bulletins de vote nuls et de 676 bulletins de vote valides confirme qu’aucun acte répréhensible n’a été commis. Le nombre presque identique de bulletins de vote nuls pour le poste de chef et pour ceux de conseiller donne à penser qu’il n’y avait rien de suspect dans le fait qu’il y avait 16 bulletins de vote nuls pour les postes de conseiller.
[109]
Je conclus qu’il n’y a pas eu de contravention à la LEPN en ce qui concerne les bulletins de vote nuls.
v.
Les bulletins de vote postal
[110]
En ce qui concerne les bulletins de vote postal, Dawn Rain affirme, dans sa déclaration sous serment, que les bulletins de vote postal n’avaient pas été calculés lors du dépouillement initial et qu’on en avait tenu compte seulement lors du recomptage.
[111]
Le président d’élection a rétorqué que six bulletins de vote postal avaient été reçus et que quatre d’entre eux avaient été retenus et deux rejetés pour défaut de remplir la déclaration de l’électeur devant accompagner le bulletin de vote postal (par. 12 de l’affidavit du président d’élection).
[112]
Le protocole suivi par le président d’élection était conforme à l’article 22 du Règlement concernant l’acceptation ou le rejet des bulletins de vote postal. Je souligne que Dawn Rain était compteuse à une seule des tables de dépouillement et qu’il n’y a aucune preuve démontrant que les bulletins de vote postal n’ont pas été comptés à une autre table, lors du premier dépouillement. Dawn Rain a d’ailleurs précisé qu’elle n’était pas présente lors du recomptage. En tout état de cause, les éléments de preuve contenus dans l’affidavit du président d’élection et dans la déclaration sous serment de Mme Rain, ajoutés au dépouillement mentionné ci‑dessus au paragraphe 104, donnent à penser que les quatre bulletins de vote postal valides ont effectivement été recensés régulièrement lors du recomptage. Il n’y a donc pas eu de contravention à la LEPN.
vi.
Le dépouillement des bulletins de vote pour le poste de chef
[113]
En ce qui concerne l’erreur que contiendrait le relevé du scrutin pour le poste de chef, cet argument était fondé sur l’opinion suivant laquelle le relevé faisait état de 678 voix pour le poste de chef, alors qu’il y avait en réalité 676 voix. Cette allégation n’est à mon avis pas fondée. Au paragraphe 19 de son affidavit, le président d’élection fait remarquer que [traduction] « 676 bulletins de vote ont été jugés valides, et 13 ont été rejetés »
en ce qui concerne le poste de chef. Le relevé officiel du scrutin indique ce qui suit, en ce qui concerne le poste de chef : [traduction] « Nombre de bulletins de vote valides exprimés en faveur des candidats au poste de chef : 676. »
Le total des suffrages recueillis par chacun des cinq candidats — 206 pour Arthur Rain, 152 pour Casey Bird, 147 pour Aaron Bird, 143 pour Daniel Paul et 28 pour Joe Bird — est de 676. Le président d’élection a même soutenu que les 676 bulletins de vote valides pour le poste de chef étaient numérotés de 1 à 676. Il n’y a pas d’erreur de calcul sur ce formulaire, et il n’y a pas de contravention à la LEPN.
vii.
La personne en état d’ivresse
[114]
Enfin, les requérants ont mentionné qu’une personne en état d’ébriété s’était présentée dans le gymnase de l’école au cours du recomptage des bulletins de vote et que cela constituait une contravention à la LEPN. Les requérants n’ont pas précisé en quoi cet incident constituerait une contravention à la LEPN, ni comment cela aurait pu influer sur le résultat de l’élection. La position des requérants est simplement que, comme le président d’élection était un aîné, il aurait dû expulser cette personne lors du recomptage.
[115]
Le paragraphe 21(1) de la LEPN prévoit que le président d’élection ou le président d’élection adjoint « peut ordonner à une personne de quitter le bureau de scrutin si cette personne commet une infraction à la présente loi qui menace l’ordre public dans ce bureau »
, mais cela lui permet d’exercer son pouvoir discrétionnaire.
[116]
Compte tenu de la preuve très limitée dont dispose la Cour, la décision discrétionnaire de ne pas expulser cette personne alors que le personnel électoral effectuait un recomptage ne constitue pas une contravention à la LEPN, d’autant plus que la personne en question ne dérangeait que par ses paroles.
viii.
Conclusions sur les méthodes de dépouillement et de recomptage des bulletins de vote
[117]
Les requérants n’ont pas démontré que l’un ou l’autre des problèmes survenus lors du dépouillement et du recomptage des bulletins de vote constituait une contravention à la LEPN et qu’il aurait vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection.
V.
Conclusion
[118]
Les requérants ont fait valoir à titre subsidiaire, lors de la plaidoirie, que l’accumulation de toutes ces petites erreurs justifiait leur demande de tenue d’une nouvelle élection à titre de réparation. Toutefois, le libellé de l’article 31 de la LEPN est clair : je dois rechercher « une contravention à l’une des dispositions de la présente loi ou des règlements »
qui a « vraisemblablement influé sur le résultat »
. C’est l’existence d’une seule contravention qui doit avoir vraisemblablement influé sur le résultat de l’élection, et non l’accumulation de plusieurs problèmes allégués, concernant de légères variantes dans le nom des candidats ou les formalités procédurales. Vu ma conclusion qu’aucune des contraventions à la LEPN n’a influé sur le résultat de l’élection, je n’ordonnerai pas la tenue d’une nouvelle élection.
[119]
Les requérants n’ont pas démontré l’existence d’une contravention à la LEPN justifiant la tenue d’un nouveau scrutin ou un manquement à l’équité procédurale dans la Bande de Paul (Première Nation). Par conséquent, je suis d’avis de rejeter la présente requête en contestation des résultats de l’élection.
[120]
J’ai indiqué à l’audience que je modifierais l’intitulé de la cause conformément à l’article 303 des Règles des Cours fédérales, mais je ne le ferai pas.
VI.
Les dépens
[121]
Les requérants sollicitaient 30 000 $ à titre de dépens dans le cas où ils obtiendraient gain de cause. Les intimés ont laissé à la discrétion de la Cour la question des dépens.
[122]
Compte tenu du fait que les requérants agissaient pour leur propre compte et qu’ils ont mentionné qu’ils ne comptaient que sur leurs propres ressources financières en l’espèce, je n’adjugeai aucuns dépens. Les parties supporteront leurs propres frais.
JUGEMENT dans le dossier T‑2063‑18
LA COUR STATUE :
que la présente requête est rejetée;
que les parties supporteront leurs propres frais.
« Glennys L. McVeigh »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 7e jour de juillet 2020
C. Laroche, traducteur
Annexe A — les dispositions législatives et réglementaires applicables
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑2063‑18
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INTITULÉ :
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LAURA S. BIRD, MATTHEW W. ADAM c. BERNIE MAKOKIS, PRÉSIDENT D’ÉLECTION, BANDE DE PAUL BAND (PREMIÈRE NATION)
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Edmonton (Alberta)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 9 MARS 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE MCVEIGH
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DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
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LE 2 AVRIL 2020
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COMPARUTIONS :
Laura S. Bird
Matthew W. Adam
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POUR LES requérants
POUR LEUR PROPRE COMPTE
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David B. Yesdresyski
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POUR LES intimés
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David B. Yesdresyski Professional Corporation
Avocat
Edmonton (Alberta)
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POUR LES intimés
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