Décisions de la Cour fédérale

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Dossiers : IMM-1842-19

IMM-1843-19

Référence : 2020 CF 498

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2020

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

A.B.

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, A.B., a présenté deux demandes de contrôle judiciaire au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Ces demandes concernent deux décisions rendues par le même agent principal [l’agent]. Dans des décisions distinctes datées chacune du 22 février 2019, l’agent a rejeté les demandes d’A.B. visant à obtenir un examen des risques avant renvoi [ERAR] et un visa de résident permanent de l’intérieur du Canada pour considérations d’ordre humanitaire.

[2]  A.B. demande à la Cour d’annuler chacune des décisions de l’agent et de renvoyer les deux affaires pour qu’un agent différent rende de nouvelles décisions, à la lumière de toute instruction que la Cour jugera appropriée. La Cour est donc appelée à décider s’il était raisonnable pour l’agent de rejeter les demandes.

I.  Le contexte

[3]  A.B. a quitté le Rwanda fin septembre 2016 pour assister à une journée culturelle rwandaise organisée à San Francisco. Pendant le séjour d’A.B. aux États‑Unis, sa femme lui a téléphoné pour l’informer que des agents des services de sécurité du gouvernement s’étaient rendus chez eux, car ils étaient à sa recherche, et ont dit à sa femme qu’ils tueraient A.B. lorsqu’ils le retrouveraient. Après cet appel téléphonique, A.B. est demeuré aux États‑Unis en tant que visiteur jusqu’au 20 avril 2017, date à laquelle il est entré au Canada pour demander l’asile.

[4]  A.B. a fondé sa demande d’asile sur les opinions politiques qu’on lui imputait au Rwanda; il n’a pas fait d’allégation contre de l’Ouganda. A.B. n’a pas fait savoir à son conseil qu’il était bisexuel, car il croyait que cette information n’était pas pertinente dans le cadre de sa demande d’asile.

[5]  La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu qu’A.B. était un citoyen du Rwanda et, à la lumière des documents présentés par A.B., qu’il était également un citoyen de l’Ouganda. La SPR a décidé d’entendre sa demande d’asile uniquement contre l’Ouganda. La SPR n’a tiré aucune conclusion concernant la demande d’asile d’A.B. contre le Rwanda. La SPR a rejeté la demande d’asile d’A.B. au début du mois de juillet 2017. En octobre 2017, la Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par A.B. au sujet de la décision de la SPR.

[6]  A.B. a présenté une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire en février 2018 et une demande d’ERAR en décembre 2018. Il a révélé pour la première fois son orientation sexuelle à l’avocat qui l’a aidé à présenter sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il a également révélé qu’il entretenait une relation avec un homme au Canada et a présenté une preuve de l’existence de cette relation, tant dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire que dans sa demande d’ERAR.

II.  Les décisions faisant l’objet d’un contrôle

A.  La décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

[7]  A.B. a fondé sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire sur ses antécédents de persécution au Rwanda, sur la persécution et le risque auxquels, selon lui, il ferait face en Ouganda, sur sa bisexualité et sa séropositivité, sur l’intérêt supérieur de ses enfants au Rwanda et en Ouganda, sur sa santé mentale ainsi que sur son établissement au Canada.

[8]  Lorsqu’il a rejeté la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, l’agent a apprécié les difficultés et la discrimination qui, alléguait A.B., l’attendaient au Rwanda et en Ouganda. L’agent a conclu que, bien que la séropositivité d’A.B. et son réseau de soutien au Canada soient des facteurs déterminants, il serait néanmoins en mesure de recevoir un traitement adéquat au Rwanda, et il obtiendrait également le soutien de sa famille dans ce pays.

[9]  Après avoir apprécié l’ensemble des éléments de preuve présentés, l’agent n’était pas convaincu qu’A.B. ne pourrait pas retourner au Rwanda ou que les difficultés qu’il pourrait rencontrer en ce faisant justifiaient une dispense de l’exigence habituelle de demander un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada. L’agent a conclu que les considérations d’ordre humanitaire associées à la situation d’A.B. ne justifiaient pas une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR.

B.  La décision relative à l’ERAR

[10]  A.B. a fondé sa demande d’ERAR sur ses antécédents en matière de persécution politique au Rwanda et sur la persécution à laquelle il serait exposé en Ouganda et au Rwanda en raison de sa bisexualité et de sa séropositivité. L’agent a fait remarquer que la demande d’asile d’A.B. concernait ses allégations de risque uniquement contre l’Ouganda, et non contre le Rwanda; ainsi, l’agent a examiné tous les éléments de preuve fournis par A.B. en tant que nouvelle preuve étayant ses allégations relativement au risque qu’il encourait au Rwanda.

[11]  L’agent a souligné qu’A.B. avait la double nationalité rwandaise et ougandaise et a conclu qu’il n’était pas exposé à un risque au Rwanda, aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR. En s’appuyant sur cette conclusion, l’agent a jugé qu’il n’était pas nécessaire d’analyser le risque auquel serait exposé A.B. en Ouganda.

III.  La preuve

[12]  A.B. a présenté essentiellement la même preuve pour les besoins de sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et de sa demande d’ERAR.

A.  Les décisions relatives aux considérations d’ordre humanitaire et à l’ERAR

(1)  La persécution étatique au Rwanda

[13]  En appréciant l’allégation d’A.B. relative à la persécution étatique au Rwanda, l’agent a examiné l’affidavit d’A.B., la preuve corroborante qu’il a fournie ainsi que les éléments de preuve documentaire qui démontraient que les autorités rwandaises avaient ciblé et détenu arbitrairement des personnes perçues comme étant des opposants politiques. L’agent n’était pas convaincu que cette preuve avait une valeur probante suffisante pour corroborer les déclarations d’A.B. selon lesquelles son épouse et lui étaient la cible des autorités rwandaises ou qu’il allait probablement connaître des difficultés ou être victime de mauvais traitements aux mains des autorités rwandaises à son retour dans ce pays.

[14]  L’agent a examiné l’effet cumulatif des éléments de preuve, reconnaissant qu’A.B. n’était pas tenu de fournir une preuve à l’appui de chaque aspect de ses déclarations. L’agent a conclu qu’en l’absence d’éléments de preuve clés tels qu’un rapport sur son traitement médical en 2015 ou des affidavits de personnes ayant personnellement assisté à son arrestation ou à sa détention par les autorités de l’État, A.B. n’avait pas fourni une preuve probante suffisante pour démontrer qu’il serait perçu comme un opposant politique et qu’il serait ciblé par les autorités rwandaises.

[15]  L’agent a mentionné les observations d’A.B. concernant la persécution par les autorités rwandaises et son exposé circonstancié au sujet de ses activités commerciales en Ouganda. Bien que l’agent ait pris acte de la preuve documentaire indiquant qu’A.B. avait enregistré une société en Ouganda, l’agent a trouvé peu d’éléments de preuve étayant un lien entre ses activités commerciales et les camps de réfugiés en Ouganda. L’agent a également mentionné des articles de presse présentés par A.B. indiquant que le gouvernement rwandais ciblait les exilés et les réfugiés rwandais en Ouganda, en particulier ceux qui avaient fui pour des raisons politiques ou étaient d’anciens membres du gouvernement ou de l’armée. L’agent a trouvé peu d’éléments de preuve à l’appui de la proposition selon laquelle les voyageurs d’affaires entre l’Ouganda et le Rwanda étaient considérés comme suspects et pouvaient être harcelés par les autorités de l’État.

[16]  Quant aux observations d’A.B. concernant sa détention, sa libération ultérieure et son séjour temporaire à la résidence de son ami, l’agent a pris acte de la copie et de la traduction d’une sommation de la police nationale rwandaise demandant à A.B. de se présenter au poste de police de Muhima. Bien qu’il ait accepté cela comme une preuve démontrant qu’A.B. avait été sommé de se présenter devant les autorités de l’État, l’agent a observé que la sommation n’indiquait pas pourquoi A.B. avait été prié de se présenter au poste de police. L’agent a décidé d’accorder une importance moindre à ce document, parce qu’A.B. n’avait pas fourni de copie certifiée conforme de la sommation originale. L’agent a fait remarquer que, bien que la traduction ait inclus une déclaration et la signature d’une personne, A.B. n’avait pas fourni d’affidavit souscrit par le traducteur, et il y avait peu d’éléments de preuve indiquant que le traducteur était membre d’un organisme de traducteurs et d’interprètes au Canada. L’agent a remarqué que la sommation avait été délivrée avant que ne soit adoptée la version de la loi évoquée dans celle-ci.

[17]  L’agent a mentionné les observations d’A.B. indiquant qu’il avait réduit les activités de son entreprise en Ouganda, qu’il avait lancé une nouvelle entreprise au Rwanda en novembre 2014 et que sa femme assurait l’exploitation de l’entreprise pendant qu’il restait en retrait pour éviter les problèmes avec les services de sécurité rwandais. L’agent a pris acte de la copie de l’enregistrement de la société d’A.B. et a noté que le document indiquait qu’A.B. était directeur général et comprenait son numéro de carte d’identité nationale. À la lumière de ces éléments, l’agent a conclu qu’il était déraisonnable de croire que les autorités de l’État n’auraient pas associé A.B. à son entreprise; l’agent n’était pas convaincu qu’A.B. avait tenté d’éviter d’être associé à son entreprise.

[18]  L’agent a analysé les observations d’A.B. concernant l’interrogatoire et la torture qu’il avait subis pendant sa détention et il a pris en considération une lettre du Dr Keefer qui avait examiné l’exposé circonstancié d’A.B. dans son formulaire « Fondement de la demande d’asile » et procédé à un examen médical. L’agent a cité un extrait de la lettre dans laquelle le médecin avait déclaré que la majorité des blessures décrites par A.B. étaient le résultat d’un traumatisme contondant dû à une agression et que les blessures des tissus mous qui en ont résulté auraient guéri sans laisser de marques permanentes ou de cicatrices. En ce qui concerne l’oreille gauche d’A.B., le médecin a noté que la cicatrisation de la membrane tympanique gauche et la surdité de transmission d’A.B. donnaient fortement à penser qu’il y avait eu rupture de la membrane tympanique.

[19]  L’agent a noté les observations du médecin concernant la cicatrice sur le dos d’A.B. et les cicatrices sur la face dorsale des pieds d’A.B. qui, selon le médecin, étaient compatibles avec un traumatisme non accidentel tel que la torture, parce que la répartition des cicatrices était inhabituelle pour des blessures subies dans le cadre de la vie courante ou d’un accident. L’agent a observé que le médecin avait résumé le profil des blessures d’A.B. comme étant cohérent avec l’information fournie dans son exposé circonstancié contenu dans le formulaire « Fondement de la demande d’asile ». L’agent a accepté cette preuve médicale comme preuve provenant d’une source fiable.

[20]  L’agent n’était pas convaincu que l’ensemble de la preuve fournie par A.B. était suffisant pour démontrer que les autorités de l’État l’avaient torturé et accusé de subversion. L’agent a souligné l’absence d’affidavit de l’épouse d’A.B. corroborant qu’elle avait été témoin de son enlèvement dans leur maison et d’éléments de preuve à l’appui comme des rapports médicaux indiquant qu’il avait reçu un traitement médical en février 2015.

[21]  L’agent a conclu qu’il n’était pas raisonnable qu’A.B. ait pu obtenir un passeport et se soumettre aux contrôles de sécurité dans un aéroport du Rwanda si les autorités de l’État le croyaient impliqué dans des activités subversives. L’agent a fait remarquer qu’A.B. n’avait pas montré qu’il avait eu des difficultés à obtenir un passeport du gouvernement rwandais ou à quitter le Rwanda par avion. L’agent a aussi mentionné un rapport du Département d’État des États‑Unis contenant des éléments de preuve indiquant que les autorités de l’État avaient refusé de délivrer des passeports à des opposants politiques ou à des membres de leur famille, ou confisqué leurs passeports.

[22]  L’agent a examiné une lettre rédigée par une personne avec laquelle A.B. avait vécu aux États‑Unis de septembre 2016 à mars 2017. Cette lettre mentionnait que, pendant le séjour d’A.B. chez cette personne, la femme d’A.B. l’avait appelé et lui avait dit que des agents des services de sécurité rwandais le recherchaient. La lettre mentionnait également qu’A.B. lui avait dit que les services de sécurité rwandais l’avaient enlevé et torturé, et qu’il craignait pour sa vie, car il était encore une fois recherché.

[23]  L’agent a accordé un certain poids à cette lettre, mais a jugé que sa valeur probante était moindre parce qu’il y avait peu d’indications que cette personne ait personnellement parlé avec la femme d’A.B. ou qu’elle l’ait vu recevoir des appels téléphoniques de son épouse. L’agent a fait remarquer que la lettre ne mentionnait pas que les autorités de l’État s’étaient rendues au domicile d’A.B. et avaient saccagé sa maison, ou détenu et torturé sa femme à deux reprises. L’agent a également noté l’absence de tout affidavit de personnes ayant été témoins de l’enlèvement de la femme d’A.B. par les autorités de l’État, que ce soit la nourrice des enfants ou les employés du lieu de travail de la femme d’A.B.

[24]  L’agent a également examiné une lettre de la nièce d’A.B. indiquant que lui et sa femme étaient accusés de soutenir le parti d’opposition depuis fin 2012. L’agent a conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve que la nièce d’A.B. vivait en Ouganda ou au Rwanda lorsque les événements qu’elle avait décrits s’étaient produits. Cette lettre indiquait que la maison familiale d’A.B. au Rwanda avait été envahie et fouillée par des inconnus qui avaient agressé sa femme devant les enfants. La nièce d’A.B. déclarait qu’elle avait envoyé de l’argent pour les enfants au Rwanda.

[25]  L’agent a examiné la preuve à l’appui présentée par A.B., dont des copies des passeports de sa femme et de ses enfants avec des tampons d’entrée et de sortie du Rwanda et de l’Ouganda, un courriel du neveu d’A.B. à la nièce de ce dernier ainsi qu’un rapport médical d’une clinique de santé en Ouganda, concernant sa femme. L’agent a noté l’absence de tout affidavit de l’épouse d’A.B., de la personne qui avait reçu l’argent que sa nièce avait envoyé en Ouganda ou de la femme qui avait fourni à sa famille un endroit où demeurer en Ouganda.

[26]  L’agent a constaté que la décision de la SPR fournissait peu de renseignements sur les difficultés que pourrait éprouver A.B. s’il devait retourner au Rwanda parce que la SPR n’avait pas apprécié la preuve sur le Rwanda, se concentrant plutôt sur la preuve concernant le risque en Ouganda.

(2)  L’orientation sexuelle

[27]  L’agent a examiné les observations d’A.B. concernant son orientation sexuelle, à savoir : qu’il s’était identifié comme un homme bisexuel; qu’il avait caché son orientation sexuelle à sa famille; qu’il avait eu une relation sérieuse et secrète avec un homme en Ouganda de 2000 à 2008; que son ancien partenaire de même sexe en Ouganda avait été harcelé, mis en état d’arrestation et forcé de se cacher après que les autorités de l’État eurent découvert son orientation sexuelle; qu’il craignait de subir les mêmes conséquences si son orientation sexuelle était dévoilée en Ouganda; qu’il s’était engagé dans une relation amoureuse avec un homme au Canada.

[28]  L’agent a conclu qu’A.B. n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour étayer sa relation avec l’homme en Ouganda. L’agent a admis qu’A.B. pourrait ne pas être en mesure de présenter davantage d’éléments de preuve, parce que les personnes ayant des relations homosexuelles en Ouganda ressentent probablement le besoin de dissimuler leurs relations. L’agent a observé qu’A.B. n’avait pas présenté de preuve au sujet de sa crainte associée à son orientation sexuelle lors de son audience devant la SPR.

[29]  L’agent a en outre fait remarquer que, bien qu’il soit raisonnable de penser qu’A.B. craindrait probablement les autorités ougandaises si elles découvraient son orientation sexuelle, il avait continué à travailler et à voyager en Ouganda. L’agent a tenu compte de la déclaration d’A.B. selon laquelle il n’avait pas indiqué à l’avocat qui le représentait à l’audience relative à sa demande d’asile quelle était son orientation sexuelle, car il estimait que cette information n’était pas pertinente, étant donné que sa demande d’asile visait son pays de citoyenneté, le Rwanda, et qu’il n’avait pas eu de relation homosexuelle au Rwanda. L’agent a conclu qu’il était déraisonnable qu’A.B. ignore que son orientation sexuelle était un facteur pertinent à prendre en compte dans sa demande d’asile.

[30]  L’agent a examiné la preuve à l’appui, notamment des lettres d’organismes LGBTIQ+ et des lettres d’un homme avec lequel A.B. avait entretenu une relation amoureuse de façon continue. L’agent a comparé les lettres concernant la relation d’A.B. dans sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ainsi que dans sa demande d’ERAR et a noté qu’elles avaient été rédigées par la même personne. L’agent a observé que le contenu des deux lettres était identique, bien que la lettre soumise avec la demande d’ERAR indiquait qu’A.B. était dans cette relation depuis plus d’un an et que cette personne savait qu’A.B. était marié et avait des enfants.

[31]  L’agent a accordé une moins grande force probante à ces deux lettres, parce qu’elles n’étaient pas des affidavits et qu’aucun document n’avait été présenté pour corroborer l’identité des auteurs des lettres. L’agent a jugé que ni les observations d’A.B. ni les lettres ne contenaient des renseignements détaillés sur leur relation. L’agent a conclu qu’en l’absence d’une preuve corroborante supplémentaire de leur relation, comme des lettres d’amis au Canada qui étaient au courant de la relation, ces éléments de preuve étaient insuffisants pour démontrer qu’A.B. entretenait probablement une relation.

[32]  Dans le cadre de son appréciation des lettres des organismes LGBTIQ+, l’agent a accepté le fait qu’A.B. s’était identifié comme bisexuel auprès de ces organismes et avait pris part à des réunions de ceux‑ci. L’agent a accordé à ces lettres un certain poids à titre de preuve étayant son orientation sexuelle. L’agent a toutefois noté que ces lettres n’évoquaient pas la relation homosexuelle d’A.B. et, en l’absence d’autres éléments de preuve corroborants et d’une explication raisonnable justifiant son omission de présenter son orientation sexuelle comme facteur dans sa demande d’asile, l’agent a conclu que la participation d’A.B. au sein de ces organismes ne suffisait pas pour prouver son orientation sexuelle.

[33]  L’agent a conclu que la preuve présentée par A.B. était insuffisante pour démontrer qu’il était bisexuel, qu’il entretenait une relation homosexuelle, qu’il entretiendrait probablement des relations homosexuelles s’il retournait au Rwanda ou en Ouganda, ou qu’il serait probablement victime de discrimination ou éprouverait des difficultés en raison de son orientation sexuelle s’il devait quitter le Canada.

(3)  La séropositivité pour le VIH

[34]  Dans les motifs de la décision relative à l’ERAR, l’agent a fait remarquer qu’une menace à la vie telle que définie à l’article 97 de la LIPR ne comprenait pas l’évaluation du risque causé par l’incapacité d’un pays à fournir des soins de santé ou médicaux adéquats. Pour les besoins de la demande d’ERAR, l’agent a examiné la question de savoir si A.B. serait persécuté s’il tentait d’obtenir des soins médicaux.

[35]  L’agent a examiné les observations d’A.B. selon lesquelles des soins médicaux adéquats pour son état de santé n’étaient pas offerts au Rwanda ou en Ouganda, parce qu’il était difficile de trouver des médicaments, sauf dans les villes ou les principaux hôpitaux, et que, en tant que personne séropositive, il deviendrait un paria en Ouganda et au Rwanda. Comme preuve à l’appui, A.B. a fourni une lettre de son médecin de famille, une lettre de la Black Coalition for Aids Prevention ainsi qu’une lettre d’un travailleur de soutien d’Africains unis contre le SIDA [l’AUCS] qui avait fourni des séances de counseling à A.B.

[36]  La lettre du médecin de famille d’A.B. indiquait que l’interruption de son traitement entraînerait une augmentation de sa charge virale du VIH, un mauvais contrôle de son infection par le VIH et peut‑être le développement du SIDA et d’autres infections opportunistes qui surviennent lorsqu’un patient est immunodéprimé. Cette lettre indiquait également que le traitement dont avait besoin A.B. n’était pas offert au Rwanda et en Ouganda et que, s’il était expulsé vers le Rwanda ou l’Ouganda, sa santé physique et mentale se détériorerait. L’agent a trouvé peu d’éléments de preuve démontrant que le médecin de famille d’A.B. possédait une quelconque expertise au sujet du système de santé rwandais.

[37]  L’agent a examiné la lettre de la Black Coalition for Aids Prevention qui indiquait qu’A.B. ne pourrait pas accéder à des soins de santé efficaces ainsi qu’à un traitement contre le VIH au Rwanda et que la perte de son réseau de soutien au Canada aurait des répercussions importantes sur sa santé. L’agent a trouvé peu d’éléments de preuve indiquant que l’auteur de cette lettre possédait une quelconque expertise au sujet du système de santé rwandais.

[38]  L’agent a aussi examiné la lettre de l’AUCS qui indiquait qu’A.B. craignait la stigmatisation, la discrimination, le rejet ainsi que l’isolement, au sein de la société et de sa famille, si on découvrait qu’il était séropositif. Cette lettre indiquait également que l’expulsion d’A.B. aurait des conséquences aggravantes sur son bien‑être global, tant physique, émotionnel que mental.

[39]  L’agent a accepté le fait que le stress lié au départ du Canada ferait en sorte qu’A.B. éprouverait des difficultés et il a accordé beaucoup de poids à ce facteur. L’agent a cependant fait remarquer que la femme et les enfants d’A.B. vivaient au Rwanda et qu’ils lui apporteraient probablement un soutien émotionnel. L’agent a jugé que, puisque A.B. avait exprimé le désir de faire du bénévolat dans des organismes communautaires, il était raisonnable de croire qu’il le ferait au Rwanda, ce qui lui permettrait d’y développer un réseau de soutien.

[40]  L’agent a également accepté le fait qu’A.B. était séropositif, mais a jugé qu’il n’avait pas fourni d’éléments de preuve provenant des autorités sanitaires compétentes au Rwanda et en Ouganda pour établir si un traitement acceptable était offert dans l’un ou l’autre pays. Selon l’agent, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant qu’A.B. ne pouvait pas continuer à avoir accès à des médicaments adéquats.

[41]  L’agent a consulté des rapports de l’Organisation mondiale de la santé [l’OMS] et du Département d’État des États‑Unis qui relevaient que l’accès aux services de soins pour le VIH s’était amélioré et que le nombre d’établissements médicaux disponibles fournissant une thérapie antirétrovirale avait augmenté en Ouganda. L’agent a jugé que le traitement contre le VIH était offert au Rwanda.

[42]  L’agent a déclaré qu’A.B. retournerait probablement au Rwanda, parce qu’il est citoyen rwandais, que sa famille vit au Rwanda, qu’il a exploité une entreprise au Rwanda et que son pays de renvoi pour sa demande d’ERAR était le Rwanda. L’agent a reconnu que, bien que les personnes atteintes du VIH/SIDA au Rwanda soient victimes d’une certaine discrimination, le niveau de discrimination serait insuffisant pour empêcher A.B. d’avoir accès à un traitement adéquat.

B.  Les considérations d’ordre humanitaire

(1)  La citoyenneté ougandaise

[43]  L’agent a relevé une déclaration d’A.B. affirmant qu’il était né en Ouganda, mais qu’il n’était pas citoyen ougandais, parce que ses parents étaient tous deux nés au Rwanda et que, selon la loi ougandaise, il ne pouvait pas devenir citoyen de naissance, à moins que ses parents n’aient été citoyens ougandais au moment de sa naissance. A.B. a déclaré que ses parents étaient des réfugiés rwandais vivant en Ouganda, mais qu’ils n’avaient jamais acquis la citoyenneté ougandaise. L’agent a pris acte de l’observation du représentant d’A.B. selon laquelle les parents d’A.B. avaient peut‑être utilisé des documents frauduleux indiquant qu’ils étaient citoyens ougandais pour pouvoir l’envoyer en Ouganda afin qu’il reçoive une meilleure éducation sans faire l’objet de discrimination.

[44]  L’agent a examiné des copies certifiées conformes du passeport rwandais d’A.B., sa carte d’identité rwandaise et une copie de son certificat de naissance ougandais montrant que ses parents étaient des citoyens ougandais. L’agent a fait référence à la décision de la SPR, qui a déclaré que, selon les lois ougandaises sur la citoyenneté, A.B. était également citoyen ougandais. L’agent a jugé qu’A.B. avait fourni peu d’éléments de preuve à l’appui pour contredire les renseignements figurant sur son certificat de naissance et a conclu qu’A.B. était citoyen à la fois du Rwanda et de l’Ouganda.

(2)  La persécution étatique en Ouganda

[45]  L’agent a tenu compte de la remarque de la SPR selon laquelle, lorsque la SPR a demandé à A.B. s’il craignait les autorités ougandaises, il n’a pu qu’évoquer sa crainte des autorités rwandaises et de leur collaboration avec les autorités ougandaises. L’agent a également examiné les articles de presse démontrant que des réfugiés rwandais et des exilés politiques en Ouganda avaient été enlevés et que les autorités rwandaises étaient soupçonnées d’être responsables de disparitions et d’assassinats. L’agent a conclu qu’A.B. ne serait pas perçu comme un opposant politique et qu’il ne serait pas pris pour cible par les autorités rwandaises.

(3)  L’orientation sexuelle

[46]  L’agent a constaté que les conditions de vie des membres de la communauté LGBTIQ+ au Rwanda n’étaient pas aussi difficiles qu’en Ouganda, où l’homosexualité est criminalisée. L’agent a cité un rapport du Département d’État des États‑Unis qui indiquait que, bien que des membres de la communauté LGBTIQ+ aient été victimes de discrimination au Rwanda, les responsables gouvernementaux avaient exprimé leur soutien à la protection de leurs droits.

(4)  La séropositivité pour le VIH

[47]  L’agent a tenu compte de rapports de l’OMS et du Département d’État des États‑Unis sur la situation des pays concernant la disponibilité de la thérapie antirétrovirale. Ces rapports indiquaient que, bien que la loi ait interdit la discrimination à l’encontre des personnes atteintes du VIH/SIDA, en réalité la discrimination était chose courante et empêchait les personnes d’obtenir un traitement. L’agent a conclu que, bien qu’il y ait peu d’éléments de preuve indiquant que le traitement antirétroviral n’était pas offert en Ouganda, A.B. aurait probablement de la difficulté à obtenir un tel traitement médical, parce que les personnes séropositives en Ouganda faisaient l’objet d’une discrimination généralisée et omniprésente.

(5)  La santé mentale d’A.B.

[48]  L’agent a examiné une lettre du Dr Pitiakoudis, un psychologue, qui déclarait qu’A.B. souffrait du trouble de stress post‑traumatique [le TSPT] depuis qu’il avait été détenu et torturé par les services de sécurité rwandais. Cette lettre indiquait également que, si A.B. était contraint de retourner au Rwanda, ses symptômes pourraient être exacerbés et son bien‑être psychologique se détériorerait, ce qui causerait chez lui une détresse et un préjudice importants. L’agent a reconnu qu’A.B. répondait aux critères du TSPT.

[49]  L’agent n’a pas été convaincu qu’A.B. est traité pour soulager les symptômes de son TSPT. L’agent a constaté que le rapport psychologique a été rédigé après une seule consultation avec A.B. et qu’il ne recommandait pas de plan de traitement; il n’indiquait pas non plus qu’A.B. allait recevoir un traitement de suivi. L’agent a conclu qu’il n’avait pas été clairement établi qu’il était plus probable que le contraire que les symptômes du TSPT d’A.B. s’aggraveraient s’il retournait au Rwanda. L’agent a noté qu’A.B. avait fourni peu d’éléments de preuve indiquant qu’il ne serait pas en mesure d’accéder à des services de counseling au Rwanda en cas de besoin.

[50]  L’agent a accepté le fait qu’A.B. allait probablement éprouver du stress et une certaine anxiété à son retour au Rwanda, comme la plupart des personnes qui risquent l’expulsion. L’agent a observé que, bien qu’A.B. ait développé un solide réseau de soutien au Canada, il entretenait également des liens solides avec des membres de sa famille au Rwanda. L’agent a noté qu’A.B. était résilient et prêt à chercher du soutien si nécessaire. L’agent a tenu compte du fait qu’A.B. connaissait bien la vie au Rwanda, puisqu’il avait une famille, des amis et qu’il possédait une entreprise dans ce pays. Selon l’agent, ces facteurs pourraient contribuer à atténuer certaines des difficultés psychologiques qu’il rencontrerait à son retour au Rwanda.

(6)  L’établissement et d’autres considérations

[51]  L’agent a noté qu’A.B. vivait au Canada depuis environ un an et neuf mois. A.B. a fourni des lettres de soutien révélant que, pendant cette période, il avait été membre de plusieurs organismes communautaires. L’agent a également fait remarquer que, bien qu’il ait été initialement soutenu par le Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, A.B. a commencé à travailler comme concierge au début du mois de janvier 2018. L’agent a accordé beaucoup de poids à son engagement communautaire et à son réseau de soutien au Canada, et un certain poids à son établissement au Canada. L’agent a trouvé peu d’éléments de preuve indiquant qu’A.B. avait tissé des liens solides avec des membres de sa famille au Canada.

[52]  L’agent a reconnu que le fait de quitter son réseau au Canada causerait probablement des difficultés à A.B., notamment en raison de son état de santé. L’agent a cependant noté qu’A.B. était né en Ouganda, qu’il y avait terminé ses études postsecondaires, qu’il y avait lancé une entreprise et qu’un de ses enfants ainsi que ses trois frères et sœurs y vivaient. L’agent a en outre noté qu’A.B. avait également vécu pendant des années au Rwanda, où il avait sa propre entreprise et avait tissé des liens solides avec des membres de sa famille. L’agent a conclu qu’A.B. recevrait l’aide d’un réseau de soutien solide s’il retournait au Rwanda, où sa femme et ses enfants étaient demeurés. L’agent a accordé beaucoup de poids aux liens familiaux d’A.B. au Rwanda et en Ouganda.

[53]  L’agent a noté qu’A.B. entretenait une relation amoureuse avec un homme au Canada. L’agent a conclu qu’A.B. n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve relativement à cette relation. Selon l’agent, A.B. n’éprouverait pas de difficultés à quitter le Canada en raison de ce facteur.

[54]  L’agent a également noté qu’A.B. avait une nièce au Canada qui lui avait fourni une lettre de soutien. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de renseignements détaillés sur l’étendue de leur relation. L’agent a jugé qu’A.B. n’aurait pas de difficultés à quitter le Canada en raison de ce facteur.

[55]  L’agent a fait remarquer qu’A.B. avait fourni la preuve que sa femme et ses deux enfants vivaient au Rwanda, et qu’il avait également deux enfants issus de relations antérieures, dont l’un d’entre eux vivait en Ouganda. L’agent a jugé que, malgré les arguments d’A.B. selon lesquels il souhaitait être réuni physiquement avec sa femme et ses enfants au Canada, une telle réunion pouvait également avoir lieu au Rwanda. A.B. a déclaré que sa famille au Rwanda éprouvait des difficultés financières et que les autorités de l’État la menaçaient, mais l’agent a conclu que la preuve présentée était insuffisante pour appuyer ces déclarations.

[56]  L’agent a ensuite apprécié l’intérêt supérieur des trois enfants mineurs d’A.B., dont deux vivaient au Rwanda avec leur mère, tandis que l’autre enfant vivait en Ouganda. Selon A.B., il était dans l’intérêt supérieur de ses enfants mineurs qu’il demeure au Canada.

[57]  L’agent a souligné qu’A.B. avait allégué que ses deux enfants qui vivaient au Rwanda avaient été témoins des menaces ainsi que de l’arrestation dont sa femme et lui avaient été victimes, et qu’ils avaient ont vu les conséquences de la torture infligée par les autorités de l’État. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que les faits allégués par A.B. s’étaient effectivement produits, et il a accordé peu de poids à sa déclaration selon laquelle ses deux enfants vivant au Rwanda étaient en danger du fait que sa femme et lui étaient ciblés par les autorités de l’État. L’agent a également conclu qu’il y avait peu d’éléments de preuve indiquant que ces deux enfants ne recevaient pas des soins affectueux et un soutien financier adéquat de leur mère. L’agent a reconnu que l’intérêt supérieur de ces deux enfants était d’être réunis avec leur père. Selon l’agent, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’A.B. serait incapable de retourner au Rwanda et de leur fournir des soins et un soutien affectueux.

[58]  Quant à la fille mineure d’A.B. vivant avec sa mère en Ouganda, l’agent a trouvé peu d’éléments de preuve indiquant qu’elle était malade et que son intérêt supérieur était que son père reste au Canada. L’agent a en outre jugé qu’A.B. avait fourni peu de détails sur l’étendue de son engagement auprès de sa fille en Ouganda. L’agent a conclu qu’il serait probablement dans l’intérêt supérieur de la fille d’A.B. de pouvoir communiquer avec son père, de recevoir sa visite et de bénéficier d’un soutien financier de sa part.

C.  L’ERAR

(1)  La persécution étatique au Rwanda

[59]  L’agent a souligné qu’A.B. avait déjà eu des passeports et qu’un ami l’avait aidé à obtenir un visa pour les États‑Unis. L’agent s’est demandé pourquoi il n’avait pas tenté de quitter le Rwanda plus tôt.

[60]  L’agent a fait remarquer qu’A.B. avait vécu aux États‑Unis avant d’entrer au Canada et il a tiré une inférence défavorable du fait qu’A.B. n’avait pas cherché à obtenir l’asile aux États‑Unis. Notant que ce seul fait n’était pas déterminant quant à une demande d’ERAR, l’agent a conclu que le fait qu’A.B. n’a pas cherché à obtenir l’asile aux États‑Unis indiquait une absence de crainte subjective. L’agent a tenu compte d’un article de presse indiquant que des personnes qui s’étaient présentées à la frontière mexicaine pour demander l’asile avaient été refoulées par les agents d’immigration aux États‑Unis; cependant, l’agent a trouvé peu d’indications que cette situation s’appliquait à A.B., puisque celui‑ci vivait déjà aux États‑Unis.

(2)  L’orientation sexuelle

[61]  L’agent a examiné un rapport sur la situation prévalant au Rwanda et, tout en reconnaissant qu’une certaine discrimination à l’encontre des membres de la communauté LGBTIQ+ persistait, il a jugé qu’elle n’atteignait pas le niveau de la persécution. L’agent a trouvé peu d’éléments de preuve démontrant que les hommes bisexuels faisaient l’objet de persécution au Rwanda.

IV.  La norme de contrôle

[62]  La Cour suprême du Canada a récemment rajusté le cadre servant à déterminer la norme applicable au contrôle des décisions administratives sur le fond.

[63]  L’analyse a comme point de départ la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable est la norme applicable dans tous les cas, les cours de révision ne devant déroger à cette présomption que lorsqu’une indication claire de l’intention du législateur ou la primauté du droit exige l’application de la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, aux par. 10, 16 et 17 [Vavilov]; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 201 CSC 67, au par. 27). L’affaire qui nous occupe ne fait intervenir aucune des deux situations qui justifient d’écarter la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit applicable.

[64]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable vise à la fois le processus décisionnel et son issue. Lorsqu’elle procède au contrôle, la Cour examine la décision administrative non seulement pour s’assurer qu’elle repose sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et qu’elle est justifiée, transparente et intelligible, mais elle le fait aussi pour déterminer si la décision est justifiée par rapport aux contraintes factuelles et juridiques pertinentes auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, aux par. 85, 86 et 99; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

[65]  Si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable, et il ne lui revient pas d’apprécier à nouveau la preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 59 et 61; Vavilov, au par. 125).

[66]  La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent de tenir ou non une audience pour une décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire est une question d’équité procédurale (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux par. 20 et 30 [Baker]). L’obligation d’équité reconnaît qu’une participation valable peut se faire de différentes façons et dans des situations différentes (voir Baker, au par. 33). Bien que la tenue d’une audience ne soit pas une exigence générale pour les décisions relatives à des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire (voir Baker, au par. 34), les principes de justice fondamentale exigent qu’une audience soit tenue lorsqu’une décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire s’appuie sur une conclusion défavorable en matière de crédibilité (Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 RCS 177, au par. 59 [Singh]).

[67]  La norme qui s’applique à la décision d’un agent de ne pas tenir d’audience exige que la Cour détermine si la procédure suivie par l’agent a atteint le niveau d’équité requis par les circonstances de l’espèce (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au par. 115; arrêt Vavilov, au par. 77).

[68]  Le cadre analytique ne concerne pas tant la norme de la décision correcte ou de la décision raisonnable que l’équité et la justice naturelle. Une question d’équité procédurale « n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier » (Moreau-Bérubé c Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, au par. 74).

[69]  La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent de tenir ou non une audience dans le cadre d’une demande d’ERAR continue d’être le résultat de la caractérisation de la question en litige par la Cour. Certaines décisions appliquent la norme de la décision correcte, parce que la question en litige est considérée comme relevant de l’équité procédurale. D’autres appliquent celle de la décision raisonnable, parce que la question en litige est vue comme une question mixte de droit et de fait nécessitant l’interprétation de l’alinéa 113b) de la LIPR et de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement] (Zmari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 132, aux par. 10 à 13; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940, au par. 12 [Huang]). Pour ma part, la question de savoir si une audience doit être tenue pour rendre une décision relative à un ERAR soulève une question d’équité procédurale.

V.  Les observations des parties — la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

A.  Les observations d’A.B.

[70]  A.B. affirme que l’agent a apprécié la preuve de manière déraisonnable, en particulier la preuve médicale à l’appui de ses allégations de torture et de mauvais traitements aux mains des autorités rwandaises. Selon A.B., l’agent a apprécié chaque élément de preuve individuellement et a conclu qu’ils étaient insuffisants, et ce, malgré le fait que l’agent a déclaré avoir examiné la preuve de manière cumulative.

[71]  A.B. déclare que l’agent n’a pas révélé pourquoi il avait accepté la conclusion du Dr Keefer selon laquelle le profil de ses blessures était cohérent avec l’information fournie dans l’exposé circonstancié contenu dans le formulaire « Fondement de la demande d’asile », mais ne croyait pas sa version de la façon dont il avait subi les blessures. En outre, A.B. déclare que l’agent a reconnu qu’il répondait aux critères du TSPT, mais qu’il a apparemment accordé un faible poids à ce diagnostic, parce qu’il n’était pas convaincu qu’A.B. recevait un traitement pour soulager ses symptômes du TSPT.

[72]  Selon A.B., l’agent a tiré des conclusions erronées sur sa crédibilité en ce qui a trait à son orientation sexuelle et les dangers auxquels il serait exposé s’il retournait en Ouganda ou au Rwanda. A.B. affirme que l’agent a tiré une conclusion non fondée sur la vraisemblance concernant son départ du Rwanda. Selon A.B., ces conclusions auraient dû être examinées dans le cadre d’une audience.

[73]  A.B. fait remarquer que le témoignage sous serment bénéficie d’une présomption de véracité et que l’agent n’a pas fourni de motifs justifiés, transparents et intelligibles pour expliquer pourquoi il n’a pas cru sa preuve par affidavit. Selon A.B., l’agent s’est plutôt concentré sur l’absence d’éléments de preuve corroborants supplémentaires, mais n’a pas apprécié correctement la preuve corroborante présentée.

[74]  A.B. souligne aussi que, bien que l’agent ait accepté les sommations comme un élément de preuve qu’A.B. avait retenu l’attention des autorités rwandaises, il en a réduit la force probante, parce qu’elles n’avaient pas été traduites par un traducteur agréé ou accompagnées d’un affidavit. A.B. reconnaît qu’il aurait été préférable que les sommations aient été traduites par un traducteur agréé ou accompagnées d’un affidavit, mais elles ont été traduites conformément aux Règles de la SPR.

[75]  A.B. fait valoir que l’agent n’a pas tenu compte de son explication et de la preuve concernant les raisons qui l’avaient poussé à déplacer ses activités commerciales hors de l’Ouganda, à savoir, la volonté d’éviter de traverser la frontière ainsi que la suspicion persistante des autorités rwandaises. Selon A.B., l’agent n’a pas traité en substance son explication. A.B. affirme que l’agent a tiré une conclusion sur la vraisemblance selon laquelle il n’avait pas essayé d’éviter d’être associé à son entreprise, parce que le formulaire d’enregistrement de la société rwandaise le mentionnait comme directeur général. Selon A.B., étant donné que les autorités rwandaises se méfiaient de ses activités en Ouganda, il était raisonnable pour lui de croire que, s’il réduisait ses activités en Ouganda, tout soupçon concernant ses activités dans ce pays cesserait.

[76]  A.B. affirme que l’agent a déraisonnablement tiré une inférence défavorable de son omission de divulguer son orientation sexuelle lors de l’audience devant la SPR. Il explique que, lorsqu’il a été informé que sa demande d’asile serait uniquement contre l’Ouganda, son avocat a demandé que l’audience soit convoquée à nouveau pour lui permettre de présenter une allégation contre l’Ouganda, mais cette demande a été rejetée. Selon A.B., il n’est pas déraisonnable de croire qu’il n’aurait pas spontanément révélé son orientation sexuelle, alors que c’est quelque chose qu’il avait gardé secret pendant des années.

[77]  Selon A.B., l’agent a rejeté sans raison les lettres présentées par son partenaire canadien de même sexe. A.B. affirme que l’agent n’a pas expliqué pourquoi le contenu de ces lettres n’avait pas été accepté ou pourquoi on n’avait pas communiqué avec l’auteur des lettres. A.B. affirme également qu’il était déraisonnable que l’agent accorde peu de poids au contenu des lettres qui démontraient sa participation continue au sein de la communauté LGBTIQ+ de Toronto et qu’il se concentre sur ce qui ne figurait pas dans les lettres, à savoir la corroboration de sa relation avec son partenaire au Canada.

[78]  A.B. soutient que l’agent a tiré une conclusion défavorable sur la vraisemblance de son départ du Rwanda vers les États‑Unis. L’agent s’est appuyé sur un rapport du Département d’État des États‑Unis pour conclure que les autorités de l’État avaient refusé de délivrer des passeports à des opposants politiques ou aux membres de leur famille, ou qu’elles avaient confisqué les passeports de ceux‑ci. A.B. affirme que le même rapport indique que le gouvernement a généralement respecté le droit de voyager à l’étranger. Selon A.B., le dossier ne contenait pas suffisamment de renseignements à partir desquels une conclusion sur la vraisemblance pouvait être tirée, et cette question aurait dû être abordée lors d’une audience.

[79]  Selon A.B., les nombreuses conclusions, déguisées ou non, quant à la crédibilité que l’agent a tirées ont porté atteinte à sa capacité de présenter sa cause de manière significative. A.B. affirme que l’agent a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la question centrale dans son allégation selon laquelle les autorités rwandaises les avaient torturés, sa femme et lui, en raison d’une opinion politique imputée. A.B. ajoute que le rapport médical du Dr Keefer a corroboré la nature des tortures et des blessures qu’il avait subies. Bien que l’agent ait accepté ce rapport, il n’a pas cru que les événements avaient eu lieu. Cette appréciation centrale, selon A.B., nécessitait la tenue d’une audience, d’autant plus que c’était la première fois que la preuve sur le Rwanda était examinée.

B.  Les observations du défendeur

[80]  Selon le défendeur, l’agent a indiqué pourquoi il était d’accord avec les observations du Dr Keefer concernant certaines blessures, mais ne croyait pas le récit d’A.B. Le défendeur déclare que, bien que l’agent ait observé que les diverses cicatrices relevées par le Dr Keefer ne contestaient pas le récit, les observations ne permettaient pas de savoir qui ou quoi avait causé les blessures ou pour quelles raisons.

[81]  Selon le défendeur, l’agent a pu examiner le contexte entourant le diagnostic de TSPT. Le défendeur affirme qu’il n’y a pas d’interdiction générale visant l’examen des circonstances entourant un diagnostic, telles que les antécédents et le traitement, pour considérer ce diagnostic comme une preuve de difficultés. Le défendeur déclare qu’il était loisible à l’agent de réduire le poids accordé au diagnostic en tant que preuve donnant à penser qu’A.B. éprouvait des difficultés.

[82]  Selon le défendeur, l’agent n’a pas tiré de conclusions sur la crédibilité de la déclaration sous serment d’A.B.; sa décision était plutôt fondée sur le fait que la preuve était insuffisante pour corroborer le récit d’A.B. dans son affidavit. Le défendeur affirme que l’incohérence interne de l’une des sommations a laissé à l’agent la possibilité de leur accorder peu de poids, sans égard aux problèmes de traduction qu’il a relevés.

[83]  Quant à l’argument d’A.B. selon lequel l’agent n’a pas traité de sa décision de ne pas divulguer son orientation sexuelle à la SPR, le défendeur souligne que l’agent a fourni une longue explication à ce sujet dans ses motifs. Selon le défendeur, le raisonnement logique de l’agent a été clairement exposé dans les motifs.

[84]  Le défendeur affirme que l’agent a accepté les lettres du partenaire allégué canadien d’A.B. et des organismes LGBTIQ+ de Toronto. Le défendeur affirme que l’agent leur a accordé peu de poids, parce qu’elles n’indiquaient pas qu’A.B. était homosexuel et que sa relation actuelle avec une personne du même sexe était de nature sexuelle.

[85]  Selon le défendeur, l’agent n’a pas fait abstraction du rapport du Département d’État des États‑Unis indiquant que les autorités rwandaises respectaient généralement le droit de voyager. Le défendeur affirme qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent de se demander pourquoi les autorités permettraient à A.B. de quitter le pays, étant donné qu’il alléguait avoir été la cible de persécution à la frontière. Le défendeur déclare que, bien qu’A.B. qualifie cette conclusion comme concernant la vraisemblance, cela n’a aucune importance, car la conclusion est liée aux faits liés à sa situation personnelle. L’agent n’a pas présumé que les autorités de l’État agissaient toujours de manière rationnelle.

[86]  En ce qui concerne l’argument d’A.B. selon lequel l’agent a tiré des conclusions quant à la crédibilité qui auraient dû être soulevées lors d’une audience, le défendeur est d’avis que la seule conclusion sur la crédibilité qui peut être discernée dans les motifs de l’agent concerne l’une des nombreuses excuses qu’A.B. a avancées pour expliquer pourquoi il n’avait pas mentionné son orientation sexuelle comme motif de crainte dans sa demande d’asile. Selon le défendeur, ce n’est pas un point majeur, parce que les autres excuses ont posé des problèmes et ont été éclipsées par le problème plus fondamental de l’absence de preuve objective démontrant que les membres de la communauté LGBTIQ+ séropositifs éprouvaient des difficultés au Rwanda.

VI.  Analyse — la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire

[87]  Le paragraphe 25(1) de la LIPR confère au ministre un pouvoir discrétionnaire qui lui permet de dispenser un étranger du respect des exigences habituelles de la LIPR lorsqu’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au par. 10 [Kanthasamy]). La raison d’être de la dispense pour considérations d’ordre humanitaire est équitable (voir Kanthasamy, au par. 31).

[88]  L’appréciation d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire exige que l’agent tienne compte de la raison d’être humanitaire et équitable du paragraphe 25(1) de la LIPR et soupèse toutes les considérations d’ordre humanitaire pertinentes dans un cas particulier (voir Kanthasamy, au par. 33). L’agent qui examine une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire ne doit pas apprécier de manière trop restrictive les circonstances soulevées dans la demande (voir Kanthasamy, au par. 45).

(1)   La décision de l’agent de rejeter la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire était‑elle raisonnable?

[89]  À mon avis, l’agent a adopté une approche trop restrictive dans l’appréciation des circonstances soulevées par A.B. dans sa demande. L’agent a abordé la preuve médicale de manière fragmentaire, en appréciant individuellement chaque élément de preuve, malgré la déclaration de l’agent selon laquelle les éléments de preuve avaient été examinés de manière cumulative. Les motifs de l’agent sont structurés selon un schéma qui exige une preuve corroborante pour étayer chaque rapport médical, plutôt que de se concentrer sur la preuve corroborante que les rapports mêmes fournissent. La Cour suprême du Canada a spécifiquement rejeté cette approche dans l’arrêt Kanthasamy (aux par. 45 et 47).

[90]  La conclusion de l’agent ne peut pas découler de l’analyse se trouvant dans les motifs. Ce manque de cohérence interne est particulièrement évident dans la compréhension qu’a l’agent du rapport médical du Dr Keefer. L’agent a reconnu que son évaluation médicale était fiable et a accepté le contenu du rapport médical, à savoir que les blessures d’A.B. concordaient avec le récit qu’il avait fourni dans son formulaire « Fondement de la demande d’asile », en particulier le profil de ses blessures aux pieds. Pourtant, l’agent n’était pas convaincu que cet élément de preuve était suffisant pour démontrer qu’A.B. avait probablement été torturé par les autorités de l’État qui l’accusaient de subversion.

[91]  Les motifs de l’agent n’indiquent pas pourquoi il n’a pas cru la déposition sous serment d’A.B. détaillant la façon dont il avait été blessé. Puisqu’il a accepté le rapport du Dr Keefer, il est difficile d’établir pourquoi l’agent aurait exigé d’A.B. qu’il présente d’autres éléments de preuve corroborants, tels qu’un affidavit de sa femme qui avait été témoin de son enlèvement à son domicile ou un rapport médical démontrant qu’il avait reçu des soins pour ses blessures.

[92]  Bien que l’agent ait reconnu qu’A.B. remplissait les critères du TSPT, il a contesté ce diagnostic en déclarant que la lettre du Dr Pitiakoudis avait été écrite après une seule rencontre avec A.B. et n’indiquait pas s’il allait recevoir un traitement pour soulager les symptômes du TSPT ni ne recommandait un plan de traitement. L’agent n’a pas expliqué pourquoi le silence de la lettre concernant le traitement de suivi a eu une incidence sur sa décision d’accorder peu de poids à cette preuve. L’approche de l’agent à l’égard de la preuve fournie par le Dr Pitiakoudis manque de justification et va à l’encontre de l’arrêt Kanthasamy (au par. 47).

[93]  Les conclusions de l’agent sont contradictoires et injustifiables. L’approche de l’agent par rapport à la preuve médicale constitue à elle seule une erreur qui touche au cœur de la décision et qui a altéré l’équilibre global de la décision (Williams c Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, 2018 CF 241, au par. 26).

(2)  La décision de l’agent de ne pas convoquer d’audience a‑t‑elle porté atteinte à l’équité procédurale?

[94]  La tenue d’une audience n’est pas une exigence générale pour les décisions relatives à des demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire (voir Baker, au par. 34). Cependant, les principes de justice fondamentale exigent la tenue d’une audience lorsqu’une décision relative à une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire s’appuie sur une conclusion défavorable en matière de crédibilité (Singh, au par. 59; Duka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1071, au par. 13 [Duka]).

[95]  Pour déterminer si une décision comporte des conclusions déguisées quant à la crédibilité, il faut aller au‑delà des termes utilisés par l’agent; il est nécessaire de déterminer le fondement de la décision même si l’agent déclare expressément qu’il ne tire pas de conclusion quant à la crédibilité. La Cour doit d’abord décider si une conclusion quant à la crédibilité a été tirée, explicitement ou implicitement. Dans l’affirmative, la Cour doit décider si la question de la crédibilité était au cœur de la décision ou si elle est déterminante pour celle‑ci (Majali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 275, aux par. 30 et 31).

[96]  À mon avis, l’agent a tiré des conclusions quant à la crédibilité d’A.B. qui étaient au cœur de sa demande d’asile, en particulier compte tenu de son appréciation des rapports du Dr Pitiakoudis et du Dr Keefer. Je suis d’accord avec A.B. pour dire que l’agent n’a tout simplement pas cru sa version des faits. Je suis également d’accord avec A.B. pour dire que les motifs de l’agent ne montrent pas pourquoi il n’a pas cru sa déposition sous serment, qui décrivait en détail la façon dont il avait été blessé.

[97]  L’agent a tiré des conclusions déguisées en matière de crédibilité au sujet de l’identité sexuelle d’A.B., concernant, en particulier, les raisons pour lesquelles il n’avait pas indiqué que son orientation sexuelle était un motif de crainte dans sa demande d’asile. Il s’agissait d’une question fondamentale dans la demande d’A.B. fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. Il était déraisonnable pour l’agent de tirer une inférence défavorable en s’appuyant sur l’omission d’A.B. de divulguer son orientation sexuelle pendant l’audience de la SPR (Duka, au par. 22; Leonce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 831, au par. 10).

[98]  Les conclusions de l’agent quant à la crédibilité auraient dû être abordées dans le cadre d’une audience.

VII.  Les observations des parties — la décision relative à l’ERAR

A.  Les observations d’A.B.

[99]  A.B. soutient que l’agent a apprécié de manière déraisonnable la preuve dans le cadre de sa demande d’ERAR, concernant, en particulier, les éléments de preuve présentés par le Dr Keefer au sujet de la torture et des mauvais traitements qu’A.B. avait subis aux mains des autorités rwandaises. A.B. prétend que l’agent a fait fi de la preuve de la stigmatisation et de la discrimination généralisées des personnes bisexuelles et des personnes vivant avec le VIH au Rwanda et en Ouganda.

[100]  A.B. affirme que l’agent a tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité et à la vraisemblance, conclusions non fondées sur la preuve. Selon A.B., l’agent n’a pas tenu compte de ses explications, a fait abstraction du contexte dans lequel il a rendu ses décisions et a tiré des conclusions non fondées en matière de vraisemblance concernant son départ du Rwanda.

[101]  A.B. prétend que l’agent a tiré des conclusions déraisonnables au sujet de sa crainte subjective, parce qu’il a déduit que la poursuite de ses déplacements entre le Rwanda et l’Ouganda démontrait une absence de crainte subjective. A.B. fait remarquer que la Cour a mis en garde contre la présomption que les autorités de l’État agissaient de manière rationnelle, en particulier lorsqu’il s’agit de tirer des conclusions en matière de vraisemblance au sujet des mesures d’exécution de la loi déployées à une frontière.

[102]  A.B. prétend en outre que l’agent n’a tout simplement pas cru sa version des faits et que cette conclusion quant à la crédibilité aurait dû être abordée dans le cadre d’une audience. A.B. affirme que, comme il n’a pas expliqué pourquoi l’article 167 du Règlement ne s’appliquait pas, l’agent a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale.

B.  Les observations du défendeur

[103]  Le défendeur affirme que l’agent a apprécié la preuve médicale de façon raisonnable. Selon le défendeur, il était raisonnable pour l’agent de conclure que le rapport du Dr Keefer ne répondait pas aux questions cruciales de savoir qui et quoi avait causé les cicatrices sur le corps d’A.B. et pourquoi. Le défendeur est d’accord avec A.B. pour dire que l’on ne peut pas attendre d’un médecin qu’il sache comment ou pourquoi une blessure s’est produite, et affirme que cela appuie l’inévitable inférence probatoire selon laquelle le rapport du médecin ne corrobore pas la façon dont les blessures se sont produites ou la raison pour laquelle elles se sont produites.

[104]  En ce qui concerne l’argument d’A.B. selon lequel sa déposition sous serment aurait dû être présumée véridique, le défendeur affirme que cela va à l’encontre du droit fondamental de la preuve et qu’il n’existe aucune présomption législative dans le contexte d’un ERAR selon laquelle sa déposition sous serment est présumée véridique.

[105]  Selon le défendeur, l’agent n’a pas tiré de conclusions quant à la crédibilité des éléments centraux du récit d’A.B. Selon le défendeur, la seule conclusion quant à la crédibilité qui peut être discernée dans les motifs de l’agent portait sur l’une des nombreuses excuses qu’A.B. a avancées pour expliquer pourquoi il n’avait pas mentionné son orientation sexuelle comme motif de crainte dans sa demande d’asile. Le défendeur affirme que ce n’était pas un point majeur, puisque les autres excuses présentaient des problèmes et étaient éclipsées par le problème plus fondamental du manque de preuve objective que les membres de la communauté LGBTIQ+ et les personnes séropositives éprouvaient des difficultés au Rwanda.

[106]  Quant à la persécution alléguée d’A.B. aux mains des autorités rwandaises, le défendeur prétend que l’agent n’a pas tiré de conclusions en matière de crédibilité au sujet de la déposition sous serment d’A.B. Selon le défendeur, la décision de l’agent était fondée sur le fait que la preuve était insuffisante pour corroborer le récit contenu dans l’affidavit d’A.B.

VIII.  Analyse — la décision relative à l’ERAR

(1)  La décision de l’agent de rejeter la demande d’ERAR était‑elle raisonnable?

[107]  La demande d’ERAR a pour objet de déterminer si le demandeur doit être protégé au Canada parce qu’un renvoi dans son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels ou inusités (Rasiah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 583, au par. 15).

[108]  La Cour d’appel fédérale a souligné ceci dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 :

[11]  À supposer que la criminalité ou la sécurité nationale ne soient pas en cause, une demande présentée en vertu du paragraphe 112(1) est admise si, au moment de sa présentation, le demandeur répond à la définition de « réfugié au sens de la Convention », dans l’article 96 de la LIPR, ou à la définition de « personne à protéger », dans l’article 97 de la LIPR (alinéa 113c) de la LIPR). La décision d’accorder la demande d’ERAR a pour effet de conférer l’asile au demandeur (paragraphe 114(1) de la LIPR).

[109]  Dans les motifs de la décision relative à l’ERAR (comme dans la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire), l’agent a apprécié de façon déraisonnable la preuve médicale présentée par le Dr Keefer. Les motifs de l’agent justifiant la décision défavorable relativement à l’ERAR ne montrent pas pourquoi l’agent n’a pas cru la déposition sous serment d’A.B., laquelle détaillait la façon dont il avait subi les blessures. Ayant accepté le rapport du Dr Keefer comme étant fiable, il est difficile de comprendre pourquoi l’agent aurait exigé d’A.B. qu’il produise une preuve corroborante additionnelle, telle qu’un affidavit de sa femme qui avait été témoin de son enlèvement à son domicile ou un rapport médical indiquant qu’il avait reçu un traitement médical pour ses blessures.

[110]  L’agent a tiré des conclusions déraisonnables en matière de vraisemblance, non fondées sur la preuve, au sujet de la persécution d’A.B. par des agents de l’État rwandais et de son départ du Rwanda. L’agent a conclu que le récit de persécution d’A.B. était peu vraisemblable, parce qu’il n’avait pas eu de difficultés à obtenir un nouveau passeport du gouvernement rwandais lorsqu’il s’était rendu aux États‑Unis ni à passer les contrôles de sécurité à l’aéroport au Rwanda.

[111]  La Cour a conclu qu’un tribunal pouvait tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par un demandeur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Les conclusions relatives à la vraisemblance ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents et ne devraient pas reposer seulement sur ce qui paraît vraisemblable d’un point de vue strictement canadien (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au par. 7).

[112]  À mon avis, l’agent a tiré des conclusions déraisonnables en matière de vraisemblance au sujet du comportement des autorités rwandaises. L’agent a supposé que les personnes qui auraient persécuté A.B. n’agissaient pas de manière indépendante et que l’exécution de la loi au Rwanda est un organe gouvernemental coordonné. L’agent ne disposait pas de cette preuve. Il s’agissait d’une conclusion non étayée en matière de vraisemblance.

(2)   La décision de l’agent de ne pas convoquer d’audience a‑t‑elle porté atteinte à l’équité procédurale?

[113]  Bien que la plupart des demandes d’ERAR soient traitées par écrit, l’alinéa 113b) de la LIPR prévoit qu’une audience peut être convoquée pour une telle demande (A.B. c Canada (Cioyenneté et Immigration), 2019 CF 165, au par. 9). L’article 167 du Règlement prévoit que, pour déterminer si la tenue d’une audience est requise, trois facteurs sont pris en compte : (i) l’existence d’éléments de preuve qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur; (ii) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision; (iii) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient d’accueillir la demande d’ERAR (voir Huang, au par. 14). L’article 167 devient opérant lorsque la crédibilité est remise en question d’une façon qui peut donner lieu à une décision défavorable à l’issue de l’ERAR (Tekie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 27, au par. 16).

[114]  Dans la décision Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 59 [Gao], la Cour a remarqué que :

[32] […] dans certains cas, il est difficile d’établir une distinction entre une conclusion portant sur l’insuffisance de la preuve et une conclusion suivant laquelle un demandeur n’a pas été cru, c’est‑à‑dire n’était pas crédible. Le choix des mots employés, en l’occurrence le fait de parler de crédibilité ou de l’insuffisance de la preuve, ne permet pas à lui seul de déterminer si des conclusions ont été tirées sur une question ou sur l’autre ou sur les deux. On ne peut toutefois pas présumer que, lorsque l’agent conclut que la preuve ne démontre pas le bien-fondé de la demande du demandeur, l’agent n’a pas cru le demandeur.

[115]  Un agent d’ERAR ne tire pas essentiellement une conclusion défavorable quant à la crédibilité chaque fois qu’il conclut que la preuve produite par un demandeur n’est pas suffisante pour s’acquitter de son fardeau de présentation (Herman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 629, au par. 17 [Herman]). Il existe une distinction entre la charge de la preuve, la norme de preuve applicable et la qualité de la preuve nécessaire pour satisfaire à cette norme (Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au par. 16). Un agent d’ERAR peut tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité ou simplement ne pas croire la preuve présentée par le demandeur. Cette approche diffère sensiblement du fait de ne pas être convaincu qu’un demandeur s’est acquitté de son fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités, sans jamais avoir apprécié la crédibilité de la preuve (voir Herman, au par. 17).

[116]  La jurisprudence établit que la question de savoir si un demandeur s’est acquitté de sa charge de persuasion dépend du poids qu’un agent accorde à la preuve. L’agent peut aborder cette tâche en appréciant d’abord la crédibilité de la preuve, et s’il s’avère qu’elle n’est pas crédible, l’agent ne peut pas accorder de poids aux éléments de preuve. Toutefois, l’agent peut soit déterminer le poids des éléments de preuve qu’il a jugés crédibles, soit passer directement à évaluation du poids des éléments de preuve sans tirer de conclusions en ce qui a trait à la question de la crédibilité (Ferguson c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, aux par. 26 et 27 [Ferguson]; Gao, aux par. 35 et 36). Voici ce qu’a fait remarquer le juge Zinn dans la décision Ferguson :

[26]  Si le juge des faits décide que la preuve est crédible, une évaluation doit ensuite être faite pour déterminer le poids à lui accorder. Il n’y a pas seulement la preuve qui a satisfait au critère de fiabilité dont le poids puisse être évalué. Il est loisible au juge des faits, lorsqu’il examine la preuve, de passer directement à une évaluation du poids ou de la valeur probante de la preuve, sans tenir compte de la question de la crédibilité. Cela arrive nécessairement lorsque le juge des faits estime que la réponse à la première question n’est pas essentielle parce que la preuve ne se verra accorder que peu, voire aucun poids, même si elle était considérée comme étant une preuve fiable. Par exemple, la preuve des tiers qui n’ont pas les moyens de vérifier de façon indépendante les faits au sujet desquels ils témoignent, se verra probablement accorder peu de poids, qu’elle soit crédible ou non.

[27]  La preuve présentée par un témoin qui a un intérêt personnel dans la cause peut aussi être évaluée pour savoir quel poids il convient d’y accorder, avant l’examen de sa crédibilité, parce que généralement, ce genre de preuve requiert une corroboration pour avoir une valeur probante. S’il n’y a pas corroboration, alors il pourrait ne pas être nécessaire d’évaluer sa crédibilité puisque son poids pourrait ne pas être suffisant en ce qui concerne la charge de la preuve des faits selon la prépondérance de la preuve. Lorsque le juge des faits évalue la preuve de cette manière, il ne rend pas de décision basée sur la crédibilité de la personne qui fournit la preuve; plutôt, le juge des faits déclare simplement que la preuve qui a été présentée n’a pas de valeur probante suffisante, soit en elle‑même, soit combinée aux autres éléments de preuve, pour établir, selon la prépondérance de la preuve, les faits pour lesquels elle est présentée. Selon moi, c’est l’analyse qu’a menée l’agent dans la présente affaire.

[117]  Comme il a déjà été souligné, l’agent a accepté le contenu du rapport médical du Dr Keefer qui indiquait que les blessures d’A.B. étaient conformes au récit qu’il avait fourni dans son formulaire « Fondement de la demande d’asile ». L’agent n’était cependant pas convaincu que cette preuve était suffisante pour démontrer qu’A.B. avait probablement été torturé par les autorités de l’État qui l’accusaient de subversion. Je suis d’accord avec A.B. pour dire que les motifs de l’agent dans la décision relative à l’ERAR ne montrent pas pourquoi l’agent n’a pas cru la preuve par affidavit d’A.B. qui décrivait en détail la façon dont il avait subi les blessures.

[118]  À mon avis, l’agent a tiré des conclusions quant à la crédibilité qui étaient au cœur de la demande d’ERAR d’A.B. Les conclusions de l’agent quant à la crédibilité d’A.B. auraient dû être abordées dans le cadre d’une audience.

IX.  Conclusion

[119]  Les décisions de l’agent concernant la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et la demande d’ERAR ne cadrent pas bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité. Par conséquent, chacune des demandes de contrôle judiciaire est accueillie.

[120]  L’agent a apprécié de manière trop restrictive les circonstances soulevées par A.B. dans ses demandes. L’approche de l’agent à l’égard de la preuve médicale est une erreur qui va au cœur des décisions et qui a altéré l’équilibre général des décisions.

[121]  L’agent a apprécié de façon déraisonnable les éléments concernant la preuve médicale du Dr Keefer sur la torture et les mauvais traitements subis par A.B. dans la décision relative à la demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire et dans la décision relative à l’ERAR. L’agent a tiré des conclusions déraisonnables, non fondées sur la preuve, quant à la vraisemblance de la persécution d’A.B. par des fonctionnaires rwandais et de son départ du Rwanda. L’agent a tiré des conclusions quant à la crédibilité qui auraient dû être abordées dans le cadre d’une audience aux termes de l’article 167 du Règlement.

[122]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.




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