Date : 20050120
Dossier : IMM-5669-03
Référence : 2005 CF 67
Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE
ENTRE :
ZEWDE BEYENE
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE O'KEEFE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et visant la décision du 19 juin 2003 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que la demanderesse n'était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.
[2] La demanderesse sollicite une ordonnance ayant pour effet d'annuler la décision de la Commission et de renvoyer la revendication pour nouvelle décision.
Le contexte
[3] La demanderesse, Zewde Beyene, est une citoyenne de l'Éthiopie qui prétend craindre avec raison d'être persécutée à cause de sa race (Amhara), des opinions politiques qu'on lui prête et du fait de son appartenance à un certain groupe social, à savoir qu'elle est une femme.
[4] La demanderesse est née dans le village de Woochale, dans la province de Wollo en Éthiopie. La demanderesse a déclaré ne pas avoir fréquenté l'école pendant un certain nombre d'années en raison de problèmes de sécurité et de troubles sociaux puis, à l'automne 2000, s'être inscrite en onzième année à l'école secondaire Minilik, à Addis Abéba, la capitale de l'Éthiopie.
[5] En avril 2001, des étudiants ont mené une manifestation contre le gouvernement du Tigré. Dans le récit circonstancié de son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse a déclaré ne pas avoir participé à la manifestation. Le personnel de l'école a communiqué avec les policiers, tout en détenant la demanderesse et d'autres étudiants à l'intérieur de l'établissement scolaire pour les empêcher de se joindre à la manifestation. La police est arrivée, selon la demanderesse, elle a dispersé les étudiants qui manifestaient à l'extérieur et elle a détenu bon nombre d'entre eux.
[6] La demanderesse a ajouté que les policiers sont entrés dans l'établissement et qu'ils s'en sont pris en particulier aux étudiants d'origine amhara, qu'ils ont accusé d'exercer des activités antigouvernementales; on en a traîné certains à l'extérieur, choisis au hasard, pour être battus. La demanderesse a déclaré avoir été battue, transportée en camion vers un immeuble de surveillance temporaire à l'extérieur de la ville, puis transportée de nouveau avec près de 3 000 autres détenus au centre de détention Shewa Robit.
[7] La demanderesse soutient avoir été interrogée et battue au centre Shewa Robit. Une fois, on l'a accusée de faire partie de la All Amhara People's Organization, puis battue pendant une semaine pour tenter d'obtenir d'elle une fausse confession. La demanderesse a déclaré avoir été violée à plusieurs reprises pendant son séjour de deux mois à Shewa Robit, tout comme l'étaient d'autres détenues.
[8] La demanderesse a déclaré avoir pu quitter le centre Shewa Robit après que son père eut payé un pot-de-vin aux policiers. Après sa remise en liberté, son père se serait arrangé pour qu'elle demeure cachée chez des amis de la famille à la campagne, près de Woochale, jusqu'à ce qu'il puisse organiser son départ hors de l'Éthiopie.
[9] La demanderesse a soutenu qu'en août 2002 son père avait pris des mesures pour qu'elle puisse se rendre à Addis Abéba, pour ensuite se rendre en avion jusqu'à New York et enfin franchir la frontière canadienne. La demanderesse a quitté l'Éthiopie le 23 août 2002 et est arrivée au Canada le 25 août 2002; elle a demandé l'asile à Ottawa, le 6 septembre 2002.
[10] Le 23 mai 2003, la Commission a instruit la demande de la demanderesse.
Les motifs de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section de la protection des réfugiés)
[11] Dans une décision du 19 juin 2003, la Commission a statué que la demanderesse n'était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens de la LIPR.
[12] La Commission a rendu une décision défavorable parce qu'elle estimait le témoignage de la demanderesse ni crédible ni fiable sur beaucoup d'éléments importants de sa demande, et que ce témoignage contredisait également la preuve documentaire relative aux événements décrits. La Commission n'a pas cru que la demanderesse avait été arrêtée, avait subi des mauvais traitements ou avait été violée, et elle a déclaré que les allégations de cette dernière avaient été présentées pour des fins liées à la demande d'asile.
[13] En ce qui concerne le récit par la demanderesse de la manifestation étudiante d'avril 2001 et de ses prétendues arrestation et détention, la Commission n'a pas cru que ces incidents se soient réellement produits ni même que la demanderesse ait été étudiante dans la région d'Addis Abéba à l'époque. Ces conclusions se fondaient sur les éléments qui suivent.
1. L'allégation de la demanderesse selon laquelle les étudiants amhara étaient la cible particulière des policiers n'était corroborée par aucun document de la preuve documentaire - rapports du Département d'État des États-Unis, de Human Rights Watch, d'Amnistie Internationale et de la BBC ainsi que coupures de presse. Selon la Commission, si les étudiants amhara avaient constitué une cible particulière, ces rapports approfondis venant de sources sûres et désintéressées en auraient parlé.
2. Il était invraisemblable que la demanderesse ne sache pas pour quelle raisons les étudiants manifestaient si, comme elle le prétendait, elle vivait et étudiait dans la région d'Addis Abéba et était en contact avec les étudiants prenant part aux manifestations.
3. La prétention de la demanderesse selon laquelle elle avait été détenue pendant deux mois bien qu'elle n'ait pas participé aux manifestations était invraisemblable. Selon la preuve documentaire, en effet, la plupart des étudiants ont été relâchés après une période de détention beaucoup plus courte, certains étant détenus plus longtemps uniquement parce qu'ils ne pouvaient payer la caution exigée. La Commission a déclaré que la demanderesse n'avait pu expliquer pourquoi elle avait cru nécessaire de fuir l'Éthiopie un an après sa détention, alors même que les étudiants ayant véritablement participé aux manifestations n'ont été inculpés que d'infractions mineures et ont été relâchés.
4. Il était invraisemblable que la demanderesse, arrêtée et battue comme elle l'a prétendu, ait pu compter les camions du convoi vers le centre de détention Shewa Robit et le nombre de détenus transportés.
5. Le témoignage de la demanderesse était contradictoire quant au motif pour lequel elle n'était pas retournée étudier après sa remise en liberté. Elle a déclaré avoir été rayée de la liste des étudiants, n'a pu expliquer comment elle avait appris qu'on l'avait rayée de cette liste, puis a expliqué ne pas être retournée étudier parce qu'elle craignait d'être arrêtée.
6. La Commission n'a pas cru que la demanderesse se soit cachée après sa prétendue détention, en raison d'incohérences dans les dates mentionnées. La demanderesse a déclaré avoir été emprisonnée pendant deux mois à compter d'avril 2001, être ensuite allée se cacher chez un ami de son père pendant quatre à six semaines, puis être restée à Addis Abéba trois ou quatre jours avant de quitter l'Éthiopie à destination du Canada. Si l'on fait le calcul, la demanderesse aurait dû partir pour le Canada en août 2001, alors que celle-ci a déclaré dans son FRP avoir quitté l'Éthiopie un an plus tard à destination du Canada, soit en août 2002. Après qu'on lui eut posé de nombreuses questions à ce sujet, la demanderesse a enfin affirmé être restée cachée chez l'ami de son père pendant un an et non pendant un mois. La Commission a conclu que la demanderesse avait enjolivé son récit et ne s'était pas tenue cachée avant de quitter l'Éthiopie en août 2002. La Commission n'a pas cru non plus que les différences dans les dates mentionnées puissent s'expliquer par des divergences entre les calendriers en usage en Éthiopie et en Occident.
[14] La Commission n'ayant pas cru que la demanderesse étudiait à Addis Abéba au moment de la manifestation étudiante, non plus qu'elle ait été arrêtée, elle n'a pas cru également qu'elle avait été victime de viol au cours de sa détention. La conclusion de la Commission quant à l'absence de viol s'appuyait en outre sur certaines contradictions dans le témoignage de la demanderesse. Elle a noté les contradictions suivantes :
1. Selon les notes au point d'entrée, la demanderesse aurait été arrêtée, battue, violée puis envoyée à la prison du camp de Shewa Robit; d'après le témoignage de la demanderesse, par contre, cette dernière aurait été battue et violée pendant qu'elle était à cette prison.
2. Dans son premier récit circonstancié du FRP, la demanderesse a mentionné avoir été battue et avoir manqué de nourriture à Shewa Robit mais pas y avoir été violée, sauf dans une courte phrase du quatrième paragraphe. Dans les changements apportés au récit circonstancié de la demanderesse, toutefois, on trouve désormais des détails quant aux allégations de viol.
3. Dans les changements apportés à son récit circonstancié, la demanderesse a déclaré : [traduction] « une personne en particulier ne cessait de s'en prendre à moi et de me violer » . Dans son témoignage, toutefois, elle a déclaré avoir été violée par [traduction] « peut-être deux personnes chaque fois » et « peut-être que trois personnes m'ont violée » . Et lorsqu'on lui a demandé qui l'avait violée, elle a répondu que c'étaient des soldats, des gardiens et des policiers. Priée d'expliquer ces contradictions, la demanderesse a déclaré qu'elle était troublée et qu'elle s'était sans doute trompée. La Commission n'a pas jugé ces explications satisfaisantes.
4. La Commission n'a pas cru l'allégation de la demanderesse portant que toutes les détenues de son groupe avaient été violées. En effet, la preuve documentaire abondante sur le traitement des prisonniers n'en faisait pas état et, selon le rapport du Département d'État pour l'année 2001, on n'avait pas rapporté de viols de prisonnières par des gardiens de prison. On avait rapporté le cas d'un gardien condamné à une longue peine d'emprisonnement pour avoir violé une prisonnière, et les rapports relatifs à des soldats ayant commis des viols étaient reliés à d'autres incidents.
[15] D'après la preuve documentaire, les Amhara occupent une place dominante en Éthiopie, on ne les arrête pas arbitrairement et ils sont représentés dans le gouvernement par le Mouvement national démocratique amhara (qui a remporté 134 sièges aux élections de mai 2000 et qui est affilié au parti au pouvoir). De ce fait, la Commission n'a pas cru la demanderesse lorsqu'elle a prétendu avoir été la cible des policiers simplement parce qu'elle était d'origine amhara.
[16] La Commission a mentionné avoir passé en revue les directives de la présidence concernant la persécution fondée sur le sexe. Elle a toutefois conclu que la demanderesse n'avait pas fourni d'éléments de preuve fiables et dignes de foi à cet égard et que ses allégations ne concordaient pas avec la preuve documentaire.
[17] La Commission a conclu, pour tous ces motifs, que la demanderesse n'était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.
[18] Il s'agit en l'espèce du contrôle judiciaire de la décision de la Commission.
Les prétentions de la demanderesse
[19] Selon la demanderesse, la Commission n'a pas tenu compte d'éléments de preuve dont elle était saisie ou les a mal interprétés, ce qui l'a conduite à tirer des conclusions de fait erronées. Pour mettre en question la conclusion de la Commission portant que rien ne démontrait que les étudiants amhara aient été particulièrement ciblés pendant les manifestations de 2001, la demanderesse a mis de l'avant une preuve documentaire mentionnant qu'on avait accusé la All Amhara People's Organization d'avoir organisé les manifestations et que, par conséquent, les policiers s'en étaient pris aux Amhara. La demanderesse a soutenu que la Commission avait fait abstraction de cet élément de preuve.
[20] La demanderesse a nié qu'il ait été invraisemblable pour elle de ne pas connaître les motifs de la manifestation étudiante d'avril 2001. Elle a déclaré que ses commentaires à ce sujet avaient été véridiques et sans détour lors de son témoignage; son explication, raisonnable, c'était que les émeutes avaient pris naissance dans les universités avant d'atteindre les écoles secondaires, et qu'elle n'avait donc pas eu l'occasion de s'informer de ce qui se passait.
[21] Selon la demanderesse, les rapports où l'on mentionne que des étudiants étaient toujours détenus à la fin de 2001 confirment la vraisemblance de sa propre détention pendant deux mois. La conclusion contraire de la Commission n'est aucunement étayée par la preuve.
[22] La demanderesse a prétendu que la Commission avait commis une erreur en concluant que les étudiantes détenues n'avaient pas été violées simplement parce qu'on n'en avait pas fait état dans la preuve documentaire. D'après la demanderesse, les Éthiopiens considèrent le viol comme honteux et, par crainte de stigmatisation sociale, ils n'en parleraient pas au grand jour. La demanderesse a ajouté que tous savaient que des membres des forces de sécurité éthiopiennes violaient les jeunes femmes longtemps détenues. La demanderesse a également soutenu que la Commission avait fait abstraction de la preuve documentaire mentionnant le grand nombre de viols commis en Éthiopie, et n'avait pas appliqué les directives de la présidence concernant la persécution fondée sur le sexe.
[23] La demanderesse a soutenu que les nouveaux éléments figurant dans son affidavit du 11 juin 2004 et concernant l'importance des blessures subies pendant sa détention - y compris une blessure à la tête pas encore complètement guérie - sont admissibles à titre de preuve nouvelle et étayent la description des faits du récit circonstancié de son FRP.
[24] Selon la demanderesse, l'interprète présent à l'audience de la Commission était incompétent ou s'est embrouillé dans la conversion entre le calendrier éthiopien et le calendrier occidental, et que cela a ajouté à la confusion entourant la période où elle s'est tenue cachée avant de quitter l'Éthiopie. La demanderesse a ajouté que la Commission a commis une erreur en ne s'enquérant pas des compétences de l'interprète, vu qu'il s'était manifestement embrouillé dans la conversion des dates. La Commission aurait ainsi commis une erreur, étant donné les problèmes de traduction liés aux dates et la confusion générale entourant le témoignage de la demanderesse sur ce point, en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité en raison d'incohérences dans les dates.
[25] La demanderesse a soutenu s'être embrouillée dans les dates en raison de son peu d'éducation et parce que l'anglais n'est pas sa langue maternelle.
[26] La demanderesse a enfin soutenu qu'il y avait eu déni de justice naturelle à son endroit, et qu'il n'y avait pas eu instruction équitable de sa demande d'asile. La demanderesse a demandé à la Cour d'intervenir et de renvoyer l'affaire à la Commission pour qu'elle rende une nouvelle décision.
Les prétentions du défendeur
[27] Le défendeur a soutenu que la décision manifestement déraisonnable est la norme de contrôle applicable à la conclusion défavorable de la Commission en matière de crédibilité.
[28] Le défendeur a soutenu que les conclusions de la Commission quant à des invraisemblances - que la demanderesse conteste - étaient raisonnables, qu'elles ont trait à des éléments fondamentaux de la demande d'asile et qu'elles sont conformes à la preuve documentaire décrivant les émeutes d'étudiants d'avril 2001.
[29] Le défendeur a déclaré, premièrement, qu'il était raisonnable pour la Commission de conclure, vu l'absence de mention dans la preuve documentaire, que la prise pour cible des Amhara lors des arrestations d'étudiants était invraisemblable. Le défendeur a soutenu que, contrairement à la prétention de la demanderesse, la Commission a bel et bien pris en compte la preuve indiquant qu'on soupçonnait la All Amharic People's Organization d'avoir organisé les émeutes, mais a considéré qu'il ne s'agissait pas là d'une preuve de la prise pour cible des Amhara.
[30] Le défendeur a prétendu, deuxièmement, qu'il était raisonnable pour la Commission d'estimer invraisemblable que la demanderesse ignore, si elle vivait vraiment dans la région d'Addis Abéba, pourquoi des émeutes avaient éclaté. Il était loisible à la Commission, le défendeur a-t-il souligné, de tirer des conclusions fondées sur le bon sens et la raison, et de conclure sur de tels fondements qu'il était invraisemblable qu'une étudiante du niveau secondaire n'en sache pas davantage sur un fait important survenant dans sa ville.
[31] Le défendeur a aussi déclaré, troisièmement, qu'il était raisonnable pour la Commission d'estimer invraisemblable la détention pendant deux mois de la demanderesse, alors qu'on a relâché plus tôt les personnes ayant véritablement pris part aux manifestations. Le défendeur a ajouté que la demanderesse n'avait jamais donné d'explication quant à un élément clé de sa revendication, n'ayant pas dit pourquoi, un an après sa mise en liberté, elle craignait toujours la police et s'était enfuie de son pays.
[32] Le défendeur a soutenu, quatrièmement, qu'il était loisible pour la Commission d'estimer invraisemblable le viol en détention de la demanderesse. Selon le défendeur, la preuve documentaire dans son ensemble n'étaye pas l'explication de la demanderesse portant que des étudiantes victimes de viol n'admettraient pas ce fait en raison de la stigmatisation sociale et de la honte qui y sont attachées. On mentionne dans la preuve documentaire, en effet, que le viol et la violence au foyer sont un problème par trop fréquent en Éthiopie. Le défendeur a ajouté que la Commission avait bien pris en compte la preuve documentaire faisant état de viols par des personnes en autorité, mais qu'elle avait conclu en l'absence de liens entre de tels faits et les émeutes d'étudiants. La conclusion ainsi tirée par la Commission était raisonnable selon le défendeur.
[33] D'après le défendeur, c'est à bon titre que la Commission s'est appuyée sur des contradictions dans le témoignage de la demanderesse pour conclure que celle-ci n'avait été ni arrêtée ni violée. Selon le défendeur, la confusion ayant pu entourer la conversion des dates du calendrier éthiopien au calendrier occidental n'est pas de nature à expliquer les incohérences dans le témoignage de la demanderesse quant à la période où elle se serait cachée après sa remise en liberté. Il y avait en outre des contradictions dans ce témoignage pour ce qui est de savoir quand la demanderesse avait été violée et par combien d'hommes et quant à l'identité des prétendus violeurs. Le défendeur a soutenu que les conclusions tirées à cet égard n'étaient pas manifestement déraisonnables.
[34] Le défendeur a relevé l'allégation de la demanderesse au sujet de l'interprétation déficiente pendant l'audience de la Commission, mais il a soutenu qu'une telle allégation ne peut entraîner, en soi, l'annulation de la décision de la Commission.
[35] Le défendeur a sollicité le rejet de la présente demande de contrôle judiciaire.
Les questions en litige
[36] Selon la demanderesse, les questions qui sont en litige sont les suivantes :
1. Le tribunal a-t-il rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées sans tenir compte d'éléments dont il disposait et a-t-il interprété la preuve erronément et tiré des conclusions manifestement déraisonnables?
2. Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en ne prenant pas en compte et en considération l'ensemble de la preuve dont il était saisi et y a-t-il eu ainsi déni de justice naturelle à l'endroit de la demanderesse?
Dispositions légales pertinentes
[37] On définit comme suit le « réfugié au sens de la Convention » et la « personne à protéger » à l'article 96 et au paragraphe 97(1) de la LIRP.
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention - le réfugié - la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques : |
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion, |
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
[...] |
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
[...] |
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée : |
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally |
a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture; |
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or |
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant : |
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if |
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, |
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country, |
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas, |
(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country, |
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes - sauf celles infligées au mépris des normes internationales - et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles, |
(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and |
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats. |
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care. |
Analyse et décision
[38] Question préliminaire - la norme de contrôle judiciaire applicable
La norme de contrôle devant être appliquée en l'espèce est la décision manifestement déraisonnable. De la sorte, les conclusions de la Commission quant à la crédibilité doivent être étayées par la preuve et ne pas être tirées de façon arbitraire ou fondées sur des conclusions de fait erronées.
[39] 1re question en litige
Le tribunal a-t-il rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées sans tenir compte d'éléments dont il disposait et a-t-il interprété la preuve erronément et tiré des conclusions manifestement déraisonnables?
La demanderesse a soutenu que la Commission avait commis une erreur en concluant en l'invraisemblance des éléments suivants de son témoignage :
1. les Amhara ont été pris pour cible lors des arrestations qui ont suivi les manifestations étudiantes;
2. la demanderesse ignorait le motif des émeutes;
3. la demanderesse a été détenue pendant deux mois bien qu'elle n'ait pas pris part aux manifestations;
4. la demanderesse a été victime de viols.
[40] La prise pour cible des étudiants amhara
La Commission a déclaré dans sa décision que, si les étudiants amhara avaient constitué une cible particulière, la preuve documentaire aurait dû en faire mention. Or, rien n'est dit en ce sens dans les divers rapports. Dans Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 114 (C.A.) (QL), on a déclaré que la présomption de véracité du témoignage sous serment d'un demandeur pouvait être réfutée si on ne mentionnait pas dans la preuve documentaire ce qu'on devrait s'attendre à y trouver. J'estime qu'il était raisonnable pour la Commission de décider comme elle l'a fait sur ce point.
[41] La demanderesse ignorait le motif des émeutes
La Commission a conclu qu'il était invraisemblable que la demanderesse n'ait pas parlé des manifestations avec d'autres étudiants et n'en ait donc pas connu le motif. Encore une fois, j'estime raisonnable la conclusion de la Commission à cet égard.
[42] La détention de deux mois
La Commission n'a pas cru que la demanderesse ait été arrêtée lors d'une descente de la police dans une école pendant les manifestations étudiantes de 2001. Cette conclusion de la Commission se fondait sur des incohérences dans le témoignage de la demanderesse quant au moment où elle avait été arrêtée et où elle était partie à destination du Canada. Il y avait confusion quant à savoir si la prétendue arrestation avait eu lieu en avril 2001 ou en avril 2002. Les dates mentionnées ne concordaient pas et la Commission n'a pas cru que cela pouvait s'expliquer par une confusion entourant le calendrier éthiopien. La Commission a motivé sa conclusion et j'estime que celle-ci était raisonnable.
[43] Les prétendus viols
La Commission a conclu que la demanderesse n'avait été ni arrêtée ni violée. La Commission signale que dans les notes au point d'entrée la demanderesse a déclaré avoir été battue et violée, puis envoyée à la prison d'un camp. Cela laisse entendre qu'on l'a violée avant qu'elle ne soit emmenée au camp. La Commission a fait remarquer que la description des viols par la demanderesse n'était pas la même dans le premier FRP, dans le FRP modifié et dans son témoignage oral. Le nombre des auteurs de viols différait ainsi d'une fois à l'autre. L'examen de la conclusion de la Commission sur ce point m'amène à conclure que la décision de celle-ci avait un caractère raisonnable. Cela est étayé par le fait que, bien que la demanderesse ait déclaré dans son FRP modifié que toutes les détenues de son groupe avaient été violées, la preuve documentaire ne fait nulle mention de cette situation.
[44] 2e question en litige
Le tribunal a-t-il commis une erreur de droit en ne prenant pas en compte et en considération l'ensemble de la preuve dont il était saisi et y a-t-il eu ainsi déni de justice naturelle à l'endroit de la demanderesse?
La demanderesse soutient ne pas avoir eu droit à une audition équitable du fait que l'interprète avait commis une erreur de traduction liée aux particularités du calendrier éthiopien. J'ai passé en revue la transcription de l'audience et je ne puis conclure que l'interprétation a donné lieu à un déni de justice naturelle à l'endroit de la demanderesse. Celle-ci n'a pu répondre aux questions qu'on lui a posées. La Commission a conclu que la confusion autour du calendrier éthiopien n'expliquait pas celle entourant les dates des prétendues arrestation et détention de la demanderesse. Je suis d'avis qu'était raisonnable la décision de la Commission à cet égard.
[45] La demanderesse a également déclaré qu'on n'avait pas appliqué les directives concernant la persécution fondée sur le sexe. L'examen de la décision démontre toutefois que la Commission a bien pris en compte ces directives, mais qu'elle a déclaré que la demanderesse n'avait pas fourni d'éléments de preuve fiables et dignes de foi, et que ses allégations ne concordaient pas avec la preuve documentaire. Il était raisonnable pour la Commission d'en arriver à cette décision.
[46] Je suis d'avis que la Commission a bien pris en compte et en considération la preuve dont elle était saisie.
[47] La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.
[48] Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé la certification d'une question grave de portée générale.
ORDONNANCE
[49] LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
« John A. O'Keefe »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 20 janvier 2005
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5669-03
INTITULÉ : ZEWDE BEYENE
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 9 AOÛT 2004
ET ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE
DATE DES MOTIFS ET
DE L'ORDONNANCE : LE 20 JANVIER 2005
COMPARUTIONS :
Isaac Owusu-Sechere POUR LA DEMANDERESSE
Marie Crowley POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Isaac Owusu-Sechere POUR LA DEMANDERESSE
Ottawa (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada