Date : 19990107
Dossier : IMM-1246-98
ENTRE :
RAHMATOLLAH KHAYAMBASHI,
demandeur,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE REED
[1] La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision par laquelle une agente de révision des revendications refusées a conclu que le demandeur n'est pas un demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (DNRSRC).
[2] Le demandeur est un ressortissant iranien. Il est arrivé au Canada en janvier 1996 et a revendiqué le statut de réfugié. Par voie de décision rendue le 4 novembre 1996, la section du statut de réfugié (la section du statut) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié, principalement en raison de l'invraisemblance de son récit. Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la section du statut, mais sa demande a été rejetée parce qu'il n'a pas déposé de dossier. Elle n'a pas été rejetée sur le fond.
[3] Le demandeur a ensuite demandé à être considéré comme un demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). Il a soumis à l'agente de révision des revendications refusées (l'agente) plusieurs éléments de preuve, dont 1) le formulaire de renseignements personnels (FRP) contenu dans sa revendication; 2) la décision de la section du statut; 3) un affidavit signé par le demandeur relativement à sa demande DNRSRC; 4) un affidavit signé par Homayoon Sanayei attestant qu'en Iran les traductions sont faites par des personnes agréées par le ministère de la Justice, mais que le gouvernement n'a pas un intérêt dans la traduction pour autant; 5) un affidavit de Manizheh Madadkhani attestant l'exactitude de la traduction qu'il a faite des notes du demandeur; 6) de la documentation sur l'Iran. Bien entendu, la section du statut n'avait pas été saisie de ces trois affidavits. De plus, l'avocat du demandeur a présenté des observations détaillées au soutien de la révision de la revendication refusée demandée par le demandeur.
[4] Le paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, dispose :
" demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada " Immigrant au Canada : |
a) à l'égard duquel la section du statut a décidé, le 1er février 1993 ou après cette date, de ne pas reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention, à l'exclusion d'un immigrant, selon le cas : |
[...]
c) dont le renvoi vers un pays dans lequel il peut être renvoyé l'expose personnellement, en tout lieu de ce pays, à l'un des risques suivants, objectivement identifiable, auquel ne sont pas généralement exposés d'autres individus provenant de ce pays ou s'y trouvant : |
(i) sa vie est menacée pour des raisons autres que l'incapacité de ce pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats, |
(ii) des sanctions excessives peuvent être exercées contre lui, |
(iii) un traitement inhumain peut lui être infligé. |
[5] Dans une décision en date du 12 mars 1998, l'agente de révision des revendications refusées a rejeté la demande du demandeur. Elle a déclaré que le demandeur ne serait pas exposé à un risque s'il devait quitter le Canada et retourner en Iran. Elle a joint à sa lettre de décision un formulaire intitulé [traduction] " Évaluation des risques d'un retour ", qui contient les notes dans lesquelles elle relate les faits et fait état de la preuve dont elle a tenu compte.
[6] Le demandeur soutient que ces notes fournissent la preuve que l'agente n'a pas tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis, en particulier les nouveaux éléments de preuve dont la section du statut n'avait pas été saisie. Le demandeur soutient que l'agente n'a pas appliqué le bon critère lorsqu'elle a évalué le risque. Il est allégué que le demandeur doit uniquement prouver qu'il existe un risque objectivement identifiable que sa vie soit menacée, que des sanctions excessives soient exercées contre lui ou qu'un traitement inhumain lui soit infligé s'il est renvoyé en Iran. L'agente aurait appliqué des conditions plus rigoureuses.
[7] Les notes de l'agente sont loin d'être claires. Elles sont parfois sibyllines et difficiles à suivre. À de nombreux endroits, l'agente mentionne qu'un fait donné a été prouvé par la " preuve documentaire ", alors que la conclusion de fait repose sur le témoignage du demandeur. Dans ses notes, l'agente fait état du rejet par la Cour fédérale de la demande d'autorisation d'interjeter appel de la décision de la section du statut présentée par le demandeur en guise de réponse à certaines observations faites par l'avocate du demandeur sur cette décision, mais ne précise pas que cette décision ne portait pas sur le fond de la demande.
[8] Un aspect de ces notes m'a préoccupée, soit le fait qu'elles ne font aucunement référence à l'explication que le demandeur a fournie à la section du statut ainsi que dans l'affidavit qu'il a présenté en vue de la révision de sa revendication, à savoir qu'il craignait de retourner en Iran parce que son cousin Hossain avait divulgué à la police en 1994 que le demandeur avait hébergé des réfugiés politiques en 1988. Dans son FRP, le demandeur a déclaré qu'il craignait d'être persécuté parce qu'il pensait que la police croirait qu'il savait où se trouvait Hossain quand elle était à sa recherche et que le demandeur n'en avait pas soufflé mot. Quand on a fait remarquer à l'audience devant la section du statut qu'en raison de l'arrestation de Hossain, cette crainte ne semblait plus avoir de fondement, le demandeur a déclaré qu'il craignait d'être persécuté et qu'il s'était enfui parce que des amis lui avaient appris que Hossain avait dit à la police, sous la torture, que le demandeur avait hébergé des réfugiés politiques en 1988. La section du statut n'a pas accepté cette explication. Dans l'affidavit qu'il a déposé dans le cadre de la révision de sa revendication, le demandeur relate ces faits et fournit d'autres explications dans le but de réfuter certaines conclusions de la section du statut. Dans ses notes, l'agente fait référence à la première explication donnée par le demandeur (soit le fait que la police l'arrêterait parce qu'elle croyait qu'il savait où Hossain se cachait), mais pas à la seconde.
[9] L'affidavit de Sanayei n'est pas mentionné dans les notes de l'agente. Ainsi qu'il est indiqué plus haut, cet affidavit atteste que le gouvernement iranien ne serait pas forcément mis au courant du contenu d'un document pour la seule raison que ce document a été officiellement traduit par un traducteur et qu'il porte l'estampille [traduction] " Traducteur officiel auprès de l'administration de la justice de la République islamique d'Iran ". Cette estampille veut simplement dire que la personne en question est un traducteur agréé. La section du statut a considéré qu'un document d'adhésion que le demandeur lui avait présenté comme preuve, et qui avait été officiellement traduit et estampillé, jetait le doute sur la vraisemblance de la crainte exprimée par le demandeur.
[10] L'argument invoqué par l'avocate du demandeur, à savoir que l'agente n'a pas mentionné expressément ces nouveaux éléments de preuve dans ses notes et, partant, n'en a pas tenu compte, m'a d'abord paru attrayant, mais, réflexion faite, et après avoir soigneusement comparé le FRP, le texte de la décision de la section du statut et les nouveaux éléments de preuve, je ne puis conclure que l'agente n'en a rien fait. J'accorde peu de poids aux remarques stéréotypées de l'agente selon lesquelles [traduction] " toutes les observations [...] du demandeur ont été examinées dans leur intégralité " et [traduction ] " j'ai soigneusement examiné tout le dossier " et [traduction ] " après avoir soigneusement examiné toute la preuve documentaire [...] ". Par contre, elle se réfère à deux reprises dans ses notes aux [traduction ] " observations de l'avocate ". Ces observations sont fondées sur les nouveaux éléments de preuve. L'agente pourrait difficilement avoir évalué ces observations sans avoir pris en considération les nouveaux affidavits.
[11] L'une des observations au sujet desquelles l'agente fait des commentaires, et il s'agit d'un point fondamental pour les fins de la présente demande, est la suivante : [traduction] " [L]e FRP contient des erreurs d'interprétation et le demandeur n'en savait rien lorsqu'il l'a signé. " C'est à juste titre que l'agente a rejeté cette observation. Il ressort d'un examen des documents en question qu'il s'agit d'une fausse affirmation. Le FRP et les notes sont deux documents distincts, et non seulement le premier n'est pas une traduction du second, mais aucune inexactitude n'a été relevée dans le premier. Au cours de l'audience que j'ai présidée, l'avocate du demandeur a adopté le point de vue que son client ne prétendait pas que le FRP n'était pas une traduction fidèle des notes, mais simplement que les notes brossaient un tableau plus complet de ce qui s'était passé, et avaient un ton différent de celui du FRP. Ce n'est pas ce que le demandeur a affirmé dans l'affidavit qu'il a soumis à l'agente de révision des revendications refusées, et ce n'est pas non plus le point de vue que l'avocate a adopté dans les observations qu'elle a soumises à l'agente.
[12] En ce qui concerne l'affidavit de Sanayei, comme l'agente ne s'est pas référée à la preuve que cet affidavit cherche à réfuter, je ne suis pas disposée à conclure que le défaut de se référer au contenu de l'affidavit indique que l'affidavit n'a pas été pris en considération. De plus, l'affidavit traite un seul des motifs invoqués par la section du statut pour conclure que le récit du demandeur était invraisemblable.
[13] Ainsi qu'il vient d'être mentionné, l'agente s'est référée dans ses notes aux observations faites par l'avocate, et une partie de ses notes paraît reprendre textuellement certains passages de ces observations. Ces observations reprennent à leur tour de longs passages, en grande partie textuels, tirés des nouveaux affidavits, à l'exception de l'affidavit de Sanayei, qui ont été mis en preuve. Je ne puis conclure que ces nouveaux éléments de preuve n'ont pas été pris en considération.
[14] J'en viens à l'argument selon lequel l'agente n'a pas appliqué le bon critère juridique pour décider si le demandeur était exposé à un risque de préjudice objectivement identifiable. Cet argument est en grande partie fondé sur l'avant-dernier point de ses notes. Je vais exposer la partie finale de ses notes, ainsi que les conclusions qu'elle a cochées dans les cases prévues à cette fin sur ce formulaire :
[traduction] |
" Preuve insuffisante pour conclure que l'intéressé était ciblé par les autorités iraniennes. L'intéressé a été détenu à deux reprises, mais il a été libéré après avoir subi deux interrogatoires. |
" Preuve insuffisante pour conclure que l'intéressé serait personnellement ciblé par les autorités iraniennes dans l'avenir. La preuve documentaire indique que l'intéressé a été interrogé et relâché par les autorités iraniennes le même jour en 1988. La preuve documentaire précise que l'intéressé n'a pas eu d'autres démêlés avec les autorités iraniennes avant décembre 1994. |
" La preuve documentaire indique que la famille de l'intéressé continue de résider en Iran. |
" La preuve documentaire indique que la crainte de l'intéressé d'être arrêté, avant de s'enfuir d'Iran, reposait sur des conjectures. |
" Selon un examen approfondi de la preuve documentaire, il n'existe aucune preuve matérielle que les autorités iraniennes considèrent l'intéressé comme un ennemi politique. En outre, il n'existe pas suffisamment d'éléments de preuve indiquant que les autorités iraniennes détiendraient l'intéressé à son retour en Iran. |
" L'intéressé n'est pas exposé à un risque au sens où on l'entend dans la définition d'un demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada prévue à l'article 2 du Règlement. |
OUI NON S/O
Risque mentionné dans le Règlement X
(risque pour la vie, sanctions excessives,
traitement inhumain)
Risque objectivement identifiable X
auquel ne seraient généralement pas
exposées d'autres personnes vivant
dans ce pays ou originaires de ce pays
S'il existe un risque, l'intéressé X
y serait-il exposé dans chaque
région du pays?
[15] L'avocate du demandeur soutient : que l'agente a appliqué le mauvais critère; que le critère veut qu'un requérant prouve l'existence d'un risque objectivement identifiable, pas qu'il fournisse une preuve matérielle; que l'agente a exigé du demandeur qu'il prouve que le régime iranien le considérait comme un ennemi politique, ce qui est une norme visiblement différente de celle qui consiste à prouver l'existence d'un risque identifiable de préjudice; que l'agente a exigé du demandeur qu'il prouve qu'à son retour en Iran, il serait détenu par les autorités iraniennes, alors qu'il suffit de prouver qu'il existe une probabilité moins certaine de détention.
[16] Les paragraphes précités des notes laissent voir que l'agente a fait montre d'une certaine insouciance dans la rédaction de ses motifs : le demandeur a été ciblé par les autorités iraniennes lorsqu'il a été arrêté en 1988; la preuve documentaire n'est pas la source de la plupart des conclusions de fait; même si le demandeur a été relâché le jour même de son arrestation à une occasion en 1988, après avoir été interrogé, il a été détenu pendant quinze jours à une autre occasion (les notes y font référence plus loin); l'agente a coché la troisième case du formulaire d'évaluation type qu'elle est tenue de remplir, ce qui est illogique puisqu'elle a répondu par la négative aux deux questions précédentes.
[17] La dernière question consiste à savoir si, eu égard à la décision dans son ensemble, les passages auxquels l'avocate s'est référée prouvent que l'agente n'a pas appliqué le bon critère. Lecture faite de ces passages dans le contexte de toute la décision, je ne puis conclure qu'ils démontrent l'application d'un mauvais critère. Ils constituent, généralement parlant, des énoncés de conclusions de fait plutôt l'expression du critère qui est appliqué. C'est ce qui est exprimé dans les cases à la fin du document. Je ne veux pas qu'on considère que j'affirme que l'utilisation d'un formulaire type contenant des cases imprimées mettra chaque fois une décision à l'abri d'un contrôle. Il est quand même possible de conclure qu'un critère inapproprié a été appliqué, mais ce n'est pas le cas en l'espèce.
[18] Il faut de toute évidence faire preuve de retenue à l'égard de décisions comportant l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Le juge Noël a résumé les règles de droit sur ce point dans l'affaire Gharib c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 30 Imm. L.R. (2d) 291, à la p. 297 (C.F. 1re inst.), dans laquelle il invoque les affaires Chaudry c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 25 Imm. L.R. (2d) 139, à la p. 158, et Vidal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 13 Imm. L.R. (2d) 124, aux p. 128 et 129 :
[...] la présente Cour n'intervient pas dans les décisions discrétionnaires des agents chargés de la révision des revendications refusées à moins qu'il ne soit établi que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé à des fins inappropriées, en tenant compte de considérations non pertinentes, en faisant preuve de mauvaise foi, ou de toute autre façon manifestement déraisonnable. |
[19] De plus, le droit reconnaît clairement que le défaut d'un agent de mentionner tous les faits sur lesquels il fonde sa décision n'entraîne pas l'annulation d'une décision (Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317, à la p. 318 (C.A.F.), Woolaston c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 105, à la p. 108). Dans l'affaire Bochnakov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 114 F.T.R. 127, qui se rapporte au contrôle judiciaire d'une demande DNRSRC, le juge Joyal a confirmé que la Cour ne devrait pas substituer sa propre conclusion à celle de l'agent. Il a également déclaré à la page 133 que la Cour ne devrait pas analyser une décision à la loupe ou d'un oeil exagérément critique, mais doit plutôt examiner l'ensemble de la décision et déterminer si elle comporte des erreurs qui justifient une intervention de la Cour et si les erreurs en question sont importantes pour la décision ultime qui est rendue.
[20] Faire droit aux arguments du demandeur dans la présente affaire reviendrait à ne tenir aucun compte des principes exposés dans les décisions susmentionnées.
[21] Par ces motifs, la demande est rejetée.
" B. Reed "
Juge
TORONTO (ONTARIO)
Le 7 janvier 1999
Traduction certifiée conforme
Marie Descombes, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Noms des avocats et avocats inscrits au dossier
NUMÉRO DU GREFFE : IMM-1246-98
INTITULÉ : RAHMATOLLAH KHAYAMBASHI
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE MARDI 5 JANVIER 1999 |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE REED
EN DATE DU : JEUDI 7 JANVIER 1999
COMPARUTIONS : Marie Chen
Pour le demandeur
Godwin Friday
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : Jackman, Waldman & Associates
Avocats |
281, av. Eglinton est |
Toronto (Ontario) |
M4P 1L3 |
Pour le demandeur |
Morris Rosenberg |
Sous-procureur général |
du Canada |
Pour le défendeur |
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 19990107
Dossier : IMM-1246-98
Entre :
RAHMATOLLAH KHAYAMBASHI,
demandeur,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE