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Date : 20200310


Dossier : IMM-4725-19

Référence : 2020 CF 359

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 10 mars 2020

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

EDMOND TOMA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Edmond Toma est un citoyen de l’Albanie. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par un agent principal de Citoyenneté et Immigration Canada [l’agent] relativement à sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la décision de l’agent est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte

[3]  Monsieur Toma est né à Perlat-Qendër en 1980. Son frère, Victor, était un policier en Albanie. Selon M. Toma, en 1998, Victor a été impliqué dans une fusillade qui a pu entraîner la mort d’un membre bien connu de la famille Dodaj et du groupe criminel Banda E Mirditës. Après la fuite de Victor aux États-Unis, la famille Dodaj a déclaré une « vendetta » contre les policiers impliqués dans l’incident, et leurs familles.

[4]  Victor a obtenu l’asile aux États-Unis, mais sur le fondement de ses opinions politiques. Il n’a pas mentionné dans sa demande d’asile la vendetta qui aurait été déclarée contre la famille Dodaj.

[5]  Monsieur Toma a affirmé qu’il a vécu en clandestinité en Albanie, bien qu’en 2004 il se soit rendu en Macédoine pour des vacances. Il est retourné en Albanie sans avoir demandé l’asile en Macédoine. Il est arrivé au Canada en novembre 2010, en passant par l’Allemagne, avec l’aide d’un passeur de clandestins.

[6]  Lors de l’entrevue au point d’entrée le 8 novembre 2010, en réponse à la question [traduction] « De qui avez-vous peur? », M. Toma n’a pas mentionné la famille Dodaj ni évoqué la vendetta.

[7]  Monsieur Toma a toutefois parlé de la vendetta dans la demande d’asile qu’il a présentée le 18 novembre 2010. La Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande le 29 janvier 2013. Les questions déterminantes portaient sur la crédibilité et sur le caractère adéquat de la protection de l’État en Albanie.

III.  La décision de la SPR

[8]  Selon la SPR, la vendetta étant une affaire purement criminelle, elle n’avait par conséquent rien à voir avec les motifs d’asile énoncés à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SPR a également conclu que M. Toma n’avait pas qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR. La SPR a estimé que M. Toma n’était pas crédible, et elle n’a pas cru son récit. La SPR a souligné qu’il n’avait pas demandé l’asile en Macédoine ou en Allemagne, et qu’il n’avait pas dit craindre la famille Dodaj lors de son entrevue au point d’entrée. La SPR a aussi écarté la preuve de Gjin Marku, le président du Comité de réconciliation nationale (Committee of Nationwide Reconciliation [le CNR]). À l’époque, M. Marku était soupçonné d’avoir falsifié des documents sur les vendettas pour étayer les demandes d’asile.

[9]  La SPR a également conclu que M. Toma n’avait pas fourni d’éléments de preuve clairs et convaincants pour réfuter la présomption quant à une protection de l’État. La SPR a jugé que chacune de ses conclusions – sa conclusion défavorable quant à la crédibilité de M. Toma et sa conclusion selon laquelle l’Albanie pouvait offrir une protection adéquate – était, en soi, suffisante pour rejeter la demande d’asile.

[10]  Monsieur Toma a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judicaire à l’encontre de la décision de la SPR. Cette demande a été rejetée le 3 février 2014.

IV.  La décision faisant l’objet du contrôle

[11]  La demande d’ERAR de M. Toma était étayée par les documents supplémentaires suivants :

  • a) des publications et des articles portant sur les vendettas et les demandeurs d’asile, y compris un rapport du ministère de l’Intérieur (Home Office) du Royaume-Uni, intitulé Country Information and Guidance « Albanian Blood Feuds », version 2.0, du 6 juillet 2016, confirmant que l’abandon des accusations portées contre M. Marku;

  • b) d’autres décisions de la SPR, M. Toma ayant jugé ces affaires analogues à sa situation;

  • c) une évaluation psychologique de M. Toma effectuée par M. Gerald Devins, Ph. D., datée du 7 février 2019;

  • d) son propre affidavit;

  • e) l’affidavit de Martin Pernoi, un officier de police albanais, fournissant des renseignements sur la fusillade et sur le pouvoir croissant de la famille Dodaj en Albanie;

  • f) l’affidavit de Victor Toma, expliquant que la vendetta n’a commencé qu’après le dépôt de sa demande d’asile aux États-Unis, et qu’il n’a pas cherché à modifier la demande pour des raisons stratégiques.

[12]  L’agent a conclu que les documents supplémentaires présentés par M. Toma ne permettaient pas de réfuter les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité, ni la conclusion selon laquelle M. Toma n’avait pas réussi à réfuter la présomption de protection adéquate de l’État.

V.  Question en litige

[13]  La seule question que soulève la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agent était raisonnable.

VI.  Analyse

[14]  La décision de l’agent chargé de l’ERAR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Talipoglu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 172, par. 22; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], par. 48). La Cour n’interviendra que si elle est convaincue « qu[e la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, par. 100). Ces critères sont respectés si les motifs permettent à la Cour de comprendre le fondement de la décision, et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Vavilov, par. 85 et 86, citant l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47).

[15]  Monsieur Toma soulève des éléments d’équité procédurale dans plusieurs de ses arguments. Il soutient que l’agent a indûment restreint son pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur une décision qui n’est plus applicable, ou qu’il a ignoré les éléments de preuve.

[16]  À mon avis, ces arguments concernent davantage le caractère raisonnable de la décision. Le fait pour l’agent de s’être appuyé sur Escalona Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379, n’était pas inapproprié (voir Liyanage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 194, par. 14). L’agent n’a pas ignoré les éléments de preuve, tout est détaillé dans ses motifs. Il en est simplement arrivé à des conclusions que M. Toma conteste.

[17]  L’agent a conclu que les publications et les articles présentés par M. Toma ne permettaient pas d’écarter les conclusions défavorables de la SPR. Vu la conclusion de la SPR selon laquelle M. Toma n’avait aucune crainte subjective concernant la famille Dodaj ou la vendetta, l’évaluation de l’agent était raisonnable. En outre, le ministre a fait remarquer que la valeur de n’a pas été modifiée par le rapport du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni n’ajoutait aucune valeur à la preuve de M. Marku, lequel a été critiqué pour des raisons qui vont au-delà des poursuites engagées contre lui (voir Taho c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 718, par. 24).

[18]  L’agent a estimé que M. Toma s’était appuyé sur des décisions convaincantes, mais qu’elles n’étaient pas contraignantes parce qu’il s’agissait d’affaires qui se distinguaient de l’espèce et que chaque affaire doit être tranchée selon les faits qui lui sont propres. Son observation était donc raisonnable (Rasalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 718, par. 18). La répudiation de la crédibilité de M. Toma par la SPR était un élément important en l’espèce.

[19]  Monsieur Toma reproche à l’agent de ne pas avoir tenu compte de son argument selon lequel ses problèmes psychologiques pouvaient expliquer pourquoi il n’avait pas dit craindre la famille Dodaj ou la vendetta lors de son entrevue au point d’entrée, comme l’indique le rapport de M. Devins. Ce point n’a été que brièvement évoqué dans ses observations écrites. L’agent a examiné le rapport psychologique, mais s’est uniquement demandé si M. Toma aurait accès à des soins de santé mentale adéquats en Albanie.

[20]  Un rapport d’évaluation psychologique ne saurait constituer une « panacée » pour pallier toutes les faiblesses dans la manière dont un demandeur présente une demande d’asile (Mico c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 964, par. 34). Quoi qu’il en soit, le rapport d’évaluation psychologique n’a pas pu expliquer pourquoi M. Toma n’a pas demandé l’asile en Macédoine.

[21]  La preuve par affidavit qui visait à confirmer l’existence de la vendetta, y compris l’explication de Victor Toma pour justifier le fait qu’il ne l’avait pas mentionnée dans la demande d’asile qu’il a présentée aux États-Unis, ne pouvait permettre d’écarter la conclusion de la SPR selon laquelle M. Toma n’avait aucune crainte subjective pour sa sécurité en Albanie. Selon l’agent, [traduction] « [l] e tribunal de la SPR n’a pas cru le récit du [demandeur] et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’était pas crédible, et que cette “conclusion entraîne le rejet de sa demande” ». Plus loin dans la décision, l’agent a formulé l’observation suivante : [traduction] « Aucun des éléments de preuve fournis ne permet d’écarter la conclusion importante de la SPR, à savoir que le demandeur “n’a pas fourni d’éléments de preuve clairs et convaincants réfutant la présomption de protection de l’État” ». Vu les circonstances précises de l’espèce, particulièrement l’absence de crainte subjective de la part de M. Toma, cette conclusion fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VII.  Conclusion

[22]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour d’avril 2020

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM-4725-19

 

INTITULÉ :

EDMOND TOMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 FÉVRIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 10 MARS 2020

COMPARUTIONS :

Jeffrey L. Goldman

POUR LE DEMANDEUR

Nadine Silverman

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey Goldman Law

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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