Date : 20200331
Dossier : IMM-3984-19
Référence : 2020 CF 456
Ottawa (Ontario), le 31 mars 2020
En présence de monsieur le juge Gascon
ENTRE :
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ADEBUSOLA OLUFUNMILOLA FATOYE
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
Aperçu
[1]
La demanderesse, Madame Adebusola Olufunmilola Fatoye, est citoyenne du Nigéria. Elle demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] datée du 3 juin 2019 [Décision], dans laquelle la SPR a refusé de lui accorder le statut de réfugié ou de personne à protéger sous les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La SPR était d’avis que le récit de Mme Fatoye n’était pas crédible et que sa demande était manifestement infondée aux termes de l’article 107.1 de la LIPR.
[2]
Les seules questions en litige soulevées par la demande de Mme Fatoye sont de déterminer si la Décision de la SPR est déraisonnable et si la SPR a commis une erreur en concluant, d’une part, que Mme Fatoye n’était pas crédible et, d’autre part, que sa demande d’asile était manifestement infondée.
[3]
Pour les motifs exposés ci‑après, je vais rejeter la demande de Mme Fatoye. Après avoir examiné les motifs et les conclusions de la SPR, la preuve dont elle disposait et le droit applicable, je ne vois aucun motif d’infirmer la Décision. Les lacunes dans la preuve soumise par Mme Fatoye et les contradictions dans son témoignage soutiennent raisonnablement les conclusions défavorables de la SPR quant à sa crédibilité, et les motifs de la SPR possèdent les qualités qui rendent son raisonnement logique et cohérent en regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Il en va de même pour les conclusions de la SPR sur le caractère frauduleux et manifestement infondé de la demande d’asile de Mme Fatoye. Il n’y a donc aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.
Contexte
Les faits
[4]
Âgée de 34 ans, Mme Fatoye est mariée à un avocat qui pratique dans le domaine des droits de la personne au Nigéria. Ensemble, ils ont une fille adoptive.
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Le 27 juillet 2017, alors qu’elle résidait dans l’État d’Ekiti au Nigéria, Mme Fatoye aurait reçu une lettre anonyme contenant des menaces. Le ou les auteurs inconnus de cette lettre auraient indiqué surveiller la famille de Mme Fatoye en prenant soin d’énumérer les adresses de ses deux autres résidences au Nigéria, l’une dans l’État d’Ekiti et l’autre dans l’État d’Ondo. À ce moment, ni Mme Fatoye ni son mari ne comprenaient les motifs derrière l’envoi de cette lettre. Le jour suivant, le mari de Mme Fatoye aurait reçu une seconde lettre dans laquelle on le mettait en garde de ne pas s’interposer dans cette histoire, puisque sa famille en subirait les conséquences. Craignant pour la sécurité de sa famille, Mme Fatoye aurait alors demandé à son mari d’abandonner les dossiers qui pourraient être à l’origine de ces menaces. Son mari aurait refusé, qualifiant ces menaces comme étant non-fondées.
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Le 31 juillet 2017, Mme Fatoye et son mari auraient reçu une troisième lettre de menace. Cette dernière contenait la photo d’un cercueil et invoquait que, s’ils dénonçaient la situation à la police, la famille en entier serait tuée. Cette troisième lettre mentionnait également le nom de l’école fréquentée par leur fille adoptive. Suite à cet événement, Mme Fatoye et sa fille auraient fui vers l’État de Kogi au Nigéria pour se cacher.
[7]
Toutefois, au début du mois d’octobre 2017, Mme Fatoye aurait été retracée puisqu’une photo de hache et un morceau de tissu rouge auraient alors été laissés à sa porte. À ce moment, elle serait retournée dans l’État d’Etiki pour signaler ces menaces à la police. Mme Fatoye a rapporté qu’à son retour dans l’État d’Etiki, un climat hostile y régnait : des agents en uniforme envahissaient les rues, il y avait des incendies, les maisons étaient détruites, les voitures étaient endommagées et les gens fuyaient pour sauver leurs vies. Devant la SPR, Mme Fatoye a témoigné qu’à ce moment, une personne vêtue d’un uniforme l’aurait agrippée. Elle se serait ensuite réveillée dans les buissons après avoir perdu connaissance, ne sachant pas ce qui s’était passé. Toutefois, au soutien de sa demande d’asile, elle alléguait plutôt qu’elle se serait fait agressée sexuellement par des personnes déguisées en policier et que, par la suite, des photos d’elle nue auraient été envoyées à son époux. L’on aurait également réclamé de l’argent à ce dernier en échange de quoi ces photos compromettantes ne seraient pas publiées. Lors de ces mêmes événements, Mme Fatoye aurait également été volée et, une fois de plus, elle aurait retrouvé un morceau de tissu rouge dans son sac. Elle aurait alors fui à nouveau, cette fois vers l’État d’Ondo.
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Par la suite, le 10 octobre 2017, Mme Fatoye aurait déposé sa fille auprès de sa sœur dans l’État d’Oyo et aurait pris la fuite vers Lagos le 13 octobre 2017. Mme Fatoye s’est ensuite dirigée vers les États-Unis et est entrée au Canada le 14 octobre 2017 pour y demander l’asile.
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Depuis son arrivée au Canada, Mme Fatoye allègue que sa fille aurait été suivie au Nigéria par un homme inconnu, mais qu’elle se serait défendue. Quant à son mari, ce dernier aurait quitté la pratique du droit, changerait constamment de domicile pour se cacher et aurait été attaqué à Port Hartcourt en décembre 2017. De plus, en mars 2018, le frère de son mari aurait été assassiné dans la voiture de ce dernier, où l’on aurait également retrouvé une lettre contenant des menaces à l’endroit de la famille.
La Décision de la SPR
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Par sa Décision, la SPR a rejeté la demande de Mme Fatoye, concluant que la preuve au dossier n’était pas crédible et qu’elle contenait des documents frauduleux.
[11]
Pour évaluer la crédibilité de Mme Fatoye, la SPR a attesté avoir considéré la section D des directives portant sur les Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe. Par conséquent, la SPR a qualifié de raisonnable l’explication donnée par Mme Fatoye pour avoir dévoilé tardivement les allégations d’agression sexuelle à son endroit. À cet effet, la SPR a expliqué que le témoignage de Mme Fatoye était clair : ses agresseurs n’étaient pas des policiers ou des représentants de l’État, mais simplement des personnes déguisées en uniforme.
[12]
Toutefois, dans l’ensemble, la SPR a jugé que le témoignage de Mme Fatoye était dépourvu de crédibilité.
[13]
D’abord, Mme Fatoye a témoigné avoir reçu des menaces pour la première fois en juillet 2017 lors de la réception d’une première lettre, tel qu’indiqué dans son formulaire au soutien de sa demande d’asile. Toutefois, la SPR a noté qu’en avril 2019, Mme Fatoye avait déposé une version amendée de ce formulaire où elle a référé à un rapport de police indiquant que son mari avait plutôt signalé que lui et sa famille recevaient des menaces depuis janvier 2017. Lorsque confrontée à cette contradiction par la SPR, Mme Fatoye a répondu qu’elle s’était concentrée sur son propre récit, ne sachant pas que son mari avait lui-même reçu des menaces dès janvier 2017.
[14]
Dans la déclaration sous serment du mari de Mme Fatoye, la SPR a noté que celui-ci expliquait ne pas avoir prévenu son épouse pour ne pas l’effrayer. La SPR a toutefois remarqué que, dans la même déclaration, il expliquait que lui et sa femme avaient reçu d’autres menaces en juillet 2017. De plus, la SPR a indiqué que, dans le formulaire au soutien de la demande de Mme Fatoye, cette dernière expliquait que son mari qualifiait plutôt ces menaces comme étant fausses et sans fondement. Pourtant, la déclaration sous serment du mari de Mme Fatoye n’indiquait nullement qu’il ne prenait pas ces menaces au sérieux ou qu’il aurait laissé croire à sa femme qu’elles ne l’étaient pas.
[15]
La SPR a également noté que Mme Fatoye avait soumis en preuve deux articles de revues provenant de différentes sources, lesquels discutaient des menaces reçues par son mari au Nigéria en raison de sa pratique du droit. Toutefois, la SPR n’a pas été en mesure de retracer l’existence desdites revues sur internet. Ces dernières n’apparaissaient pas non plus dans le cartable national de documentation pour le Nigéria. La SPR n’a attribué aucune valeur probante à ces articles puisque Mme Fatoye n’a pas été en mesure de démontrer qu’il s’agissait de publications indépendantes et non de publications relevant de son influence ou celle de son mari.
[16]
Par ailleurs, dans sa dénonciation faite à la police et dans sa déclaration sous serment, le mari de Mme Fatoye a indiqué avoir été impliqué dans des dossiers relatifs aux droits de la personne. Ces dossiers auraient fait les manchettes, notamment dans les journaux le Nation, le Vanguard et le Punch. La SPR a noté que le cartable national de documentation pour le Nigéria reconnaissait l’existence de ces journaux en s’y référant à quelques reprises. La SPR a ajouté que les déclarations du mari de Mme Fatoye étaient précises quant à l’existence de ces articles, leur date et leur contenu, notamment pour expliquer que d’autres collègues impliqués dans les mêmes dossiers auraient aussi été attaqués, kidnappés ou assassinés. Toutefois, la SPR s’est montrée insatisfaite de la réponse donnée par Mme Fatoye quant à la raison pour laquelle ces articles de journaux n’avaient pas été produits en preuve. À ce sujet, Mme Fatoye a simplement répondu que, vu la situation instable de son mari, il lui était difficile d’obtenir ces articles. La SPR a jugé cette explication inadéquate puisque Mme Fatoye réussissait à communiquer avec son mari sur une base quotidienne.
[17]
De surcroît, la SPR a expliqué qu’au soutien de sa demande, Mme Fatoye listait six lettres de menaces, mais que seulement deux photocopies de ces lettres ont été envoyées à la SPR avant l’audience. À l’audience, Mme Fatoye a déposé les six copies originales de ces lettres, mais l’une d’entre elles contenait des différences matérielles avec l’une des photocopies préalablement déposées. Mme Fatoye n’a pas été en mesure d’expliquer la différence entre le contenu de la photocopie et celui du document original, ce qui minait sa crédibilité et le caractère authentique des six lettres déposées en preuve. Sur ce point, la SPR a conclu que Mme Fatoye avait soumis de la preuve frauduleuse au soutien de sa demande d’asile.
[18]
Mme Fatoye a également déposé des rapports de police dont les copies originales différaient des photocopies déposées avant l’audience. Lorsque confrontée à cette situation par la SPR, Mme Fatoye a répondu que du liquide avait été renversé sur l’une des copies du document litigieux et qu’on lui avait donc envoyé une autre copie. Toutefois, la SPR a noté que l’emplacement d’une signature et l’ordre des mots d’une information contenue au document différaient d’une copie à une autre. Une fois de plus, la SPR a rejeté cette preuve, la qualifiant de frauduleuse.
[19]
Devant la SPR, Mme Fatoye a également déposé une copie de son certificat de mariage ainsi qu’un document établissant que son mari pratiquait bel et bien la profession d’avocat. À ce sujet, la SPR n’a nullement douté que le mari de Mme Fatoye soit avocat. Toutefois, la SPR a douté de l’authenticité du document provenant du Barreau du Nigeria, lequel attestait que le mari de Mme Fatoye avait cessé d’exercer la profession d’avocat suite à la réception de menaces. La SPR s’est dite d’avis que rien dans la preuve ne permettait de déterminer que l’auteur de ce document avait une connaissance indépendante des faits allégués. Puisque la crédibilité du mari de Mme Fatoye était déjà ébranlée en raison de son implication dans le dépôt de moyens de preuve frauduleux, la SPR a conclu que la lettre provenant du Barreau du Nigéria n’avait aucune valeur probante. Pour la même raison, la SPR n’a accordé aucune valeur probante à une déclaration sous serment dans laquelle le mari de Mme Fatoye relatait les événements entourant l’assassinat de son frère, ni à la photo permettant de corroborer ce témoignage. La SPR a de même jugé que le certificat de décès du beau-frère de Mme Fatoye ne permettait pas d’établir la cause de son décès. De plus, la SPR a tiré des conclusions similaires quant à une photo montrant le mari de Mme Fatoye blessé suite à une agression : selon la SPR, rien ne permettait d’établir les raisons de ses blessures. Enfin, la SPR a rejeté le rapport du coroner servant à documenter la mort du beau-frère de Mme Fatoye, puisqu’il contenait la même estampe de police qu’un autre document précédemment jugé frauduleux. Au soutien de sa conclusion, la SPR a observé que le cartable national de documentation pour le Nigéria relatait que des documents frauduleux imitant les documents officiels étaient communs dans ce pays.
[20]
La SPR s’est ensuite penchée sur l’article 107.1 de la LIPR et a conclu que la demande de Mme Fatoye était clairement frauduleuse et manifestement infondée. Au soutien de cette conclusion, la SPR a d’abord référé au fait que, suite à son analyse de l’ensemble de la preuve, Mme Fatoye n’était pas un témoin crédible. La SPR a ensuite indiqué que Mme Fatoye avait soumis des documents frauduleux à l’appui de sa demande, notamment une des lettres de menaces et le rapport de police dont les photocopies ne correspondaient pas aux originaux. Dans les deux cas, il s’agissait de documents relatifs à des éléments centraux de la demande d’asile de Mme Fatoye.
La norme de contrôle
[21]
Conformément à l’arrêt Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], le nouveau cadre d’analyse des normes de contrôle repose dorénavant sur une présomption voulant que la norme de la décision raisonnable s’applique dans tous les cas (Vavilov au para 16). Cette présomption ne peut être réfutée que dans deux types de situations. La première est celle où le législateur a prescrit la norme de contrôle applicable ou a prévu un mécanisme d’appel de la décision administrative devant une cour de justice; la seconde est celle où la question faisant l’objet du contrôle tombe dans l’une des catégories de questions à l’égard desquelles la primauté du droit commande un contrôle selon la norme de la décision correcte (Vavilov aux para 10, 17; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 [Société canadienne des postes] au para 27). C’est le cas pour les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov aux para 17, 53). Aucune des situations justifiant de déroger à la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable ne s’applique en l’espèce. La Décision de la SPR est donc assujettie au contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Les parties ne le contestent pas.
[22]
Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov au para 85 ; Société canadienne des postes aux para 2, 31). La cour de révision doit tenir compte « du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée »
(Vavilov au para 15). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci »
(Vavilov au para 99, citant Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] aux para 47, 74 et Catalyst Paper Corp. c North Cowichan (District), 2012 CSC 2 au para 13).
[23]
Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique »
(Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). J’observe que cette façon de voir s’inscrit dans la foulée de la directive de l’arrêt Dunsmuir voulant que le contrôle judiciaire porte à la fois sur le résultat et sur le processus (Dunsmuir aux para 27, 47-49). Cela dit, la cour de révision doit centrer son attention sur la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle la cour serait elle-même parvenue si elle s’était trouvée dans les souliers du décideur.
[24]
L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse »
, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur administratif pour en arriver à sa conclusion (Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif »
(Vavilov au para 13). Il importe de rappeler que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et doit encore témoigner d’un respect envers le rôle distinct conféré aux décideurs administratifs (Vavilov aux para 13, 75). La présomption d’application de la norme de la décision raisonnable repose sur le « respect du choix d’organisation institutionnelle de la part du législateur qui a préféré confier le pouvoir décisionnel à un décideur administratif plutôt qu’à une cour de justice »
(Vavilov au para 46). En d’autres mots, selon la majorité de la Cour suprême, Vavilov ne sonne pas le glas de la déférence envers les décideurs administratifs.
Analyse
[25] Mme Fatoye prétend que les conclusions de la SPR quant à sa crédibilité et au caractère manifestement infondé de sa demande contiennent des erreurs révisables et sont déraisonnables. Je ne partage pas cet avis. Dans la décision Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani], j’ai résumé les principes régissant la façon dont un décideur administratif comme la SPR doit apprécier la crédibilité des demandeurs d’asile (Lawani aux para 20-26). En appliquant ces principes, je conclus qu’à tous égards, la Décision de la SPR est raisonnable. Dans le cas de Mme Fatoye, les lacunes dans la preuve soumise et l’accumulation de contradictions et d’incohérences concernant des éléments cruciaux de sa demande d’asile appuient amplement la conclusion défavorable tirée par la SPR au sujet de sa crédibilité (Lawani au para 21). J’ajoute que les conclusions défavorables quant à la crédibilité ne découlaient pas de contradictions mineures qui étaient secondaires ou périphériques à sa demande d’asile, mais touchaient plutôt au cœur même du récit qu’elle avançait, soit des menaces répétées apparemment reçues par elle et son mari.
[26]
Suite à l’arrêt Vavilov, les motifs donnés par les décideurs administratifs revêtent une plus grande importance et s’affichent comme le point de départ de l’analyse. Ils constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’au cours de révision (Vavilov au para 81). Ils servent à « expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision en cause »
, à démontrer que « la décision a été rendue de manière équitable et licite »
et à se prémunir contre « la perception d’arbitraire dans l’exercice d’un pouvoir public »
(Vavilov au para 79). En somme, ce sont les motifs qui permettent d’établir la justification de la décision.
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Or, dans le cas de Mme Fatoye, je suis satisfait que les motifs de la Décision de la SPR justifient amplement ses conclusions de manière transparente et intelligible (Vavilov aux para 81, 136 ; Société canadienne des postes aux para 28-29; Dunsmuir au para 48). Ils démontrent que la SPR a suivi un raisonnement rationnel, cohérent et logique dans son analyse et que la Décision est conforme aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes ayant une incidence sur la SPR, et notamment sur les questions de crédibilité et du caractère frauduleux de la demande de Mme Fatoye (Société canadienne des postes au para 30, citant Vavilov aux para 105-107). En bout de piste, rien dans les erreurs alléguées par Mme Fatoye ne m’amène « à perdre confiance dans le résultat auquel est arrivé le décideur »
(Vavilov au para 123).
A.
Les conclusions sur la crédibilité
[28]
Mme Fatoye allègue que les conclusions de la SPR sur son manque de crédibilité sont déraisonnables. Elle prétend d’abord qu’au niveau des lettres de menace, la preuve établit clairement que son époux avait reçu des menaces depuis janvier 2017, mais ne l’en avait pas averti. S’appuyant sur Gorqaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 920, Mme Fatoye prétend que la conclusion de la SPR lui reprochant de ne pas avoir indiqué que les menaces ont débutées en janvier 2017 est déraisonnable, puisqu’il s’agit d’une analyse microscopique de sa crédibilité.
[29]
Au niveau de l’absence des articles de journaux reconnus par le cartable national de documentation pour le Nigéria, Mme Fatoye soumet également que les conclusions de la SPR sont déraisonnables. Citant Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 464 et Feng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 18, Mme Fatoye plaide que la SPR ne pouvait lui reprocher cette absence de preuve puisque sa crédibilité n’était pas questionnée de façon raisonnable et suffisante. Mme Fatoye ajoute par ailleurs que les articles rejetés par la SPR au motif que les revues concernées ne figuraient pas dans le cartable de documentation nationale et étaient inaccessibles en ligne, pouvaient au contraire être facilement retracés sur l’internet.
[30]
Enfin, Mme Fatoye soutient que la SPR n’avait aucun motif raisonnable pour rejeter l’ensemble de ses lettres de menaces et les rapports de police en raison de la différence observée entre l’original et la photocopie de certains d’entre eux (Olanrewaju c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 679 ; Hohol c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 870). Elle allègue aussi que la SPR a erré en rejetant la déclaration sous serment de son mari, qui corroborait pourtant ses craintes, et en mettant en doute la crédibilité de documents tels le rapport de décès, les rapports de police et les articles de journaux qui confirmaient les menaces qu’elle invoquait. Invoquant la décision Yahia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 84, Mme Fatoye maintient que la SPR avait le devoir de traiter des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions générales.
[31]
Je ne suis pas convaincu par les soumissions de Mme Fatoye.
[32]
Comme l’a bien fait valoir le Ministre, les nombreuses contradictions dans les éléments de preuve présentés par Mme Fatoye, ainsi que l’insuffisance des preuves présentées, pouvaient raisonnablement permettre à la SPR de tirer une conclusion défavorable sur sa crédibilité (Bushati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 803 au para 33).
[33]
Au niveau des lettres de menaces, la Décision fait éloquemment ressortir les contradictions entre la qualification des menaces et les dates invoquées par Mme Fatoye et son mari. Il était raisonnable pour la SPR de tirer des inférences négatives sur la crédibilité de Mme Fatoye en regard des contradictions répétées découlant du fait que son mari considérait à la fois les menaces comme étant sans fondement, mais qu’il ne voulait pas effrayer son épouse en lui révélant avoir reçu de telles menaces. Sur les articles de journaux que Mme Fatoye se disait incapable d’obtenir, les motifs illustrent clairement que la SPR a considéré insuffisants les efforts déployés par celle-ci pour les récupérer. Il appartenait à Mme Fatoye de fournir les éléments nécessaires pour appuyer les allégations essentielles à la source de sa demande d’asile, et elle a omis de le faire. Dans les circonstances, il n’y a rien de déraisonnable à n’accorder aucune valeur probante à ces documents.
[34]
Par ailleurs, je suis d’avis que la SPR pouvait raisonnablement refuser d’accorder une valeur probante aux lettres de menaces et rapports de police présentés par Mme Fatoye, ayant constaté des différences matérielles entre l’original et la copie de certains d’entre eux, et douté de leur authenticité. Il s’agissait, je le souligne, de documents que Mme Fatoye avait elle-même avancés au soutien de sa demande d’asile, et qui se sont avérés frauduleux.
[35]
Dans ses soumissions, Mme Fatoye s’appuie abondamment sur l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) [Maldonado] et sur la présomption de véracité des témoignages dont doivent bénéficier les demandeurs d’asile. Toutefois, je ne partage pas la lecture que Mme Fatoye fait de cette décision, et la portée qu’elle semble vouloir lui conférer. L’arrêt Maldonado n’auréole pas les témoignages des demandeurs d’asile d’une présomption irréfragable de véracité et ne les place pas à l’abri de tout soupçon. Bien au contraire, la décision Maldonado établit simplement le principe que, « [q]uand un [demandeur] jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter »
(soulignement ajouté) (Maldonado au para 5). Cette réserve est importante, car elle signifie que la présomption s’éteint lorsqu’émergent des raisons pour douter de la véracité des allégations formulées dans le cadre d’une demande d’asile. Si des doutes ont surgi quant à la crédibilité de certains aspects de la preuve avancée par un demandeur d’asile, la présomption de véracité tombe. Dans la même veine, lorsqu’un demandeur d’asile est incapable d’expliquer de façon raisonnable pourquoi des preuves qui pourraient corroborer les allégations mises en doute ne sont pas fournies, la présomption ne tient pas non plus (Association canadienne des avocats et avocates endroit des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1126 au para 184).
[36]
La raison sous-jacente à la présomption de véracité édictée dans Maldonado est qu’on ne peut raisonnablement s’attendre à ce que les demandeurs d’asile ayant vécu certains types de situations d’urgence disposent toujours de documents ou d’autres éléments de preuve pour corroborer leurs demandes. Ces circonstances peuvent notamment inclure des camps de réfugiés, des situations de pays déchirés par la guerre, des cas de discrimination et des situations dans lesquelles les demandeurs d’asile ne disposent que d’un très court délai pour échapper à leurs persécuteurs et ne peuvent, par la suite, accéder à des documents ou à d’autres éléments de preuve depuis le Canada.
[37]
Toutefois, dans les cas où un demandeur d’asile a eu la possibilité de rassembler les éléments de preuve corroborant sa demande avant ou après son arrivée au Canada, la force de la présomption de vérité peut dépendre directement de la mesure dans laquelle une preuve corroborative est fournie. En d’autres termes, lorsqu’il y a une raison quelconque de douter de la véracité des allégations formulées dans l’affidavit ou le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile, des conclusions défavorables peuvent être tirées à l’égard de la crédibilité si le demandeur d’asile est incapable de fournir une explication pour l’absence de preuve corroborante raisonnablement attendue (Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452 au para 7). Dans le même esprit, lorsque des éléments de preuve corroborants devraient raisonnablement être disponibles pour établir les éléments essentiels d’une demande d’asile et qu’il n’y a pas d’explication raisonnable de leur absence, le décideur administratif peut tirer une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité en se fondant sur l’absence d’efforts de la part du demandeur pour obtenir ces éléments de preuve (Ismaili c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 84 aux para 33, 35).
[38]
Je rappelle que le fardeau d’établir les éléments d’une demande d’asile repose sur les demandeurs (Morales Esquivel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 468 au para 16). Dans le cas de Mme Fatoye, la SPR a soulevé de nombreuses interrogations quant à la crédibilité de certains aspects de la preuve avancée et à l’absence de documents raisonnablement attendus, qui ont miné sa crédibilité et contribué à faire tomber la présomption de véracité de son témoignage.
[39]
Je ne suis pas non plus convaincu que l’analyse de la SPR était « microscopique »
ou qu’elle était axée sur des différences ou incohérences anodines. Une analyse ne devient pas microscopique ou trop zélée parce qu’elle est exhaustive. Je souligne que les décisions pour lesquelles les décideurs administratifs se sont fait reprocher d’avoir effectué des examens « microscopiques »
reflétaient des situations dans lesquelles des questions sans pertinence ou périphériques à la demande d’asile avaient été retenues par les décideurs (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF) au para 9; Cooper c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 118 au para 4). En l’espèce, l’examen conduit par la SPR ne visait aucunement des questions sans pertinence ou périphériques aux allégations de persécution de Mme Fatoye. Au contraire, les facteurs et éléments qui émaillent les motifs de la SPR portaient sur des incidents précis qui se situaient au cœur même du récit avancé par Mme Fatoye.
[40]
Les motifs doivent être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision »
(Vavilov au para 97 ; Société canadienne des postes au para 31). J’ajoute qu’il n’est pas nécessaire que les motifs d’une décision soient parfaits ou même exhaustifs. Il suffit qu’ils soient compréhensibles et justifiés. La norme de contrôle de la décision raisonnable ne porte pas sur le degré de perfection de la décision, mais plutôt sur son caractère raisonnable (Vavilov au para 91 ; Bhatia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1000 au para 29). Cette norme exige que la cour de révision commence par la décision et la reconnaissance du fait que le décideur administratif a la responsabilité première d’effectuer les déterminations factuelles. La cour de révision examine les motifs, le dossier et le résultat et, s’il existe une explication logique et cohérente justifiant le résultat obtenu, elle s’abstient d’intervenir. Dans le cas de Mme Fatoye, je suis satisfait que les explications contenues dans la Décision permettent amplement de comprendre pourquoi la SPR a conclu au manque de crédibilité de Mme Fatoye. Cela n’exige pas l’intervention de la Cour.
[41]
J’ajoute qu’une conclusion défavorable sur la crédibilité est différente d’une conclusion quant à l’insuffisance de la preuve ou au manque de valeur probante (
Lv c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 935 [Lv] au para 40 ; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 au para 41). Dans le cas de Mme Fatoye, la SPR a conclu que certains éléments de preuve n’étaient pas crédibles alors que d’autres ne pouvaient recevoir aucune valeur probante. L’évaluation de la crédibilité est liée à la fiabilité de la preuve. Lorsqu’on conclut que la preuve n’est pas crédible, on conclut que l’origine de la preuve (par exemple, le témoignage du demandeur) n’est pas fiable. La fiabilité de la preuve est une chose ; cependant, la preuve doit également avoir une valeur probante suffisante pour satisfaire à la norme de preuve qui s’applique (généralement la prépondérance des probabilités). L’évaluation de la suffisance de la preuve porte sur la nature et la qualité de la preuve que doit présenter un demandeur pour obtenir réparation, sur la valeur probante de la preuve, ainsi que sur le poids que doit y accorder le juge des faits, qu’il s’agisse d’un tribunal ou d’un décideur administratif. Le droit de la preuve repose sur un système binaire dans lequel seules deux possibilités existent : soit un fait a eu lieu, soit il n’a pas eu lieu. Lorsqu’un doute persiste dans l’esprit du juge des faits, il incombe à une partie de démontrer que la preuve présentée pour corroborer l’existence ou la non-existence d’un fait est suffisante pour satisfaire à la norme de preuve qui s’applique (Lv au para 41).
[42]
Au final, les arguments avancés par Mme Fatoye expriment simplement son désaccord sur l’appréciation de la preuve effectuée par la SPR et invitent en fait la Cour à préférer son opinion et son redécoupage de la preuve à l’analyse faite par la SPR. Or, ce n’est pas là le rôle d’une cour de révision en matière de contrôle judiciaire. La SPR a fourni des motifs détaillés et bien réfléchis expliquant pourquoi Mme Fatoye n’a pas été jugée crédible et pourquoi la preuve avancée était insuffisante et ne méritait pas de valeur probante. La lecture de la Décision de la SPR dans son ensemble, en corrélation avec le dossier, me convainc que la SPR a procédé à une appréciation approfondie et détaillée de la preuve et que ses conclusions reflètent une analyse rationnelle et cohérente (Vavilov aux para 103-104).
B.
Le caractère manifestement infondé de la demande
[43]
Mme Fatoye soutient par ailleurs que la SPR a erré en concluant que sa demande d’asile était dépourvue d’un minimum de fondement, ce qui, par le fait même, l’empêchait d’en appeler de la décision devant la Section d’appel des réfugiés. Mme Fatoye allègue qu’une simple conclusion de crédibilité défavorable est insuffisante pour conclure au caractère manifestement infondé d’une demande d’asile et qu’en décidant comme elle l’a fait, la SPR a ignoré le seuil élevé à franchir pour déterminer qu’une demande est manifestement infondée (Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 755 au para 45).
[44]
Je ne suis pas d’accord avec Mme Fatoye. En fait, à mon avis, Mme Fatoye fait ici une lecture tronquée de la Décision et ferme les yeux sur ce que les motifs de la SPR disent expressément au sujet du caractère manifestement infondé de sa demande.
[45]
Mme Fatoye a raison de dire que de simples conclusions de crédibilité défavorables ne suffisent pas pour satisfaire les exigences de l’article 107.1 de la LIPR, et que c’est plutôt la demande même qui doit être frauduleuse. À cet égard, elle cite avec justesse la décision Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596 [Warsame], où la Cour explique « [qu’]une demande d’asile ne peut être dite frauduleuse si la malhonnêteté n’a pas d’effet substantiel sur la décision à laquelle elle donne lieu »
(Warsame au para 30).
[46]
Toutefois, la Décision de la SPR ne loge aucunement à l’enseigne que lui attribue Mme Fatoye. Bien au contraire, dans les cinq paragraphes qu’elle consacre au caractère manifestement infondé de la demande de Mme Fatoye, la SPR explique ce que signifie les termes « clairement frauduleux »
utilisés à l’article 107.1, elle mentionne avoir conclu à l’absence de crédibilité de Mme Fatoye, puis elle s’emploie à démontrer comment Mme Fatoye a soumis des documents frauduleux (à savoir les lettres de menace et le rapport de police) qui portaient sur des aspects composant l’essence même de sa demande d’asile. La SPR conclut ensuite que Mme Fatoye a intentionnellement tenté de tromper la SPR sur des éléments de preuve documentaire cruciaux à sa demande, et c’est pour cette raison que la SPR a ultimement qualifié la demande de Mme Fatoye de clairement frauduleuse et manifestement infondée.
[47]
Ce faisant, le raisonnement et l’analyse de la SPR ont épousé en tous points les exigences de la jurisprudence pour qualifier une demande de manifestement infondée aux termes de l’article 107.1 de la LIPR. Dans Warsame, le juge Roy a expliqué que la SPR doit d’abord être d’avis que la demande d’asile est clairement frauduleuse (Warsame au para 23). Après avoir conclu en ce sens, la SPR « doit faire état du fait que cette demande est manifestement infondée et exposer les motifs qu’elle a de le penser »
(Warsame au para 23). À cette fin, la SPR doit disposer d’éléments de preuve permettant d’établir le caractère clairement frauduleux de la demande d’asile (Warsame au para 24). De plus, le mensonge ou la supercherie doit avoir un effet substantiel sur la décision à laquelle elle donne lieu (Warsame au para 30). En d’autres termes, pour qu’une demande d’asile soit clairement frauduleuse, il faut « que le décideur ait la ferme conviction que l’intéressé cherche à obtenir l’asile par des moyens frauduleux, par exemple par des mensonges ou une conduite malhonnête, qui influent sur le point de savoir si [une] demande d’asile sera ou non accueillie »
(Warsame au para 31). Dans Warsame, la Cour a déterminé qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure que la demande d’asile était manifestement infondée puisqu’elle reposait sur de fausses déclarations touchant des questions se trouvant au cœur même de cette demande, notamment celles concernant l’identité du demandeur (Warsame au para 26).
[48]
C’est exactement le même type d’analyse que la SPR a effectué dans le cas de Mme Fatoye. Contrairement à ce qui a pu survenir dans Yuan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 755, la Décision de la SPR comporte suffisamment de détails et de justifications pour démontrer en quoi la demande de Mme Fatoye était frauduleuse, et par ricochet manifestement infondée. Il ne fait aucun doute, à la lecture complète des motifs, que la demande de Mme Fatoye n’a pas été jugée manifestement infondée uniquement en raison des conclusions défavorables quant à sa crédibilité.
[49]
Un contrôle judiciaire n’est pas une « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur »
, et une cour de révision doit plutôt considérer les motifs et l’issue de la décision d’un tribunal comme un tout (Vavilov au para 102; Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au para 53). Dans la Décision, la SPR mentionne plusieurs éléments qui l’ont conduit à sa conclusion sur l’article 107.1 de la LIPR, et c’est en regard de l’ensemble des motifs que doit s’apprécier le caractère raisonnable de sa conclusion.
[50]
Suite à l’arrêt Vavilov, les motifs donnés par les décideurs administratifs revêtent une plus grande importance et s’affichent comme le point de départ de l’analyse. Ils constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’aux cours de révision (Vavilov au para 81). Ils servent à « expliquer le processus décisionnel et la raison d’être de la décision en cause »
, à démontrer que « la décision a été rendue de manière équitable et licite »
et à se prémunir contre « la perception d’arbitraire dans l’exercice d’un pouvoir public »
(Vavilov au para 79). En somme, ce sont les motifs qui permettent d’établir la justification de la décision.
[51]
Or, dans le cas de Mme Fatoye, les motifs de la SPR justifient la Décision de manière transparente et intelligible au niveau du caractère manifestement infondé de la demande (Vavilov aux para 81, 136 ; Société canadienne des postes aux para 28-29; Dunsmuir au para 48). Ils démontrent que la SPR a suivi un raisonnement rationnel, cohérent et logique dans son analyse et que la Décision est conforme aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes ayant une incidence sur le résultat et sur la question en litige (Société canadienne des postes au para 30, citant Vavilov aux para 105-107).
[52]
Le contrôle sous la norme de la décision raisonnable vise à comprendre le fondement sur lequel repose la décision et à identifier si elle comporte une lacune suffisamment capitale ou importante ou révèle une analyse déraisonnable (Vavilov aux para 96-97, 101). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de révision que « la lacune ou la déficience [invoquée] [...] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable »
(Vavilov au para 100). En l’espèce, je suis satisfait que l’on peut suivre le raisonnement de la SPR sans buter sur une faille décisive sur le plan de la rationalité ou de la logique, et que les motifs contiennent un mode d’analyse qui pouvait raisonnablement amener la SPR, en regard de la preuve et des contraintes juridiques et factuelles pertinentes, à conclure comme elle l’a fait (Vavilov au para 102 ; Société canadienne des postes au para 31). La Décision ne souffre d’une lacune grave qui viendrait brider l’analyse et qui serait susceptible de porter atteinte aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence.
Conclusion
[53]
Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Fatoye est rejetée. Je ne décèle rien d’irrationnel dans le processus décisionnel suivi par la SPR et dans ses conclusions. J’estime plutôt que l’analyse faite par la SPR sur le manque de crédibilité de Mme Fatoye possède tous les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité, et que la Décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. J’en arrive à la même conclusion pour ce qui est du caractère manifestement infondé de sa demande. Selon la norme du caractère raisonnable, il suffit que la Décision soit fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et soit justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti. C’est le cas en l’espèce.
[54]
Aucune des parties n’a proposé de question d’importance générale à certifier, et je conviens qu’il n’y en a aucune.
JUGEMENT au dossier IMM-3984-19
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.
Aucune question d’importance générale n’est certifiée.
« Denis Gascon »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER:
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IMM-3984-19
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INTITULÉ
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ADEBUSOLA OLUFUNMILOLA FATOYE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE:
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Montréal (Québec)
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DATE DE L’AUDIENCE:
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LE 26 février 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS:
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LE JUGE GASCON
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DATE DES MOTIFS:
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LE 31 MARS 2020
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COMPARUTIONS:
Stéphanie Valois
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Pour le demandeur
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Chantal Chatmajian
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Me Stéphanie Valois
Montréal (Québec)
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Pour le demandeur
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Me Chantal Chatmajian
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour le défendeur
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