Date : 20010323
Dossier : IMM-1659-00
Citation neutre : 2001 CFPI 235
ENTRE :
GYORGY FORGACS et GYORGYNE FORGACS
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE BLAIS
[1] La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié [la Commission] datée du 19 mai 1999 et signée par le registraire le 28 mai 1999. Dans cette décision, la Commission concluait que les demandeurs s'étaient désistés de leur revendication de statut de réfugié.
LES FAITS
[2] Les demandeurs sont citoyens hongrois. Ils sont arrivés au Canada le 22 février 1999, à l'aéroport international Lester B. Pearson de Toronto. Ils ont alors immédiatement déclaré leur intention de présenter une revendication pour obtenir le statut de réfugié.
[3] Du 25 février jusqu'à la fin de mars 1999, les demandeurs ont résidé au Town and Country Motel, situé au 517 Plains Road, à Burlington (Ontario).
[4] Le 10 mars 1999, la revendication des demandeurs a été transmise à la Commission. Le 17 mars 1999, les demandeurs se sont vu signifier leurs formulaires de renseignements personnels (FRP) et leurs formulaires sur les conditions, qui leur ont été remis par le personnel du motel.
[5] À cette époque, les demandeurs ne comprenaient pas l'anglais et ils dépendaient complètement des services offerts par des interprètes bénévoles, qui leur étaient fournis à l'occasion sur les lieux du motel par les travailleurs sociaux chargés de leur cas.
[6] Le formulaire, qui précise que les demandeurs doivent aviser les autorités de l'immigration en personne ou par courrier de tout changement d'adresse, n'a pas été traduit pour les demandeurs.
[7] Toutefois, les demandeurs déclarent que leur fille, Ilona, a néanmoins avisé le Centre d'immigration Canada (CIC) chaque fois qu'ils déménageaient. Elle transmettait ces renseignements en se rendant personnellement au CIC de Hamilton, qui est situé au Jackson Centre sur la partie nord de la rue James. Durant l'époque en cause, les demandeurs ont déménagé deux fois : en avril 1999, ils sont déménagés au 55, rue Murray, à Hamilton (Ontario) et, le 1er juin 1999, ils sont déménagés à leur adresse actuelle, au 172, rue James nord. Leur fille, Ilona, a chaque fois personnellement avisé le CIC à Hamilton de leur changement d'adresse.
[8] Le défendeur a déposé un affidavit de Lani Vanderveen, secrétaire juridique à la Section du droit de l'immigration, Bureau régional de l'Ontario, ministère de la Justice. Dans son affidavit, Mme Vanderveen déclare que David McBean, un agent chargé de présenter les cas à la Commission, l'a informée que les FRP des demandeurs étaient arrivés à la Commission le 9 juin 1999. Il lui a aussi dit qu'avant la réception des FRP des demandeurs le 9 juin 1999, rien dans les dossiers de la Commission ne porte que les demandeurs l'auraient avisée de tout changement d'adresse.
[9] Les demandeurs soutiennent néanmoins qu'en mars, peu de temps après avoir reçu leurs FRP, un travailleur social leur a pris rendez-vous avec leur ancien avocat. Ils ont rencontré leur ancien avocat en mars 1999 et ils ont alors préparé leurs FRP. À peu près deux jours plus tard, les demandeurs se sont rendus à l'aide juridique. Le 10 mars 1999, ou vers cette date, l'avocat a préparé les FRP des demandeurs. Toutefois, les FRP en cause ne sont pas arrivés à la Commission à temps pour des raisons qui restent inconnues. Les FRP ont finalement été signés le 4 juin 1999 et déposés le 9 juin 1999.
[10] Comme les demandeurs n'avaient pas déposé leurs FRP dans les 28 jours qui suivaient le moment où ils leur avaient été signifiés, la Commission leur a envoyé un avis, daté du 30 avril 1999, les informant qu'ils étaient convoqués à une audience le 19 mai 1999. L'objectif de cette audience était de leur donner l'occasion d'indiquer les motifs qui justifieraient la Commission de ne pas conclure au désistement de leur revendication.
[11] Les demandeurs ne se sont pas présentés à l'audience du 19 mai 1999. En conséquence, dans un avis daté du 19 mai 1999 et signé par le registraire le 28 mai 1999, la Commission a déclaré que les demandeurs s'étaient désistés de leur revendication.
[12] L'affidavit souscrit par le demandeur Gyorgy Forgacs a été déposé à l'appui de la présente demande de contrôle judiciaire. Dans cet affidavit, Gyorgy Forgacs déclare qu'il n'a jamais reçu l'avis en question et qu'il se serait présenté à l'audience dans le cas contraire, étant donné qu'il n'avait jamais eu l'intention de se désister de sa revendication de statut de réfugié. Il déclare qu'il a appris par la suite que l'avis de comparution avait été envoyé au Town and Country Motel et que l'interprète de leur ancien avocat en avait pris copie le 25 mai 1999. Il semblerait donc que le motel n'aurait pas fait suivre l'avis à la nouvelle adresse des demandeurs. Leur ancien avocat a négligé de faire le point avec la Commission ou de l'aviser du changement d'adresse.
[13] Les demandeurs signalent que malgré les efforts qu'ils ont consentis de bonne foi pour aviser le CIC et leur ancien avocat de leur changement d'adresse, aucune inscription n'en a été faite à la Commission. Les demandeurs se disent surpris de constater que leur fille, Ilona, qui vit avec eux depuis leur arrivée au Canada et qui les a accompagnés partout et a eu les mêmes rencontres avec l'avocat et l'aide juridique, et qui a pris les mêmes mesures pour aviser les autorités de l'immigration des changements d'adresse, n'a pas fait l'objet d'une déclaration qu'elle se serait désistée de sa revendication de statut de réfugié. Elle est présentement en attente d'une audition.
[14] L'avocat des demandeurs de l'époque a reçu l'avis de désistement le 7 juin 1999.
[15] Le 10 janvier 2000, l'avocate des demandeurs a déposé une requête pour nouvelle audition. Le 7 février 2000, la Commission a rejeté la demande de nouvelle audition. La Commission n'a pas présenté de motifs écrits, mais elle a communiqué ses motifs de vive voix à l'avocate des demandeurs. Le seul membre de la formation a conclu que les demandeurs avaient fait preuve de négligence dans le suivi de leur revendication de statut de réfugié.
[16] La demande d'autorisation de contester la décision du 19 mai 1999 n'a été déposée et signifiée par les demandeurs que le 2 avril 2000, soit approximativement neuf mois après que leur avocat ait reçu avis de la décision.
LE POINT DE VUE DES DEMANDEURS
[17] Les demandeurs soutiennent qu'on peut réexaminer une déclaration de désistement en cas de déni de justice naturelle ou de manquement aux règles de justice naturelle dans le cadre de la procédure concluant au désistement. La Commission a le pouvoir discrétionnaire de décider si un demandeur a des motifs justifiant le fait qu'il ne s'est pas conformé à ce qui semble être les règles inflexibles de la Commission. Le pouvoir discrétionnaire de la Commission de conclure au désistement doit être examiné attentivement, surtout lorsqu'un processus décisionnel aussi scrupuleux a pour résultat l'expulsion d'une personne.
[18] Les demandeurs soutiennent que lorsqu'une partie ne se présente pas devant un tribunal, c'est le tribunal qui a l'obligation de déterminer si on lui avait vraiment donné avis de la date et du lieu de l'audition.
[19] L'objectif de l'audition sur le désistement est de donner à la Commission une explication pour le retard à déposer les FRP des demandeurs. Les demandeurs ne se sont pas présentés à l'audience parce qu'ils n'en avaient pas été avisés. Cette occasion leur a donc été refusée par suite d'une malchance, ou du fait de leur manque de connaissances.
[20] Les demandeurs ont présenté des explications additionnelles dans leur dossier de requête. S'ils avaient présenté les mêmes explications à l'audience sur le désistement, il est probable qu'on n'aurait pas jugé qu'ils s'étaient désistés de leur revendication par suite d'une négligence dans le suivi.
[21] Il est allégué que la Commission a commis une erreur en n'examinant pas avec soin la preuve qui lui était présentée dans le dossier de requête. Si la Commission avait examiné avec soin ladite preuve, elle se serait rendu compte qu'elle enfreignait les principes de l'équité et de la justice naturelle et elle n'aurait pas tiré la conclusion que les demandeurs avaient été négligents dans le suivi de leur revendication de statut de réfugié. La preuve des demandeurs dont la Commission n'aurait pas tenu compte porte qu'ils ne savaient pas (et qu'ils ne pouvaient le savoir sans l'aide d'un interprète) qu'ils étaient tenus d'aviser directement la Commission de tout changement d'adresse. Néanmoins, les demandeurs ont fait preuve de bonne foi et de diligence pour aviser les autorités d'immigration lorsque leur fille, Ilona (dont la revendication est toujours active), s'est présentée en personne au CIC à Hamilton pour déclarer leur changement d'adresse.
LE POINT DE VUE DU DÉFENDEUR
[22] Le défendeur soutient que les demandeurs n'ont pas démontré que la Commission aurait enfreint les principes de justice naturelle en déclarant qu'ils s'étaient désistés de leur revendication de statut de réfugié.
[23] Les demandeurs allèguent qu'ils ont préparé leurs FRP après les avoir reçus et qu'ils les ont ensuite expédiés à la Commission par le courrier. Toutefois, leurs FRP ne sont pas arrivés à temps à la CISR, pour des motifs inexpliqués. Le défendeur soutient qu'il est démontré que cet argument est totalement mensonger, puisque, comme on peut le voir dans les FRP des demandeurs, ils n'ont pas été préparés, ou du moins ils n'ont pas été signés, avant le 4 juin 1999, soit deux semaines après qu'on eut conclu au désistement de leur revendication. Par conséquent, de suggérer que les FRP ont été préparés et envoyés par courrier à la Commission dans le délai requis est une affirmation mensongère et sans fondement.
[24] Les demandeurs n'ont pas présenté leurs FRP à la Commission dans les délais et ils ne se sont pas présentés à l'audition prévue pour qu'ils puissent expliquer pourquoi on ne devrait pas déclarer qu'ils s'étaient désistés de leur revendication. Par conséquent, l'argument qui veut que la décision enfreigne l'équité procédurale est sans fondement.
ANALYSE
La décision de la Commission qui conclut que les demandeurs se sont désistés de leur revendication de statut de réfugié doit-elle être annulée?
[25] Les demandeurs soutiennent qu'ils n'ont pas reçu l'avis de se présenter à l'audition sur le désistement de leur revendication de statut de réfugié au sens de la Convention, et que leur avocat n'a reçu l'avis que le 25 mai 1999, soit après qu'on eut déclaré qu'ils s'étaient désistés de leur revendication.
[26] Les demandeurs soutiennent que lorsqu'une partie ne se présente pas au tribunal, c'est le tribunal qui a l'obligation d'examiner la question de savoir si cette partie a vraiment reçu un avis de la date et du lieu de l'audition.
[27] Le paragraphe 69.1(6) de la Loi sur l'immigration est rédigé comme suit :
(6) La section du statut peut, après avoir donné à l'intéressé la possibilité de se faire entendre, conclure au désistement dans les cas suivants : a) l'intéressé ne comparaît pas aux date, heure et lieu fixés pour l'audience; b) l'intéressé omet de lui fournir les renseignements visés au paragraphe 46.03(2); c) elle estime qu'il y a défaut par ailleurs de sa part dans la poursuite de la revendication. Si elle conclut au désistement, la section du statut en avise par écrit l'intéressé et le ministre. |
(6) Where a person who claims to be a Convention refugee (a) fails to appear at the time and place set by the Refugee Division for the hearing into the claim, (b) fails to provide the Refugee Division with the information referred to in subsection 46.03(2), or (c) in the opinion of the Division, is otherwise in default in the prosecution of the claim, the Refugee Division may, after giving the person a reasonable opportunity to be heard, declare the claim to have been abandoned and, where it does so, the Refugee Division shall send a written notice of its decision to the person and to the Minister. |
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[28] L'article 32 des Règles de la Section du statut de réfugié est rédigé comme suit :
32. (1) Avant de conclure au désistement d'une revendication ou d'une demande conformément aux paragraphes 69.1(6) ou 69.3(2) de la Loi, la section du statut signifie aux parties un avis de convocation, les convoquant à une audience relative au désistement. (2) L'avis de convocation signale aussi aux parties que, si la section du statut ne conclut pas au désistement au terme de l'audience relative au désistement, elle commencera ou reprendra sans délai l'audience relative à la revendication ou à la demande. |
32. (1) Before declaring a claim to have been abandoned pursuant to subsection 69.1(6) of the Act or an application to have been abandoned pursuant to subsection 69.3(2) of the Act, the Refugee Division shall serve on the parties a notice to appear directing them to attend a hearing on the abandonment. (2) The notice to appear shall also inform the parties that where, at the end of a hearing concerning an abandonment, the Refugee Division does not declare the claim or application to have been abandoned, the Refugee Division will forthwith commence or resume the hearing into the claim or application. |
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[29] Dans Ahamad c. Canada (M.C.I.), [2000] 3 C.F. 109 (1re inst.), le juge Lemieux a examiné l'arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, de la Cour suprême du Canada, afin de déterminer qu'elle était la norme de contrôle applicable à une décision de la Commission déclarant qu'un revendicateur s'était désisté de sa revendication de statut de réfugié, au motif que celui-ci ne s'était pas présenté à la date prévue pour son audition. Le juge Lemieux déclare ceci :
En l'espèce, la décision de la SSR était clairement de nature discrétionnaire, la Loi prévoyant que la « section du statut peut [. . .] conclure au désistement » ; le droit ne dicte pas une décision précise; il laisse le décideur devant un choix d'options à l'intérieur de limites imposées par la loi (Baker, précité, aux pages 852 et 853, paragraphe 52).
En bref, selon mon interprétation de l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a intégré les aspects de fond des décisions discrétionnaires à la « démarche pratique et fonctionnelle bien connue » , créant ainsi diverses catégories de décisions, certaines méritant plus de retenue que d'autres.
Au lieu de classer les décisions selon leur nature discrétionnaire ou non discrétionnaire, une telle analyse ou démarche exige que l'on tienne compte de considérations telles l'expertise du tribunal, la nature de la décision, le libellé de la disposition, et le contexte législatif dans lequel elle s'inscrit.
Dans l'arrêt Baker, précité, le juge L'Heureux-Dubé a ajouté à l'arrêt que la Cour suprême avait rendu dans l'affaire Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 [motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222]. Compte tenu de l'analyse qui a été faite dans ces deux arrêts, de l'absence d'une clause privative, de l'objet du contrôle judiciaire (question de droit par opposition à expertise d'enquête factuelle) et de l'objectif que vise la disposition, je conclus que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à l'égard de la décision dans laquelle la SSR a conclu que le demandeur s'était désisté de sa revendication du statut de réfugié est celle de la décision raisonnable simpliciter. À mon avis, le fondement de la décision de la SSR ne suppose pas de considérations principalement juridiques, par exemple, l'interprétation d'une disposition législative, ni de conclusions de fait à l'égard desquelles l'alinéa 18(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)] exigerait que l'on fasse preuve d'une plus grande retenue. En l'espèce, le fondement de la décision est une question à la fois de fait et de droit.
En appliquant ces facteurs, je souligne la nature de la décision qui a été prise: il s'agit d'une conclusion selon laquelle un revendicateur du statut de réfugié s'est désisté de sa revendication avant qu'il n'ait eu l'occasion d'exposer le bien-fondé de son omission de se présenter à son audition. Le juge Bastarache a dit, dans l'arrêt Pushpanathan, précité, dans le contexte d'une conclusion selon laquelle un revendicateur du statut de réfugié était exclu en vertu de la section Fa) de l'article premier de la Convention [Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. no 6], qu'une telle conclusion avait une "grande incidence" sur le revendicateur. Cette approche a été reprise par mon collègue le juge Muldoon dans Cirahan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 138 F.T.R. 116 (C.F. 1re inst.), à la page 118, paragraphe 5, une affaire qui portait sur le contrôle d'une décision dans laquelle la SSR avait conclu que le demandeur s'était désisté de sa revendication. Le juge Muldoon a dit que « [l]e pouvoir discrétionnaire de la SSR de conclure au désistement doit être examiné attentivement » [soulignement ajouté]. Je suis d'accord.
Deuxièmement, le législateur a souligné que compte tenu de sa nature, on devait exercer ce pouvoir discrétionnaire en tenant compte d'indices classiques du droit administratif, et non d'indices à l'égard desquels des considérations de politiques ont un poids important. Dans cette perspective, les propos, souvent cités, du juge McIntyre dans l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, à la page 7, dans lesquels il met l'accent sur la bonne foi, la justice naturelle et des considérations pertinentes, sont très justes.
La façon d'apprécier le caractère déraisonnable est celle que le juge Iacobucci a décrite dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, aux pages 776 et 777, paragraphe 56 :
Je conclus que cette troisième norme devrait être fondée sur la question de savoir si la décision du Tribunal est déraisonnable. Ce critère doit être distingué de la norme de contrôle qui appelle le plus haut degré de retenue, et en vertu de laquelle les tribunaux doivent dire si la décision du tribunal administratif est manifestement déraisonnable. Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n'avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l'encontre de l'essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.
[30] Dans Perez c. Canada (Solliciteur général) [1994] J.C.F. no 1798 (1re inst.), le juge Joyal devait décider si la Commission avait commis une erreur en concluant que la revendicatrice s'était désistée, du fait qu'elle ne lui avait pas donné l'opportunité d'expliquer les motifs justifiant son absence ledit jour. Le juge Joyal conclut ainsi :
En l'occurrence, la requérante a eu plusieurs opportunités de faire valoir sa cause mais n'a pas procédé ou s'est absentée. De plus, sa procureure s'est présentée le 25 août afin de représenter les intérêts de sa cliente.
Dans l'affaire Mendez c. Canada, IMM-4007-94 en date du 1er septembre 1994, où il s'agissait d'une requête visant à surseoir l'exécution d'un ordre de déportation, le requérant demandait au tribunal de lever le désistement afin de lui permettre de justifier sa cause. Madame le juge Reed a refusé d'accorder la requête en expliquant qu'on avait donné au requérant deux opportunités de faire valoir sa cause lors d'audiences et il s'était volontairement absenté de chacune.
Bref, il s'agit d'une question procédurale à savoir s'il existe le genre d'erreur dans la décision de la Section du statut justifiant l'intervention de cette Cour.
Dans l'affaire Chen c. Canada, A-1176-91 en date du 6 août 1993, mon collègue le juge Gibson déclare qu'il est du devoir de la Section du statut de bien s'assurer qu'un revendicateur ait l'occasion de s'expliquer avant que la Section puisse conclure à un désistement. Le dossier dans cette cause, cependant, fait preuve de circonstances tout à fait différentes de celles en l'instance et la décision n'est pas, à mon avis, pertinente.
Je crois plus indicatrice la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Aubut c. Ministre du Revenu national, 126 N.R. 381, à la page 383, où Monsieur le juge Hugessen s'expliquait en ces termes :
Or, comment peut-on prétendre que le requérant en l'espèce n'a pas eu la possibilité raisonnable d'être entendu? Il a été régulièrement avisé de la date et du lieu de l'audition. Son procureur était présent et a pu faire des représentations en son nom. Si la présence était nécessaire au maintien de son appel, il se devait alors d'être présent et doit normalement supporter les conséquences de son absence.
Lorsqu'une partie fait défaut de se présenter devant un Tribunal, il est du devoir de celui-ci de s'enquérir si vraiment elle a été avisée de la date et du lieu de la séance. Mais son devoir ne va pas plus loin. Le Tribunal n'est pas obligé de mener une sorte d'enquête maison pour déterminer les motifs possibles de l'absence. Au contraire, il est en droit de s'attendre à ce que les parties respectent les rendez-vous régulièrement donnés. Si une partie fait défaut de se présenter, c'est à elle et non pas au Tribunal de faire valoir ses explications ou ses excuses, s'il en est.
Dans le cas devant moi, il est clair que la requérante, dont l'enquête sur sa revendication avait été remise plusieurs fois, fut formellement avisée que la Section du statut devait se pencher sur la question de son désistement. Elle était dûment représentée par une procureure, et on constate dans le dossier les tentatives de cette dernière de communiquer avec la requérante, mais sans succès, lorsqu'on n'avait eu aucune nouvelle d'elle depuis le mois de juin 1993.
Dans l'exercice de sa compétence statutaire, la Section du statut a porté jugement. Une Cour ne peut intervenir à moins d'y trouver une erreur de droit ou, comme il est prétendu, un manquement à la justice naturelle, mais je ne suis pas convaincu qu'une telle situation existe en ce cas. La requête doit donc être rejetée.
[31] La question à trancher est donc celle de savoir si les demandeurs ont effectivement été avisés de la date et du lieu de l'audition, et si l'avis répond aux exigences d'équité.
[32] Les demandeurs soutiennent qu'ils n'ont pas été informés du fait qu'ils devaient aviser la Commission et le Centre d'immigration du Canada de tout changement d'adresse, puisqu'ils ne comprenaient pas l'anglais et que l'interprète ne leur avait pas traduit le formulaire sur les conditions, qui exige que les demandeurs avisent la Commission de tout changement d'adresse personnellement ou par le courrier.
[33] Les demandeurs soutiennent qu'ils ont fait preuve de bonne foi et de diligence pour aviser les autorités de l'immigration lorsque leur fille, Ilona (dont la réclamation est toujours active), s'est présentée en personne au CIC à Hamilton pour déclarer leur changement d'adresse.
[34] Pour sa part, le défendeur soutient que le fait que l'avocat des demandeurs à cette époque ait reçu la décision de la Section du statut de réfugié emporte réception par les demandeurs. Il est aussi vrai de dire que les demandeurs n'ont aucunement présenté de preuve indiquant qu'ils n'étaient pas au courant de la décision avant le 11 janvier 2000, date du dépôt de la requête de réouverture.
[35] Je trouve aussi qu'il est difficile de concilier les faits lorsque les demandeurs prétendent avoir préparé leurs FRP en mars, alors que ces FRP ont été signés le 4 juin et déposés le 9 juin 1999, soit deux jours après que leur avocat d'alors ait reçu la décision.
[36] Que s'est-il passé entre le 7 juin 1999 et le 11 janvier 2000? A-t-on fourni un motif quelconque pour expliquer le retard de neuf mois à présenter la requête? Il n'y a rien.
[37] Les demandeurs ont l'obligation de démontrer que le retard échappait à leur contrôle ou à celui de leur avocat s'ils désirent obtenir une prorogation de délai.
[38] Dans Luo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1995] J.C.F. no 160 (C.F. 1re inst.), le juge Dubé déclare ceci :
Je dois convenir avec l'intimé que le droit applicable en l'espèce est exposé sommairement dans une décision rendue récemment par mon collègue M. le juge Teitelbaum dans Mussa c. M.E.I., IMM-6043-93, en date du 18 juillet 1994 :
Je ne comprends pas qu'un demandeur de statut de réfugié, un demandeur qui sait qu'il revendique le statut de réfugié parce que la persécution le préoccupe, s'intéresse peu ou pas à ce qui arrive à sa demande et ne s'occupe pas, immédiatement à l'occasion d'un déménagement, ou presque immédiatement à l'occasion d'un déménagement, de notifier les autorités d'immigration du déménagement. Il ne fait pas de doute qu'il appartient au demandeur de statut de réfugié de notifier l'Immigration de tout changement d'adresse. Il n'incombe pas au ministère de l'Immigration de découvrir l'endroit où réside chaque demandeur du statut de réfugié.
...
Je suis également convaincu que le requérant a absolument été négligent même en attendant de mars au début de juin pour informer le ministère de l'Immigration qu'il avait changé d'adresse.
...
Je suis convaincu que le requérant à l'instance était tenu de se mettre en rapport ou bien avec son avocat ou bien avec le ministère de l'Immigration pour, au moins, les informer dans les meilleurs délais de tout changement d'adresse, et de poursuivre activement sa revendication. Il veut savoir s'il va devenir un réfugié, obtenir le statut de réfugié et devenir un immigrant ayant le droit d'établissement. Or, il ne s'est pas renseigné à ce sujet. Je ne comprends pas.
En l'espèce, comme dans l'affaire Mussa, la Section du statut de réfugié n'a pas commis d'erreur susceptible de révision, car elle a envoyé les avis à l'adresse que le requérant laissait supposer être alors son adresse à des fins de notification depuis septembre 1992. De plus, les motifs fondés sur la Charte et invoqués par le requérant ne suscitent pas, à mon avis, de questions défendables car ils sont subordonnés au fait qu'il y aurait eu un manque d'équité dans les circonstances de la présente affaire. Je ne puis conclure à un tel manque d'équité. La demande doit donc être rejetée.
[39] Peut-être que les demandeurs ont confié leur affaire à un avocat incapable, mais la question dont cette Cour est saisie est celle de savoir s'il y a eu infraction à leurs droits procéduraux lorsque la Section du statut de réfugié a déclaré, le 19 mai 2000, qu'ils s'étaient désistés de leur revendication.
[40] Selon moi, la Commission n'a pas en l'instance commis d'erreur susceptible de révision.
[41] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[42] Les avocats ne m'ont pas soumis de question à certifier.
« Pierre Blais »
J.C.F.C.
OTTAWA (ONTARIO)
Le 23 mars 2001
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-1659-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : Gyorgy Forgacs et autre
c.
M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 7 mars 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE PAR : MONSIEUR LE JUGE BLAIS
DATE DES MOTIFS : le 23 mars 2001
ONT COMPARU :
Mme Elizabeth Jaszi POUR LES DEMANDEURS
M. Matthew Oommen POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mme Elizabeth Jaszi POUR LES DEMANDEURS
Toronto (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada