Date : 20011127
Dossier : IMM-5318-01
Référence neutre : 2001 CFPI 1300
ENTRE :
LLOYD GEORGE MORGAN
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
[1] Le demandeur requiert de la Cour un sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion. L'expulsion est prévue pour le 29 novembre 2001. La mesure d'expulsion a été prise le 2 novembre 2000 et est devenue exécutoire le 18 juin 2001 après que la Section du statut de réfugié eut rejeté la revendication du statut de réfugié que le demandeur avait présentée.
[2] Dans sa demande d'autorisation sous-jacente, le demandeur conteste la décision de André Martel, un agent d'immigration, en alléguant que le défendeur refuse d'évaluer les risques liés à son retour en Jamaïque qu'il a soulevés dans sa demande du 15 octobre 2001 fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, qui sollicite que sa demande de résidence permanente parrainée soit traitée de l'intérieur du Canada.
[3] Le demandeur allègue avoir un droit garanti par la Constitution à ce que les risques soient évalués avant que son renvoi soit effectué. Il appuie sa prétention sur les arrêts de la Cour d'appel fédérale Farhadi c. Canada (M.C.I.), 257 N.R. 158 (C.A.F.), et Suresh c. Canada (M.C.I.), [2000] 2 C.F. 592, et sur la décision Man c. Canada (M.C.I.), [2001] 3 C.F. 629 (C.F. 1re inst.).
LES FAITS
[4] Le demandeur est un citoyen de la Jamaïque qui est entré au Canada le 10 juin 1993 en tant que visiteur ayant un visa valide pour trois mois.
[5] Le 23 juillet 1996, il a épousé Dawn Marie Smith, une citoyenne canadienne.
[6] Le 25 juin 1999, il a déposé une demande de résidence permanente au Canada et a sollicité une dispense suivant l'article 114 de la Loi sur l'immigration (la Loi) afin que sa demande soit traitée de l'intérieur du Canada. Dans sa demande, il n'a aucunement mentionné les risques qu'entraînerait son retour en Jamaïque.
[7] Le demandeur a été interviewé relativement à sa demande et il a répondu [TRADUCTION] « Non » à la question d'un agent d'immigration [TRADUCTION] : « Si vous deviez retourner, pensez-vous que vous auriez certains problèmes? »
[8] Le 28 septembre 2000, sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été rejetée et il ne s'est pas adressé à la Cour pour obtenir l'autorisation d'intenter une procédure de contrôle judiciaire.
[9] On lui a dit de se présenter le 12 octobre 2000, ce qu'il a fait, et il a alors informé l'agent d'immigration qu'il présentait une revendication du statut de réfugié fondée sur le fait qu'il avait été témoin d'un meurtre en 1989 avant son départ de la Jamaïque et que, s'il devait y retourner, il serait en danger parce que ceux qui avaient commis ce meurtre le menaçaient sans cesse.
[10] La Section du statut de réfugié a rejeté sa revendication le 18 juin 2001 et dans ses brefs motifs a déclaré ce qui suit :
[TRADUCTION]
La preuve révèle que le revendicateur a présenté une revendication du statut de réfugié le 13 octobre 2000 après que toutes ses tentatives visant à obtenir, par le truchement d'un mariage, le statut d'immigrant reçu au Canada eurent échoué.
Quant à sa revendication du statut de réfugié, son témoignage révèle qu'il craint la violence très répandue en Jamaïque et qu'il craint notamment les malfaiteurs armés de l'Est de Kingston qui selon lui ont des activités criminelles dont il a été témoin en 1989.
Le Tribunal conclut que la crainte exprimée est une crainte qui est fondée sur des crimes et qui n'a de lien avec aucun des cinq motifs énoncés à la Convention.
[11] Le demandeur a sollicité l'autorisation de la Cour pour contester la décision de la Section du statut de réfugié, mais un juge de la Cour fédérale a rejeté sa demande parce que le dossier de demande n'avait pas été déposé dans le délai prescrit. De plus, sa demande dans la catégorie des DNRSRC datée du 16 juillet 2001 a été rejetée le 8 août 2001 parce qu'elle avait été déposée après le délai prévu et qu'il n'existe pas dans le Règlement sur l'immigration de disposition visant la prorogation de ce délai.
[12] Le 18 septembre 2001, le demandeur a rencontré André Martel à qui la responsabilité de prendre les dispositions pour son renvoi vers la Jamaïque avait été confiée. Le demandeur a accepté de partir pour la Jamaïque et a offert de payer ses dépenses de voyage.
[13] Le 22 octobre 2001, le demandeur, accompagné cette fois de son avocat, a de nouveau rencontré M. Martel. M. Martel a été informé qu'une deuxième demande de résidence permanente fondée sur des raisons d'ordre humanitaire venait tout juste d'être déposée et que cette demande contenait des allégations quant aux risques que courait le demandeur.
[14] Une copie de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a été remise à M. Martel qui a demandé une opinion à Cathy Chan, une agente spécialiste à la Section des audiences et des renvois du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration (CIC).
[15] Dans un affidavit déposé par le défendeur pour contester la demande de sursis présentée par le demandeur, Cathy Chan a déclaré avoir analysé le dossier du demandeur et sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire et avoir conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments à son dossier qui justifiaient un sursis à son renvoi. Elle a ajouté, notamment, que le demandeur avait attendu plusieurs années avant d'affirmer courir des risques s'il retournait, risques qu'il connaissait pourtant depuis 1989. Elle a fourni son opinion à M. Martel, qui a informé le demandeur et son avocat qu'il ne serait pas donné suite à la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire avant le renvoi du demandeur vers la Jamaïque.
[16] Le 31 octobre 2001, l'avocat du demandeur a transmis une communication urgente à Carole Lamarre, au bureau de Montréal de la Section des audiences et des renvois du CIC, demandant que le demandeur ne soit pas renvoyé, jusqu'à ce qu'une évaluation des risques soit effectuée. Il alléguait que la demande pendante fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, qui avait été envoyée à Vegreville, en Alberta, le 19 octobre 2001, s'appuyait sur les risques qu'entraînerait le retour en Jamaïque et la demande était l'élément de preuve principal sur cette question.
[17] Le 1er novembre 2001, Cathy Chan a répondu à la communication transmise à Carole Lamarre. Elle a écrit ce qui suit à l'avocat du demandeur :
[TRADUCTION]
La Loi sur l'immigration ne nous oblige pas à analyser une demande de dispense suivant le paragraphe 114(2) (raisons d'ordre humanitaire) à la dernière minute avant le renvoi. Le fait de déposer une telle demande n'empêche pas le renvoi et n'entraîne pas un sursis au renvoi.
Cependant, un renvoi effectué avant l'analyse d'une demande de dispense présentée suivant le paragraphe 114(2) ne nous libère pas de l'obligation d'analyser la demande. Dans l'éventualité où la conclusion de l'analyse serait favorable au demandeur, ce dernier serait autorisé à revenir au Canada.
Comme nous l'avons déjà déclaré plus tôt, il n'existe pas suffisamment d'éléments dans le dossier qui justifient un sursis au renvoi.
[18] Cathy Chan a signalé à l'avocat du demandeur la décision rendue par M. le juge Dubé dans Maharaj c. Canada (M.C.I.), [2001] CFPI 509.
ANALYSE ET CONCLUSIONS
[19] Je reconnais, de façon générale, vu la décision Farhadi, précitée, la nécessité de procéder à une évaluation des risques et de rendre une décision avant le renvoi. En outre, pour les fins des présentes, je tiens pour acquis que les présumés risques n'ont pas à avoir de lien avec l'un des cinq motifs de la Convention.
[20] L'avocat du demandeur, se fondant sur la décision Ali Ahmed et al. c. Canada, IMM-5330-99, le 30 août 2000 (C.F. 1re inst.), a appuyé sa demande de sursis sur le fait que l'agent chargé du renvoi a refusé d'évaluer les risques qu'entraînerait le retour du demandeur à la Jamaïque alors qu'il avait l'obligation légale de le faire avant de procéder au renvoi, une obligation qui n'était atténuée par aucune conclusion défavorable de la Section du statut de réfugié quant à la crédibilité.
[21] À mon avis, les faits de la présente affaire n'appuient pas les prétentions de l'avocat du demandeur selon lesquelles CIC n'a pas examiné les allégations du demandeur liées aux risques de son retour en Jamaïque.
[22] Il ressort clairement du dossier, après que CIC eut reçu le 22 octobre 2001 la deuxième demande de résidence permanente au Canada fondée sur des raisons d'ordre humanitaire qui, pour la première fois, soulevait la crainte qu'avait le demandeur de retourner en Jamaïque, que Cathy Chan a étudié tout son dossier. Elle a conclu que le demandeur n'avait pas réussi à démontrer que les risques qu'il prétendait courir justifiaient un sursis. Son affidavit révèle qu'elle n'a pas tenu compte de ces risques en raison du comportement passé du demandeur.
[23] Cathy Chan s'est fondée sur la décision de M. le juge Dubé dans l'affaire Maharaj, précitée, en mentionnant à l'avocat du demandeur l'extrait suivant des motifs de son jugement :
Dans la présente affaire, en raison des circonstances, rien n'indique que le refus de l'agent chargé du renvoi de reporter le départ du demandeur était déraisonnable. La Cour a insisté à plusieurs reprises sur le fait que les personnes qui n'allèguent pas au moment opportun un risque qu'elles pourraient subir ne peuvent s'attendre à ce que l'agent chargé du renvoi annule les dispositions prises pour le voyage afin de procéder rapidement à une évaluation des risques avant de remplir l'obligation qui lui est imposée par la Loi. Je suis d'avis qu'un agent chargé du renvoi ne peut prendre en considération une telle demande que lorsque le risque est évident, très grave et ne pouvait être soulevé plus tôt. Telle n'est pas la situation dans la présente affaire. [Non souligné dans l'original.]
[24] À mon avis, il y avait au dossier un assez grand nombre de faits sur lesquels Cathy Chan pouvait raisonnablement se fonder pour conclure que le demandeur n'avait pas établi de motifs suffisants justifiant un sursis même s'il n'était jamais retourné en Jamaïque depuis son entrée au Canada.
[25] Je suis d'accord avec l'avocat du défendeur que la présente affaire est très éloignée des circonstances factuelles de Farhadi et de Suresh, précités. L'affaireMan, précitée, était un contrôle judiciaire, et non pas une demande de sursis, et concernait une évaluation des risques qui n'avait pas été effectuée.
[26] Pour ces motifs, la demande de sursis doit être rejetée.
« Francois Lemieux »
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
LE 27 NOVEMBRE 2001
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
Date : 20011127
Dossier : IMM-5318-01
OTTAWA (ONTARIO), LE 27 NOVEMBRE 2001
En présence de MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX
ENTRE :
LLOYD GEORGE MORGAN
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
Pour les motifs énoncés, la demande de sursis est rejetée.
« Francois Lemieux »
Juge
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-5318-01
INTITULÉ : LLOYD GEORGE MORGAN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 26 NOVEMBRE 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX
DATE DES MOTIFS : LE 27 NOVEMBRE 2001
COMPARUTIONS :
MITCHELL GOLDBERG POUR LE DEMANDEUR
MARIE-NICOLE MOREAU POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MITCHELL GOLDBERG POUR LE DEMANDEUR
MONTRÉAL (QUÉBEC)
MORRIS ROSENBERG POUR LE DÉFENDEUR
SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20011127
Dossier : IMM-5318-01
ENTRE :
LLOYD GEORGE MORGAN
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE