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                                                                                                                                  Date : 20040116

                                                                                                                       Dossier : IMM-2139-03

                                                                                                                       Référence : 2004 CF 63

EDMONTON (ALBERTA), LE VENDREDI 16 JANVIER 2004

ENTRE :

                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                      DWIGHT ANTHONY SMITH

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]                Le débat tourne en l'espèce autour de l'application des paragraphes 36(1), 64(1) et 64(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi).

[2]                Suivant l'alinéa 36(1)a), emporte interdiction de territoire pour grande criminalité le fait d'être déclaré coupable au Canada d'une infraction à une loi fédérale punissable d'un emprisonnement maximal d'au moins dix ans. En ce qui concerne les droits d'appel afférents à cette constatation de grande criminalité, les paragraphes 64(1) et 64(2) sont ainsi libellés :



64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant.

64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality.

(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans.

(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years.


[3]                La question que le demandeur veut faire trancher porte sur l'interprétation qu'il y a lieu de donner à l'expression « emprisonnement » au paragraphe 64(2).

[4]                Le défendeur est né en Jamaïque le 19 février 1971 et a été admis au Canada le 2 février 1993. Il n'a pas obtenu la citoyenneté canadienne. Le 11 décembre 2001, le demandeur a reconnu sa culpabilité, à Edmonton, en Alberta, à une accusation de possession de cocaïne en vue d'en faire le trafic au sens du paragraphe 5(2) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, une infraction punissable d'emprisonnement à perpétuité. À la suite du plaidoyer de culpabilité, le juge Caffaro, de la chambre criminelle de la Cour provinciale de l'Alberta a condamné le défendeur selon la recommandation conjointe du procureur de la Couronne et de l'avocat de la défense. Comme la peine infligée faisait directement suite à cette recommandation conjointe, la teneur de cette dernière est importante. Voici certains extraits du procès-verbal d'audience (dossier de la demande du demandeur, aux pages 19 et 20 et 23 et 24) :

[traduction]


Me ESPEUT [procureure de la Couronne] : Monsieur le Juge, la peine proposée dans la recommandation conjointe qui vous a été soumise est une peine d'emprisonnement de trois ans. Je crois que mon collègue conviendra avec moi que nous avons affaire à une entreprise commerciale de trafic de stupéfiants, et que, conformément aux principes dégagés dans la décision Maskell, un emprisonnement de trois ans constitue une peine appropriée dans le cas de cet accusé. Il y a par ailleurs lieu de signaler, Monsieur le Juge, que les accusations portées dans l'affaire Projet Calcium feront l'objet d'un sursis dans le cas de l'accusé. L'accusé est en train de purger sa peine ou est en détention préventive en rapport avec les accusations portées contre lui relativement au Projet Calcium, accusations auxquelles il sera sursis. Nous demandons par conséquent au tribunal de tenir compte du temps que l'accusé a passé en détention avant le procès pour ce qui est des accusations portées contre lui relativement au Projet Calcium et nous demandons au tribunal d'appliquer ce temps aux accusations distinctes selon un rapport de deux pour un. Je vous signale, Monsieur le Juge, que Smith a été arrêté pour la première fois en rapport avec le Projet Calcium le 15septembre 2000. Suivant mes calculs, au 15 décembre 2001, il aura purgé environ 15 mois en détention préventive, et si l'on applique un rapport de deux pour un, on arrive à environ 30 mois. Je crois qu'il nous manque quatre jours pour arriver au 15.

LA COUR :             Ce que vous dites, c'est qu'il lui reste six mois à purger.

Me ESPEUT :          Environ. Monsieur le Juge, Ce sont là toutes mes observations en ce qui concerne la peine, mais j'aimerais formuler quelques observations au sujet de l'ordonnance de confiscation.

AVOCAT NON IDENTIFIÉ :      Bonjour, Monsieur le Juge. La présente affaire est soumise à la Cour par suite d'une entente survenue entre le ministère public et la défense au sujet des faits et de la décision finale. Les négociations entamées en vue de parvenir à cette entente se sont échelonnées sur quatre mois et demi. Elles ont commencé en août et se sont terminées dimanche dernier.

[...]

En conclusion, la décision que les avocats des deux parties proposent à la Cour de prendre pour régler le présent dossier entrent dans le cadre de la compétence de la Cour. Cette décision reconnaît la gravité de l'infraction qui a été commise et elle tient dûment compte des circonstances qui ont rendu particulièrement pénible pour M. Smith son incarcération. Nous estimons que la Cour peut infliger avec confiance la peine que nous lui recommandons en l'espèce.

LA COUR :             Merci, Me Richen. Après avoir entendu le ministère public et la défense, je suis disposé à accepter la recommandation conjointe. Me Smith, je vais vous condamner à trois ans d'emprisonnement. En réalité, il faut soustraire de cette peine de trois ans les 30 mois que vous avez déjà passés en détention, c'est-à-dire les 15 mois que vous avez passés au Centre de détention provisoire multipliés par deux. Il vous reste donc six mois à purger pour exécuter la peine faisant l'objet de la recommandation conjointe. Je ne vous condamne à aucune suramende compensatoire.


[5]                Par suite du plaidoyer de culpabilité, un agent d'immigration a, le 10 juillet 2002, établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi un rapport d'interdiction de territoire du défendeur pour le motif prévu à l'alinéa 36(1)a) et le 3 octobre 2002, à la suite d'une enquête, une mesure d'expulsion a été prise contre le défendeur. Le même jour, le défendeur a interjeté appel de cette décision devant la Section d'appel de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section d'appel). Le 8 octobre 2002, l'avocat du ministre a présenté en vertu de l'article 42 des Règles de la Section d'appel de l'immigration une demande visant à obtenir une ordonnance rejetant l'appel du défendeur au motif que la Section d'appel n'avait pas compétence pour l'instruire. Le 4 avril 2003, la Section d'appel a examiné la demande et le 9 avril 2003, le demandeur a reçu une copie de la décision motivée de la Section d'appel.

[6]                Voici l'interprétation que la Section d'appel a donnée des propos tenus par le juge Caffaro au sujet de la détermination de la peine (dossier de la demande du demandeur, aux pages 9 et 10).

[traduction]

[13] Comme ce passage le démontre à l'évidence, le juge qui a prononcé la peine signale lui-même que la peine d'emprisonnement de trois ans et la peine de six mois constituent ensemble la « peine » à laquelle M. Smith est condamné. Mais la peine qui a été finalement infligée, c'est-à-dire le temps que le juge Caffaro a effectivement condamné M. Smith à purger en détention est de six mois.

[14] Je conviens avec l'avocat de M. Smith que c'est la méthode qu'il y a lieu d'adopter pour déterminer la peine infligée par le juge dans le contexte des paragraphes 64(1) et 64(2) de la Loi. Dans le contexte des appels interjetés des mesures d'expulsion, la Section d'appel ne va pas « au-delà » de la décision du juge qui a prononcé la peine pour examiner les antécédents de l'appelant ou les autres facteurs dont le juge qui a prononcé la peine a tenu compte pour déterminer la peine.

[...]

[17] L'avocat de M. Smith signale également que la peine de six mois d'emprisonnement qu'a finalement imposée le juge qui a prononcé la peine est celle qui est inscrite au dossier que l'on trouve à la page 18, annexe C-1 de l'index des documents relatifs à l'enquête de Dwight Anthony Smith, qui font partie du dossier et des observations de l'avocat de M. Smith en date du 15 octobre 2002. Si je ne m'abuse, ce que le Service correctionnel du Canada considère comme la « peine » figurant au dossier de l'accusé qui a été reconnu coupable est effectivement la peine qui lui a été infligée, c'est-à-dire, en l'espèce, la peine d'emprisonnement que le juge chargé de déterminer la peine a finalement infligée au contrevenant qui a été reconnu coupable.

[18] Ce document porte que M. Smith [traduction] « a été condamné pour ladite infraction [de possession en vue de faire le trafic] et que le 11 décembre 2001 la peine suivante lui a été infligée, à savoir une incarcération pour une période de six mois. » Je conclus donc que la peine de six mois d'emprisonnement est la peine à laquelle M. Smith a été condamné.

[19] Comme il n'a pas été condamné à une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans au sens du paragraphe 64(2), M. Smith ne perd pas son droit d'appel.


[7]    Voici comment le demandeur formule la question de droit à résoudre en l'espèce : la question en litige dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si l' « emprisonnement » visé au paragraphe 64(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés comprend la période de détention présentencielle qui est expressément prise en compte dans la détermination de la peine imposée à une personne?

[8]    Pour inciter la Cour à répondre affirmativement à cette question, l'avocat du demandeur a, lors de débats, cité une décision très récente, le jugement Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Iqbal Singh Atwal, (IMM-3260-03, 8 janvier 2004, 2004 CF 7) dans lequel le juge Pinard déclare ce qui suit :

[10]          La norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte (voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982), étant donné que la question de savoir si la période de détention présentencielle fait partie de la peine d'emprisonnement et la question touchant l'interprétation que la SAI a donnée au paragraphe 64(2) de la LIPR sont des questions de droit.

[11] La Cour suprême du Canada a dit que la période de détention présentencielle est réputée faire partie de la sanction et, par conséquent, de la peine après la déclaration de culpabilité du délinquant. La juge Arbour de la Cour suprême du Canada a énoncé ce qui suit aux pages 477 et 478 de l'arrêt R. c. Wust, [2002] 1 R.C.S. 455 :

En conséquence, bien que la détention avant le procès ne se veuille pas une sanction lorsqu'elle est infligée, elle est, de fait, réputée faire partie de la peine après la déclaration de culpabilitédu délinquant, par l'application du paragr. 719(3).

[12] Dans la décision Allen c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration (le 5 mai 2003), IMM-2439-02, ma collègue la juge Snider a conclu qu'il allait de soi qu'une peine d'emprisonnement comprenait la période de détention présentencielle, réaffirmant ainsi que la période passée en détention avant le prononcé de la sentence fait partie de la peine d'emprisonnement dans un contexte d'immigration. Dans cette affaire, le délinquant avait été condamné à la peine qu'il avait déjà purgée plus à une peine d'emprisonnement de vingt et un mois. La juge Snider a considéré qu'il s'agissait là d'une peine de vingt-quatre mois. En l'espèce, le Mandat de dépôt sur déclaration de culpabilité fait état d'une dernière peine d'emprisonnement de six mois en plus de la période de détention présentencielle (trois ans et demi comptés à l'actif du défendeur), ce qui correspond à une peine d'emprisonnement de quatre ans en tout. Lorsqu'elle a refusé de tenir compte de la période de détention, la SAI a, à tort, retenu une interprétation restrictive des mots « peine » et « peine d'emprisonnement » et fait abstraction des principes énoncés par la Cour suprême du Canada et par la Cour fédérale.

[13] À mon avis, la SAI a commis une erreur lorsqu'elle a omis de prendre en considération les objets de la LIPR et les principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. La SAI a également omis de tenir compte des circonstances qui entourent la détermination des peines.


[14] Le paragraphe 719(3) du Code criminel prévoit que l'on peut tenir compte de la période de détention présentencielle pour fixer la peine d'emprisonnement :


719. (1) La peine commence au moment où elle est infligée, sauf lorsque le texte législatif applicable y pourvoit de façon différente.

[...]

719. (1) A sentence commences when it is imposed, except where a relevant enactment otherwise provides.

[...]

(3) Pour fixer la peine à infliger à une personne déclarée coupable d'une infraction, le tribunal peut prendre en compte toute période que la personne a passée sous garde par suite de l'infraction.

(3) In determining the sentence to be imposed on a person convicted of an offence, a court may take into account any time spent in custody by the person as a result of the offence.


[5] En adoptant l'article 64 de la LIPR, le législateur a voulu établir une norme objective de criminalité au regard de laquelle un résident permanent perd son droit d'appel. On peut présumer que le législateur était au courant du fait que, conformément à l'article 719 du Code criminel, la période de détention présentencielle est prise en considération lors de la détermination des peines. Appliquer l'article 64 de la LIRP en faisant abstraction de la période de détention présentencielle lorsque cette période a été expressément prise en compte dans la détermination de la peine serait contraire à l'intention qu'avait le législateur lors de l'adoption de cet article.

[9]          Dans le jugement Atwal, après avoir décidé que la décision de la Section d'appel était entachée d'une erreur qui justifiait l'intervention de la Cour et après avoir renvoyé l'affaire à la Section d'appel pour qu'elle soit instruite de nouveau par une autre formation, le juge Pinard a certifié la question suivante :

L' « emprisonnement » visé au paragraphe 64(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés comprend-il la période de détention présentencielle qui est expressément prise en compte dans la détermination de la peine imposée à une personne?

J'abonde dans le sens du juge Pinard en ce qui concerne la nature de la question de droit à résoudre en l'espèce. De plus, comme c'était le cas dans la situation soumise à la juge Snider dans l'affaire Allen, le juge qui a prononcé la peine en l'espèce a bien précisé que la peine infligée comprenait la période passée en détention avant le prononcé de la sentence. Le juge Caffaro a explicitement condamné le défendeur à une peine d'emprisonnement de trois ans, conformément à ce qui était réclamé dans la recommandation conjointe. Je conclus donc que la décision rendue par la Section d'appel en l'espèce était entachée d'une erreur de droit et d'une erreur de fait qui justifient notre intervention.


                                                           O R D O N N A N C E

[1]         La décision de la Section d'appel est par conséquent annulée et l'affaire est renvoyée à une autre formation pour qu'elle rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.

[2]         À la suite de l'entente intervenue entre l'avocat du demandeur et l'avocat du défendeur, comme dans l'affaire Atwal, je certifie la question suivante :

L' « « emprisonnement » » visé au paragraphe 64(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés comprend-il la période de détention présentencielle qui est expressément prise en compte dans la détermination de la peine imposée à une personne?

                                                                                  _ Douglas R. Campbell _            

                                                                                                                 Juge                            

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE

                                               Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                                     IMM-2139-03

INTITULÉ :                                                    MCI c. DWIGHT ANTHONY SMITH

LIEU DE L'AUDIENCE :                              EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 15 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 16 JANVIER 2004

COMPARUTIONS:

W. Brad Hardstaff                                                         POUR LE DEMANDEUR

Andrew Fong                                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Mah & Chiu                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Edmonton (Alberta)

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