Date : 20040908
Dossier : IMM-8660-03
Référence : 2004 CF 1230
ENTRE :
HECTOR FABIO GAVIRIA FLOREZ,
JHONNY JAVIER SERRATO GRAJALES,
LUZ ROCIO GRAJALES CARDONA
BRIAN ALEJANDRO GAVIRIA
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
[1] Suivant le récit de M. Gaviria Florez, le demandeur, il a fait son temps dans l'armée en Colombie et il est par la suite devenu chauffeur et garde du corps d'un certain M. Munoz, un ingénieur qui était un des principaux dirigeants de la pétrolière Ecopetrol. Un jour, au début de 1996, des membres des Forces révolutionnaires armées de Colombie (FRAC) ont tenté d'intercepter la voiture de M. Munoz. Malgréles coups de feu, le demandeur a réussi à échapper aux guérilleros et a ramené M. Munoz en sûreté à Bogota.
[2] Peu de temps après, des membres du FRAC s'en sont pris à M. Munoz et lui ont non seulement extorqué de l'argent, mais l'ont également forcéà leur révéler les coordonnées du demandeur et des renseignements sur son passé militaire. Entre-temps, des individus, vraisemblablement des guérilleros, étaient à sa recherche dans la ville où vivait sa mère.
[3] Monsieur Munoz a pressé le demandeur de s'enfuir, lui a remis de l'argent et l'a mis en contact avec un passeur qui a pris des dispositions pour le faire entrer, via le Mexique, aux États-Unis, oùil est resté de mars 1996 à avril 2002.
[4] Son séjour aux États-Unis fut loin d'être une sinécure. Sa demande d'asile lui a valu d'être emprisonné pendant 52 jours. Il fut libéré après paiement d'une caution de 1 000 $. Bien qu'il y eût donné son adresse, le Naturalization Service a laissé passer des années avant de communiquer avec lui. Sa conjointe de fait et le fils de sa conjointe l'ont rejoint aux États-Unis. Avec le consentement de sa conjointe, il a contracté un faux mariage vraisemblablement dans le but de faire entrer sa fille aux Etats-Unis.
[5] L'événement du 11 septembre a marqué l'ouverture de la chasse aux étrangers illégaux. Un jour, un ami lui a dit que les autorités étaient venues frapper à sa porte. Le demandeur, sa conjointe, le fils de cette dernière et leur fils né aux États-Unis sont venus au Canada. Ils ont demandéle statut de réfugiés ou qu'on leur reconnaisse le statut de personnes à protéger. Il a été admis que le fils né aux États-Unis n'est ni l'un ni l'autre et sa revendication a été retirée.
[6]
[7] La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande et les autres demandes qui y étaient connexes. La Commission a conclu que le demandeur n'était pas crédible. Il s'agit ici du contrôle judiciaire de cette décision.
[8] La Commission a conclu que le témoignage du demandeur était rempli d'incohérences, d'hésitations et de réponses évasives. La Commission a énuméré ce qu'elle considérait être les éléments cruciaux de la demande d'asile du demandeur. Il a donné une réponse vague à la question de savoir s'il travaillait pour Ecopetrol ou pour M. Munoz. Il ne pouvait pas se rappeler le prénom de M. Munoz bien qu'il eût été son chauffeur pendant deux ans. Il ne pouvait pas se rappeler quelle compagnie d'aviation l'avait emmené du Mexique au Texas. Il n'a pas donné de réponse satisfaisante quant à son statut aux États-Unis. Il était peut-être un résident permanent. Par contre, s'il n'était pas un résident permanent, il n'avait montré aucune crainte subjective d'être renvoyé en Colombie : il a travaillé aux États-Unis illégalement pendant des années sans tenter de régulariser sa situation. La Commission a jugé que sa réponse selon laquelle il avait accepté de courir un risque était tout simplement inacceptable.
[9] J'ai examiné la preuve se rapportant à ces éléments cruciaux et j'estime que les conclusions de fait de la Commission contredisent la preuve et que les inférences qu'elle a tirées n'étaient que des conjectures découlant de sous-entendus socio-culturels. La décision était manifestement déraisonnable.
[10]
[11] J'examine ces soi-disant éléments cruciaux un à la fois.
LE NOM
[12] Selon le demandeur, le prénom de M. Munoz ne lui est pas venu immédiatement à l'esprit parce que, par respect, il s'adressait toujours à lui en disant M. l'ingénieur Munoz, juste comme quelqu'un pourrait s'adresser à un médecin en disant Dr Munoz. M. Munoz a signéun affidavit corroborant le récit fait par le demandeur. Cependant, la Commission a mis en doute le fait même qu'il y eût un M. Munoz. J'estime que l'explication fournie par le demandeur est parfaitement acceptable, et la conclusion de la Commission, tout à fait erronée.
L'EMPLOYEUR
[13] Le demandeur travaillait pour M. Munoz, qui, lui, travaillait pour Ecopetrol. Le demandeur a toujours mentionné les deux noms. La distinction faite par la Commission n'a aucun sens.
LA FUITE VERS LES ÉTATS-UNIS
[14] Lorsque le demandeur a été interrogé au point d'entrée au Canada, quelque six ans plus tard, il se souvenait de la compagnie aérienne qui l'avait emmenéde Bogota à Mexico, mais non de celle qui l'avait emmené de Mexico à El Paso. L'agent d'immigration lui a fait passer un test de mémoire dénué de sens.
LE STATUT AUX ÉTATS-UNIS
[15] L'investigation du statut du demandeur aux États-Unis laissait beaucoup à désirer. Les notes de l'entrevue qui a eu lieu à la frontière du Canada énoncent que le demandeur est un résident permanent des États-Unis par suite de son mariage avec une citoyenne des États-Unis en janvier 2002. Cela n'avait rien à voir avec quelque demande du statut de réfugié qu'il avait pu présenter aux États-Unis. Cependant, dans son Formulaire sur les renseignements personnels, le demandeur affirme que, bien qu'il eût fait la demande du statut de réfugié aux États-Unis, il ne savait pas quels en étaient les résultats. Il croyait que son mariage à une citoyenne des États-Unis pouvait lui avoir conféré un statut, mais il s'agit là d'un fait vérifiable. Ses croyances n'y changent rien. Il ne prétendait pas être un résident permanent des États-Unis et, en un sens, on lui a demandé de prouver une négation, soit de prouver qu'il n'était pas un résident permanent. On ne lui a pas donné un préavis suffisant avant son audience au Canada pour qu'il puisse clarifier la situation, et les autorités canadiennes elles-mêmes auraient pu s'en charger. L'espèce rappelle l'affaire Muliri c. Canada (Ministère de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1376 (QL). Si la Commission soulève un point qu'elle dit vérifiable, et qu'elle peut vérifier facilement, alors elle devrait le vérifier.
LA CRAINTE SUBJECTIVE
[16] Le demandeur, s'il n'était pas résident permanent des États-Unis, y a alors travaillé illégalement pendant plusieurs années. Il a affirmé qu'il n'osait pas demander de renseignements au sujet de son statut de peur que cela aboutisse à une expulsion. Après tout, il avait déjà passé 52 jours en prison. La Commission a estimé que le demandeur n'avait pas de crainte subjective parce qu'il aurait dû chercher à savoir quel était son statut. Les limbes ne sont-ils pas préférables à l'enfer? Le demandeur a soupesé ses chances de pouvoir rester illégalement aux États-Unis par rapport au risque d'être expulsé vers la Colombie (voir El-Naem c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 185, les motifs du juge Gibson, au paragraphe 20 (Q.L.)).
[17] Ce qu'il est important de noter, c'est que le demandeur a de fait demandé le statut de réfugié aux États-Unis dès qu'il y est arrivé. Cela le distingue de ceux qui restent illégalement dans un pays pendant des années sans jamais tenter de régulariser leur situation.
[18] Pour ces motifs, j'accueillerai la demande de contrôle judiciaire.
* Sean Harrington +
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Juge
Ottawa (Ontario)
le 8 septembre 2004
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes
COUR FÉDÉRALE
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-8660-03
INTITULÉ : HECTOR FABIO GAVIRIA FLOREZ, JHONNY JAVIER SERRATO GRAJALES, LUZ ROCIO GRAJALES CARDONA
BRIAN ALEJANDRO GAVIRIA
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE L'AUDIENCE : LE 1er SEPTEMBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS : LE 8 SEPTEMBRE 2004
COMPARUTIONS :
Jeffrey Nadler POUR LE DEMANDEUR
Lynne Lazaroff POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jeffrey Nadler POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada