Date : 20020123
Dossier : IMM-1431-01
Référence neutre : 2002 CFPI 75
ENTRE :
ANDREY KOMISSAROV, OLGA BARKHATOVA,
ARTUR KOMISSAROV ET DAVID KOMISSAROV
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LE JUGE EN CHEF ADJOINT
[1] Les quatre demandeurs, soit les parents mariés et leurs deux enfants, sont citoyens du Kazakhstan. Andrey Komissarov déclare que son origine ethnique est pour un quart tchétchène. L'origine ethnique de sa femme est russe et elle est chrétienne. La demande de statut de réfugié au sens de la Convention des demandeurs se fonde sur la crainte, par M. Komissarov, de ses oncles par alliance qui sont tchétchènes et musulmans et qui s'opposent à son mariage à une chrétienne russe.
[2] Les demandeurs cherchent à obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié qui a décidé qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.
[3] Les faits entourant la revendication des demandeurs sont résumés dans les motifs de la décision du tribunal :
[Traduction] Le revendicateur a déclaré que son grand-père avait épousé une Russe. Il déclare que l'origine ethnique de ce grand-père est tchétchène. D'après lui, ses grands-parents se sont séparés quand son père avait 18 ans et son grand-père est alors retourné en Tchétchénie. Il déclare que son grand-père est un « mollah » , soit un notable dans son village. Son grand-père s'est remarié et a deux fils, Abdul et Esa. Il prétend que sa grand-mère russe a changé le nom tchétchène de son père pour un nom à résonnance russe et que, par la suite, son père a épousé une femme russe, comme le revendicateur. D'après ce dernier, les beaux-frères par alliance de son père, Abdul et Esa, ont fait le déplacement de la région de Grozny à Almaty au Kazakhstan afin de harceler et de persécuter le revendicateur lorsqu'il a voulu épouser une femme russe. Il soutient, en outre, que ses oncles par alliance veulent le recruter pour faire la guerre contre la Russie.
[4] Les demandeurs contestent les trois points sur lesquels le tribunal a fondé sa décision : a) la question de l'identité; b) les conclusions d'invraisemblance et de manque de crédibilité; et c) la question de la protection de l'État.
i) La question de l'identité
[5] Pour établir que M. Komissarov est pour un quart Tchétchène, les demandeurs se fondent sur le changement du nom du père inscrit sur le certificat et sur le certificat de naissance modifié en conséquence, les deux certificats ayant été émis en 1965 quand le père avait 19 ans. Aucun certificat n'a été produit dans sa forme originale, alors que les demandeurs en avaient apparemment la possibilité. Aucun délai supplémentaire n'a été demandé pour obtenir les documents originaux après que le tribunal eut demandé pourquoi les demandeurs n'avaient pu les obtenir avant l'audience.
[6] De même, le dossier révèle aussi qu'aucune explication n'a été fournie par les demandeurs pour ne pas avoir produit le certificat de naissance de 1946 du père de M. Komissarov afin d'établir clairement l'origine tchétchène de son nom.
[7] Le tribunal s'est dit également préoccupé « [Traduction] de l'information circulant sur la facilité avec laquelle on pouvait obtenir de faux papiers dans l'ancienne Union soviétique » . Par conséquent, il a conclu qu'il ne fallait donner aucun poids aux papiers d'identité.
[8] Les demandeurs prétendent que cette conclusion est arbitraire et abusive. Je ne suis pas d'accord. Bien que toute autre personne ayant à prendre la décision puisse avoir une opinion différente de la question, il était loisible à ce tribunal, suite aux questions posées à M. Komissarov et à l'examen de la preuve documentaire, de ne pas accepter la valeur probante des deux certificats de 1965 : Tcheremnykh c. Canada (le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1310 (1re inst.) : QL, particulièrement au paragraphe 9; et Sedov c. Canada (le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1667 (1re inst.) : QL. Les motifs de préoccupation du tribunal vis-à-vis de l'authenticité des documents ont été clairement énoncés.
ii) Question du manque de vraisemblance et de crédibilité
[9] Le tribunal a toutefois continué d'évaluer le bien-fondé de la prétention de persécution des demandeurs de la part de leurs parents « [Traduction] en supposant, sans le déterminer, que le revendicateur soit tchétchène » . Là encore, le tribunal n'a pas cru la preuve qui lui a été soumise.
[10] Le tribunal a trouvé « tout à fait invraisemblable » que les oncles par alliance de M. Komissarov se déplacent, soit en voiture, soit par avion, sur quelque quatre mille kilomètres entre Grozny, en Tchétchénie, et Almaty, au Kazakhstan « assez fréquemment » pour qu'il abandonne sa femme russe.
[11] Les demandeurs prétendent que cette conclusion du caractère invraisemblable ne peut être soutenue car les gestes de persécution de la part des oncles par alliance sont étayés par un rapport de police. Cette prétention n'est pas convaincante. La principale conclusion du rapport est que les oncles par alliance ne pouvaient être localisés à l'adresse fournie par les demandeurs dans la plainte qu'ils ont déposée auprès de la police.
[12] La transcription révèle d'autres incohérences et des déclarations floues dans le témoignage qui viennent étayer la conclusion d'invraisemblance.
[13] Le tribunal n'a pas cru que les demandeurs s'étaient déplacés sur plusieurs centaines de kilomètres de Almaty à la résidence de la famille de l'épouse de M. Komissarov à Ust'-Kamenogorsk, au Kazakhstan, afin d'éviter les menaces et les abus des oncles par alliance. Dans son témoignage, M. Komissarov s'est contredit en déclarant que la famille avait fait ce déplacement « une fois seulement » pour dire plus tard qu'elle l'avait fait « deux fois » . En ce qui concerne le mois du prétendu déplacement d'Almaty, en 1998, la réponse de M. Komissarov est tout à fait différente de celle qu'il a fournie dans le formulaire sur les renseignements personnels.
[14] Quand j'examine le dossier, je constate que les demandeurs n'ont pas pu établir une erreur, dans la décision du tribunal, qui pourrait faire l'objet d'une révision. Cela est tout à fait conforme à ce qu'a énoncé la Cour d'appel dans Aguebor c. le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (paragraphe 4) :
Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialiséqu'est la section dustatut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'untémoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger lacrédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans lamesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables aupoint d'attirer notre intervention, ses conclusions sont àl'abri ducontrôle judiciaire.
iii) La question de la protection de l'État
[15] Enfin, s'il restait encore un doute quant aux conclusions du tribunal sur la crédibilité et le manque de vraisemblance, l'examen de la question de la protection de l'État l'élimine tout à fait.
[16] Après avoir soupçonné ses oncles par alliance d'être responsables de la casse des fenêtres de sa maison, M. Komissarov s'est plaint à la police. D'après le rapport déposé par le demandeur, la police a été incapable de localiser les oncles par alliance à l'adresse qu'il avait indiquée et a décidé de ne pas ouvrir d'enquête criminelle, compte tenu de la nature familiale du conflit. Cet incident s'est produit en octobre 1999. Quelque quatre mois plus tard, l'épouse de M. Komissarov est dite avoir été physiquement attaquée et blessée par des inconnus que les demandeurs soupçonnent encore d'être les oncles par alliance. Lorsqu'il explique pourquoi il n'a pas rapporté ce fait à la police, M. Komissarov dit qu'il aurait été peu réaliste de s'attendre à une aide de sa part. De toute façon, il avait obtenu des visas pour les États-Unis où il était allé rendre visite à sa soeur avant de chercher à obtenir le statut de réfugié au Canada. M. Komissarov a expliqué son hésitation en ces termes :
[Traduction]
« ACR Je peux comprendre que la police n'ait pas pris au sérieux une fenêtre cassée. Il s'agit là de dommages à la propriété ou de vandalisme alors que votre femme, elle, a été physiquement agressée. Ce qui est beaucoup plus grave.
LE DEMANDEUR DE STATUT Eh bien, le fait est que l'atmosphère, le climat étaient tels que je n'avais plus vraiment l'intention ou le désir de contacter la police. Car, comme je l'ai dit, j'avais perdu confiance dans les autorités. J'avais déjà les visas prêts pour notre départ et je n'avais qu'une chose en tête et c'était comment échapper, comment tout quitter le plus vite possible. »
[17] Les demandeurs ont été requis de fournir une preuve claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer leur protection. D'après la preuve sur laquelle s'est fondé le tribunal, sa conclusion selon laquelle la présomption de la protection de l'État n'avait pas été réfutée est exempte de toute erreur pouvant faire l'objet d'une révision.
[18] Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties n'a demandé à la Cour de certifier l'existence d'une question grave.
« Allan Lutfy »
Juge en chef adjoint
Ottawa (Ontario)
23 janvier 2002
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
Date : 20020123
Dossier : IMM-1431-01
OTTAWA (ONTARIO), le 23 janvier 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EN CHEF ADJOINT
ENTRE :
ANDREY KOMISSAROV, OLGA BARKHATOVA,
ARTUR KOMISSAROV ET DAVID KOMISSAROV
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
SUR DEMANDE des demandeurs en vue du contrôle judiciaire de la décision, datée du 10 janvier 2001 et signée le 20 février 2001, aux termes de laquelle ils ont été déclarés ne pas être des réfugiés au sens de la Convention;
SUR EXAMEN des prétentions écrites des parties et après audience tenue à Toronto le 16 janvier 2002;
LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
« Allan Lutfy »
Juge en chef adjoint
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-1431-01
INTITULÉ : Andrey Komissarov et al. c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : 16 janvier 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT
DATE DES MOTIFS : 23 janvier 2002
COMPARUTIONS :
Steven Beiles POUR LE DEMANDEUR
Mary Matthews POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Steven Beiles POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR