Date : 20050407
Dossier : IMM-370-04
Référence : 2005 CF 463
Toronto (Ontario), le 7 avril 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL
ENTRE :
YUK WAI KO
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L' IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (la Section) rendue le 23 janvier 2003, rejetant la revendication du statut de réfugié présentée par la demanderesse en vertu des article 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).
[2] La demanderesse, une citoyenne chinoise de 45 ans, revendique le statut de réfugié en se fondant sur son appartenance à un groupe social particulier car elle est une adepte du Falon Gong. La Section a rejeté la revendication de la demanderesse après avoir conclu que la preuve visant à établir qu'elle est une adepte du Falon Gong n'est pas crédible. Pour parvenir à cette conclusion, la Section s'est principalement appuyée sur ses connaissances spécialisées de la pratique du Falon Gong. En évaluant la preuve de la demanderesse en fonction de ses connaissances, la Section a estimé que cette preuve était « incohérente » et « inhabituelle » .
[3] Avant de tirer une telle conclusion sur la vraisemblance, le tribunal doit faire preuve d'une grande prudence. Ce principe est souligné par le juge Muldoon dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1131, en ces termes :
¶ _6_____Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l'arrêt Maldonado c. M.E.I. , [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu'un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s'il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n'a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l'arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu'il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d'éléments de preuve pour justifier ses conclusions.
¶ _7____Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, Ontario, Butterworths, 1992) à la page 8.22].
Ce principe est repris à l'article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés :
CONNAISSANCES SPÉCIALISÉES
Avis aux parties
18. Avant d'utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d'asile ou la personne protégée et le ministre -- si celui-ci est présent à l'audience -- et leur donne la possibilité de :
a) faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation du renseignement ou de l'opinion;
b) fournir des éléments de preuve à l'appui de leurs observations. |
SPECIALIZED KNOWLEDGE
Notice to the parties
18. Before using any information or opinion that is within its specialized knowledge, the Division must notify the claimant or protected person, and the Minister if the Minister is present at the hearing, and give them a chance to
(a) make representations on the reliability and use of the information or opinion; and
(b) give evidence in support of their representations. [C'est nous qui soulignons.]
|
[4] À mon avis, l'objectif de l'article 18 des Règles consiste à faire en sorte que les connaissances spécialisées de la Section soient consignées au dossier, au moment de l'audition d'une revendication du statut de réfugié, avant que la Section ne puisse en tirer une quelconque conclusion. Les parties peuvent ainsi savoir sur quelles connaissances s'appuie la Section et avoir l'occasion de les contester. Il est convenu que cette pratique n'a pas été respectée en l'espèce.
[5] À mon avis, puisque l'article 18 des Règles établit une règle impérative qui n'a pas été respectée, la décision de la Section est entachée d'une erreur susceptible de faire l'objet d'un contrôle judiciaire.
ORDONNANCE
En conséquence, la Cour annule la décision de la Section et renvoie l'affaire devant un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Richard Jacques, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : IMM-370-04
INTITULÉ : YUK WAI KO
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION
défendeur
DATE DE L'AUDIENCE : LE 6 AVRIL 2005
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL
DATE : LE 7 AVRIL 2005
COMPARUTIONS :
John Weisdorf, c.r. POUR LA DEMANDERESSE
Marcel Larouche POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Weisdorf McCallum Tatsiou
Avocats
Toronto (Ontario) POUR LA DEMANDERESSE
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR