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Date : 20031212

Dossier : IMM-3395-02

Référence : 2003 CF 1461

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL                          

ENTRE :

                                                   ASMA HAIDAR JABIR ALFARSY

ZULEIKHA HAMED KASSIM AL-BAHRY

(alias ZULEIKA ALBAHARY)

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                                   et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L' IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]         La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 27 juin 2002 (la décision) par laquelle une commissaire de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la commissaire) a refusé de reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention à Asma Haidar Jabir Alfarsy (la revendicatrice principale) et à Zuleikha Hamed Kassim Al-Bahry (alias Zuleika Albahary) (la revendicatrice mineure). Les demanderesses réclament l'annulation de la décision par laquelle la commissaire a rejeté leur revendication et ils demandent à la Cour de renvoyer l'affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu'une nouvelle décision soit rendue.

GENÈSE DE L'INSTANCE

[2]         La revendicatrice principale est une citoyenne tanzanienne originaire de l'île de Zanzibar. Elle fonde sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur sa crainte d'être persécutée par la police de Zanzibar et des agents du gouvernement tanzanien du fait de ses opinions politiques. La revendicatrice mineure, qui est également citoyenne de la Tanzanie, fonde sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur sa crainte d'être persécutée par la police de Zanzibar et des agents du gouvernement tanzanien du fait de son appartenance à un groupe social déterminé, en l'occurrence la famille.

[3]         La revendicatrice principale affirme qu'elle a adhéré à un parti politique d'opposition tanzanien connu sous le nom de Front civique uni (le Front) en 1996. La Tanzanie est dirigée par un parti appelé Chama Cha Mapinduzi (le CCM). Il existe depuis plusieurs années un conflit entre le parti au pouvoir, le CCM, et le Front.


[4]         Lors des élections de 1995, le CCM a revendiqué la victoire après avoir, selon certaines allégations, truqué les résultats du scrutin. À cause de ces présumées irrégularités, le Front a refusé de reconnaître la légitimité du gouvernement élu. Les relations qui étaient déjà tendues entre les deux partis se sont envenimées.

[5]         En 1999, le secrétaire du Commonwealth britannique est intervenu comme médiateur pour amener les deux partis à négocier un accord visant à mettre fin aux hostilités. À la suite de la signature de cet accord, la revendicatrice principale a milité encore plus activement au sein du Front. Elle affirme qu'elle a collaboré activement à des campagnes électorales et qu'elle a participé à des rassemblements et à des réunions organisés par le parti. Elle précise qu'elle ne cachait pas ses allégeances politiques et que ses amis et ses voisins étaient bien au courant de son appui au Front.

[6]         La revendicatrice principale affirme que, malgré le fait que le CCM avait signé l'accord négocié sous l'égide du Commonwealth qui garantissait la liberté de parole à Zanzibar ainsi que le droit d'être membre de tout parti politique légitime, le gouvernement n'a jamais adhéré à l'accord.

[7]         Aux dires de la revendicatrice principale, le harcèlement continuel dont elle a été victime l'a forcée à militer plus discrètement. Le 10 janvier 2000, elle a été arrêtée par la police et a été amenée au poste de police pour y être interrogée. La police lui aurait affirmé avoir des preuves, sur bande vidéo, de sa participation à une manifestation contre le CCM. Elle a nié toute participation à cette manifestation. On l'a giflée et on l'a forcée à signer un document par lequel elle acceptait de ne plus participer aux activités du Front.


[8]         En septembre 2000, à l'approche des élections, la revendicatrice principale a commencé à faire de nouveau campagne pour le Front. Le scrutin a été remis à plus tard dans certaines régions à cause de présumées irrégularités entachant les bulletins de vote. Le Front a reproché au CCM de se livrer à des manoeuvres suspectes en truquant les résultats du scrutin. Le Front a donné l'ordre à ses membres de ne pas participer aux élections dont la nouvelle date a été fixée au 7 novembre 2000.

[9]         La revendicatrice principale affirme que, le 5 novembre 2000, des policiers se sont présentés à son domicile, qu'ils ont rudoyé les membres de sa famille et qu'ils ont fait une perquisition. Ils se sont emparés de bijoux et de documents, dont son acte de propriété, ainsi que de certaines publications du Front. Les policiers ont rappelé à la revendicatrice principale sa promesse de mettre fin à ses activités au sein du Front.

[10]       Le lendemain, la revendicatrice principale a été arrêtée et elle a été détenue pendant trois jours. Au cours de sa détention, elle aurait été battue par les policiers, qui l'auraient immobilisée au sol tout en lui assénant des coups de bâton aux mollets. Elle affirme qu'elle était gardée dans une petite pièce sans fenêtres qui n'était pas équipée de toilettes.


[11]       La revendicatrice principale a été accusée de menace à la paix et de possession de publications illégales (les brochures du Front). Son frère a obtenu sa remise en liberté après avoir fourni un cautionnement. Elle a reçu l'ordre de se présenter devant le tribunal le 22 novembre 2000. Elle avait peur de se présenter au poste de police et elle a donc décidé de quitter la Tanzanie. Elle affirme que, après son arrivée au Canada, la police tanzanienne a arrêté son frère à la suite du défaut de la revendicatrice d'obtempérer à l'ordre qui lui avait été donné de se présenter devant le tribunal.

LA DÉCISION EN QUESTION

[12]       La commissaire a conclu qu'aucune des deux demanderesses ne répondait à la définition de réfugiée au sens de la Convention parce que ni l'une ni l'autre n'avaient démontré « avoir une crainte objective et fondée d'être persécutée pour un motif prévu par la Convention » .

QUESTIONS EN LITIGE

[13]       Les demanderesses soulèvent trois questions :

La commissaire a-t-elle commis une erreur en concluant que la situation avait suffisamment évolué au pays d'origine pour exclure toute crainte objective de persécution fondée sur des raisons politiques, compte tenu notamment de l'efficacité et de la durabilité de ces changements?

La commissaire a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas la situation particulière de la revendicatrice lorsqu'elle a conclu qu'il n'existait pas de crainte justifiée?


La commissaire a-t-elle commis une erreur en ne précisant pas à l'audience que la présumée évolution de la situation constituait un élément crucial de la conclusion que les demanderesses n'avaient pas raison de craindre d'être persécutées et la commissaire a-t-elle de ce fait commis une erreur en n'invitant pas les demanderesses ou leur avocat à aborder la question de l'efficacité des présumés changements?

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les demanderesses

La commissaire a-t-elle commis une erreur en concluant que la situation avait suffisamment évolué au pays d'origine pour exclure toute crainte objective de persécution fondée sur des raisons politiques, compte tenu notamment de l'efficacité et de la durabilité de ces changements?

[14]       Les demanderesses signalent que les critères à appliquer pour décider si l'évolution de la situation au pays d'origine exclut toute crainte justifiée de persécution sont analysés dans le jugement Youssef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F.    no 413 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 13 :

Le professeur Hathaway, en parlant du changement de circonstances, est d'avis que : [TRADUCTION] « le changement doit être d'une importance politique substantielle, il doit y avoir lieu de croire que le changement politique substantiel est vraiment efficace et on doit prouver que le changement de circonstances est durable » .

[...]


Il y a dans l'évaluation du changement de circonstances une norme objective qui étudie la politique sociale et politique du pays en cause en s'appuyant sur la preuve documentaire au dossier au jour de l'audience. Le changement doit être assez profond et durable pour éliminer le doute d'un danger possible de persécution.

[15]       Les demanderesses relèvent que la Cour d'appel fédérale a également mentionné les critères d'appréciation de l'évolution de la situation (dans l'arrêt Ahmed c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) A-89-92, 14 juillet 1992 (non publié) et dans l'arrêt Cuadra c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) A-179-92, 20 juillet 1993 (non publié). Dans l'arrêt Youssef, le juge Teitelbaum cite les arrêts Ahmed, et Cuadra, précités :

De même, le simple fait qu'il y a eu un changement de gouvernement ne suffit manifestement pas pour satisfaire à la condition d'un changement dans les circonstances à la suite duquel la crainte authentique devient déraisonnable et, partant, dénuée de fondement ... les simples déclarations du gouvernement mis en place il y a quatre mois, selon lesquelles il était en faveur de la loi et de l'ordre ne peuvent être considérées comme une indication sans équivoque du changement réel et effectif qui est nécessaire pour éliminer le fondement objectif de la crainte de l'appelant, si l'on tient compte de l'origine de cette crainte et des antécédents de ce gouvernement pour ce qui est de la violation des droits de la personne.

Dans l'arrêt Cuadra le juge Marceau se penche sur Ahmed pour réviser la décision du tribunal :

Là encore une analyse plus détaillée des preuves contradictoires au sujet d'un changement dans les circonstances était nécessaire pour satisfaire à la condition que le changement soit suffisamment réel et effectif pour faire de la crainte authentique de l'appelant une crainte déraisonnable et, partant, non fondée.

[16]       Les demanderesses affirment que la commissaire s'est méprise en estimant que les changements qui étaient survenus en Tanzanie au moment de l'audience étaient suffisants pour faire disparaître le fondement objectif de leur revendication du statut de réfugié.


[17]       Les demanderesses font valoir, qu'en rendant sa décision, la commissaire a clairement reconnu que l'accord conclu entre les adversaires n'avait pas encore été mis en application au moment de l'audience :

L'entente de réconciliation de 2002 est le fruit de négociations menées entre les deux partis politiques après la brève rupture de leur accord du 29 octobre 2001. Cet accord est prometteur. Son application comprendrait les dispositions suivantes : [...]

Les Secrétaires généraux des deux parties se sont rendus au Royaume-Uni pour expliquer conjointement les moyens par lesquels ils sont parvenus à un consensus après des années de conflit et les détails de leur application de l'entente politique à laquelle les deux parties sont enfin parvenues.

[18]       Les demanderesses soutiennent que, malgré la longue liste de réformes évoquées par la commissaire et dont certaines avaient été mises en application au moment de l'audience, très peu de temps s'est écoulé pour pouvoir déterminer si ces changements, et ceux qui sont prévus à l'avenir, seraient assez efficaces et durables pour assurer que des changements fondamentaux ont lieu en Tanzanie.

[19]       Les demanderesses signalent qu'il ressortait de la preuve documentaire soumise à la commissaire que, moins d'un mois après la signature de l'accord entre le Front et le CCM, les hostilités avaient reprises entre ces deux partis, ainsi que le signale la Direction des recherches (Ottawa) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dans une note de service que l'on trouve à la page 30 du dossier :

[TRADUCTION] Les relations entre le Front et le CCM se seraient de nouveau détériorées en novembre 2001 lorsque le comité constitutionnel, de la justice et du bon gouvernement de la « Chambre des représentants » a modifié un projet de loi portant sur la création d'un comité conjoint chargé de la mise en application de l'accord.


[20]       L'accord avait été conclu en octobre 2001. Les demanderesses soutiennent que, compte tenu de l'hostilité qui opposait depuis longtemps les deux partis, une brève période de réconciliation ne saurait être considérée comme un signe de stabilité suffisante pour modifier l'ensemble du paysage politique tanzanien et pour réaliser un changement durable dans la vie des Tanzaniens.

[21]       Les déclarations d'intention doivent être examinées à la lumière des conflits passés si l'on veut évaluer la durée probable des changements.

[22]       Les demanderesses soutiennent que, jusqu'ici, les accords intervenus entre le Front et le CCM ont échoué peu de temps après leur conclusion.

[23]       Les demanderesses font en outre valoir qu'il ressort de la preuve documentaire que l'accord négocié sous l'égide du Commonwealth en juin 1999 a donné lieu à des exactions encore plus graves de la part du gouvernement du CCM. C'est du moins ce qu'affirme l'auteur anonyme d'un article intitulé Zanzibar Democracy on Shaky Foundation ( « La démocratie menacée à Zanzibar » ) que l'on trouve à la page 54 du dossier :

[TRADUCTION] Le Commonwealth a fixé au mois de mai 2000 la date-limite de mise en oeuvre de l'Accord, mais peu de progrès ont été accomplis. Au moment où nous écrivons ces lignes, l'Accord semble être mort dans l'oeuf, ce qui augure bien mal pour les élections prévues pour octobre 2000 et pour la suite des événements.

La communauté internationale devrait donc appuyer fermement la relance de l'accord qui a été négocié en juin 1999 sous l'égide du Commonwealth. Cet appui est essentiel si l'on veut remplacer les fondements instables de la transition de Zanzibar vers la démocratie par des structures plus solides et plus durables.


[24]       Les demanderesses soulignent que, comme l'auteur de cet article l'avait prévu, le scrutin d'octobre 2000 s'est avéré un désastre en Tanzanie. Tant avant qu'après le déclenchement des élections, des membres de l'Opposition ont été harcelés et intimidés par des membres du parti au pouvoir.

[25]       Les demanderesses affirment que l'échec du premier accord a eu des incidences directes sur les demanderesses dans le cas qui nous occupe, ainsi que l'a reconnu la commissaire dans sa décision :

Je n'ai pas de raisons de douter que la principale revendicatrice ait été détenue brièvement en janvier 2000 et libérée après avoir été forcée de signer une promesse de mettre fin à ses activités au sein du FCU. Je conviens aussi que la police a pénétré dans sa maison en novembre 2000, les a rudoyées, elle et sa fille, et a pris des brochures du FCU de même que des documents, dont son acte de propriété. Je conviens en m'appuyant sur son témoignage crédible qu'en raison de ses activités au sein du FCU, qui se sont poursuivies jusqu'à l'élection d'octobre 2000, elle a été arrêtée le 6 novembre 2000, détenue pendant trois jours et, après une audience de cautionnement, libérée le 9 novembre quand son frère a déposé une caution. La preuve relative à ce dernier point est étayée par la preuve documentaire. De plus, je conviens que la police lui a administré entre autres des gifles et des coups de bâton sur les mains et aux mollets.

[26]       Selon les demanderesses, comme l'accord n'avait été conclu que quelques mois avant l'audience, et vu le conflit larvé qui opposait les partis et le fait que l'accord n'avait pas encore été mis en application, la commissaire a commis une erreur en concluant qu'il était survenu des changements suffisants, fondamentaux et durables qui écartaient toute crainte justifiée de persécution des demanderesses.


[27]       Le défendeur affirme pour sa part que la thèse des demanderesses repose sur le rejet par la commissaire de leur revendication par suite de l'évolution de la situation au pays d'origine. Or, le défendeur estime que ce n'est pas le cas.

[28]       Le défendeur affirme qu'une personne ne peut être considérée comme un réfugié au sens de la Convention que si elle craint avec raison d'être persécutée. Même si sa crainte de persécution est justifiée, le revendicateur peut se voir refuser le statut de réfugié si la situation qui, dans son pays d'origine, donnait lieu à sa crainte de persécution a cessé d'exister. Toutefois, selon l'économie de la définition du réfugié au sens de la Convention, il faut d'abord conclure que le revendicateur craint avec raison d'être persécuté avant de pouvoir refuser de lui reconnaître le statut de réfugié par suite de l'évolution de la situation dans son pays d'origine. Le défendeur fait valoir qu'à moins de conclure que les demanderesses craignaient avec raison d'être persécutées, la commissaire ne pouvait refuser de leur reconnaître le statut de réfugié en raison de l'évolution de la situation dans leur pays d'origine.

[29]       Suivant le défendeur, il ressort du dossier que la commissaire n'a jamais conclu que la revendicatrice principale avait une crainte fondée objectivement d'être persécutée. La thèse du défendeur sur ce point peut se résumer de la façon suivante :

a)              La commissaire a déclaré au début de sa décision qu'aucune des deux demanderesses n'avait démontré avoir une crainte objective et fondée d'être persécutée;


b)              La commissaire a fait remarquer que la dernière fois que la police avait recherché la demanderesse, c'était en décembre 2000, mais que rien ne permettait de penser que la police s'intéressait toujours à elle;

c)              Le frère de la revendicatrice principale, auquel la police s'intéressait aussi en raison de son militantisme au sein du Front, avait été remis en liberté après avoir été détenu pour défaut de comparution devant le tribunal;

d)              La commissaire a relevé qu'il ressortait de la preuve documentaire que les partisans du Front (même les hauts dirigeants du Front) qui avaient été arrêtés à la suite de leur participation aux élections de 2000 avaient été remis en liberté;

e)              La commissaire a expliqué comment les relations entre le Front et le parti CCM au pouvoir s'étaient améliorées;

f)              La commissaire a signalé que la preuve documentaire ne permettait pas de penser que les demanderesses avaient une crainte objectivement fondée d'être persécutées en Tanzanie.

[30]       Le défendeur soutient que, bien qu'elle ait pu estimer que la situation avait évolué en Tanzanie depuis le départ des demanderesses, la commissaire n'a pas conclu que les demanderesses avaient raison de craindre d'y être persécutées de sorte qu'il lui fallait ensuite procéder à une appréciation fondée sur l'évolution de la situation au pays d'origine.

[31]       Le défendeur affirme que la commissaire n'a pas non plus tiré directement de conclusion sur la crainte subjective de persécution. Comme aucune conclusion favorable n'a été tirée au sujet de l'existence d'une crainte subjective ou d'une crainte objective, la commissaire ne pouvait reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention aux demanderesses, de sorte qu'il lui fallait ensuite procéder à une appréciation fondée sur l'évolution de la situation.


La commissaire a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas la situation particulière de la revendicatrice lorsqu'elle a conclu qu'il n'existait pas de crainte justifiée?

[32]       Les demanderesses affirment qu'en analysant l'évolution de la situation, la commissaire n'a pas tenu compte de la situation personnelle des demanderesses. Elles citent les propos suivants tirés du jugement Youssef, précité, à la page 7 :

Il y a dans l'évaluation du changement de circonstances une norme objective qui étudie la politique sociale et politique du pays en cause en s'appuyant sur la preuve documentaire au dossier au jour de l'audience. Le changement doit être assez profond et durable pour éliminer le doute d'un danger possible de persécution. Cependant, il doit, à mon avis, être apprécié par la suite à la lumière du vécu du requérant de telle sorte que dans son cas particulier et à la lumière du motif de sa revendication, il n'existe non plus de doute d'un danger possible.

[33]       Les demanderesses font par exemple remarquer que, bien que la commissaire évoque la remise en liberté de tous les prisonniers politiques arrêtés à la suite des troubles survenus à la fin de janvier 2001, elle n'a pas analysé directement la situation de la revendicatrice principale dont la situation est exceptionnelle, étant donné qu'elle fait face à un procès au civil et qu'elle fait l'objet d'un mandat d'arrestation non exécuté. Il s'ensuit qu'elle risque encore d'être persécutée si elle retourne en Tanzanie.


[34]       Les demanderesses insistent pour dire que la commissaire ne disposait d'aucun élément de preuve permettant de penser que la revendicatrice principale avait été graciée ou que le mandat non exécuté qui avait été délivré à la suite de son défaut de comparaître n'était plus valable. La revendicatrice principale relève que la commissaire a admis qu'elle avait été arrêtée et qu'elle avait fait l'objet de violences au cours de sa détention en raison de ses activités politiques et qu'aucun élément de preuve n'avait été présenté pour démontrer qu'elle ne serait pas arrêtée à son retour en Tanzanie.

[35]       Les demanderesses signalent par ailleurs que, comme il ressort du Tanzania Country Reports on Human Rights Practices - 2001 publié le 4 mars 2002 par le Department of State Bureau of Democracy, Human Rights, and Labor des États-Unis, le bilan des droits de la personne du régime du CCM est catastrophique :

[TRADUCTION] Le bilan du gouvernement en matière de respect des droits de la personne est peu reluisant. Bien que des améliorations aient été signalées à certains égards, de graves problèmes perdurent, surtout à Zanzibar [...] La police a abattu plusieurs personnes et il arrive fréquemment que des policiers menacent ou maltraitent les suspects ou qu'elle les passe à tabac lors de leur arrestation et de leur interrogatoire ou après. On signale que la police recourt à la torture à Zanzibar. Partout sur le territoire tanzanien, les conditions carcérales demeurent pénibles au point de mettre la vie des détenus en danger. Les arrestations et les détentions arbitraires et les incarcérations prolongées continuent à poser problème. Les incidents de harcèlement par la police des membres et des partisans de l'opposition politique ont considérablement diminué à la suite de l'accord de réconciliation intervenu en octobre entre le gouvernement et l'opposition. Le système judiciaire inefficace et corrompu ne permet pas la tenue de procès justes et expéditifs. La corruption continue à se faire sentir partout et à nuire considérablement au respect des droits de la personne. Le gouvernement viole le droit à la vie privée des citoyens, et ne respecte pas la liberté de parole, la liberté de presse, la liberté de réunion et d'association. Le gouvernement a déclaré que quatre dirigeants du gouvernement et du parti n'étaient pas des citoyens et qu'ils ne pouvaient conserver leur poste. La police a recouru à la force de manière excessive pour disperser des manifestants à Zanzibar et à Dar-es-Salaam en janvier, ce qui s'est soldé par un grand nombre de morts et de blessés. Plus de 2 000 personnes ont été déplacées.


[36]       Les demanderesses conviennent que le rapport précité fait état d'une baisse marquée du nombre d'incidents de harcèlement des membres de l'opposition à la suite de l'accord d'octobre, mais elles font valoir que l'intensité des violences commises par la police et le gouvernement dont il est fait mention dans ce bulletin ne peut changer du jour au lendemain ou même en quelques mois. Le rapport indique que le harcèlement n'a pas entièrement disparu.

[37]       Les demanderesses affirment que, dans ce contexte, la commissaire aurait dû examiner les risques que la revendicatrice principale fasse de nouveau l'objet d'actes de violence de la part de la police compte tenu du fait qu'elle avait déjà été arrêtée pour des motifs politiques, et ce, malgré les déclarations faites au sujet des réformes à venir.

[38]       Le défendeur soutient que, comme dans le cas du premier motif d'opposition, la commissaire n'a pas procédé à une analyse de l'évolution de la situation dans le pays d'origine. Il n'était donc pas tenu de procéder à une évaluation personnalisée de l'évolution de la situation.

[39]       Selon le défendeur, il ressort du dossier que la commissaire a tenu compte de la situation particulière des demanderesses lorsqu'elle s'est penchée sur la question du fondement objectif de la crainte de persécution. La commissaire ne pouvait donc ignorer la situation personnelle des demanderesses lorsqu'elle a examiné leur revendication.


La commissaire a-t-elle commis une erreur en ne précisant pas à l'audience que la présumée évolution de la situation constituait un élément crucial de la conclusion que les demanderesses n'avaient pas raison de craindre d'être persécutées et la commissaire a-t-elle de ce fait commis une erreur en n'invitant pas les demanderesses ou leur avocat à aborder la question de l'efficacité des présumés changements?

[40]       Les demanderesses affirment que la commissaire a commis une erreur en ne soulevant pas la question de l' « évolution de la situation » et qu'elle a commis une injustice en n'invitant pas les demanderesses et leur avocat à formuler des observations à ce sujet.

[41]       Les demanderesses soutiennent que, comme la situation actuelle dans le pays d'origine fait partie intégrante de l'élément objectif de la crainte justifiée, et parce que des changements en profondeur venaient de se produire en Tanzanie à l'époque de l'audience, la commissaire aurait dû tenir particulièrement compte de cet aspect.

[42]       Les demanderesses font valoir qu'il ressort à l'évidence de la décision elle-même que cette question n'a pas été abordée expressément :

Les questions identifiées au début de l'audience comprenaient l'identité des deux revendicatrices, l'identité politique de la principale revendicatrice, la crédibilité et le fondement objectif d'une crainte fondée de persécution pour les deux revendicatrices.

[43]       Les demanderesses font observer que le fondement objectif de la crainte justifiée comporte plusieurs éléments et que la commissaire aurait dû, en toute justice, préciser l'élément qu'elle considérait comme crucial en l'espèce. Les demanderesses estiment que la commissaire a commis une erreur en ne précisant pas que l'évolution de la situation constituait une question cruciale et en ne demandant pas aux avocats d'aborder expressément cette question.


[44]       Le défendeur signale que, comme la commissaire n'a pas procédé à une évaluation de la situation au pays d'origine, elle n'était pas tenue de faire savoir aux demanderesses que la question de l'évolution de la situation constituerait une question abordée à l'audience.

[45]       Le défendeur ajoute que, même si la commissaire avait tenu compte de l'évolution de la situation, l'obligation d'agir avec équité ne l'obligeait pas à en informer expressément les demanderesses.

[46]       La thèse du défendeur est que la question de l'évolution de la situation au pays d'origine fait partie intégrante du critère régissant le statut de réfugié au sens de la Convention au sens de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2. Le défendeur rappelle que c'est au revendicateur qu'il incombe de démontrer qu'il a raison de craindre d'être persécuté et d'établir l'élément objectif de cette crainte. Le défendeur estime qu'obliger la commissaire à aviser le revendicateur dans ces conditions créerait une audience en deux étapes et que c'est précisément ce que le législateur a voulu éviter en modifiant la loi en instaurant une procédure de reconnaissance du statut de réfugié qui ne comporte qu'une seule étape. Selon le défendeur, il est de jurisprudence constante qu'il n'est pas nécessaire d'aviser séparément le revendicateur de cette question (Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Mathiyabaranam, (1997), 156 D.L.R. (4th) 301 (C.A.F.) et Aboubacar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 214 (C.F. 1re inst.).


ANALYSE

Quelle est la norme de contrôle qui s'applique à la décision de la commissaire?

[47]       Dans le jugement C.E.C.U. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 554, la juge Snider a discuté de la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions rendues par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en ce qui concerne les questions de fait :

7. Les questions concernant la crédibilité et le poids à accorder à la preuve relèvent incontestablement de la compétence de la Commission. Par suite, la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable; cela veut dire que les conclusions de fait et en matière de crédibilité doivent être étayées par la preuve et ne pas être tirées de façon arbitraire ou sur le fondement de conclusions de fait erronées (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 732, au paragraphe 4 (C.A.); Bennasir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 513 (1re inst.) (QL); Ndombele c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1211, [2001] A.C.F. no 1690 (QL)). Même dans le cas où la Cour en serait arrivée à une conclusion différente sur le fondement de la preuve, la décision de la Commission ne doit pas être renversée à moins d'avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont celle-ci disposait (Grewal c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1983] A.C.F. no 129 (C.A.) (QL); Ankrah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 385 (1re inst.) (QL); Boye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1329 (1re inst.) (QL)).

[48]       Dans la décision Zsuzsanna c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1642 (C.F. 1re inst.), le juge Blanchard s'est penché sur la question de la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux questions de droit et aux questions mixtes de droit et de fait dans le cas des décisions de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié :


La norme de contrôle

12. Les questions de droit pour de telles demandes sont régies par la norme de la décision correcte [voir Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982]. Quant aux conclusions de fait, un tribunal exerçant un contrôle judiciaire n'interviendra que lorsque les conclusions de fait sont manifestement déraisonnables [voir Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300, en ligne : QL, page 2, au paragraphe 5].

13. La question de la « discrimination » par opposition à la « persécution » constitue une question mixte de droit et de fait. La norme de contrôle applicable pour les questions mixtes de droit et de fait a été examinée par le juge Richard, maintenant juge en chef, dans Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), où il a appliqué la norme du caractère manifestement déraisonnable. À la page 763 de ses motifs, il a écrit :

Étant donné que j'ai conclu que la section du statut est un tribunal spécialisé envers lequel la Cour devrait faire preuve d'une grande retenue, lorsqu'elle examine les conclusions tirées sur des questions de droit et sur des questions de fait, la norme de contrôle judiciaire à appliquer est celle du caractère manifestement déraisonnable. Dans l'arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick [1979] 2 R.C.S. 227, à la page 237, la Cour suprême du Canada a appliqué la norme du caractère manifestement déraisonnable et a donné des précisions sur le sens à lui attribuer :

[...] l'interprétation de la Commission est-elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire?

Je suis d'accord avec les motifs susmentionnés et, aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, j'adopterai la norme de contrôle du caractère manifestement déraisonnable pour les questions mixtes de droit et de fait.

[49]       La première question qui se pose en l'espèce est celle de savoir si la commissaire a appliqué le bon critère lorsqu'elle a décidé si les changements survenus dans la situation en Tanzanie étaient efficaces et durables. Il s'agit là d'une question de droit, qu'il convient à mon sens d'apprécier en fonction de la norme de la décision correcte.


[50]       La question de savoir si la commissaire a tenu compte de la situation personnelle de la demanderesse est une question de fait qui est susceptible d'un contrôle judiciaire selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

[51]       La dernière question soulevée par les demanderesses, en l'occurrence celle de savoir si la commissaire a commis une erreur en ne leur faisant pas savoir à l'audience que la présumée évolution de la situation en Tanzanie constituait un aspect crucial de sa conclusion suivant laquelle les demanderesses n'avaient pas raison de craindre d'être persécutées, et celle de savoir si la commissaire a commis une erreur en n'invitant pas les demanderesses ou leur avocat à faire valoir leur point de vue sur l'efficacité des changements survenus constitue, à mon avis, une question de justice naturelle que je vais examiner en fonction de la norme de la décision correcte.

La commissaire a-t-elle commis une erreur en concluant que la situation avait suffisamment évolué au pays d'origine pour exclure toute crainte objective de persécution fondée sur des raisons politiques, compte tenu notamment de l'efficacité et de la durabilité de ces changements?


[52]       Selon les demanderesses, la commissaire n'a pas appliqué le bon critère pour décider si les changements survenus dans la situation au pays d'origine étaient efficaces et durables et la commissaire s'est méprise dans sa décision en concluant que ces changements avaient eu pour effet de faire disparaître l'aspect objectif de la crainte invoquée par les demanderesses au soutien de leur revendication du statut de réfugié.

[53]       Il ressort de la décision que la commissaire a cru l'exposé circonstancié de la revendicatrice principale et qu'elle n'a pas mis en doute sa crédibilité. Le seul motif invoqué par la commissaire pour rejeter les revendications était le défaut des revendicatrices d'établir « une crainte objective et fondée d'être persécutées pour un motif prévu par la Convention » .

[54]       Ainsi que le défendeur l'a souligné, la commissaire a explicitement motivé ses conclusions. Certains de ses motifs avaient trait à la situation personnelle de la revendicatrice principale (le fait, par exemple, que la preuve ne permettait pas de penser que la police s'intéressait toujours à elle au moment de l'audience), et d'autres avaient rapport à ce que la commissaire estimait que la preuve documentaire révélait au sujet des risques auxquels les demanderesses seraient exposées si elles devaient retourner en Tanzanie.


[55]       À mon avis, les demanderesses sont tout simplement en désaccord avec la commissaire au sujet des conclusions qu'elle a tirées au vu de la preuve. Ayant examiné les facteurs dont la commissaire a tenu compte, il est évident pour moi que des conclusions différentes pourraient être tirées à ce sujet. Mais un désaccord avec les conclusions du commissaire ne donne pas ouverture à un contrôle judiciaire. J'estime que la commissaire n'a pas commis d'erreur de droit en décidant qu'aucune crainte objective n'avait été établie et je suis d'avis que la commissaire a appliqué les bons principes juridiques pour en arriver à cette conclusion.

[56]       La commissaire a relevé qu'outre les questions qui avaient eu une incidence directe sur les demanderesses, la preuve permettait de penser que la situation évoluait en Tanzanie, du moins pour ce qui est des rapports entre le CCM et le Front. Reste à savoir si les changements survenus étaient « assez profonds et durables pour éliminer le doute d'un danger possible de persécution » . J'estime que c'est une question que la commissaire était tenue d'examiner et qu'elle a effectivement examinée en évaluant les probabilités au vu de l'ensemble de la preuve dont elle disposait. Le fait que les demanderesses soient en désaccord avec les conclusions tirées par la commissaire ne rend pas cette conclusion erronée. La commissaire n'a commis aucune erreur qui justifierait notre intervention à cet égard.

La commissaire a-t-elle commis une erreur en n'examinant pas la situation particulière de la revendicatrice lorsqu'elle a conclu qu'il n'existait pas de crainte justifiée?

[57]       Les demanderesses soutiennent que, dans son analyse de l'évolution de la situation, la commissaire aurait dû procéder à une évaluation de la situation personnelle des demanderesses et elles citent le jugement Youssef, précité, à la page 7, à l'appui de leur argument.


[58]       Les demanderesses signalent, par exemple, que bien que la commissaire évoque la remise en liberté de tous les prisonniers politiques arrêtés lors des troubles survenus à la fin de janvier 2001, elle n'a pas analysé directement la situation de la revendicatrice principale.

[59]       Les demanderesses ajoutent que la commissaire ne disposait d'aucun élément de preuve qui lui aurait permis de penser que la revendicatrice principale avait été graciée ou encore que les mandats non exécutés qui avaient été délivrés par suite de son défaut de comparaître n'étaient plus valides.

[60]       Le fait que la commissaire n'ait pas expressément mentionné le procès au civil intenté contre la revendicatrice principale ainsi que les mandats non exécutés ne signifie pas qu'elle a négligé la situation personnelle des demanderesses.

[61]       Le procès civil et les mandats étaient motivés par des considérations politiques. Ils s'inscrivaient dans le cadre du harcèlement que le parti au pouvoir faisait subir aux partisans du Front.


[62]       Il était mentionné dans la preuve documentaire que des membres du Front avaient été remis en liberté. Si l'action en justice intentée contre les demanderesses était motivée par des considérations d'ordre politique, il n'y a aucune raison de penser qu'elles seraient traitées différemment des autres membres du Front qui avaient déjà été victimes de persécutions, de tracasseries juridiques ou même qui avaient été incarcérés.

[63]       De plus, la commissaire mentionne expressément le fait que la police semble avoir perdu tout intérêt pour la revendicatrice principale et que le frère de cette dernière a été remis en liberté.

[64]       La commissaire a analysé la situation politique en Tanzanie de façon efficace en vue de déterminer si les demanderesses elles-mêmes avaient une crainte objectivement fondée d'être persécutées. La commissaire n'a commis aucune erreur qui justifierait notre intervention à cet égard.

La commissaire a-t-elle commis une erreur en ne précisant pas à l'audience que la présumée évolution de la situation constituait un élément crucial de la conclusion que les demanderesses n'avaient pas raison de craindre d'être persécutées et la commissaire a-t-elle de ce fait commis une erreur en n'invitant pas les demanderesses ou leur avocat à aborder la question de l'efficacité des présumés changements?

[65]       Suivant les demanderesses, la commissaire a commis une erreur en ne soulevant pas expressément la question de l'évolution de la situation en Tanzanie. Elles affirment que le défaut de la commissaire d'inviter les demanderesses et leur avocat à lui formuler des observations à ce sujet devrait être considéré comme une injustice et une erreur justifiant la révision de sa décision.


[66]       Dans la décision Aboubacar, précitée, le juge Dawson (C.F. 1re inst.), a cité l'arrêt Mathiyabaranam, précité, qui portait sur un argument analogue :

38.       Je conclus que cette prétention n'est pas valable. Dans Mathiyabaranam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1676, la Cour d'appel fédérale a écrit ce qui suit (aux paragraphes 9 et 10) :

La question qu'il faut donc trancher est celle de savoir s'il faut donner un avis précis au revendicateur avant que la Commission puisse conclure à l'absence d'un minimum de fondement à l'issue de l'audience visant à se prononcer sur le statut de réfugié au sens de la Convention. Il n'est pas expressément prescrit dans la loi qu'un avis supplémentaire de cette question doit être donné. Toute exigence de cette nature doit donc être fondée que le droit de justice naturelle selon lequel une personne doit savoir ce contre quoi il doit se défendre dans une procédure administrative qui touche ses intérêts. À mon avis, comme je l'expliquerai plus loin, il n'existe aucun droit de recevoir un avis supplémentaire au sujet de la possibilité que l'on conclue à l'absence d'un minimum de fondement. C'est donc dire que, dans la présente situation, il n'y a pas eu de manquement à la justice naturelle.

N'importe quel revendicateur est « ou devrait être » conscient du risque que l'on conclue à une absence de minimum de fondement, même s'il n'y a pas d'autre avis donné sur cette issue éventuelle. Le revendicateur du statut de réfugié doit être conscient qu'il lui faut établir, dans le cadre de sa revendication, un minimum de fondement pour cette dernière. On ne peut établir une revendication du statut de réfugié sans établir d'abord, pour cette dernière, un minimum de fondement; l'une est tout à fait subordonnée à l'autre, et incluse en elle. Je ne puis imaginer ce qu'un revendicateur, à qui l'on a donné un avis spécial, pourrait bien ajouter à sa cause. Tous les éléments de preuve disponibles devraient déjà avoir été soumis à la Commission dans le cadre de la revendication du statut de réfugié.

[39]       M. Aboubacar a soutenu que la décision Mathiyabaranam avait été rendue avant la décision Baser c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 de la Cour suprême du Canada, et que l'issue en aurait été différente si elle avait été postérieure, particulièrement en raison du fait que la Cour suprême du Canada a insisté sur la question de l'importance qu'une décision peut avoir pour un demandeur.

[40]       DansBaker, toutefois, la Cour suprême du Canada a signalé que l'obligation d'agir équitablement s'inscrit dans un contexte et que ce qu'il faut fondamentalement se demander, compte tenu de toutes les circonstances, c'est si l'on a donné à l'intéressé une occasion valable de présenter sa cause de manière équitable et exhaustive.

[41]       C'est là justement la question que la Cour d'appel s'est assignée à trancher dans Mathiyabaranam et, selon moi, rien dans l'arrêt Baker ne jette un doute sur l'analyse faite par la Cour d'appel. La définition même de réfugié au sens de la Convention, en vertu de laquelle un revendicateur doit démontrer au moyen d'une preuve crédible qu'il craint avec raison d'être persécuté, suppose qu'on décide si la revendication a ou non un minimum de fondement.

[42]       Le revendicateur n'a pas d'autre fardeau de présentation que l'obligation de démontrer, au moyen d'une preuve crédible, qu'il craint avec raison d'être persécuté.


[67]       La question en est une de qualification. La commissaire précise bien dans sa décision que les revendications sont rejetées parce que les demanderesses n'ont pas de crainte objective et fondée d'être persécutées. Plusieurs facteurs ont influencé cette conclusion, y compris l'évolution de la situation en Tanzanie depuis l'époque des exactions subies par la revendicatrice principale aux mains des autorités de ce pays. La commissaire n'avait pas à en dire plus. Il lui suffisait de préciser que la crainte objective était une question qui se posait. Par ailleurs, les demanderesses, qui devaient savoir que la définition du réfugié au sens de la Convention vaut pour l'avenir, ont eu amplement l'occasion de faire la preuve, à l'audience, de l'existence d'une crainte objective étant donné que les changements survenus en Tanzanie n'étaient ni efficaces ni durables. La commissaire n'a commis aucune erreur qui justifierait notre intervention à cet égard.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE QUE :

1.          La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.          Il n'y a pas de question à certifier.

                                                                                      « James Russell »             

                                                                                                             Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   Date : 20031212

                     Dossier : IMM-3395-02

ENTRE :

ASMA HAIDAR JABIR ALFARSY et autre

                                    demanderesses

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                              défendeur

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MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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                                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                    AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-3395-02

INTITULÉ :                                                        ASMA HAIDAR JABIR ALFARSY

ZULEIKHA HAMED KASSIM AL-BAHRY

(alias ZULEIKA ALBAHARY)

demanderesses

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION            

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE MARDI 9 SEPTEMBRE 2003   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :                                     LE 12 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Ceri Forbes                                                                        pour les demanderesses

Martin Anderson                                                               pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Ceri Forbes                                                                        pour les demanderesses

Avocat

14, avenue Prince Arthur, bureau 108

Toronto (Ontario) M5R 1A9

Morris Rosenberg                                                              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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