Dossier : T-1097-04
Ottawa (Ontario), le 23 mars 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER
ENTRE :
ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA
demanderesse
et
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente demande est une demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission » ), laquelle rejetait la plainte de la demanderesse (numéro 200394). Cette plainte alléguait que le défendeur s'était livré à des pratiques discriminatoires en transférant des employés du gouvernement fédéral, qui touchaient des taux salariaux discriminatoires et contraires à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6 (la « Loi » ), sans leur accorder une compensation adéquate. La Commission a déterminé que la plainte était irrecevable en vertu de l'alinéa 41(1)e) de la Loi puisque les faits s'étaient produits au-delà d'un an avant que la plainte n'ait été déposée.
[2] La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur de droit en décidant de ne pas traiter de la plainte sur le fond sans fournir des raisons suffisantes conformément à la Loi.
[3] La Commission a-t-elle manqué à l'obligation d'équité procédurale ainsi qu'à l'obligation que lui impose le paragraphe 42(1) de motiver sa décision ?
[4] Le paragraphe 42(1) de la Loi prévoit :
42. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission motive par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas où elle décide que la plainte est irrecevable. |
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42. (1) Subject to subsection (2), when the Commission decides not to deal with a complaint, it shall send a written notice of its decision to the complainant setting out the reason for its decision. |
[5] Bien que la demanderesse soutienne que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision raisonnable, je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle puisque la question soulevée dans le présent litige en est une d'équité procédurale en vertu de laquelle je n'aurai pas à me prononcer sur le bien-fondé de la décision.
[6] Comme je l'expliquais dans l'affaire Marchand Syndics Inc. c. Canada (Surintendant des faillites), [2004] A.C.F. no 1926, le contrôle judiciaire d'une décision administrative est un exercice différent de celui de l'évaluation de l'équité procédurale : « L'équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s'applique au résultat de ses délibérations » (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, paragraphe 102).
[7] Par conséquent, la question de l'équité procédurale « n'exige pas qu'on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l'équité procédurale ou l'obligation d'équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier » : Moreau-Bérubé c. Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, paragraphe 74.
L'obligation de fournir des motifs suffisants
[8] La demanderesse soutient que la Commission a manqué à son obligation de motiver sa décision parce qu'elle s'est contentée de reprendre le libellé de la disposition sur laquelle elle se fondait à savoir l'alinéa 41(1)e) sans expliquer les motifs pour lesquels elle a décidé de ne pas utiliser sa discrétion pour prolonger le délai imparti.
[9] Le défendeur fait valoir que les motifs sont suffisants parce que la Commission indique qu'elle a pris connaissance du rapport de l'enquêteur et des observations des parties déposées suite au rapport d'enquête. Il est apparent qu'elle a décidé de ne pas utiliser sa discrétion pour prolonger le délai en acceptant l'analyse et la recommandation de l'enquêteur.
[10] Je reconnais que dans l'affaire Hardman c. Énergie atomique du Canada Ltée, [1997] A.C.F. no 477 (QL), cette Cour à déterminé que dans le cas où la Commission a entériné l'analyse et la recommandation de l'enquêteur, le rapport de celui-ci permet de connaître les motifs du rejet de la plainte.
[11] Or, en l'espèce, la décision ne fait aucune référence aux facteurs qu'elle a considérés. Le fait que la Commission prend connaissance du rapport de l'enquêteur ne veut pas dire qu'elle l'entérine.
[12] Dans une affaire récente Kidd c. Autorité aéroportuaire du Grand Toronto, [2004] A.C.F. no 859, (confirmée par la Cour d'appel fédérale, [2005] A.C.F. no 377), le juge Mosley décidait, après une revue exhaustive de la jurisprudence, qu'il n'était pas assez de paraphraser la Loi pour satisfaire à l'obligation de donner des motifs suffisants. Il est vrai que le présent dossier se distingue de l'affaire Kidd, précitée, en ce que la Commission n'avait pas suivi la recommandation de l'enquêteur, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il n'en demeure pas moins que dans la présente affaire la Commission n'a pas indiqué au minimum dans ses motifs qu'elle entérinait le rapport de l'enquêteur.
[13] Je suis d'avis qu'il n'y a rien dans les motifs qui permette de savoir le raisonnement qu'elle a suivi pour décider de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de déclarer la plainte recevable après le délai prescrit. La décision n'est donc pas suffisamment motivée pour respecter les principes d'équité procédurale.
[14] En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'elle la réexamine en conformité avec les présents motifs. Le tout avec dépens.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de la Commission est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'elle la réexamine en conformité avec les présents motifs. Le tout avec dépens.
J.C.F.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
INTITULÉ : ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU
CANADA
Et
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L' AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L' AUDIENCE : Le 2 mars 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Madame le juge Dani e Tremblay-Lamer
DATE DES MOTIFS : Le 23 mars 2005
COMPARUTIONS:
Me David Yazbeck
Me James Cameron POUR LE DEMANDEUR
Me Marie-Jos Montreuil POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Raven, Allen, Cameron, Ballantyne
& Yazbeck
Ottawa (Ontario) POUR DEMANDEUR(ERESSE)(S)
John H. Sims, c.r.
Sous-procureur general du Canada
Ottawa (Ontario) POUR DÉFENDEUR(ERESSE)(S)