Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
demanderesse
et
ROMAN PARYNIUK
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
Le contexte
[1] En mars 1999, le contribuable, M. Roman Paryniuk, a été accusé de plusieurs infractions relatives aux stupéfiants et aux armes. De la monnaie canadienne d'un montant de 664 000,00 $ a été légalement saisie dans un coffre dont il possédait la clé. Un magistrat de la Cour de justice de l'Ontario a ordonné que cet argent et d'autres biens appartenant au contribuable soient placés sous la garde du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux. Le ministère en ensuite cédé la possession de ces biens à la Direction de la gestion des biens saisis (la DGBS) et à la Police provinciale de l'Ontario (l'OPP).
[2] Le 29 octobre 2001, le ministre du Revenu national (le ministre) a émis un avis de cotisation à l'intention du contribuable pour un montant de 610 763,61 $ pour l'année d'imposition 1998 fondé principalement sur les fonds saisis (la cotisation). Notamment, le contribuable n'avait pas produit de déclaration de revenus des particuliers (DRP) pour 1998 et, en fait, il n'en a pas non plus produit pour les années 1999 à 2002. Selon le ministre, aucun avis d'opposition n'a été déposé à l'encontre de la cotisation avant l'expiration du délai de 90 jours énoncé à l'article 225.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la LIR). Par conséquent, le ministre a engagé des mesures en vertu de cet article afin de recouvrer les sommes dues. Plus précisément, il a émis de nombreuses Demandes formelles de paiement (DFP) à la DGBS et à l'OPP qui les avisaient qu'aucun montant d'argent ne devait être retourné au contribuable sans qu'un magistrat ne l'ait expressément autorisé.
[3] Le contribuable a déposé un avis d'appel à la Cour canadienne de l'impôt, ce qui a eu pour effet, en réalité, de suspendre et de rendre inexécutables les DFP. Cet appel n'a pas encore été tranché.
[4] En 2002-2003, toutes les accusations portées contre le contribuable ont été suspendues au motif que son procès avait été retardé sans justification. Le juge Watt de la Cour supérieure de l'Ontario a ordonné que tout l'argent et tous les biens saisis lui soient remis le 23 juillet 2003 (l'ordonnance Watt). Malgré cette ordonnance, la DGBS et l'OPP continuent de retenir des biens du contribuable pour un montant de 163 545,02 $.
[5] Le 7 août 2003, la demanderesse a présenté une requête ex parte demandant que le ministre soit autorisé à prendre des mesures visées au paragraphe 225.1(1) de la LIR relativement à la dette fiscale du contribuable. Le juge Pinard a accueilli la requête par une ordonnance datée du même jour (l'ordonnance de recouvrement préventif). Le contribuable demande maintenant à la Cour de réviser la décision du juge Pinard en vertu du paragraphe 225.1(8) de la LIR.
LES QUESTIONS EN LITIGES
[6] Le défendeur formule trois allégations :
1. L'affidavit de Jodi Roul ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 225.2(4) de la LIR.
2. L'ordonnance de recouvrement préventif n'est pas justifiée.
3. L'ordonnance de recouvrement préventif devrait être annulée en raison de la conduite de la demanderesse.
1. L'affidavit de Jodi Roul satisfait-il aux exigences du paragraphe 225.2(4) de la LIR?
[7] Le contribuable conteste les paragraphes suivants de l'affidavit de Jodi Roul qui a été déposé par la demanderesse :
[traduction]
33. Roman Paryniuk ne possède qu'un seul actif important connu, à savoir les montants d'argent en espèces détenus par la DGBS, totalisant en date du 23 juin 2003 la somme de 163 545,02 $.
[...]
38. L'actif le plus important appartenant à Roman Paryniuk est constitué de montants d'argent en espèces détenus par la DGBS et s'élevant, en date du 23 juin 2003, à la somme de 163 545,02 $. [...]
[...]
41. Il n'y a aucun autre actif important connu.
[8] Il soutient que ces déclarations étaient fondées sur une opinion. Par conséquent, en vertu du paragraphe 225.2(4) de la LIR, il fait valoir qu'elles auraient dû être accompagnées des motifs pour lesquels la personne qui a souscrit l'affidavit avait cette opinion.
[9] Cet argument n'est pas fondé. La personne qui a souscrit l'affidavit est l'agente de recouvrement/affaires complexes à la Division du recouvrement de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) à qui a été attribué le dossier du contribuable. Il serait de pratique courante pour elle d'examiner tous les dossiers que l'ADRC possède sur le défendeur. Elle aurait noté qu'il avait omis de produire des déclarations de revenus à partir de 1998. En tant qu'agente de l'ADRC, la personne qui a souscrit l'affidavit déclarait que, outre les fonds saisis, aucune source de revenus n'avait été portée à l'attention de l'agence. Les renseignements contenus dans les dossiers de l'ADRC fournissaient des motifs suffisants à l'appui de ses déclarations au sujet de la nature et de l'étendue des actifs du contribuable.
2. L'ordonnance de recouvrement préventif était-elle justifiée?
[10] Le contribuable fait valoir qu'une ordonnance de recouvrement préventif ne peut être rendue que lorsque le péril, plutôt que d'exister en soi, est créé par un délai. En l'espèce, il soutient qu'il n'y avait et qu'il n'y a aucun risque de péril découlant d'un délai en raison du fait qu'il n'a pris et qu'il ne prendra aucune mesure pour cacher des biens ou en disposer, ou pour autrement retarder le recouvrement.
[11] Les dispositions pertinentes de la LIR prévoient :
225.2 (2) Malgré l'article 225.1, sur requête ex parte du ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l'égard du montant d'une cotisation établie relativement à un contribuable, aux conditions qu'il estime raisonnables dans les circonstances, s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que l'octroi à ce contribuable d'un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.
[...]
(8) Dans le cas où le juge saisi accorde l'autorisation visée au présent article à l'égard d'un contribuable, celui-ci peut, après avis de six jours francs au sous-procureur général du Canada, demander à un juge de la cour de réviser l'autorisation.
[12] Dans la décision Canada (Ministre du Revenu national) c. Services M.L. Marengére Inc. (1999), 175 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 63, le juge Lemieux a analysé les conditions en vertu desquelles les motifs raisonnables énoncés au paragraphe 225.2(2) de la LIR existeraient :
[...] Le ministre peut certainement agir non seulement dans les cas de fraude ou dans les situations qui s'y apparentent, mais aussi dans les cas où le contribuable risque de dilapider, liquider ou autrement transférer son patrimoine pour se soustraire au fisc : bref, pour parer à toute situation où les actifs d'un contribuable peuvent, à cause de l'écoulement du délai, fondre comme neige au soleil. Toutefois, le simple soupçon ou la simple crainte que l'octroi d'un délai puisse compromettre le recouvrement n'est pas suffisant en soi. Comme le juge Rouleau l'a dit dans la décision 1853-9049 Québec Inc., supra, il s'agit de savoir si le ministre a des motifs raisonnables de croire que le contribuable dilapiderait, liquiderait ou transférerait autrement son patrimoine, de façon à compromettre le recouvrement du montant qui est dû. Le ministre doit démontrer que les actifs du contribuable peuvent entre temps être liquidés ou faire l'objet d'une saisie de la part d'autres créanciers et ainsi lui échapper.
En l'espèce, par conséquent, la question est de savoir si le juge Pinard disposait d'éléments de preuve selon lesquels les actifs du contribuable pourraient être liquidés ou autrement échapper au ministre.
[13] Le contribuable possédait des montants d'argent importants en espèces dans un coffre et il avait omis de produire les DRP consécutives. Des circonstances semblables existaient dans la décision Ministre du Revenu national c. Rouleau (1995), 101 F.T.R. 57 (C.F. 1re inst.). Le juge Gibson a décidé ce qui suit aux paragraphes 6 et 7 :
Dans l'arrêt Laframboise c. La Reine, le juge Joyal indique ceci à la page 524 :
J'en viens à la conclusion que la nature même de la cotisation soulève des doutes raisonnables selon lesquels le contribuable n'aurait pas géré ses affaires d'une façon que nous pourrions qualifier d'orthodoxe. Il est à craindre qu'à la suite du transfert de fonds excédentaires à des fins d'investissement, par l'entremise d'un tiers plutôt que directement, il serait difficile de retrouver ces fonds ou de les récupérer.
J'estime que la citation qui précède s'applique aux circonstances dont je suis saisi. Certainement, la nature des redressements établis relativement au requérant révèle des revenus qui sont tout à fait hors de proportion avec les revenus mentionnés dans les déclarations annuelles produites au ministre du Revenu national. La façon dont il conserve ses biens dénote très certainement qu'il conduit ses affaires d'une manière que l'on pourrait qualifier de peu orthodoxe. Elle révèle également des pratiques qui permettraient très facilement au requérant de soustraire des biens considérables s'il était enclin à le faire de sorte qu'il pourrait être difficile de retrouver les biens et de les récupérer.
[Renvoi omis.]
[14] Le même raisonnement s'applique en l'espèce. Le contribuable s'est certainement livré à des pratiques commerciales peu orthodoxes. Il serait très facile pour le défendeur de soustraire son argent s'il choisissait de le faire. De ce fait, il y avait des motifs raisonnables de croire que l'octroi d'un délai compromettrait le recouvrement.
[15] Je remarque que le contribuable a fait référence à l'arrêt Canada c. Landru (S.), [1993] 1 C.T.C. 93 (B.R. Sask.). Cette cause peut être distinguée de la présente affaire puisqu'il y est question d'argent immobilisé sous forme de biens immobiliers, ce qui est nettement moins liquide et plus facile à localiser que des montants en espèces détenus dans un coffre.
3. L'ordonnance de recouvrement préventif devrait-elle être annulée en raison de la conduite de la demanderesse?
[16] Le contribuable soutient que la demanderesse n'a pas agi avec une extrême bonne foi dans le cadre de la présente demande. Il soumet particulièrement que :
- puisque la DGBS et l'OPP détenaient ses actifs, le recouvrement n'était pas réellement compromis et, par conséquent, il n'était pas nécessaire que la demanderesse présente une requête ex parte;
- le ministre a omis d'aviser la Cour que la DGBS et l'OPP n'avaient pas respecté l'ordonnance Watt;
- le ministre a induit la Cour en erreur en présentant un affidavit qui déclarait que le juge Watt avait ordonné que les biens soient remis après le 23 juillet 2003 alors qu'en fait, il était ordonné de les remettre ce jour-là.
[17] Dans une requête ex parte, le demandeur doit faire preuve d'une extrême bonne foi et faire une divulgation franche et complète (Canada c. Duncan (1991), 47 F.T.R. 220 (C.F. 1re inst.)). Je n'ai trouvé aucun élément de preuve qui permettrait de conclure que, en l'espèce, la Couronne avait enfreint cette règle. Le ministre a procédé ex parte parce que les fonds avaient été détenus au-delà de la date de remise ordonnée et que la DGBS l'avait avisé qu'elle était sur le point de les remettre au contribuable. Tous les faits importants ont été divulgués au juge Pinard lors de l'audience qui s'est tenue en août 2003. Plus précisément, l'ordonnance Watt était jointe à l'affidavit de Jodi Roul et cet affidavit décrivait la situation courante relativement aux fonds saisis, de même que le but de l'ordonnance, à savoir [traduction] « d'intercepter les montants [...] payables par la DGBS et l'OPP » . De plus, l'ordonnance Watt elle-même déclare à l'alinéa 5b) :
[traduction]
Quant au reliquat des fonds détenus par la Direction de la gestion des biens saisis [...] la date de prise d'effet est la dernière des dates suivantes :
I. trente (30) jours après la date de la présente ordonnance;
II. la date à laquelle la Direction de la gestion des biens saisis aura payé la facture de Campbell.
Puisque la personne qui a souscrit l'affidavit ne savait pas si la facture de Campbell avait été payée, il n'y avait rien de trompeur dans son affidavit.
[18] Comme aucune des trois objections soulevées par le contribuable n'a été maintenue, l'ordonnance de recouvrement préventif du juge Pinard datée du 7 août 2003 est confirmée et la présente demande est rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES :
1. La présente demande est rejetée.
« K. von Finckenstein »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1421-03
INTITULÉ : SA MAJESTÉ LA REINE
c.
ROMAN PARYNIUK
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 16 DÉCEMBRE 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE von FINCKENSTEIN
DATE DES MOTIFS : LE 16 DÉCEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
Louis L'Heureux POUR LA DEMANDERESSE
Keith M. Trussler POUR LE DÉFENDEUR
Rebecca L. Krasnor
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Louis L'Heureux POUR LA DEMANDERESSE
Morris Rosenberg
Sous procureur général du Canada
Keith M. Trussler POUR LE DÉFENDEUR
Rebecca L. Krasnor
Giffen & Partners
Avocats
465, rue Waterloo
London (Ontario) N6B 2P4