Date : 20000113
Dossier : IMM-1591-98
ENTRE :
ADITHAN KANAGARAJAH,
demandeur,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L"ORDONNANCE
LE JUGE TEITELBAUM :
[1] Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) à l"encontre d"une décision par laquelle José Andrés Sotto et M. Clive Joakim, membres de la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la SSR) ont conclu, le 25 février 1998, que le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention.
LES FAITS
[2] Le demandeur, qui est un Tamoul citoyen du Sri Lanka, est né le 26 février 1971 à Udupiddy, dans le district de Jaffna, dans la péninsule située au nord du Sri Lanka.
[3] Le demandeur a vécu à Vaddakachchi jusqu"à l"arrivée de la force indienne de maintien de la paix (IPKF) en août 1987. Le demandeur soutient que, par la suite, le Front de libération du peuple de l"Eelam (FLPE) a collaboré avec l"IPKF et a commencé à ériger des camps dans la région.
[4] Le demandeur allègue que l"IPKF le soupçonnait d"être un sympathisant des Tigres de libération de l"Eelam tamoul (LTTE) et l"a harcelé jusqu"à son départ en 1991.
[5] Le demandeur affirme que les activités des LTTE se sont intensifiées de façon significative dans la région après le départ de l"IPKF. Il dit avoir subi des pressions pour se joindre au mouvement, mais avoir refusé d"y adhérer.
[6] Le demandeur soutient avoir été harcelé sans arrêt par les LTTE qui lui rendaient visite chez lui afin de le persuader de participer à leurs activités.
[7] Le demandeur dit qu"à l"époque, son frère, qui se trouvait au Canada, l"a parrainé, ainsi que les membres de sa famille, pour qu"ils se rendent au Canada. Il prétend n"avoir toutefois pas été autorisé à quitter la région de Killinochchi, ce qui l"a empêché de se présenter à l"entrevue, à Colombo, pour obtenir un visa.
[8] La mère du demandeur a quitté le Sri Lanka pour se rendre au Canada en novembre 1991.
[9] Le demandeur affirme avoir fui la région de Kilinochchi et s"être rendu à Colombo, par crainte d"être conscrit.
[10] Le demandeur dit avoir été arrêté à deux reprises à son arrivée à Colombo. Malgré cela, son frère qui se trouvait au Canada a pris des arrangements pour qu"un agent conduise le demandeur au Canada.
[11] Le demandeur soutient qu"en route vers le Canada, lui, l"agent et quatre autres personnes ont été arrêtés à l"aéroport international du Pakistan, parce qu"ils n"avaient pas de visa valide, puis gardés en détention.
[12] Les autorités auraient exigé qu"ils reconnaissent leur culpabilité relativement à certaines infractions, mais ils auraient refusé et ils auraient été détenus jusqu"au début de l"année 1994.
[13] Le demandeur soutient qu"après avoir entendu dire que les pourparlers de paix avaient débuté au Sri Lanka et constaté qu"ils ne pourraient pas obtenir le droit d"établissement au Canada, lui et ses compagnons ont décidé de rentrer au Sri Lanka et ont été libérés à cette condition.
[14] À son retour à Vaddakachchi en mars 1994, le demandeur serait devenu l"une des nombreuses victimes des LTTE. En octobre 1995, les LTTE ont transféré leurs quartiers généraux à Kilinochchi, ce qui a incité l"armée sri lankaise à lancer plusieurs attaques dans la région.
[15] Le demandeur déclare que les LTTE ont commencé à s"inquiéter de ces attaques et ordonné qu"un homme par maison subisse un entraînement militaire pour repousser l"armée. Lui et d"autres personnes ont été contraints d"exécuter des travaux forcés pour les LTTE.
[16] Le demandeur affirme que son oncle maternel vivait à Chilaw et avait envoyé ses enfants au Canada, et que sa mère lui a écrit pour qu"il vienne chercher le demandeur à Vaddakachchi.
[17] En janvier 1997, l"oncle du demandeur est venu le chercher et ils se sont enfuis jusqu"à Chilaw en passant par la jungle. Le demandeur dit que son oncle a tenté de l"inscrire auprès des services de police lorsqu"ils sont arrivés à Negombo, mais que les policiers l"ont averti que le demandeur ne pouvait pas y demeurer plus de deux semaines et ne pouvait sortir de la maison pendant son séjour.
[18] Le demandeur a quitté l"aéroport international de Colombo le 18 février 1997, s"est rendu à Hong Kong avec un passeport sri lankais, puis au Canada où il est arrivé le 22 février 1997.
[19] Le demandeur fonde sa revendication du statut de réfugié sur la crainte bien fondée d"être persécuté en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier - le jeunes Tamouls de sexe masculin du nord du Sri Lanka.
LA DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT DE RÉFUGIÉ
[20] Voici les conclusions qu"a tirées la Section du statut de réfugié :
[Traduction] [...] Compte tenu de tous les éléments problématiques qui précèdent, le tribunal conclut que le revendicateur n"a pas été franc avec le tribunal en ce qui concerne les expériences qu"il a effectivement vécues au Sri Lanka. |
Le tribunal a statué que, même s"il avait conclu que le revendicateur a une crainte bien fondée d"être persécuté dans le nord du Sri Lanka, le revendicateur a une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Colombo. |
Selon le témoignage du revendicateur, il était déjà allé à colombo, en avril 1993, et avait alors été arrêté à deux reprises, mais, à chaque occasion, il avait été libéré immédiatement après avoir réussi à prouver son identité. Le tribunal conclut que ce qui est arrivé au revendicateur est compatible avec la preuve documentaire qui démontre que des centaines de nouveaux arrivants tamouls - particulièrement ceux qui viennent du nord - sont emmenés pour être interrogés concernant leur identité. Le tribunal conclut que ce qui est révélateur, c"est que, malgré le fait que le revendicateur ait été un jeune Tamoul de la région du nord du Sri Lanka, il a réussi à prouver son identité et n"a rien vécu de grave si ce n"est d"avoir été emmené au poste de police pour une vérification de son identité. Le tribunal statue que de telles arrestations et détentions de courte durée visant à vérifier l"identité des Tamouls qui se trouvent à Colombo sont des mesures parfaitement légitimes de la part d"un gouvernement qui s"efforce de son mieux de rétablir l"ordre dans une ville vulnérable aux attaques terroristes. Le tribunal estime que la légitimité de ces arrestations et détentions de courte durée visant la vérification de l"identité des personnes arrêtées doit être envisagée en tenant compte du fait que les LITE sont un groupe terroriste bien connu dont les stratégies offensives, si elles ne font pas l"objet de vérifications précoces, peuvent facilement causer des ravages dont on ne peut mesurer l"étendue, non seulement dans la capitale, mais dans tout le Sri Lanka. Compte tenu d"autres éléments de preuve établissant que les terroristes des LTTE ont intensifié de façon appréciable leur offensive contre l"armée sri lankaise et les missions diplomatiques étrangères, et que leurs bombes ont infiltré la capitale, le tribunal conclut que la décision des autorités d"arrêter, de détenir brièvement et d"interroger les Tamouls est raisonnable et responsable, démontrant la détermination du gouvernement à protéger ses citoyens contre le terrorisme. |
LES QUESTIONS EN LITIGE
[21] Les questions soulevées dans la demande sont les suivantes :
1) La Section du statut de réfugié a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n"était pas crédible? |
2) La Section du statut de réfugié a-t-elle tiré des conclusions erronées concernant la PRI? |
LES ARGUMENTS DES PARTIES
Les arguments du demandeur
[22] Le demandeur soutient que les conclusions défavorables tirées par la Commission concernant sa crédibilité sont fondées sur des éléments non pertinents, c"est-à-dire sur la question de savoir si la crainte du demandeur d"être persécuté au Sri Lanka est bien fondée.
[23] Deuxièmement, le demandeur affirme que la question de la PRI n"a jamais été soulevée à l"audience et que la Commission a commis une erreur en concluant que, hormis ses deux voyages à Colombo, le demandeur s"était rendu à Colombo une troisième fois et que son oncle s"était alors fait dire qu"il ne pouvait y demeurer plus de deux semaines. Il s"agit d"une erreur de fait qui ressort du FRP du demandeur, selon lequel son oncle s"est fait dire à Negombo que le demandeur ne pouvait y demeurer plus de deux semaines.
Les arguments du défendeur
[24] Premièrement, le demandeur fait valoir que la SSR peut tirer des conclusions quant à la crédibilité à partir des contradictions et des incohérences du témoignage du revendicateur et d"autres éléments de preuve qui lui sont présentés. De plus, la Commission peut tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en s"appuyant sur le seul fait que le témoignage du revendicateur n"est pas plausible.
[25] Deuxièmement, le défendeur soutient que, même si la Commission a commis une erreur de fait en concluant que l"oncle du demandeur s"est fait dire à Colombo que le demandeur ne pourrait y demeurer plus de deux semaines, cette conclusion n"était pas cruciale concernant sa conclusion que, même si le demandeur avait prouvé qu"il avait une crainte bien fondée d"être persécuté, il a une PRI à Colombo. Le défendeur rejette la thèse voulant que cette erreur de fait établisse que la question d"une PRI n"a pas été soulevée à l"audience.
ANALYSE
La crédibilité
[26] Il est bien établi en droit que la Commission est la mieux placée pour tirer des conclusions quant à la crédibilité. Les conclusions de fait fondées sur des incohérences internes et un témoignage évasif constituent " l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits ", pour reprendre les termes utilisés par la Cour dans l"affaire Dan-Ash c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration (1988), 93 N.R. 33 (C.A.F.).
[27] Dans l"arrêt Aguebor c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration, [1993] A.C.F. no 732, la Cour l"a réaffirmé au paragraphe 4. Le juge Décary a dit :
Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. |
[28] La Cour, saisie d"une demande de contrôle judiciaire, fait constamment preuve de retenue à l"égard des conclusions concernant la crédibilité, à moins qu"elles aient été manifestement tirées sans qu"il soit tenu compte de la preuve : Rajaratnam c. Canada (M.E.I.) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.).
[29] En l"espèce, la Commission semble avoir fourni de nombreux motifs valables à l"appui de sa conclusion que le témoignage du demandeur n"était pas crédible. La Commission se reporte à plusieurs incohérences et contradictions précises dans le témoignage offert à l"audience, qui l"ont amenée à conclure que le demandeur n"était pas crédible.
[30] Premièrement, le revendicateur a écrit dans son FRP qu"il avait été arrêté au Pakistan en avril 1993 parce qu"il n"avait pas de documents valides, alors qu"il a affirmé dans son témoignage que les autorités pakistanaises avaient tenu son passeport pour authentique et l"avaient renvoyé au Sri Lanka sur la foi de ce passeport. Le demandeur n"a pas été en mesure de fournir à la Commission d"explication raisonnable pour ces déclarations manifestement incompatibles.
[31] Deuxièmement, le revendicateur a témoigné qu"il avait été battu au Pakistan et qu"il avait reçu des soins médicaux à la suite de ses blessures. La Commission note que le demandeur n"a jamais mentionné cet incident dans son FRP. La Commission a demandé au demandeur d"expliquer pourquoi il avait omis de mentionner ces coups dans son FRP, mais il n"a fourni aucune explication. Par conséquent, la Commission a conclu que le demandeur avait enjolivé son témoignage et tenté délibérément de l"induire en erreur.
[32] Troisièmement, le revendicateur a témoigné qu"au moment où il a quitté le Pakistan pour retourner à Vaddakachchi, en mars 1994, il a été battu par les Tigres qui lui reprochaient de s"être enfui. Le demandeur n"avait pas mentionné ce fait non plus dans son FRP, ce qui a incité la Commission a croire que le demandeur n"était pas crédible.
[33] Enfin, dans son témoignage, le demandeur a déclaré avoir été détenu par l"IPKF en 1988 et avoir été libéré à la condition de se présenter et de signer un registre aux quartiers généraux de l"IPKF pendant une certaine période, mais il ne l"a pas mentionné parmi les faits relatés dans son FRP. Lorsqu"on lui a posé des questions sur cette omission, le revendicateur a dit ne pas avoir pensé être encore tenu d"inclure ces renseignements précis puisque tous savent ce qui s"est passé. De l"avis de la Commission, cette explication est un autre exemple des efforts déployés par le revendicateur pour enjoliver son histoire.
[34] À cause de ces incohérences et de ces déclarations incompatibles, la Commission a conclu que le revendicateur n"avait pas décrit avec franchise ce qui s"était passé au Sri Lanka et elle a conclu qu"il n"était pas crédible.
[35] En ce qui concerne la prétention du demandeur que la Commission a mal interprété la preuve ou a tenu compte d"éléments non pertinents pour évaluer sa crédibilité, je dois la rejeter. Selon moi, la Commission a examiné tous les éléments de preuve avant de conclure que le demandeur n"était pas digne de foi et rien ne laisse croire qu"elle aurait tenu compte de facteurs externes.
[36] Les conclusions de la Commission sur la crédibilité sont bien étayées par la preuve et ne sont ni irrationnelles ni déraisonnables. Il ne serait pas justifié que la Cour modifie ces conclusions de fait.
[37] Il est clair que l"élément central de l"affaire était la crédibilité. Dès que l"on a conclu, comme l"a fait la Commission, que le demandeur n"était pas crédible, l"existence d"une PRI n"est plus pertinente. J"estime que la Commission a fondé ses conclusions sur la totalité de la preuve et qu"elle n"a aucunement outrepassé sa compétence en évaluant la crédibilité. Rien ne me permet de croire que des facteurs non pertinents ont été pris en compte ou que la Commission a ignoré des éléments de preuve.
[38] L"avocat du demandeur a soulevé le fait que le demandeur, s"il était renvoyé au Sri Lanka, serait emprisonné pour avoir quitté illégalement son pays.
[39] On a porté à mon attention plusieurs documents qui n"ont pas été transmis à la Cour par la Commission, mais versés au dossier de la Commission, ainsi que des documents inclus dans le dossier, qui constituent tous des pièces.
[40] Je ne puis retenir cette prétention. Mon interprétation des documents correspond à l"observation déposée par le défendeur le 20 décembre 1999.
[41] Pour les motifs susmentionnés, je conclus qu"il ne serait pas justifié que la Cour modifie la décision de la Commission.
[42] Comme le frère et la mère du demandeur se sont fait reconnaître le statut de réfugié au Canada, le demandeur pourrait peut-être être autorisé à demeurer au Canada pour des motifs d"ordre humanitaire.
[43] La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties ne m"ont proposé aucune question à certifier.
" Max M. Teitelbaum "
J.C.F.C..
Ottawa (Ontario)
13 janvier 2000
Traduction certifiée conforme
Laurier Parenteau, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NUMÉRO DU GREFFE : IMM-1591-98 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : Adithan Kanagarajah c. MCI |
LIEU DE L"AUDIENCE : Toronto (Ontario) |
DATE DE L"AUDIENCE : 19 novembre 1999 |
MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE TEITELBAUM
DATE DES MOTIFS : 13 janvier 2000 |
ONT COMPARU :
Me Kumar S. Sriskanda POUR LE DEMANDEUR |
Me Jeremiah A. Eastman POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Kumar S. Sriskanda
Scarborough(Ontario) POUR LE DEMANDEUR |
Me Morris Rosenberg
Sous-Procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR |