Date : 20041026
Référence : 2004 CF 1508
Toronto (Ontario), le 26 octobre 2004
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH
ENTRE :
MIREILLE MAMPIA KITOKO
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Mireille Mampia Kitoko est une citoyenne de la République démocratique du Congo (la RDC). Elle a présenté une demande d'asile au motif qu'elle était persécutée du fait de son appartenance au groupe « Motshodo » , soit un groupe formé de femmes congolaises mariées à des Rwandais.
[2] La Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d'asile de Mme Kitoko parce qu'elle l'a jugée non crédible. Mme Kitoko conteste maintenant la décision de la Commission, affirmant que ses conclusions relatives à la crédibilité étaient manifestement déraisonnables. Selon Mme Kitoko, la Commission a tiré plusieurs conclusions défavorables quant à la crédibilité qu'il ne lui était pas raisonnablement loisible de tirer sur le vu de la preuve dont elle était saisie. En outre, Mme Kitoko prétend que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des explications qu'elle avait données.
[3] Enfin, Mme Kitoko soutient que la Commission a commis une erreur en se servant de ses connaissances spécialisées pour tirer une conclusion défavorable à son égard, sans l'informer au préalable de son intention de le faire et sans lui donner la possibilité de donner son point de vue.
Les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité étaient-elles manifestement déraisonnables?
[4] La plupart des conclusions contestées sont des conclusions de fait. La norme de contrôle applicable est donc la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).
[5] Bien qu'elles doivent faire l'objet d'une très grande retenue judiciaire, les conclusions relatives à la crédibilité peuvent être annulées lorsque la décision rendue est fondée sur des inférences qui ne s'appuient pas sur la preuve : Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1144, au paragraphe 11. De plus, l'omission par la Commission de tenir compte des explications offertes par le demandeur peut également justifier l'annulation de sa décision : Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.).
[6] Même en tenant compte de la norme de contrôle applicable en l'espèce, laquelle commande une très grande retenue, je suis convaincue que la Commission a commis un certain nombre d'erreurs dans son traitement du témoignage de Mme Kitoko et que sa décision doit donc être annulée.
L'omission par Mme Kitoko de produire une photo des membres du groupe Motshodo
[7] Mme Kitoko a témoigné qu'à un moment donné, elle avait eu en sa possession une photo des membres du groupe Motshodo. Toutefois, elle n'a pas pu produire cette photo à l'audience.
[8] La Commission a dit que Mme Kitoko avait témoigné qu'elle n'avait pas demandé à sa mère de lui envoyer la photo. La Commission a donc mis en doute l'existence même du groupe Motshodo, notant que Mme Kitoko n'avait produit aucun élément de preuve documentaire établissant l'existence de ce groupe. Cependant, cette conclusion ne s'appuie pas sur la preuve dont était saisie la Commission.
[9] Un examen de la transcription révèle que Mme Kitoko n'a pas dit qu'elle n'avait pas demandé à sa mère de lui envoyer la photo. Mme Kitoko a dit plutôt qu'elle avait demandé à sa mère d'essayer de trouver la photo, mais que celle-ci n'avait pas réussi à la trouver parmi les biens qu'elle avait laissés en RDC.
L'omission par Mme Kitoko de produire une preuve des soins hospitaliers qu'elle avait reçus
[10] Je suis également convaincue que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas dûment compte de l'explication fournie par Mme Kitoko relativement au fait qu'elle n'avait pas pu produire une preuve documentaire de son hospitalisation.
[11] Mme Kitoko allègue avoir été arrêtée et battue par des agents de l'Agence nationale de renseignement (l'ANR), qui recherchaient son mari. Elle affirme qu'elle a par la suite reçu des soins médicaux pour les blessures qu'elle avait subies, mais elle n'a soumis à la Commission aucune preuve documentaire relative à son hospitalisation.
[12] Selon la Commission, Mme Kitoko a témoigné que sa mère avait essayé d'obtenir une preuve documentaire relative à son hospitalisation. À cette fin, sa mère s'était adressée à l'infirmière qui l'avait aidée à s'échapper de l'hôpital pour que celle-ci lui fournisse les documents en question. Toutefois, l'infirmière n'était pas disposée à prendre ce risque. La Commission affirme que lorsqu'on lui a demandé pourquoi sa mère ne s'était pas alors adressée à son médecin traitant, Mme Kitoko a répondu que sa mère n'avait parlé qu'à l'infirmière.
[13] Un examen de la transcription révèle que Mme Kitoko a expliqué pourquoi sa mère ne s'était pas adressée au médecin pour obtenir copie des documents établissant qu'elle avait été hospitalisée. Mme Kitoko a déclaré dans son témoignage qu'elle ne savait pas quelles conséquences pouvait avoir eu sa fuite de l'hôpital. Étant donné que l'infirmière l'avait déjà aidée une fois, Mme Kitoko avait demandé à sa mère de lui parler afin de vérifier si les documents pouvaient être obtenus. Cependant, Mme Kitoko avait hésité à demander à sa mère de s'adresser directement au médecin, parce qu'elle ne savait pas comme celui-ci réagirait à la demande.
[14] Comme l'a dit le juge Pelletier dans la décision Veres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 124 (1re inst.) : « Il relève du mandat de la [Commission] de refuser de croire l'explication de M. Veres quant à l'absence de copies de documents importants. Il ne relève pas de son mandat de ne tenir aucun compte d'une explication raisonnable et de considérer la preuve comme si l'explication n'avait jamais été donnée. »
[15] De même, en l'espèce, il était loisible à la Commission de rejeter l'explication fournie par Mme Kitoko quant à la raison pour laquelle sa mère n'avait pas cherché à parler à son médecin afin d'obtenir une copie de son dossier médical. Toutefois, le fait que la Commission n'ait même pas tenu compte de cette explication constitue une erreur susceptible de contrôle.
L'explication fournie par Mme Kitoko quant à la raison pour laquelle elle avait omis de produire ses documents de voyage
[16] La Commission a également tiré une inférence défavorable quant à la crédibilité de Mme Kitoko du fait que celle-ci n'avait pu produire aucun document de voyage. Tout en notant que le représentant de Mme Kitoko avait gardé son faux passeport afin de réutiliser, la Commission a trouvé curieux que Mme Kitoko n'ait pas eu de copie de son billet d'avion.
[17] Le défendeur concède que la conclusion de la Commission sur ce point est [traduction] « faible » , mais soutient que cette conclusion, prise individuellement, n'est pas suffisamment importante pour justifier l'annulation de la décision de la Commission.
[18] Encore une fois, la Commission a omis ici de tenir compte de l'explication fournie par Mme Kitoko. Mme Kitoko a témoigné que le représentant lui avait dit de lui remettre le billet, parce qu'il s'agissait d'un billet aller-retour, qui pouvait être utilisé pour la renvoyer en RDC. Encore une fois, il était loisible à la Commission de rejeter cette explication, mais elle ne pouvait tout simplement l'ignorer.
[19] Je n'ai pas besoin de traiter de l'argument du défendeur relatif à l'importance de la conclusion tirée par la Commission, parce que je ne suis pas convaincue qu'il s'agit de la seule erreur commise par la Commission.
La Commission a-t-elle commis une erreur en se fondant injustement sur ses connaissances spécialisées?
[20] L'allégation suivant laquelle le président de l'audience n'a pas informé Mme Kitoko qu'il avait l'intention de se fonder sur ses connaissances spécialisées en ce qui concerne la sécurité à l'aéroport Ndjili soulève une question d'équité procédurale. Les questions d'équité procédurale sont contrôlées selon la norme de la décision correcte : Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 174.
[21] Dans sa décision, la Commission a jugé non crédible que quelqu'un qui prétend fuir les agents de sécurité de l'État passe par l'aéroport Ndjili, « où se trouvent compilées les données concernant les personnes qui sont recherchées » .
[22] Le défendeur soutient que cette conclusion faisait appel non pas à des connaissances spécialisées, mais plutôt à la raison et au bon sens. Toutefois, un examen des motifs de la Commission montre que ce n'est pas le cas.
[23] Après avoir fait le commentaire susmentionné relativement à l'aéroport Ndjili, la Commission affirme :
De connaissance spécialisée, pour avoir entendu de nombreuses causes de la RDC, il est raisonnable de penser qu'une personne qui est recherchée éviterait de passer par l'aéroport Ndjili en quittant le pays, d'autant plus, il existe d'autres voies terrestres où le risque de se faire attraper est nettement moins élevé. [Non souligné dans l'original.]
[24] Le président de l'audience n'a jamais informé Mme Kitoko durant l'audience qu'il avait l'intention de se servir de ses connaissances spécialisées en ce qui touche la sécurité à l'aéroport Ndjili.
[25] Les obligations d'équité procédurale de la Commission lorsqu'elle se fonde sur des renseignements extrinsèques figurent à l'article 18 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, qui prévoit :
Avis aux parties - Avant d'utiliser un renseignement ou une opinion qui est du ressort de sa spécialisation, la Section en avise le demandeur d'asile ou la personne protégée et le ministre - si celui-ci est présent à l'audience - et leur donne la possibilité de :
a) faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation du renseignement ou de l'opinion;
b) fournir des éléments de preuve à l'appui de leurs observations.
[26] En l'espèce, la Commission reconnaît s'être servie de ses connaissances spécialisées relativement à la sécurité aéroportuaire en RDC pour tirer une conclusion défavorable à l'égard de Mme Kitoko, sans au préalable lui donner la possibilité de faire des observations sur la fiabilité et l'utilisation de ces renseignements. Il s'agit là d'une erreur procédurale et d'un déni de justice naturelle : Kabedi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 545.
Conclusion
[27] On pourrait prétendre qu'aucune des erreurs commises par la Commission, prises individuellement, n'est suffisamment importante pour justifier l'annulation de la décision de la Commission. Que ce soit ou non le cas, les erreurs commises, par leur effet cumulatif, justifient l'annulation de la décision de la Commission.
Certification
[28] Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé une question à certifier, et la présente affaire n'en soulève aucune.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision.
2. Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.
« A. Mactavish »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-8833-03
INTITULÉ : MIREILLE MAMPIA KITOKO
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 25 OCTOBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE MACTAVISH
DATE DES MOTIFS : LE 26 OCTOBRE 2004
COMPARUTIONS :
Anthony Kako POUR LA DEMANDERESSE
Marcel Larouche POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Anthony Kako POUR LA DEMANDERESSE
Avocat
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE
Date : 20041026
Dossier : IMM-8833-03
ENTRE :
MIREILLE MAMPIA KITOKO
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE