Date : 20030305
Dossier : IMM-5910-01
Référence neutre : 2003 CFPI 274
Toronto (Ontario), le mercredi 5 mars 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL
ENTRE :
VALIDA MURADOVA,
TAHIR AHMADOV (alias Tair Ahmadov),
ELBAY AHMADOV
et TAIRA MURADOVA
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé, le 7 décembre 2001, de reconnaître aux demandeurs le statut de réfugié au sens de la Convention.
[2] Les demandeurs, Valida Mouradova (la demanderesse principale), ses deux fils, Elbay et Tahir Ahmadov, et sa mère, Taira Mouradova, sont des citoyens de l'Azerbaïdjan. La demanderesse principale est la représentante désignée de son fils mineur Elbay. Les revendications des enfants et de la mère de la demanderesse principale reposent sur la revendication de cette dernière. La demanderesse principale prétend craindre avec raison d'être persécutée du fait de sa peur d'être maltraitée par son ancien conjoint.
[3] La demanderesse principale a présenté un témoignage substantiel et détaillé au sujet de la violence physique, psychologique et sexuelle que lui aurait fait subir son ancien conjoint. Elle a également indiqué qu'elle craint que la violence se poursuive si elle est forcée de retourner en Azerbaïdjan.
[4] En fait, la SSR a rejeté l'ensemble du témoignage de la demanderesse portant sur la violence :
Le tribunal n'est pas convaincu que la revendicatrice principale a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que son ancien conjoint représente toujours une menace pour elle.
[...]
Selon le tribunal, la façon d'agir de son ancien conjoint ne démontre pas une relation de violence. (Décision, aux p. 2 et 3)
[5] Les conclusions de la SSR reposent à mon avis sur des conclusions d'invraisemblance qui, vu qu'elles ne sont pas étayées par la preuve, sont erronées. Par exemple, la SSR a considéré que la demanderesse aurait dû se souvenir du nom de la maîtresse de son conjoint, ce qu'elle a été incapable de faire lors de son témoignage. De plus, selon la SSR, la demanderesse aurait dû, si son témoignage sur la nature des rapports qu'elle entretenait avec son conjoint violent était exact, mettre fin plus rapidement à sa relation avec lui.
[6] L'avocat de la demanderesse a confirmé que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié avaient été invoquées en faveur des demandeurs lors de l'audience devant la SSR (voir le point 18.2.3 du Guide de la SSR intitulé « Directives, instructions et avis de pratique » , daté du 31 mars 1999). On s'attend, du fait des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, à ce que les membres de la SSR comprennent que les circonstances à l'origine de la crainte de persécution chez les femmes sont souvent propres à leur sexe. Par conséquent, on s'attend raisonnablement à ce que les décideurs de la SSR évaluent la crédibilité d'une femme qui prétend être persécutée en raison de son sexe à la lumière de leurs connaissances spécialisées.
[7] Rien ne prouve que la SSR a tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe en l'espèce, encore moins qu'elle les a mises en application en l'espèce. De plus, indépendamment de l'application de ces directives, la SSR n'a pas précisé les éléments de preuve particuliers sur lesquels elle a fondé ses conclusions relatives à la vraisemblance.
[8] Quant aux conclusions concernant la vraisemblance dans l'ensemble, le droit applicable ressort clairement de la décision rendue par M. le juge Muldoon dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1131, aux paragraphes 6 et 7 :
Présomption de véracité et vraisemblance
Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l'arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu'un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s'il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n'a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l'arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu'il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d'éléments de preuve pour justifier ses conclusions.
Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].
[9] À mon avis, les conclusions relatives à la vraisemblance qui sont erronées parce que non étayées par la preuve en l'espèce rendent la décision de la SSR manifestement déraisonnable.
ORDONNANCE
Par conséquent, j'annule la décision de la SSR et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'elle fasse l'objet d'une nouvelle décision.
_ Douglas R. Campbell _
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5910-01
INTITULÉ : VALIDA MURADOVA, TAHIR AHMADOV
(alias Tair Ahmadov), ELBAY AHMADOV
et TAIRA MURADOVA
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le mardi 4 mars 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Monsieur le juge Campbell
DATE DES MOTIFS : Le mercredi 5 mars 2003
COMPARUTIONS :
David P. Yerzy POUR LES DEMANDEURS
Michael Butterfield POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David P. Yerzy POUR LES DEMANDEURS
Avocat
14, avenue Prince Arthur, bureau 108
Toronto (Ontario) M5R 1A9
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20030305
Dossier : IMM-5910-01
ENTRE :
VALIDA MURADOVA, TAHIR AHMADOV (alias Tair Ahmadov), ELBAY AHMADOV et TAIRA MURADOVA
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE