Date : 19990602
Dossier : IMM-1548-98
OTTAWA (ONTARIO), LE 2 JUIN 1999
DEVANT : MONSIEUR LE JUGE CULLEN
ENTRE
SYED MEHDI ZAIDI,
demandeur,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
ORDONNANCE
Le demandeur ayant présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 26 février 1998, qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention visé par le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2;
CETTE COUR ORDONNE que l'appel soit accueilli et que l'affaire soit renvoyée à une formation différente.
B. Cullen
________________________________
J.C.F.C.
Traduction certifiée conforme
L. Parenteau, LL.L.
Date : 19990602
Dossier : IMM-1548-98
ENTRE
SYED MEHDI ZAIDI,
demandeur,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE CULLEN
[1] INTRODUCTION
Le demandeur n'a pas comparu parce qu'il s'est apparemment rendu au mauvais bureau. De plus, en réponse à une demande de communication de documents, l'avocate du défendeur n'a en fait reçu qu'une liste. Toutefois, la liste parlait de la pièce R2 alors qu'il était clairement question de la pièce R1. J'ai donc décidé de rendre une décision sur dossier.
[2] Le demandeur conteste au moyen d'un contrôle judiciaire la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 26 février 1998, qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention visé par le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi). L'autorisation de présenter cette demande de contrôle judiciaire a été accordée le 8 mars 1999.
[3] Historique
Le demandeur, Syed Mehdi Zaidi, est un citoyen pakistanais d'origine Mohadjir âgé de 29 ans. Les Mohadjirs sont des musulmans parlant l'ourdou; leurs descendants directs ont quitté l'Inde pour se rendre au Pakistan à la suite du partage du sous-continent en 1947. Le demandeur a quitté le Pakistan et est arrivé à Toronto le 17 août 1996. Il craint d'être persécuté par la police du fait de sa race, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social, soit celui des Mohadjirs et des membres de la faction Altaf du Mouvement de la communauté Mohadjir (le MQM).
[4] Le demandeur a joint le MQM, une organisation politique qui cherche à promouvoir les droits des Mohadjirs, en juillet 1989. Il a participé activement aux campagnes des candidats de son parti lors des élections provinciales et nationales qui ont eu lieu en octobre 1990. En particulier, il a distribué des feuillets, a installé des affiches et des bannières et a fait du porte à porte. Au palier national, le Jamboori Ittehad islamique a formé un gouvernement de coalition avec la Ligue musulmane, avec les MQM comme associés. Les relations se sont rapidement envenimées et les chefs ainsi que les travailleurs du MQM ont fait face à des arrestations. Le chef du MQM, Altaf Hussain, s'est enfui du Pakistan en 1992 et vit maintenant en exil à Londres; il fait face à des accusations de meurtre au Pakistan. Le MQM a été mêlé à une lutte entre des factions rivales, la faction majoritaire Altaf et la faction plus petite Haqiqi.
[5] Le gouvernement a démissionné en juillet 1993; des élections devaient être tenues en octobre 1993. Le MQM a protesté en ne participant pas aux élections nationales, mais il a participé aux élections provinciales et a finalement formé le plus gros parti d'opposition, alors que le PPP était au pouvoir. Le demandeur affirme que le PPP s'est alors mis à persécuter systématiquement les membres du MQM.
[6] Au début de l'année 1996, le demandeur a été chargé de recueillir des fonds auprès de la communauté Mohadjir dans sa section de Karachi en vue de constituer un fonds destiné à aider les familles des membres du MQM qui étaient détenus. Par suite de cette activité, la police a déterminé que le demandeur était un membre actif et une cible possible. À la fin du mois de juin 1996, le demandeur a été kidnappé par des membres du PPP; il a été battu pendant plusieurs jours. Il a été laissé pour mort au bord d'une route, mais il a réussi à se rendre à l'hôpital pour être traité. Il affirme que quelques jours plus tard, au début du mois de juillet, des gens qui avaient pris place dans une fourgonnette avaient tiré sur lui. Il craignait pour sa vie; il s'est donc caché et a pris des dispositions pour venir au Canada.
[7] À l'audience qui a eu lieu devant la SSR, le 18 novembre 1998, le demandeur a témoigné qu'il ne participait pas à des activités terroristes et qu'il ne les appuyait pas. Il affirme qu'après que les hommes de main du PPP eurent essayé de le tuer, son nom a été donné à la police et qu'il a été inscrit sur une liste de personnes soupçonnées d'être des terroristes ou des membres " actifs " du MQM; d'où l'intérêt que la police a manifesté à son égard à compter du mois d'octobre 1996. Étant donné qu'il a quitté le Pakistan en utilisant de faux documents et qu'il existe dans ce pays un système de contrôle des entrées et des sorties, les autorités n'ont aucune preuve de son départ. Le demandeur a témoigné que des agents de police qui étaient à sa recherche s'étaient rendus chez lui en octobre 1996 et que par la suite une descente avait été effectuée chez lui tous les deux ou trois mois, la dernière visite avant l'audience ayant eu lieu en octobre 1997. Le demandeur a également témoigné que son frère avait été arrêté pendant la dernière descente, qu'il avait été interrogé au sujet de ses allées et venues et qu'il avait été libéré moyennant le paiement d'un pot-de-vin.
[8] La décision de la Commission
La formation a reconnu que la situation politique au Pakistan était explosive et que le demandeur avait personnellement été attaqué par des gens qui étaient selon lui des hommes de main du PPP. Elle n'a pas tiré de conclusions au sujet de la crédibilité du demandeur ou de la crédibilité de son témoignage. Elle s'est plutôt fondée sur la preuve documentaire, qui montre que depuis les élections du mois de février 1997, la situation a changé au Pakistan. La LM et le MQM ont conclu une alliance dans la province du Sind, dans le sud du pays, où habitent la plupart des Mohadjirs. Dans ses motifs, voici ce qu'a dit la formation :
[TRADUCTION] |
La formation conclut que M. Zaidi peut se réclamer de la protection de l'État et de ce gouvernement de coalition. Il existe une lutte entre les factions rivales Altaf et Haqiqi du MQM, mais rien ne montre que le gouvernement y participe. Rien ne montre non plus que les travailleurs du MQM qui ne troublent pas la paix soient arrêtés, que ce soit isolément ou en masse. |
M. Zaidi a témoigné que son nom figure sur une liste de personnes recherchées et qu'il n'est donc en sécurité nulle part au Pakistan. Il a témoigné que la police n'avait pas essayé de l'arrêter pendant qu'il était au Pakistan, mais que des agents de police s'étaient rendus chez lui pour l'arrêter après son départ. La formation n'a entendu aucune explication plausible au sujet du fait que le gouvernement avait tardé à essayer d'arrêter le demandeur. Quoi qu'il en soit, la formation ne croit pas que le gouvernement s'intéresserait d'une façon continue à M. Zaidi compte tenu du témoignage que celui-ci a présenté, à savoir qu'il n'avait jamais participé à des activités terroristes, mais qu'il était à vrai dire un travailleur assez bien connu du MQM. Selon la preuve, le gouvernement s'intéresse d'une façon continue aux travailleurs du MQM qu'il considère comme des terroristes, comme le chef de la faction dont fait partie M. Zaidi, Altaf Hussein. |
(Dossier de la demande du demandeur, p. 7)
[9] Position du demandeur
Le demandeur soutient que la SSR a commis une erreur en omettant de tenir dûment compte du témoignage qu'il avait présenté au sujet du fait qu'il craignait d'être persécuté. La formation a omis d'apprécier le témoignage du demandeur, lorsqu'il affirmait que la police avait uniquement commencé à s'intéresser à lui après que les hommes de main du PPP eurent essayé de le tuer, ce qui explique le temps qu'elle a apparemment mis à l'arrêter.
[10] Le demandeur soutient également que la SSR a commis une erreur de droit en concluant que le gouvernement s'intéresse uniquement aux travailleurs du MQM qu'il considère comme des terroristes et qu'étant donné qu'il avait témoigné qu'il ne participait pas à pareilles activités, le gouvernement ne s'intéresserait pas à lui. La formation ne disposait d'aucun élément de preuve tendant à montrer quelles personnes étaient considérées comme des terroristes et pourquoi.
[11] Le demandeur soutient que la preuve documentaire sur laquelle la formation s'est fondée à l'appui de la conclusion qu'elle a tirée au sujet du fait que la situation avait changé dans le pays ne renferme pas en fait beaucoup de renseignements au sujet de la situation telle qu'elle existait après le mois de février 1997. D'autres éléments de la preuve documentaire dont la formation disposait montrent que la situation au Pakistan en ce qui concerne les droits de la personne est toujours précaire et qu'il n'y a aucun changement fondamental. Les excès commis par la police semblent uniquement changer d'orientation selon le gouvernement qui est au pouvoir.
[12] Position du défendeur
Le défendeur soutient que la formation n'a pas commis d'erreur en concluant que le demandeur pouvait se réclamer de la protection de l'État étant donné qu'aucun élément de preuve ne montre que le gouvernement est mêlé à la lutte interne que se livrent les différentes factions du MQM pour obtenir le pouvoir. En outre, la formation a dit que le gouvernement s'intéresse uniquement aux travailleurs du MQM qui sont selon lui des terroristes, mais qu'étant donné que le demandeur n'appuyait pas les activités terroristes, il n'y a pas lieu pour le gouvernement de s'en prendre à lui.
[13] Analyse
Dans l'arrêt Maldonado c. Canada (MEI), [1980] 2 C.F. 302, la Cour d'appel fédérale a statué que lorsque le demandeur jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu'elles le sont à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter. La SSR agit d'une façon arbitraire lorsqu'elle décide de ne pas croire le témoignage du demandeur alors qu'il n'existe aucune raison valable d'en douter. En sa qualité de juge des faits, la SSR apprécie la preuve et décide de l'importance à lui accorder, mais toute incohérence ou invraisemblance doit être étayée par la preuve.
[14] En l'espèce, la formation a retenu le témoignage du demandeur, lorsque celui-ci a affirmé qu'il avait été kidnappé et battu et que l'on avait tiré sur lui avant qu'il s'enfuie du Pakistan. À l'audience, le demandeur a témoigné que la police le recherchait en octobre 1996, après qu'il se fut enfui du pays. Il a également témoigné que des agents de police avaient fait des descentes à sa maison familiale tous les deux ou trois mois, après la descente du mois d'octobre 1996. Il a en outre témoigné que son frère avait été arrêté et interrogé au sujet de ses allées et venues en octobre 1997, juste avant l'audience.
[15] La SSR ne traite expressément nulle part dans ses motifs de cet élément de preuve, si ce n'est pour dire qu'elle n'a entendu aucune explication plausible au sujet du temps que le gouvernement avait mis à essayer d'arrêter le demandeur. Pourtant, l'explication fournie par le demandeur semble raisonnable et compatible avec le retard : ce n'est qu'après que le PPP eut omis de traiter le cas du demandeur par la voie extrajudiciaire que le nom de ce dernier a été inscrit sur une liste de personnes que la police soupçonnait d'être des terroristes.
[16] En outre, le témoignage non contredit du demandeur selon lequel des agents de police qui étaient à sa recherche avaient continué à se présenter chez lui laisse entendre que les changements survenus dans la situation du pays ne sont pas de nature à amener le demandeur à se sentir en sécurité. La formation a omis de tenir compte de cet élément de preuve dans son analyse des changements qui étaient survenus dans la situation du pays.
[17] Enfin, la formation a statué que le gouvernement ne manifesterait pas un intérêt continu à l'égard du demandeur puisque ce dernier avait témoigné n'avoir jamais participé à des activités terroristes. C'est peut-être ce qui est dit dans la dernière partie de cette déclaration, mais il faut se concentrer sur la façon dont le gouvernement considérait le demandeur. Les visites que des agents de police avaient subséquemment effectuées chez le demandeur peuvent montrer que la police s'intéresse de fait encore à celui-ci. Le demandeur a témoigné que son nom figure sur une liste de présumés terroristes; cette affirmation n'est pas contredite et, de fait, la preuve documentaire montre que la police a en sa possession des listes de présumés terroristes qui sont membres du MQM.
[18] Il semble donc que la SSR ait commis une erreur en omettant de tenir compte de l'explication que le demandeur a donnée au sujet de la raison pour laquelle la police avait tardé à l'arrêter et en omettant de tenir compte de son témoignage lorsqu'il affirmait que la police avait continué à s'intéresser à lui, après les élections du mois de février 1997, ces élections étant à la base de la conclusion que la formation a tirée au sujet du fait que la situation avait changé dans le pays. Par conséquent, l'appel est accueilli et l'affaire est renvoyée à une formation différente.
B. Cullen
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J.C.F.C.
OTTAWA (Ontario)
Le 2 juin 1999.
Traduction certifiée conforme
L. Parenteau, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-1548-98 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : Syed Mehdi Zaidi c. MCI |
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario) |
DATE DE L'AUDIENCE : le 27 mai 1999 |
MOTIFS DU JUGEMENT du juge Cullen en date du 2 juin 1999
ONT COMPARU :
Moin Ahsan pour le demandeur |
Andrea Horton pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Morris Rosenberg pour le défendeur
Sous-procureur général du Canada