Date : 20040804
Dossier : T-611-04
Référence : 2004 CF1073
ENTRE :
MICHEL VENNAT
Demandeur
- et -
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
Défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
(Rendus sur le banc à Ottawa, Ontario
le 4 août 2004)
LE JUGE HUGESSEN
[1] Je suis saisi de deux requêtes formulées par le Greffier du Conseil privé me demandant d'accueillir son objection basée sur l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5 (la Loi) à la production de certains documents que les demandeurs ont demandé en vertu de la Règle 317 des Règles de la Cour fédérale, 1998 dans le cadre de deux recours en contrôle judiciaire intentés par les demandeurs à l'encontre de certains décrets de la Gouverneure en conseil touchant le statut des demandeurs comme employé ou officier de certaines corporations de l'État.
[2] Ce qui est attaqué sont des décrets ou des arrêtés en conseil adoptés par la Gouverneure en conseil et les demandeurs ont demandé la production de la documentation sur laquelle la Gouverneure en conseil s'était basée pour décider comme elle l'a fait. À ces demandes, faites en vertu de la Règle 317, le Greffier du Conseil privé a produit dans chaque dossier une attestation par laquelle il s'opposait à la production des documents demandés parce que ces documents étaient, selon le Greffier, des confidences du Conseil privé de la Reine pour le Canada en vertu de l'article 39 de la Loi.
[3] Je reproduis ici le texte même des annexes aux deux attestations du Greffier dans lesquelles il décrit les documents auxquels il s'objecte. Premièrement, dans le cas Vennat et deuxièmement dans le cas Pelletier.
ANNEXE À L'ATTESTATION D'ALEX HIMELFARB
DATÉE DU 10 JOUR DU MOIS DE JUIN 2004 dans le dossier
Michel Vennat c. Le Procureur général du Canada
1 Présentation à la Gouverneure en conseil (le contenu indique février 2004).
Le document #1 est une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil au sens de l'alinéa 39 (2) a) de la Loi sur la preuve au Canada (Loi).
Le document #1 est aussi une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans un ordre du jour du Conseil ou d'un procès-verbal de ses délibérations ou décisions au sens de l'alinéa 39 (2) c) de ladite Loi.
2 Présentation à la Gouverneure en conseil (le contenu indique mars 2004).
Le document #2 est une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil au sens de l'alinéa 39 (2) a) de ladite Loi.
Le document #2 est aussi une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans un ordre du jour du Conseil ou d'un procès-verbal de ses délibérations ou décisions au sens de l'alinéa 39 (2) de ladite Loi.
ANNEXE À L'ATTESTATION D'ALEX HIMELFARB
DATÉE DU 26 JOUR DU MOI S DE MAI 2004 dans le dossier
Jean Pelletier c. Procureur général du Canada
1 Présentation à la Gouverneure générale en conseil (le contenu indique mars 2004).
Le document #1 est une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil au sens de l'alinéa 39 (2) a) de la Loi sur la preuve au Canada (Loi).
Le document #1 est aussi une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans un ordre du jour au Conseil ou d'un procès-verbalde ses délibérations ou décisions au sens de l'alinéa 39 (2) c) de ladite Loi.
2 Recommandation ministérielle à la Gouverneure en conseil, signée par Tony Valeri, ministre des Transports (le contenu indique mars 2004).
Le document #2 est une copie d'un document consistant en de l'information contenue dans une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil au sens de l'alinéa 39 (2) a) de la Loi sur la preuve au Canada (Loi).
[4] La Cour suprême du Canada s'est récemment prononcée sur les exigences formelles d'une attestation du Greffier ou d'un ministre formulée en vertu de l'article 39 de la Loi. Je reprends les paroles de Madame le juge en chef McLachlin ou elle dit ce qui suit dans l'arrêt Babcock c. Canada (Procureur général) [2002] 3 R.C.S. 3:
28 Il serait peut-être utile d'expliquer les aspects formels de l'attestation. Comme nous l'avons déjà souligné, le greffier doit vérifier deux aspects : (1) Les renseignements constituent-ils des renseignements confidentiels au sens de l'art. 39? [page20] (2) Est-il souhaitable d'en préserver la confidentialité compte tenu des intérêts opposés voulant, d'une part, que les renseignements soient divulgués et, d'autre part, que la confidentialitésoit préservée? Quelles sont les exigences de forme de l'attestation qui en découlent? On peut considérer que le deuxième aspect, l'élément discrétionnaire, est établi par l'acte d'attestation. Toutefois, le premier élément de la décision du greffier commande que son attestation établisse que les renseignements sont visés par la Loi. Cela signifie que le greffier ou le ministre ont l'obligation de donner des renseignements une description suffisante pour établir à la face même de l'attestation qu'il s'agit de renseignements confidentiels du Cabinet et qu'ils appartiennent aux catégories prévues au par. 39(2) ou à une catégorie analogue; la possibilité de catégories analogues découle des termes généraux utilisés dans la disposition introductive du par. 39(2). Ce premier élément résulte du principe qui oblige le greffier ou le ministre à exercer leur pouvoir légal d'une façon régulière en conformitéavec la loi. Il suffira généralement à cet égard de fournir une description semblable à celle que les règles de pratique imposent en matière civile dans les demandes visant à protéger le secret professionnel de l'avocat. La date, le titre, l'auteur et le destinataire du document dans lequel se trouvent les renseignements devraient normalement être divulgués. Si des préoccupations touchant à la confidentialité empêchent la divulgation de l'un quelconque de ces indices préliminaires d'identification, ce sera au gouvernement d'en faire la preuve en cas de contestation. Par contre, si les documents dans lesquels se trouvent les renseignements sont correctement identifiés, la personne qui en demande la production et le tribunal doivent accepter la décision du greffier. Une seule argumentation est possible : les documents, au vu de leur description, ne sont pas visés par l'art. 39 ou le greffier a outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés.
[5] À mon avis, il est clair sans l'ombre d'un doute que les deux documents décrits par le Greffier dans son annexe dans le cas Vennat ci-haut et le premier document décrit dans son annexe dans le cas Pelletier, souffrent d'un défaut formel et fatal. On n'en donne aucun détail utile quant à la date, à l'auteur, au titre ni au contenu des documents. Ce n'est pas par inadvertance que Madame le juge McLachlin a mentionné spécifiquement les exigences des règles de pratique de toutes les juridictions concernant une réclamation du privilège de l'avocat. Il faut spécifier adéquatement le document pour lequel on réclame un privilège afin de permettre non seulement de décider si la demande de privilège est bien fondée mais surtout afin de permettre d'identifier le document si à une étape subséquente des procédures on tente de l'introduire en preuve ou par un hasard quelconque ou même par inadvertance, il est produit devant la Cour. Dans le cas présent, pour les documents que j'ai mentionnés tout à l'heure, il n'en n'est rien, aucun détail utile n'est donné.
[6] Pour ce qui est du deuxième document dans le cas Pelletier, un certain minimum de détail est donné en ce sens qu'on mentionne le nom de l'auteur de la recommandation. Il est possible que j'en viendrais à la conclusion que ce minimum de détail serait suffisant mais il n'est pas nécessaire que je tranche la question parce que dans le cas présent, le document en question a été produit au dossier de la Cour et est devant moi. L'on me demande de déclarer que cette production a été faite par inadvertance. Et cela aussi est possible. Mais le fait est qu'à présent, le document est devant moi et j'ai connaissance de son contenu. Son contenu est tel qu'il ne fait que reproduire pratiquement au texte la description qui en est donnée dans le décret attaqué, c'est-à-dire que c'est une recommandation en très peu de mots que la Gouverneure en conseil destitue monsieur Pelletier de ses fonctions.
[7] Je dis, avec respect, que le Greffier du Conseil privé ne pouvait pas raisonnablement conclure qu'il était dans l'intérêt public de garder confidentiel ce document qui, je répète, est repris dans le texte même du décret qui est public. Il ne pouvait pas raisonnablement conclure ainsi, il a erré en droit en le faisant.
[8] J'en conclus donc au rejet des deux requêtes. Il n'est pas question d'ordonner les frais.
Juge
Ottawa, Ontario
Le 4 août 2004
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE: T-611-04
INTITULÉ DE LA CAUSE: MICHEL VENNAT c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
DATE DE L'AUDIENCE: Le 4 août 2004
LIEU DE L'AUDIENCE: Ottawa, Ontario
MOTIFS DE L'ORDONNANCE RENDUS PAR MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN
EN DATE DU: 4 août 2004
ONT COMPARU:
Me Louis P. Bélanger et
Me Patrick Girard POUR LE DEMANDEUR
Me Chantal Corriveau POUR LE DÉFENDEUR
Me Claude Joyal et
Me Rosemarie Millar POUR LE GREFFIER DU CONSEIL PRIVÉ
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Stikeman Elliott
Montréal, Québec POUR LE DEMANDEUR
Kugler Kandestin
Montréal, Québec POUR LE DÉFENDEUR
M. Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada POUR LE GREFFIER DU CONSEIL PRIVÉ