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Date : 20200220


Dossier : T-883-19

Référence : 2020 CF 271

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 février 2020

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

DALE MURRAY CUMMING

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Rappel des faits

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire introduite par M. Dale Cumming conformément à l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21. M. Cumming agit pour son propre compte.

[2]  Le 15 mars 2018, M. Cumming a présenté à la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) une demande de communication de renseignements personnels le concernant fondée sur le paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[3]  Par lettre en date du 16 mars 2018, la GRC a accusé réception de la demande de M. Cumming et l’a informé qu’elle entreprenait la recherche nécessaire dans ses dossiers. Cette lettre avisait aussi M. Cumming que la GRC aurait besoin, pour répondre à sa demande, d’une période de 30 jours en sus du délai de même durée fixé par la loi. Il n’a reçu après cette lettre aucune autre communication de la GRC. En juillet 2018, il a introduit une plainte devant le commissaire à la protection de la vie privée.

[4]  En mai 2019 – soit plus d’un an après la demande de communication de M. Cumming et bien après l’expiration du délai maximal de réponse de 60 jours prévu par la Loi sur la protection des renseignements personnels –, le commissaire à la protection de la vie privée a écrit séparément au demandeur et à la commissaire Lucki de la GRC. Il concluait dans ces deux lettres que la plainte de M. Cumming était [traduction] « bien fondée » et que l’absence de réponse de la GRC à la demande de M. Cumming valait décision de refus de communication aux termes du paragraphe 16(3) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Le commissaire à la protection de la vie privée informait également M. Cumming de son droit de demander à notre Cour le contrôle judiciaire du refus présumé de la GRC.

[5]  Peu après, M. Cumming a déposé devant notre Cour l’avis de demande dont elle est actuellement saisie en vue d’obtenir une ordonnance qui enjoindrait à la GRC de lui communiquer les renseignements personnels demandés.

[6]  En juillet 2019, la GRC a répondu à la demande de renseignements personnels de M. Cumming par une lettre l’informant qu’elle avait effectué une recherche dans ses dossiers, qu’elle avait joint à cette lettre tous les documents auxquels il avait droit, et que certains des renseignements qu’il avait demandés étaient soustraits à l’obligation de communication en vertu de diverses dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Aucun des documents communiqués à M. Cumming n’a été produit devant la Cour.

[7]  Bien qu’il ait reçu communication d’une partie des renseignements demandés, M. Cumming a maintenu sa demande de contrôle judiciaire. Il fait valoir que la communication de la GRC est incomplète et son inaction était en fait une manœuvre dilatoire délibérée.

[8]  La Cour ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants pour expliquer les raisons du retard constaté dans la présente affaire. Il est cependant évident que M. Cumming n’est pas le seul à avoir eu une expérience semblable. Le commissaire à la protection de la vie privée évoquait dans sa lettre de mai 2019 à la commissaire Lucki 16 autres plaintes dont les auteurs déclaraient que la GRC ne leur avait [traduction] « pas répondu dans le délai que prescrit la Loi sur la protection des renseignements personnels ». Comme M. Cumming, ces autres plaignants n’avaient pas encore reçu de réponse de la GRC, et le commissaire à la protection de la vie privée avait conclu au bien-fondé de leurs plaintes.

[9]  Dans sa lettre de mai 2019, le commissaire à la protection de la vie privée attire aussi l’attention de la commissaire Lucki sur un certain nombre d’autres enquêtes, en cours celles‑là :

[traduction] Je souhaite aussi vous informer du fait que notre commissariat mène actuellement un certain nombre d’autres enquêtes à l’égard de la GRC, dont plusieurs concernent le non‑respect des délais […] Nous avons achevé nos enquêtes sur les 17 plaintes déjà examinées, mais nous réfléchissons aux prochaines mesures à prendre à l’égard de ces autres plaintes. Ce qui nous inquiète en particulier, c’est que, malgré ses multiples tentatives d’obtenir des renseignements sur ces dossiers de vos agents chargés de l’AIPRP, notre commissariat n’a pas reçu de réponses satisfaisantes, et même dans certains cas n’en a reçu absolument aucune.

[10]  Le dossier dont dispose la Cour ne fait pas état d’une demande particulière de renseignements ou de séries de demandes qui n’auraient pas reçu de réponse par inadvertance, ni ne donne à penser que les demandes étaient particulièrement complexes. Rien dans le dossier ne tend non plus à indiquer que la GRC aurait fait un quelconque effort pour prévenir M. Cumming qu’elle ne respecterait pas les délais prévus par la loi. En outre, dans sa lettre adressée à la commissaire Lucki, le commissaire à la protection de la vie privée reproche à la GRC de ne pas avoir répondu de manière satisfaisante à ses demandes de renseignements concernant une autre série de plaintes, et même, dans certains cas, de n’y avoir donné absolument aucune réponse. L’avocat du défendeur n’était pas en mesure de donner d’explications sur les problèmes exposés dans la lettre de mai 2019.

[11]  L’indifférence apparente de la GRC à l’égard des obligations que lui impose la Loi sur la protection des renseignements personnels est troublante. J’ai profité de l’occasion pour mettre ces faits en lumière parce qu’ils donnent du poids aux préoccupations que suscitent chez M. Cumming la conduite de la GRC et la procédure d’accès aux renseignements personnels. Les faits exposés dans la lettre de mai 2019 méritent l’attention de la commissaire Lucki si elle n’a pas déjà pris de mesures en réponse à cette lettre.

[12]  Cependant, malgré l’indifférence apparente de la GRC quant à ses obligations sous le régime de la Loi sur la protection des renseignements personnels, la demande de contrôle judiciaire de M. Cumming ne peut être accueillie pour les motifs qui suivent.

II.  Thèses des parties

A.  Thèse du demandeur

[13]  M. Cumming a exposé son argumentation de manière très compétente. Il craint que la Loi sur la protection des renseignements personnels ne soit impuissante à garantir aux Canadiens un accès réel et en temps opportun aux renseignements personnels que détiennent les institutions fédérales à leur sujet. Il soutient que la GRC a agi de mauvaise foi en retardant la communication jusqu’après le dépôt de la présente demande. Il conteste le contenu des documents communiqués, qu’il déclare contenir une description l’associant à la violence. Il s’élève contre le fait que la GRC ne lui a pas communiqué les renseignements sur lesquels se fonde cette association et il fait valoir que ce portrait dressé de lui ne peut que lui nuire dans tous rapports qu’il pourrait avoir avec la police. Enfin, il estime déraisonnable que la Loi sur la protection des renseignements personnels exige qu’il indique le lieu où sont conservés les renseignements personnels; le demandeur d’accès, explique‑t‑il, ne peut savoir quels renseignements pourraient exister ni où ils sont conservés.

[14]  M. Cumming a précisé dans ses observations écrites les mesures de réparation sollicitées dans son avis de demande. Il cherche maintenant à obtenir les dépens, le contrôle judiciaire des passages caviardés, une ordonnance radiant les passages qui associent sa personne à la violence et une communication complète des renseignements personnels que détiennent à son sujet tous les services, divisions et sections de la GRC.

B.  Thèse du défendeur

[15]  Le défendeur fait valoir que la présente demande est dénuée de portée pratique. En effet, on a répondu à la demande de renseignements, il n’existe plus de litige actuel entre les parties et, s’il est vrai que la Cour jouit du pouvoir discrétionnaire d’examiner une question hypothétique, elle devrait s’abstenir de le faire en l’espèce.

[16]  Le défendeur soutient également que toute demande de contrôle de la communication faite par la GRC relativement aux passages caviardés est prématurée parce que le demandeur n’a pas déposé de plainte devant le commissaire à la protection de la vie privée à l’égard de la communication qu’il a reçue en juillet 2019.

[17]  Enfin, le défendeur soutient que, dans le cadre d’un contrôle judiciaire fondé sur l’article 41, la Cour ne peut ordonner à la GRC de radier les passages des documents communiqués qui associent la personne du demandeur à la violence.

III.  Question préliminaire : la modification de l’intitulé de l’instance

[18]  Le demandeur avait désigné la Gendarmerie royale du Canada à titre de défenderesse. Le défendeur avance que, suivant l’article 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, c’est le procureur général du Canada qui doit être désigné comme défendeur. La Cour modifie l’intitulé de l’instance de manière à y désigner comme partie défenderesse le procureur général du Canada au lieu de la GRC (Ménard c Canada (Procureur général), 2018 CF 1260, par. 41).

IV.  Questions en litige

[19]  La présente demande soulève deux questions :

  1. La demande est-elle dénuée de portée pratique?

  2. La demande est-elle prématurée en ce qui concerne la mesure de réparation sollicitée par suite de la réponse de la GRC?

V.  Analyse

A.  La présente demande est sans portée pratique

[20]  Une affaire soulève une question purement théorique ou hypothétique lorsque la décision judiciaire qui serait rendue n’aurait pas de conséquences pratiques sur les droits des parties. Cette absence de portée pratique doit être présente non seulement lorsque l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision (Borowski c Canada (Procureur général) 1 RCS 342, par. 15 [Borowski]). En cas d’absence de litige actuel au moment où elle devra rendre sa décision, la Cour devrait s’abstenir de trancher l’affaire.

[21]  Ce principe général est subordonné au pouvoir discrétionnaire de la Cour de trancher une affaire théorique. Avant d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, la Cour doit prendre en considération trois facteurs, soit 1) s’il subsiste un débat contradictoire entre les parties, 2) s’il est dans l’intérêt de l’économie judiciaire de rendre une décision et 3) si le fait de rendre une décision judiciaire en l’absence de litige actuel serait conforme à la fonction véritable de la Cour dans l’élaboration du droit eu égard au cadre constitutionnel canadien (Borowski, par. 31 à 42).

[22]  L’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dispose que la personne qui s’est vu refuser communication de renseignements personnels, dans le cas où une plainte a été déposée à ce sujet devant le commissaire à la protection de la vie privée et instruite par lui, peut exercer un recours en révision de cette décision de refus devant notre Cour :

Révision par la Cour fédérale dans les cas de refus de communication

41 L’individu qui s’est vu refuser communication de renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à la protection de la vie privée peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 35(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l’expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation.

Review by Federal Court where access refused

41 Any individual who has been refused access to personal information requested under subsection 12(1) may, if a complaint has been made to the Privacy Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Privacy Commissioner are reported to the complainant under subsection 35(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow.

[23]  Les articles 48 et 49 de la Loi sur la protection des renseignements personnels prévoient les mesures de réparation que la Cour peut prononcer lorsqu’elle conclut que le refus de communication n’était pas autorisé :

Ordonnance de la Cour dans les cas où le refus n’est pas autorisé

48 La Cour, dans les cas où elle conclut au bon droit de l’individu qui a exercé un recours en révision d’une décision de refus de communication de renseignements personnels fondée sur des dispositions de la présente loi autres que celles mentionnées à l’article 49, ordonne, aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relèvent les renseignements d’en donner communication à l’individu; la Cour rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

Ordonnance de la Cour dans les cas où le préjudice n’est pas démontré

49 Dans les cas où le refus de communication des renseignements personnels s’appuyait sur les articles 20 ou 21 ou sur les alinéas 22(1)b) ou c) ou 24a), la Cour, si elle conclut que le refus n’était pas fondé sur des motifs raisonnables, ordonne, aux conditions qu’elle juge indiquées, au responsable de l’institution fédérale dont relèvent les renseignements d’en donner communication à l’individu qui avait fait la demande; la Cour rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

Order of Court where no authorization to refuse disclosure found

48 Where the head of a government institution refuses to disclose personal information requested under subsection 12(1) on the basis of a provision of this Act not referred to in section 49, the Court shall, if it determines that the head of the institution is not authorized under this Act to refuse to disclose the personal information, order the head of the institution to disclose the personal information, subject to such conditions as the Court deems appropriate, to the individual who requested access thereto, or shall make such other order as the Court deems appropriate.

Order of Court where reasonable grounds of injury not found

49 Where the head of a government institution refuses to disclose personal information requested under subsection 12(1) on the basis of section 20 or 21 or paragraph 22(1)(b) or (c) or 24(a), the Court shall, if it determines that the head of the institution did not have reasonable grounds on which to refuse to disclose the personal information, order the head of the institution to disclose the personal information, subject to such conditions as the Court deems appropriate, to the individual who requested access thereto, or shall make such other order as the Court deems appropriate.

[24]  Dans la décision Frezza c Canada (Défense nationale), 2014 CF 32 [Frezza], le juge James Russel a récapitulé la jurisprudence concernant la question des mesures de réparation auxquelles peut donner lieu la demande en révision introduite en vertu de l’article 41 :

[57]  Dans Connolly, précité, le juge MacKay a envisagé les implications de l’article 41 au regard de la Loi, et noté ce qui suit :

[8]  Cette disposition doit être lue de concert avec les articles 48 et 49, qui énoncent le pouvoir de la Cour d’agir lorsqu’elle estime que la communication des renseignements personnels demandés a été refusée à tort. Ces dispositions limitent le pouvoir de la Cour à celui d’ordonner la communication, lorsque celle-ci a été refusée contrairement aux dispositions de la Loi.

[…]

[12]  En résumé, étant donné que le demandeur a reçu communication des renseignements qu’il a demandés et [auxquels] il avait droit et que des circonstances existaient lors de la demande de révision fondée sur la Loi sur la protection des renseignements personnels, j’en arrive à la conclusion, malgré l’avis du commissaire à la protection de la vie privée du Canada, que la Cour ne peut accorder aucune réparation au demandeur à l’égard du délai lié à la communication par les défendeurs des renseignements personnels qu’il a demandés en vertu de la Loi.

[Non souligné dans l’original.]

La décision du juge MacKay a été confirmée en appel. La Cour d’appel fédérale a de même estimé dans l’arrêt Galipeau, précité :

[5]  À tout événement, le pouvoir d’intervention conféré à la Cour par l’article 48 de la Loi est consécutif à la nature du recours exercé sous l’article 41. Il se limite à une ordonnance de communication des renseignements demandés.

[Non souligné dans l’original.]

[58]  Plus récemment, la Cour a précisé dans Lavigne 2011, précité, aux paragraphes 13 et 14, que l’article 41 n’autorise à accorder ni déclarations ni dommages-intérêts :

[14]  Dans sa demande, M. Lavigne demande à la Cour de déclarer que la décision Connolly ne devrait pas être suivie et qu’il est possible d’accorder des dommages-intérêts en vertu de l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Je ne crois pas que la Cour puisse faire une telle déclaration. Non seulement la décision Connolly a été confirmée par la Cour d’appel, mais encore elle a été suivie à maintes reprises par la Cour fédérale : voir, par exemple, la décision Keita c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 626, au paragraphe 12; Murdoch c. Canada (Gendarmerie royale), 2005 CF 420. Dans cette décision, M. le juge Noël a fait remarquer :

[22]  La Cour fédérale n’est pas non plus en mesure d’accorder d’autres réparations dans un cas comme le présent. Ainsi qu’il a déjà été signalé, la compétence de la Cour fédérale pour contrôler les décisions du commissaire à la protection de la vie privée se trouve à l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels (pour ce qui est des cas où la communication de renseignements personnels demandée en vertu de l’article 12 a été refusée) et au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales. De plus, le pouvoir de la Cour fédérale d’accorder une réparation en pareil cas se limite essentiellement aux mesures que le commissaire à la protection de la vie privée pouvait lui-même ordonner, c’est‑à‑dire la communication de documents dont la divulgation a été refusée (voir les articles 48 à 50 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales). En l’espèce, il n’y a pas de renseignements de ce genre qui n’ont toujours pas été communiqués. Cette réparation ne serait donc pas appropriée.

[Non souligné dans l’original.]

[25]  Cette jurisprudence montre que le pouvoir de la Cour, lorsqu’elle examine une demande fondée sur l’article 41, se limite à rendre une ordonnance de communication. Dans la présente affaire, la communication a déjà eu lieu, et la Cour n’est pas habilitée à accorder d’autres mesures de réparation.

[26]  Même si M. Cumming avait droit en principe à des mesures supplémentaires de réparation, le fait qu’il ne les ait pas sollicitées dans sa demande initiale, ou par voie de modification de cette demande, empêcherait la Cour de les lui accorder. En effet, l’article 301 des Règles dispose que l’avis de demande doit contenir un énoncé précis de la réparation demandée, ainsi qu’un énoncé complet et concis des motifs invoqués. Ces exigences visent à garantir à la partie adverse une possibilité de réponse (Frezza, par. 54 et 55; SC Prodal 94 SRL c Spirits International B.V., 2009 CAF 88, par. 11 à 15). M. Cumming n’a pas sollicité l’autorisation de modifier son avis de demande.

[27]  Ayant reçu communication des renseignements demandés, M. Cumming conteste maintenant le caractère suffisant de cette communication. Il estime qu’on ne lui a pas communiqué la totalité des documents pertinents et conteste le bien-fondé de la décision prise par la GRC de retenir certains renseignements ou de caviarder certains passages des documents. Le fait que la GRC a communiqué à M. Cumming des renseignements, qu’il juge insuffisants, rend-il la présente affaire théorique? La réponse est, à mon sens, affirmative.

[28]  Dans la décision Sheldon c Canada (Santé), 2015 CF 1385 [Sheldon], le juge René Leblanc a examiné la même question qui se pose en l’espèce, mais dans le contexte de l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A‑1.

[29]  La demanderesse dans l’affaire Sheldon avait demandé des documents sous le régime de la Loi sur l’accès à l’information et n’en avait pas reçu communication dans les délais prescrits. Le commissaire à l’information avait conclu que ce manquement valait refus de communication. La demanderesse a alors introduit une demande de contrôle judiciaire en vue d’obtenir une ordonnance de communication. Après le dépôt de cette demande, elle a reçu communication d’une version caviardée des documents réclamés. Mécontente de cette version et maintenant sa demande de contrôle judiciaire, elle a sollicité une ordonnance qui obligerait l’institution fédérale en cause à lui communiquer une version non caviardée des documents. Le juge Leblanc a décidé qu’il n’est pas loisible à la Cour, dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire visant un refus présumé de communication, d’examiner la nature et le contenu de toute réponse subséquente, si imparfaite et incomplète soit-elle (Sheldon, par. 21).

[30]  Bien qu’elles établissent deux régimes distincts, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information, toutes deux des lois fédérales, se révèlent complémentaires et en harmonie l’une avec l’autre (H.J. Heinz Co. of Canada Ltd. c Canada (Procureur général), 2006 CSC 13 [Heinz], par. 33 et 34). L’interprétation d’une disposition de la Loi sur l’accès à l’information peut donc remplir une fonction instructive dans l’examen d’une disposition parallèle de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[31]  L’introduction devant notre Cour d’une demande fondée sur l’article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels n’est possible qu’après le dépôt d’une plainte devant le commissaire à la protection de la vie privée et son instruction par celui‑ci. Le pouvoir conféré audit commissaire par cette loi se limite à la formulation de recommandations aux institutions fédérales en cause. L’article 41 prévoit un mécanisme permettant au demandeur de renseignements d’obtenir l’exécution de ces recommandations en sollicitant une ordonnance de communication auprès de la Cour fédérale. Les mesures de réparation que la Cour peut accorder sont limitées par les termes et le contexte de la recommandation du commissaire à la protection de la vie privée. Autrement, la Cour s’arrogerait le rôle du commissaire à la protection de la vie privée dans le régime des plaintes et ne bénéficierait pas de l’expertise de ce dernier quant à l’examen des demandes. Les questions qui découlent maintenant de la communication partielle diffèrent en nature de la question de la non-communication antérieurement examinée par le commissaire à la protection de la vie privée.

[32]  Comme dans l’affaire Sheldon, la recommandation du commissaire à la protection de la vie privée se rapporte en l’espèce à une présomption de refus découlant du fait que la GRC n’a donné aucune réponse à la demande de renseignements personnels de M. Cumming. Or, celui‑ci a obtenu réparation à l’égard de ce refus de communication. Le différend ayant donné lieu à la demande fondée sur l’article 41 a donc été réglé, de sorte que l’affaire est maintenant dénuée de portée pratique. Le demandeur a reçu, à l’égard du refus présumé, la réparation que notre Cour aurait été habilitée à prononcer à cet égard, et rien ne laisse penser qu’elle devrait quand même exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire l’affaire.

  1. La présente demande est-elle prématurée?

[33]  M. Cumming n’a pas introduit devant le commissaire à la protection de la vie privée de plainte quant au caractère insatisfaisant pour lui de la communication partielle qu’il a reçue. Or, le dépôt d’une plainte devant ledit commissaire en cas de refus de communication est une condition préalable à la présentation d’une demande fondée sur l’article 41 (Heinz, par. 79). Comme M. Cumming n’a pas déposé de plainte devant le commissaire à la protection de la vie privée concernant le caractère satisfaisant des renseignements communiqués et que ce dernier n’a pas mené d’enquête, il est prématuré de sa part de demander réparation à la Cour à cet égard.

VI.  Dépens

[34]  Le défendeur a déclaré lors de sa plaidoirie qu’il ne demanderait pas de dépens.

[35]  M. Cumming n’a pas eu gain de cause, et normalement la partie déboutée n’a pas droit aux dépens. L’article 400 des Règles dispose toutefois que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer. Le résultat de l’instance n’est que l’un des facteurs dont la Cour peut tenir compte.

[36]  La manière dont la GRC a traité la plainte de M. Cumming est un facteur pertinent quant à l’examen de la question des dépens. Je relève à cet égard que la GRC n’a donné à M. Cumming aucune information sur l’évolution des recherches ni aucune explication concernant le retard à lui répondre, que ce soit avant sa plainte ou après la conclusion de l’enquête. La Cour adjuge à M. Cumming des dépens de 200 $, somme qui représente les dépenses qu’il a engagées pour déposer la présente demande et se rendre au lieu de l’audience.


JUGEMENT dans le dossier T‑883‑19

LA COUR STATUE que :

  1. L’intitulé de l’instance est modifié de manière à ce que le procureur général du Canada soit désigné comme partie défenderesse au lieu de la Gendarmerie royale du Canada.

  2. La demande est rejetée.

  3. Il est adjugé au demandeur un montant fixe de 200 $ au titre des dépens.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de mars 2020

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑883‑119

 

INTITULÉ :

DALE MURRAY CUMMING c LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 20 FÉVRIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Dale Murray Cumming

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Alexander Brooker

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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