Ottawa (Ontario), le 28 décembre 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu, en date du 14 avril 2005, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger suivant les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La conclusion de la Commission était fondée sur un manque de crédibilité du récit allégué par le demandeur.
[2] Le demandeur, Abduletif Abas Tosha, est un citoyen de l'Éthiopie qui prétend craindre d'être persécuté du fait de ses opinions politiques réelles ou présumées. Il craint d'être persécuté par le gouvernement éthiopien qui, selon ce qu'il prétend, le soupçonne d'être membre du Front de libération oromo (FLO).
[3] Le demandeur prétend que sa maison a fait l'objet d'une fouille à deux reprises, en août et en décembre 1992. Il prétend de plus que, en février 1993, il a été arrêté, qu'on lui a bandé les yeux, qu'on l'a battu et abandonné sur une colline à Addis-Abeba.
[4] Le demandeur déclare qu'il a été muté à son emploi à Ciro dans l'est de l'Éthiopie en 1993, où il a été détenu et interrogé par trois agents de sécurité à l'égard du FLO. Il a nié être membre du FLO et il déclare qu'il a été torturé par les agents de sécurité et que ses parents ont réussi à obtenir sa libération huit jours plus tard après avoir payé un pot-de-vin.
[5] Le demandeur a été élu membre du Parlement (MP) à Addis-Abeba en 1995. Il prétend qu'il s'est opposé à un projet de loi (se rapportant à la construction d'aéroports) déposé par le président de la Chambre des communes en février 1996. Il prétend que sa vie a été menacée parce qu'il s'était opposé à ce projet. Le cousin du demandeur, qui était ministre de la Santé à ce moment, a apparemment été capable de muter le demandeur à son ministère de la Santé en tant que directeur.
[6] Le demandeur prétend en outre qu'il a été détenu en juillet 1998 parce qu'il avait parlé la langue oromo dans un restaurant, de sorte qu'il a été accusé une fois de plus d'être membre du FLO et qu'il a été détenu pendant trois jours.
[7] En 1998, le cousin du demandeur a réussi à prendre des dispositions pour que le demandeur participe à un programme de formation de trois mois à Boston, au Massachusetts, aux États-Unis. Le demandeur s'est rendu à Boston et il a demandé l'asile aux États-Unis en septembre 1998. Sa demande aux États-Unis a été refusée de même que l'a été l'appel qu'il a présenté à cet égard. On a ordonné son renvoi des États-Unis le 27 novembre 2002. Il est venu au Canada et il a présenté une demande d'asile le 8 mars 2003. Le 27 avril 2005, la Commission a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger.
[8] La Commission a examiné la demande présentée par le demandeur et a conclu qu'il n'était pas un témoin digne de foi. La Commission, dans sa décision datée du 27 avril 2005, a conclu que le demandeur n'avait pas rendu un témoignage digne de foi quant aux incidents qui l'auraient exposé à un danger. La Commission a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve dignes de foi permettant d'établir un lien entre le demandeur et le FLO et ses partisans et elle a conclu que le demandeur a inventé son récit selon lequel il était soupçonné d'être membre du FLO afin d'étayer sa demande d'asile. La Commission a conclu qu'il y a seulement une simple possibilité que le demandeur soit exposé à de la persécution en Éthiopie en tant que personne soupçonnée d'être membre du FLO du fait de ses opinions politiques perçues ou pour tout autre motif prévu par la Convention.
[9] La Commission a conclu, notamment, que le gouvernement de l'Éthiopie ne laisserait jamais un individu soupçonné d'être membre du FLO être élu membre du Parlement ou être promu à un poste de directeur dans un ministère du gouvernement de l'Éthiopie, en particulier après qu'il y a eu une allégation de persécution.
[10] La Commission a en outre conclu que le témoignage du demandeur selon lequel le ministre de la Santé, son cousin, avait été détenu en 1998 ou 1999 parce qu'il l'avait aidé à quitter le pays n'est pas digne de foi. On a présenté au demandeur de la preuve documentaire montrant que le ministre de la Santé était encore en fonction en 2000, mais non en 2001, ce qui donnait à penser qu'il était possible qu'il n'ait pas été élu lors des élections de 2000. Le demandeur n'a pas répondu à la preuve à cet égard.
[11] La Commission mentionne ensuite les divergences entre les notes du demandeur au point d'entrée (PDE), datées du 7 mars 2003, et son témoignage de vive voix, faisant remarquer que les incohérences portaient encore plus atteinte à sa crédibilité.
[12] La Commission fait des commentaires quant au manque de crédibilité du témoin présenté par le demandeur et souligne les incohérences contenues dans le témoignage du témoin.
[13] La Commission conclut que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger.
[14] La seule question en litige dans la présente demande est celle de savoir si la décision de la Commission à l'égard de la crédibilité du demandeur a été rendue d'une manière raisonnable. La décision de la Commission n'est susceptible de contrôle que si elle a été rendue de façon abusive ou arbitraire sans que les éléments de preuve dont elle disposait aient été correctement pris en compte.
[15] Le demandeur prétend que la Commission a erronément conclu qu'il était impossible qu'il puisse être soupçonné d'être un partisan ou un membre du FLO et autorisé à être élu au Parlement et qu'il puisse conserver son emploi dans le gouvernement éthiopien jusqu'à son départ.
[16] Le demandeur prétendait que la preuve documentaire sur laquelle la Commission se fondait n'est pas suffisante pour appuyer sa décision sous-jacente (manque de crédibilité et invention du fait qu'il soit membre du FLO), qui constitue sa conclusion essentielle et le fondement de la plupart des conclusions et des décisions de la Commission. Le demandeur conteste en particulier la conclusion de la Commission à l'égard de l'appartenance au FLO. Il n'y a pas de doutes qu'il y avait des critiques quant aux efforts du gouvernement, mais on prétend que les répercussions n'étaient pas aussi punitives comme l'a conclu la Commission. Mon examen de la preuve documentaire, en particulier du rapport du Human Rights Watch de 2002, montre que le gouvernement a interdit le FLO pendant dix ans et qu'il y a eu des arrestations et des détentions de membres ou partisans allégués du FLO et que cette menace était toujours présente en 2002.
[17] Le demandeur se fonde sur un bref commentaire du rapport du Human Rights Watch pour 2003 qui énonce [traduction] « que le gouvernement suspend les enseignants et les fonctionnaires s'ils sont soupçonnés d'être des membres ou des partisans du FLO » et qui donne à penserqu'il s'agit là de l'étendue de la persécution ou des difficultés auxquelles une personne serait exposée. À titre de réfutation de l'allégation du demandeur, la Commission mentionne que la conclusion quant au sort grave que subissent en fin de compte les militants du FLO est plus digne de foi et fiable.
[18] Je partage l'opinion selon laquelle la Commission a pu faire certaines interprétations erronées mineures quant aux faits, mais ces interprétations ne sont pas fatales quant à sa conclusion d'ensemble.
[19] Comme la Commission l'a souligné, elle n'accepte pas le fait que le demandeur ait pu conserver ses emplois au sein du gouvernement depuis 1988, qu'il ait été muté ailleurs au pays, qu'il ait été élu membre du Parlement, qu'il ait eu une promotion à un poste de directeur et qu'il ait été choisi pour assister à un cours de trois mois à Boston, au Massachusetts, s'il était d'une façon ou d'une autre soupçonné d'être membre du FLO.
[20] L'appréciation d'ensemble porte sur la crédibilité et il s'agit d'un domaine pour lequel les cours doivent faire preuve de la retenue qui s'impose envers la Commission. La Cour fédérale a exposé le processus de contrôle d'une conclusion quant à la crédibilité dans la décision R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 162, aux paragraphes 7 et 8 :
¶ 7 L'évaluation de la crédibilité d'un demandeur constitue l'essentiel de la compétence de la Commission. La Cour a statué que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur : voir Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. 1800, au paragr. 38 (QL) (1re inst.); Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragr. 14.
¶ 8 En outre, il a été reconnu et confirmé qu'en ce qui concerne la crédibilité et l'appréciation de la preuve, la Cour ne peut pas substituer sa décision à celle de la Commission si le demandeur n'a pas réussi à établir que la décision de la Commission était fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu'il soit tenu compte des éléments dont elle disposait : voir Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296, au paragr. 14 (QL) (1re inst.) (Akinlolu); Kanyai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 1124, au paragr. 9 (QL) (1re inst.) (Kanyai); le motif de contrôle prévu à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.
[21] De plus, la Cour fédérale a mentionné ce qui suit dans la décision Gabissova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 426, au paragraphe 3 :
Il a été clairement établi que l'évaluation de la crédibilité d'un demandeur d'asile constitue l'essentiel de la compétence de la Commission (R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 162 au paragraphe 7 (C.F. 1re inst.) (QL) et (2003), 228 F.T.R. 43. En d'autres termes, il est reconnu que la Commission a une expertise bien établie pour statuer sur des questions de fait, et plus particulièrement pour évaluer la crédibilité et la crainte subjective de persécution d'un demandeur d'asile. En l'espèce, la demanderesse ne m'a pas convaincu que la conclusion générale de non crédibilité du tribunal est capricieuse ou arbitraire, et ce, même si certaines conclusions factuelles du tribunal peuvent paraître contestables ou inexactes. D'autre part, même si je ne partage pas nécessairement l'interprétation que donne par le tribunal quant à certains aspects de la preuve documentaire, la décision du tribunal s'appuie sur la preuve et ne m'apparaît pas manifestement déraisonnable. Il ne s'agit pas non plus d'un cas où il est manifeste que l'accumulation d'erreurs de toutes sortes, qu'elles soient déterminantes ou non, laisse planer un doute sur la justesse des autres conclusions (Haji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1266 au para. 14 (C.F. 1re inst.) (QL)).
[22] La retenue qui doit être accordée à la Commission à l'égard d'une décision quant à la crédibilité est d'un niveau très élevé. L'appréciation de la crédibilité constitue, comme la Cour l'a mentionné dans la décision RKL, précitée, l' « essentiel » de la compétence de la Commission.
[23] Dans la présente affaire, je suis d'avis que l'analyse de la Commission s'appuyait correctement sur les éléments de preuve pertinents et qu'elle ne peut pas être modifiée par la Cour.
[24] Chacune des conclusions tirées par la Commission a été tirée à l'égard de l'invraisemblance du témoignage du demandeur et de celui de son témoin et des incohérences y contenues. Aucune des conclusions importantes n'a été tirée de façon abusive ou arbitraire sans qu'il ait été correctement tenu compte des éléments de preuve. La Commission peut tirer des conclusions fondées sur l'invraisemblance, ce qu'elle a fait à l'égard de l'élection du demandeur en tant que membre du Parlement et à l'égard du poste élevé qu'il occupait dans un ministère gouvernemental. La conclusion de la Commission selon laquelle il était peu vraisemblable qu'un individu soupçonné d'être un partisan du FLO occupe un tel poste est une conclusion raisonnable.
[25] Il est bien reconnu en droit que la Commission peut se fonder sur l'invraisemblance de la preuve fournie par le demandeur et sur les incohérences contenues dans cette preuve. C'est ce que la Commission a fait dans la présente affaire.
[26] Je suis d'avis que les conclusions tirées par la Commission à l'égard de l'invraisemblance du récit du demandeur et des incohérences y contenues, et du récit de son témoin, sont raisonnables et que la décision de la Commission ne peut être modifiée. L'incapacité du demandeur à traiter des contradictions entre son affirmation selon laquelle l'ancien ministre de la Santé avait perdu son poste et avait été détenu, parce qu'il avait aidé le demandeur à quitter l'Éthiopie, et la preuve documentaire donnant à penser que le ministre était encore en fonction en 2000 pouvait être considérée comme un peu trompeuse, mais elle n'était néanmoins pas essentielle quant à la conclusion d'ensemble et je dois conclure que la décision de la Commission est raisonnable.
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3012-05
INTITULÉ : ABDULETIF ABAS TOSHA
c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 14 DÉCEMBRE 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE ROULEAU, J.S.
DATE DES MOTIFS : LE 28 DÉCEMBRE 2005
COMPARUTIONS :
B. Pfeiffer |
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Catherine Lawrence R. Rothchild |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pfeiffer & Associates
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John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada |