Date : 20010215
Dossier : T-469-00
Référence : 2001 CFPI 79
ENTRE :
RICARDON FEDERIZON
appelant
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
intimé
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
Le juge Muldoon (à l'audience)
[1] L'un des aspects désagréables de la fonction de juge, même si de nombreux avocats aspirent encore à cette charge, est qu'à la fin de chaque affaire, il faut rendre une décision et, lorsque deux parties s'affrontent, il y a toujours un gagnant et un perdant. C'est une tâche difficile parce que personne n'aime désappointer les parties à un litige. En particulier celles qui présentent une demande de citoyenneté.
[2] Et c'est le cas en l'espèce. Il s'agit d'une demande présentée par Ricardon Federizon afin d'obtenir l'infirmation, l'annulation du refus d'un juge de la citoyenneté de recommander que la citoyenneté canadienne lui soit attribuée. Le juge de la citoyenneté était le juge William Day; il a rendu sa décision le 11 janvier 2000 et il n'a pas approuvé la demande de citoyenneté présentée par l'appelant. C'est pourquoi, s'appuyant sur la Loi sur la citoyenneté et sur la Loi sur la Cour fédérale, M. Federizon s'est adressé à notre Cour pour faire corriger, à son avis, la décision du juge de la citoyenneté.
[3] La Cour a mentionné plus tôt dans ses discussions avec les avocats qu'il existe un arrêt qui fait autorité dans les appels interjetés en matière de citoyenneté et qu'il s'agit de la décision Re: Papadogiorkakis, nom qui intimide les gens parce qu'il est difficile à prononcer. On trouve la décision Papadogiorkakis dans [1978] 2 C.F. 208. Cette décision a été rendue par un juge éminent, bien connu et respecté, l'ancien juge en chef adjoint Thurlow. Elle est le plus souvent citée dans les appels dans lesquels l'appelant n'est pas d'accord avec la décision du juge de la citoyenneté et ses conclusions sur les conditions de résidence énoncées dans la Loi sur la citoyenneté.
[4] La Cour ne s'attardera pas en détail sur la décision Papadogiorkakis parce qu'elle est bien connue. Mais elle soulignera toutefois, comme cela s'est produit aujourd'hui, que dans le même volume du Recueil des arrêts de la Cour fédérale, un autre juge compétent, apprécié et réputé, le juge Walsh, a rendu une décision dans l'affaire Re: Khoury, publiée à [1978] 2 C.F. 75. C'est donc dire dans le même volume du Recueil des arrêts de la Cour fédérale. La raison pour laquelle il est important de mentionner ces deux décisions est qu'en fait, on y tire des conclusions opposées. Le juge en chef Thurlow a accueilli la demande de citoyenneté; le juge Walsh l'a rejetée dans l'affaire dont il avait été saisi, l'affaire Khoury.
[5] On trouve dans le sommaire de la décision Khoury un passage qui, selon la Cour, pourrait être versé au dossier; le voici :
Arrêt : l'appel est rejeté. Quoique l'appelant se soit peut-être considéré comme un résident permanent du Canada à la suite de son admission, il ne peut certainement pas être considéré comme un résident au sens de cet article pendant les périodes où il résidait effectivement à l'étranger par suite de ses affectations professionnelles. Rien ne justifie l'interprétation de « résidence » comme synonyme de « domicile » .
Le juge de la citoyenneté a envisagé la possibilité de recommander l'exercice de la discrétion ministérielle. Cependant, la dérogation aux conditions de résidence prévue pour « toute personne atteinte d'une incapacité » n'est pas applicable en l'espèce. La seule possibilité ouverte à l'appelant réside dans le fait que le gouverneur en conseil peut ordonner au Ministre d'accorder la citoyenneté « Pour remédier à des situations particulières et exceptionnelles de détresse ou pour récompenser les services d'une valeur exceptionnelle rendus au Canada » .
[6] Ainsi, même si le juge Walsh a pensé que le cas Habib Khoury présentait certains aspects suscitant la sympathie, il a néanmoins conclu que M. Khoury ne satisfaisait pas aux critères établis dans la Loi sur la citoyenneté et, par conséquent, que la demande devait être rejetée.
[7] Le mot « domicile » semble avoir parfois gêné certains juges de notre Cour. On pourrait mentionner que le mot « domicile » et le mot « résidence » sont utilisés - en particulier le mot « résidence » - dans les versions française et anglaise de la décision Moa-Song Chang de la Cour fédérale. Il s'agissait du dossier T-1183-97. Dans cette affaire, la Cour a examiné le mot « résidence » dans les deux langues officielles. En fait, on trouve dans les différents passages de cette décision une citation des parties pertinentes des sous-alinéas 5(1)c)(i) et (ii) de la Loi sur la citoyenneté. Après les avoir examinés, la Cour a dit « Voilà une décision qui se range parmi les textes les plus clairs et les plus nets que le législateur ait jamais adoptés » . Et le juge en la présente espèce dit « Ainsi soit-il » puisque c'est lui qui a rédigé cette décision.
[8] Et le juge en la présente espèce est d'avis qu'il s'agit carrément d'un scandale, que la division des avis de la Cour est carrément un scandale en ce qui concerne un texte législatif aussi clair et aussi net. Il confond les juges de la citoyenneté, il confond les avocats. Les avocats donnent peut-être de faux espoirs à leurs clients. Certes, parfois, ils leur donnent de l'espoir et cet espoir est justifié, mais l'espoir, semble-t-il au juge en la présente espèce, ne correspond pas aux dispositions de la Loi sur la citoyenneté.
[9] Au paragraphe [7] de la décision Chang, on trouve ce qui suit :
Les mots « résidence » ou « résidant » ont incité certains juges à une certaine interprétation fantaisiste au fil des ans, mais eux aussi sont clairs et nets. Ils ne signifient pas absence, mais présence. Ces deux mots ont le même sens en anglais qu'en français. Il n'y a aucune différence de concept d'une langue à l'autre.
et la Cour a ensuite examiné les définitions que l'on trouve du mot « résidence » dans le Canadian Dictionary et dans Le Petit Robert et a inséré ces définitions dans le jugement, dans le texte même du jugement.
[10] La Cour a demandé dans cette affaire « Pourquoi une condition de résidence est-elle nécessaire? » au par. [14] :
Il est clair à mon sens que le législateur refuse d'accorder la citoyenneté canadienne aux étrangers, et qu'il exige que le candidat à la citoyenneté réside au Canada pendant trois ans au moins au cours des quatre années qui précèdent la date de sa demande pour qu'il ait le temps de « se canadianiser » . Il se peut que certains puissent atteindre ce stade en moins de temps que la période prescrite par le législateur, mais c'est à celui-ci seul qu'il appartient de prescrire le temps nécessaire, et non au demandeur ou au juge.
Si l'objectif de l'alinéa 5(1)c) est clair, il faut noter que le législateur n'emploie pas le mot « canadianiser » (si tant est qu'il existe), mais fixe les années, composées de jours de résidence.
[11] Ainsi, lorsque l'on parle de jours et de demi-jours de résidence, la seule conclusion possible est que le législateur voulait parler de présence au Canada. Il serait très difficile de diviser une semaine en demi-jours pendant lesquels le demandeur serait parfois présent et parfois non présent.
[12] Et il ressort clairement du sens du mot « résidence » qu'il commande, et signifie, la présence et non l'absence.
[13] Examinant l'affaire en l'espèce, la Cour se reporte à une autre décision antérieure du présent juge, Re: Pourghasemi [1993] 19 ILR (2e édition), 259, aux p. 260 et 261. L'extrait de la décision Pourghasemi citée à la page 9 du dossier de demande de l'intimé est le suivant :
Il est évident que l'alinéa 5(1)c) vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d'acquérir, au préalable la possibilité quotidienne de « se canadianiser » . [...] Ainsi donc, ceux qui entendent partager volontairement le sort des Canadiens en devenant citoyens du pays doivent le faire en vivant parmi les Canadiens, au Canada, durant trois des quatre années précédant la demande, afin de se canadianiser. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut faire à l'étranger, car la vie canadienne et la société canadienne n'existent qu'au Canada, nulle part ailleurs.
[14] On peut se demander si la Cour n'adopte pas ici une position trop rigide, mais pourtant, il doit y avoir résidence durant trois des quatre années précédant la demande. En d'autres mots, le législateur dit au demandeur ou à tout demandeur qu'il peut être absent durant l'équivalent d'un quart de la période présente. Il peut être absent pendant une année entière et cela comptera néanmoins dans sa demande de citoyenneté. Cela peut sembler aller à l'encontre de ce que la Cour a dit au sujet de l'obligation d'être au Canada, mais c'est le législateur qui est habilité à établir les règles de droit applicables à la citoyenneté dans ce pays et il a dit que la personne doit être présente, doit être résidant durant trois des quatre années précédant la demande.
[15] En l'espèce, les avocats s'entendaient, ce qui est toujours une chose agréable, sur le nombre de jours. Le nombre requis de jours de résidence au Canada est de 1 095 et - si la Cour peut trouver la page sur laquelle il est indiqué dans les motifs du juge de la citoyenneté, ce qu'elle trouvera incessamment, à moins que les avocats ne s'en souviennent.
Mme SOOD : Oui, monsieur le juge, c'est à la page 8 du dossier certifié.
LA COUR : À la page 8, merci. Le juge de la citoyenneté Day a fait la conclusion suivante dans ses motifs :
[Traduction]
Durant la période de quatre ans examinée vous...
signifiant le demandeur,
... avez été absent du Canada pendant 870 jours et présent au Canada pendant 590 jours, ce qui représente un déficit de 505 jours par rapport au nombre de jours prescrit par la loi.
Les avocats des deux parties ont reconnu que c'était exact et, par conséquent, la Cour considère elle aussi que c'est le cas puisqu'elle peut difficilement faire autre chose que d'adopter ce sur quoi les avocats des deux parties s'entendent.
[16] Il en résulte, selon la Cour qui n'en arrive pas à cette conclusion de gaieté de coeur et qui éprouve beaucoup de sympathie à l'égard de la déception de l'appelant, que l'appel doit être rejeté, que le juge de la citoyenneté a statué correctement sur la demande de citoyenneté et que nul besoin n'est, en fait qu'il n'y a aucun droit, de soumettre l'affaire à l'examen d'une autre partie.
[17] L'appel est rejeté.
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : T-469-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : RICARDO FEDERIZON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE ; Vancouver (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : 1er février 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Muldoon en date du 15 février 2001
ONT COMPARU :
Brian Tsuji pour l'appelant
Rama Sood pour l'intimé
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Brian Edward Tadayoshi Tsuji pour l'appelant
Vancouver (C.-B.)
Morris Rosenberg pour l'intimé
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)