Date : 20200213
Dossier : IMM‑2483‑19
Référence : 2020 CF 245
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 13 février 2020
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE :
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ABDULGAFAR ADESEYE TOWOLAWI
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
M. Towolawi est un citoyen du Nigéria qui déclare être bisexuel et qui demande l’asile pour ce motif. Le 25 juillet 2018, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR] a conclu qu’il n’était pas crédible et a rejeté sa demande. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la SPR le 25 mars 2019. La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la SAR a rejeté la demande du demandeur.
[2]
Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire. La SAR a évalué de façon raisonnable la crédibilité de M. Towolawi ainsi que la preuve supplémentaire, et a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR en raison de sa bisexualité.
II.
Contexte
[3]
M. Towolawi affirme être bisexuel et avoir eu trois relations avec des hommes, dont deux avant son arrivée au Canada. Il explique que sa première relation homosexuelle a débuté en 2006, avec un ami de la famille plus âgé que lui, pendant ses études universitaires, et a pris fin quand son partenaire a reçu son diplôme, a révélé son orientation sexuelle à ses parents et a quitté le Nigéria. Comme il craignait ce qui l’attendait à la suite de l’aveu de son ex-partenaire et qu’il voulait cacher ses propres agissements, M. Towolawi a recommencé à fréquenter des femmes. Il est tombé amoureux et a épousé en 2012 celle qui est aujourd’hui son ex‑épouse. Le mariage n’a toutefois pas duré puisqu’ils étaient tous les deux malheureux. Ils se sont séparés deux ans après s’être mariés et ont divorcé en 2016.
[4]
M. Towolawi a entamé une nouvelle relation homosexuelle en mai 2015 avec un homme qu’il appelait « Tunde »
. Ils se sont rencontrés dans une boîte de nuit gaie que M. Towolawi avait découverte en ligne. Les deux hommes ont noué une relation, qu’ils ont maintenue jusqu’à ce que M. Towolawi vienne au Canada pour y passer des vacances et décide de rester au pays.
[5]
M. Towolawi est arrivé au Canada en septembre 2016, muni d’un visa de visiteur, pour y passer deux semaines de vacances. Il affirme qu’il a tant aimé son expérience qu’il a décidé de prolonger son séjour pour pouvoir en voir davantage, y compris la neige, et de retourner au Nigéria pour Noël. Or, à la fin de novembre 2016, la « sœur »
de M. Towolawi [il s’agit en réalité d’une cousine avec laquelle il aurait grandi et qu’il appelle sa sœur] lui aurait téléphoné et l’aurait informé que la police le recherchait après avoir découvert qu’il entretenait une relation homosexuelle avec Tunde. M. Towolawi explique qu’un ami lui a par la suite dit que Tunde avait été surpris avec un autre homme. La famille de Tunde s’est alors emparée des biens de ce dernier et a découvert sur l’ordinateur portable des photos de Tunde en compagnie de M. Towolawi, photos qu’elle aurait confiées à la police. La cousine de M. Towolawi lui aurait dit que la communauté de ce dernier était désormais au courant de son orientation sexuelle et qu’il serait lynché s’il retournait chez lui.
A.
Décision de la SPR
[6]
La SPR a tenu une audience le 19 juin 2018. Le ministre a été autorisé à intervenir sur la question de la crédibilité et à présenter des éléments de preuve de dernière minute, à savoir des données biométriques américaines, conformément à l’article 70 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012 ‑256. La SPR a également accepté que les deux parties présentent des observations après l’audience, malgré le fait que M. Towolawi a déposé les siennes en retard, sans explication ni demande de prorogation du délai.
[7]
Le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est présumé vrai à moins qu’il existe des raisons valables de douter de sa véracité, mais la SPR a conclu que cette présomption était réfutée en l’espèce en raison des divergences et des incohérences quant aux antécédents de M. Towolawi au Nigéria et au Canada, lesquelles ont à leur tour semé un doute sur la véracité du reste de la demande d’asile. Vu les nombreuses conclusions défavorables quant à la crédibilité, la SPR n’a pas reconnu à M. Towolawi la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger, et elle a rejeté sa demande d’asile. Les préoccupations quant à la crédibilité soulevées par la SPR gravitaient autour des aspects suivants :
- les importantes incohérences entre la demande de visa de M. Towolawi, présentée à un moment où il ne subissait aucune contrainte, c.‑à‑d. avant de connaître quelque difficulté que ce soit au Nigéria [ce qui explique pourquoi ont été privilégiés les renseignements sur les études, l’activité professionnelle et l’état matrimonial contenus dans la demande de visa] et ses formulaires d’immigration et son témoignage, ce qui a donné lieu à la conclusion qu’il n’était pas crédible;
- le fait qu’il n’ait pas raisonnablement expliqué pourquoi il avait omis de divulguer ses précédentes tentatives pour obtenir des visas aux É.‑U. et au R.‑U. [il a en outre admis n’avoir examiné aucun des formulaires de demande d’asile dans leur intégralité bien qu’il les ait tous déclarés exacts et complets], ce qui a donné lieu à la conclusion que ses formulaires d’immigration remplis au Canada n’étaient pas fiables et ne corroboraient pas ses antécédents et son témoignage;
- le caractère embrouillé et évasif du témoignage de M. Towolawi quant à la raison pour laquelle il a obtenu un nouveau passeport en novembre 2014, lequel lui a permis de venir au Canada, alors que son ancien passeport [dont il s’est servi pour ses demandes de visa précédentes aux É.‑U. et au R.‑U.] ne devait expirer qu’en mai 2016 [il a déclaré que le passeport était expiré ou avait vraisemblablement été endommagé, et qu’il ne se souvenait si son ancien passeport avait été tamponné de quelque façon que ce soit quand les visas lui avaient été refusés], ce qui a donné lieu à la conclusion qu’il avait délibérément dissimulé ses tentatives d’immigration dans d’autres pays. Par ailleurs, le conseil de M. Towolawi a évoqué l’existence d’une [traduction]
« contre-preuve »
, mais M. Towolawi n’est pas arrivé à produire celle‑ci avant l’audience, et ni lui ni son conseil n’ont offert ou demandé de le faire après l’audience;- le témoignage évasif et trompeur de M. Towolawi au sujet de ses intentions à venir au Canada et de son séjour au Canada, y compris l’absence de preuve à l’appui de son prétendu séjour dans un hôtel [dont le nom et l’emplacement lui échappent, tout comme la durée du séjour] avant de se rendre au refuge mentionné dans son formulaire Annexe A [apparemment par manque d’argent, plutôt que de retourner au Nigéria] et de la modification de son vol de retour au Nigéria, ce qui a donné lieu à la conclusion qu’il n’était pas venu au Canada dans le seul but d’y passer des vacances;
- les incohérences entre les dates où M. Towolawi prétend avoir été aux études et avoir entretenu sa première relation homosexuelle, ce qui a donné lieu à la conclusion que la relation avait été fabriquée pour renforcer sa demande d’asile;
- l’absence d’explication raisonnable quant à l’incapacité de M. Towolawi à fournir suffisamment d’éléments de preuve, tels des courriels, des messages téléphoniques, des relevés d’appels vidéo ou des messages textes, susceptibles de corroborer ses antécédents avec Tunde [éléments de preuve qu’il prétend avoir perdus quand son téléphone a cessé de fonctionner en janvier 2017, bien qu’il ait été capable de fournir des photos de Tunde qu’il aurait transférées sur une clé USB à partir du téléphone en question, sur les conseils de son avocat, avant que le téléphone ne cesse de fonctionner], ce qui a donné lieu à la conclusion que son témoignage n’était pas crédible et qu’il n’était pas arrivé à établir qu’il avait eu une relation homosexuelle avec Tunde et que son orientation sexuelle était maintenant connue au Nigéria;
- l’absence d’explication raisonnable quant au fait que M. Towolawi n’ait pas mentionné dans la version modifiée de son formulaire Fondement de la demande d’asile [le FDA], signée en mai 2018, que sa cousine lui aurait dit que quelqu’un l’avait vu [ou avait vu quelqu’un qui lui ressemblait] porter un drapeau et défiler à une parade de la fierté gaie [au Canada] en 2017, et au fait que ce renseignement ne figurait pas non plus dans l’affidavit produit par sa cousine à l’appui de sa demande d’asile, ce qui a jeté le discrédit sur sa prétention qu’il craignait pour sa vie s’il retournait au Nigéria du fait que son orientation sexuelle y avait été révélée et a amené la SPR à conclure qu’il avait probablement embelli ce détail à l’audience pour renforcer sa demande d’asile.
[8]
En raison des préoccupations relatives à la crédibilité énoncées ci‑dessus, la SPR n’a accordé aucun poids à ce qui suit : les affidavits de la mère et de la cousine de M. Towolawi [lesquelles n’ont pas pu être contre-interrogées puisqu’elles n’avaient pas été assignées comme témoins à l’audience, mais dont les témoignages revenaient à dénoncer l’orientation sexuelle de M. Towolawi aux autorités au Nigéria]; un message texte de la cousine de M. Towolawi [selon lequel la police et les frères de Tunde étaient allés chez lui au Nigéria, à sa recherche] et des photos de lui et de Tunde, ensemble, au Nigéria [qui ne suffisaient pas à établir l’existence de la présumée relation homosexuelle].
[9]
En raison des préoccupations relatives à la crédibilité énoncées ci‑dessus, la SPR a conclu que les éléments de preuve ci‑dessous, fournis par M. Towolawi, étaient peu probants, n’établissaient pas son orientation sexuelle selon la prépondérance des probabilités et avaient pour but de renforcer sa demande d’asile :
une lettre d’appui de l’organisation Africains(nes) unis(es) contre le SIDAindiquant que M. Towolawi avait été un bénévole, qu’il avait pris part à un programme africo‑queer et qu’il avait participé à d’autres activités au sein de la communauté [sans pour autant confirmer son orientation sexuelle alléguée, soit sa bisexualité];
un certificat attestant qu’il avait suivi la formation de la Black Coalition for AIDS Prevention [Coalition des Noirs pour la prévention du sida] sur les compétences de base des bénévoles;
une lettre d’appui du groupe de soutien pour réfugiés LGBTQ appelé
« Among Friends »
du Centre communautaire 519 indiquant que M. Towolawi avait régulièrement assisté et participé à des réunions du groupe appelé« A Place to Talk »
[sans pour autant confirmer son orientation sexuelle alléguée, soit sa bisexualité];une lettre d’Access Alliance indiquant que M. Towolawi a participé à des groupes de discussion ainsi qu’à quelques séances de counseling [son orientation sexuelle reposait toutefois sur des déclarations faites par le demandeur lui-même];
une lettre de la mosquée Unity de Toronto indiquant que M. Towolawi était un bénévole et qu’il participait à des groupes de discussion [mais sans identifier M. Towolawi comme étant bisexuel];
des photos de M. Towolawi témoignant de sa participation aux activités de diverses organisations de même qu’à la parade de la fierté gaie [la SPR a conclu que les gens participaient à de tels événements pour diverses raisons];
le témoignage de dernière minute livré à l’audience par un présumé partenaire vivant au Canada — que M. Towolawi aurait rencontré au Centre communautaire 519 — pour confirmer sa bisexualité [sans toutefois expliquer pourquoi une lettre d’appui n’avait pas été produite plus tôt, alors que M. Towolawi croyait que le témoin en question ne serait pas disponible pour l’audience]. Bien que la SPR ait conclu que les deux hommes étaient amis, elle n’était pas convaincue qu’ils entretenaient une relation homosexuelle.
B.
Observations présentées lors de l’appel devant la SAR
[10]
Durant l’appel devant la SAR, M. Towolawi a soutenu que la SPR avait commis une erreur en écartant les lettres d’appui rédigées par des organisations LGBTQ locales. Il a souligné que le signataire d’Access Alliance avait expressément indiqué qu’il ne [traduction] « doutait aucunement »
des difficultés qu’éprouvait M. Towolawi ni des motifs de sa demande d’asile. M. Towolawi a ajouté qu’il était clairement indiqué dans la lettre du Centre communautaire 519 qu’il faisait partie d’un groupe réservé aux demandeurs d’asile LGBTQ. La décision de ne pas reconnaître ces lettres comme preuve de son orientation sexuelle constitue une erreur susceptible de révision : Ojie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 342, aux paragraphes 45 et 46. Dans le même ordre d’idées, étant donné que le présumé partenaire vivant au Canada a livré un témoignage généralement cohérent, M. Towolawi a soutenu que la SPR avait commis une erreur en rejetant ce témoignage déterminant au motif qu’il n’avait pas précédemment fourni une lettre d’appui ou un affidavit sous serment. Il a souligné que la SPR n’était pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve, et que les règles étaient justement assouplies afin de permettre aux demandeurs d’asile d’apporter de la preuve qui ne serait normalement pas admissible : Ossé c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1552, au paragraphe 15; Fajardo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 915, au paragraphe 4.
[11]
Enfin, M. Towolawi a soutenu que la SPR avait omis d’examiner sa demande d’asile présentée sur place. Il affirme que la conclusion de la SPR selon laquelle il n’était pas crédible quant à son orientation sexuelle au Nigéria ne veut pas nécessairement dire qu’il n’était pas crédible quant à sa bisexualité au Canada, et que la SPR était tout de même tenue d’effectuer une analyse de la demande sur place dans de telles circonstances : Hannoon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 448 [Hannoon] au paragraphe 42; Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 749, aux paragraphes 55 à 57.
III.
Décision contestée
[12]
Le 25 mars 2019, conformément au paragraphe 111(1) de la LIPR, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR, à savoir que M. Towolawi n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. La SAR a reconnu qu’elle doit établir de façon indépendante si la SPR a bel et bien commis chacune des erreurs de fait, des erreurs de droit ou des erreurs mixtes de fait et de droit qui lui sont reprochées : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 [Huruglica].
[13]
La SAR a d’abord souligné que M. Towolawi n’avait pas contesté les conclusions défavorables de la SPR quant à la crédibilité des relations homosexuelles qu’il aurait eues au Nigéria ni le fait que sa participation à des activités LGBTQ au Canada ait été révélée, et que ces préoccupations quant à la crédibilité révélaient une tendance à la tromperie dans les instances d’immigration. En particulier, la SAR a fait remarquer que M. Towolawi n’avait pas contesté ce qui suit :
- les incohérences dans son témoignage à propos de sa présumée première relation homosexuelle [c.‑à‑d. que la relation a duré de 2006 à 2007, pendant qu’il était aux études, selon sa demande de visa, ou qu’elle a pris fin en 2009 ou 2010 selon son formulaire Annexe A] ont semé un doute quant à l’existence de cette relation, ce qui a amené la SPR à conclure que la relation avait été fabriquée afin de renforcer sa demande d’asile;
- le manque de documents corroborant sa relation avec Tunde a donné à penser qu’il n’était pas crédible au sujet de cette relation puisqu’il était peu plausible qu’une personne ayant étudié l’ingénierie pendant près de quatre ans soit incapable de sauvegarder un journal d’appels vidéo ou des messages textes. La SPR a rejeté les raisons qu’il a invoquées pour expliquer l’absence de tels éléments de preuve;
- son affirmation portant que sa participation à la fierté LGBTQ au Canada avait été révélée au Nigéria n’était pas crédible parce qu’il avait omis de le mentionner dans la version modifiée de son formulaire Fondement de la demande d’asile et parce que ce fait était également absent de l’affidavit de sa cousine [qui l’aurait soi‑disant informé de la situation];
- il n’a pas dit la vérité à propos de ses démarches d’immigration antérieures : il a inclus de faux renseignements dans sa demande de visa au Canada, a délibérément tenté de dissimuler le fait qu’il avait présenté des demandes de visa au R.‑U. et aux É.‑U. et il a fourni des renseignements évasifs, incohérents et obscurs à propos du temps qu’il a passé au Canada avant de présenter sa demande d’asile [p. ex., son présumé séjour à l’hôtel et la durée de ce séjour].
[14]
La SAR a estimé que ces conclusions non contestées touchaient à la fois le fondement de la demande d’asile de M. Towolawi, soit sa bisexualité, et la crédibilité générale de M. Towolawi comme témoin, et a conclu que la décision de la SPR devait être maintenue sur la base de ces seules conclusions. Par ailleurs, même si ces conclusions étaient déterminantes, la SAR a néanmoins examiné les arguments de M. Towolawi.
[15]
Tout d’abord, rejetant la prétention de M. Towolawi selon laquelle la SPR n’avait pas examiné sa demande d’asile sur place, la SAR a conclu qu’aucune allégation n’avait été faite devant la SPR selon laquelle M. Towolawi était devenu bisexuel au Canada et qu’aucune preuve n’avait été produite pour appuyer cette allégation. La SPR a plutôt examiné — puis écarté — les éléments de preuve de M. Towolawi relatifs à sa participation aux activités d’organisations LGBTQ au Canada et au fait qu’il aurait entretenu une relation sexuelle au Canada. Compte tenu des préoccupations générales de la SPR quant à la crédibilité, du fait que les lettres d’appui et les photos dataient toutes environ de la même période et du fait que rien ne permettait de croire que M. Towolawi avait continué à participer aux activités de ces organisations, la SAR a jugé que la SPR avait raisonnablement conclu, selon la prépondérance des probabilités, que sa participation au sein de ces organisations avait pour but d’étoffer sa demande d’asile.
[16]
Ensuite, la SAR a conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a affirmé que les éléments de preuve relatifs à la participation de M. Towolawi aux activités d’organisations LGBTQ étaient insuffisants pour établir son orientation sexuelle. Par exemple, en ce qui concerne la lettre du Centre communautaire 519, la SAR a conclu que rien ne laissait croire que l’appartenance à ce groupe était fondée sur autre chose qu’une déclaration de M. Towolawi, ce qui ne suffisait pas à surmonter les problèmes de crédibilité que présentaient les éléments de preuve. La SAR a également passé en revue les témoignages de M. Towolawi et de son présumé partenaire et, à l’instar de la SPR, a conclu qu’ils concordaient de manière générale. Toutefois, la SAR a souscrit à la conclusion de la SPR, à savoir que, selon la prépondérance des probabilités, le partenaire avait été présenté à titre de témoin pour renforcer la demande d’asile de M. Towolawi, et a souligné les trois facteurs suivants :
Le partenaire n’a pas fourni de déclaration avant l’audience, ce qui est problématique étant donné l’importance de leur relation dans l’issue de la demande et du fait que le partenaire n’était pas disponible pour témoigner à l’audience, ce qui n’a changé qu’à la dernière minute.
M. Towolawi et son présumé partenaire connaissaient très peu le passé de l’autre, notamment en ce qui concernait leurs précédentes relations et les membres de leur famille respective.
La crédibilité des déclarations du partenaire doit être évaluée à la lumière des autres questions mentionnées précédemment, notamment la volonté de M. Towolawi de fournir de faux renseignements dans le cadre de procédures d’immigration et les autres problèmes graves quant à la crédibilité.
[17]
Enfin, la SAR a examiné les affidavits présentés par les membres de la famille de M. Towolawi vivant au Nigéria. Elle a conclu que la SPR ne leur avait accordé aucun poids, non seulement parce que les déposantes n’étaient pas disponibles pour être contre-interrogées [ce qui serait une erreur], mais aussi pour d’autres motifs. Ainsi, l’affidavit de la cousine de M. Towolawi ne faisait aucune mention d’un fait important, à savoir que les activités de la communauté LGBTQ au Canada auxquelles participait M. Towolawi avaient été révélées au Nigéria. De plus, les affidavits de membres de la famille, présentés à l’appui de son allégation relative à son orientation sexuelle, étaient inhabituels : ils revenaient à dénoncer M. Towolawi à la justice, ce qui ne se ferait pas au Nigéria. La SAR a donc conclu que la SPR n’avait pas commis d’erreur en écartant ces affidavits.
IV.
Question
V.
Dispositions pertinentes
[19]
Les dispositions pertinentes sont reproduites à l’annexe A.
VI.
Analyse
[20]
La présente affaire a été entendue la veille de l’adoption par la Cour suprême du Canada [CSC] d’une approche révisée servant à déterminer la norme de contrôle applicable lorsqu’une cour de justice se penche sur le fond d’une décision administrative. Cette approche repose sur la présomption réfutable voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], aux paragraphes 10 et 11. J’estime qu’aucune des situations dans lesquelles la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable peut être réfutée [résumées dans l’arrêt Vavilov, précité, aux paragraphes 17 et 69] ne s’applique en l’espèce. Par conséquent, « [l]orsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée »
: Vavilov, précité, au paragraphe 15. La CSC définit une décision à l’égard de laquelle il faut faire preuve de déférence comme une décision « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et […] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
: Vavilov, précité, au paragraphe 85. La CSC a conclu qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. […] le décideur doit également, […] justifier sa décision […] »
: Vavilov, précité, au paragraphe 86 [en italiques dans l’original]. En somme, la décision doit posséder les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et elle doit être justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques qui ont une incidence sur celle‑ci : Vavilov, précité, au paragraphe 99. Il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable : Vavilov, précité, au paragraphe 100. Les deux parties ont préconisé le recours à la norme de la décision raisonnable, bien qu’elles l’aient fait en invoquant la jurisprudence antérieure. Étant donné que l’approche révisée n’a pas d’incidence sur l’issue de la présente instance, j’ai conclu qu’il n’était pas nécessaire de demander aux parties de présenter des observations, comme le prévoit l’arrêt Vavilov, précité, au paragraphe 144.
[21]
M. Towolawi fait valoir que la SPR et la SAR ont déraisonnablement rejeté le témoignage de son présumé partenaire du fait qu’il n’était pas crédible puisque la disponibilité de ce dernier n’avait pas été confirmée plus tôt. M. Towolawi soutient que le fait que le partenaire n’ait pas fourni de lettre d’appui plus tôt n’a rien à voir avec sa crédibilité, car : i) le partenaire a témoigné en personne; ii) le partenaire a été contre-interrogé; et iii) il a été établi que le témoignage du partenaire et celui de M. Towolawi concordaient. En outre, étant donné que la présentation d’une lettre d’appui de la part de ce témoin était indépendante de la volonté de M. Towolawi, il n’était pas raisonnable de tirer une conclusion défavorable de l’absence d’une telle lettre. Par ailleurs, il était arbitraire et inintelligible de conclure que le partenaire avait menti parce qu’il avait été démontré que M. Towolawi manquait généralement de crédibilité relativement à d’autres aspects de sa demande d’asile.
[22]
M. Towolawi fait aussi valoir que la SAR a été déraisonnable en invoquant les conclusions défavorables quant à la crédibilité qui avaient été tirées relativement à sa prétention de bisexualité au Nigéria pour rejeter sa prétention de bisexualité au Canada. Il s’agit là d’une erreur importante puisque cette dernière prétention était étayée par des éléments de preuve fournis par des tiers indépendants, dont la valeur et la crédibilité n’avaient rien à voir avec la crédibilité personnelle de M. Towolawi. Ce n’est pas parce qu’il a été établi que M. Towolawi a menti dans le passé et que certains aspects de sa demande d’asile ont été jugés non crédibles que la SPR ou la SAR doit rejeter l’ensemble de son témoignage et les autres aspects de sa demande d’asile : Mernacaj c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 762, aux paragraphes 57, 58 et 73. M. Towolawi reconnaît que la SAR n’examine pas les faits en vase clos et qu’il faut procéder à une évaluation globale en fonction de l’ensemble des éléments de preuve. Il soutient toutefois que [traduction] « […] la tâche […] consiste à apprécier chaque élément de preuve objectivement, sur son fond, avant de peser le pour et le contre. Le décideur ne devrait pas d’emblée prêter à certains éléments de preuve les caractéristiques des autres. »
[23]
S’il admet qu’il n’a pas explicitement fait état de cet aspect dans son formulaire Fondement de la demande d’asile, M. Towolawi ne remet pas moins en question la conclusion de la SAR selon laquelle il n’avait pas présenté une demande fondée sur sa bisexualité au Canada. Il fait valoir que les lettres d’appui provenant de tiers et le témoignage de son présumé partenaire faisant état de ses actes au Canada appuient sa prétention de bisexualité. Il affirme que sa crédibilité ne devrait pas influencer la façon dont la SAR traite ces éléments de preuve puisque ce n’est pas sa crédibilité à lui qui est en cause en l’occurrence, mais bien celle des témoins.
[24]
Pour sa part, le ministre soutient que M. Towolawi ne peut pas dissocier sa demande d’asile de son contexte, ce qui comprend son propre manque de crédibilité et l’incidence de ce manque de crédibilité sur la preuve. Le ministre fait valoir que la demande d’asile de M. Towolawi au Canada a tout à voir avec sa prétention de bisexualité au Nigéria, laquelle a été soumise à la SPR et à la SAR. Sa demande d’asile est fondée sur le risque auquel il est exposé au Nigéria parce que les pratiques sexuelles auxquelles il se serait livré y auraient été révélées; elle n’est pas fondée sur le fait qu’il est devenu bisexuel au Canada. Le ministre soutient qu’en affirmant que ses activités au Nigéria n’ont rien à voir avec sa demande d’asile au Canada, M. Towolawi cherche à remanier son récit et à se dissocier de ce qui a été jugé peu crédible, soit ses activités au Nigéria. Étant donné que le contrôle judiciaire ne constitue pas une seconde chance de reformuler une demande administrative, le fait que M. Towolawi ait modifié sa demande devrait justifier le rejet de la demande : Toussaint c Canada (Conseil canadien des relations de travail), [1993] ACF nº 616 (CAF), au paragraphe 5; Zsoldos c Canada, 2003 CAF 305; Gitxsan Treaty Society c Hospital Employees’ Union, [2000] 1 CF 135 (CAF); Abbott Laboratories Ltd c Canada (Procureur général du Canada), 2008 CAF 354, au paragraphe 37; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1370, au paragraphe 12; Canada (Procureur général) c Herrera‑Morales, 2017 CAF 163, au paragraphe 65.
[25]
Le ministre souligne que le témoignage du présumé partenaire homosexuel a été présenté pour les besoins de l’appréciation de la demande d’asile de M. Towolawi au même titre que d’autres éléments de preuve, y compris le propre témoignage de M. Towolawi. Par conséquent, le témoignage du partenaire n’était pas déterminant en soi; il devait donc être examiné dans le contexte de l’appréciation de la demande d’asile de M. Towolawi et avec cet objectif à l’esprit. La SPR et la SAR ont estimé qu’il était déraisonnable que M. Towolawi n’ait pas préalablement produit la déclaration d’un témoin essentiel à sa demande d’asile puisque, jusqu’à la veille de l’audience, ce témoin n’était pas disponible. Dans un tel contexte, il n’est pas logique qu’une déclaration n’ait pas été préalablement présentée : Lawani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 924 [Lawani], aux paragraphes 25 et 33. Compte tenu des préoccupations quant à la crédibilité et du fait que M. Towolawi se soit montré disposé à fournir de faux renseignements dans le cadre des procédures d’immigration, la SAR a à juste titre conclu que le fait que le présumé témoin essentiel n’ait pas préalablement fait une déclaration et qu’il connaissait très peu le passé et les précédentes relations de M. Towolawi porte à croire, selon toute vraisemblance, qu’il a été présenté afin de renforcer la demande d’asile de M. Towolawi au Canada.
[26]
Le ministre soutient que les deux tribunaux ont correctement examiné les éléments de preuve à l’appui de la demande d’asile sur place de M. Towolawi vu les préoccupations quant à sa crédibilité. La SPR et la SAR ont énoncé des réserves à l’égard des éléments de preuve « objectifs »
présentés, notamment ce qui suit : i) l’affidavit de la cousine de M. Towolawi ne faisait pas mention du fait, dont l’aurait pourtant informé sa cousine, que sa participation aux activités de la communauté LGBTQ au Canada aurait été révélée au Nigéria et ii) les lettres d’appui des tiers ont été obtenues sur une période de deux semaines, en mars 2017; selon ces lettres, l’appartenance à ces organisations ne nécessite qu’une déclaration volontaire, et M. Towolawi n’a fourni aucun nouveau renseignement depuis, y compris quelque confirmation que soit qu’il continue de participer aux activités de ces organisations.
[27]
Le ministre fait aussi remarquer que la SAR a mentionné que M. Towolawi avait affirmé qu’il était bisexuel avant de venir au Canada et non qu’il était [traduction] « devenu »
bisexuel pendant qu’il était au Canada. Par conséquent, son manque de crédibilité sur des questions touchant le Nigéria était pertinent dans le cadre de sa demande d’asile au Canada. Le ministre soutient que, dans le cas où l’allégation d’un demandeur selon laquelle il risque d’être victime de persécution à l’étranger n’est pas crédible, il est raisonnable d’exiger un degré de preuve plus élevé à l’appui d’une demande d’asile sur place afin d’éviter la fraude. C’est donc dire que, même si certains éléments de preuve de M. Towolawi, pris isolément, étayent une demande d’asile sur place, il était raisonnable que la SAR rejette une telle demande étant donné que les éléments de preuve étaient faibles et qu’il subsistait d’autres préoccupations générales quant à la crédibilité : Ding c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 820, au paragraphe 23; Sanaei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 402 [Sanaei], aux paragraphes 55, 56, 63 et 64; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1123, au paragraphe 26; Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 518, au paragraphe 17; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 998 [Li], aux paragraphes 27 à 31; Jing c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 609, aux paragraphes 22 et 23.
[28]
Je souligne qu’un manque général de crédibilité est déterminant dans le cadre d’une demande d’asile en vertu du paragraphe 96 de la LIPR puisque, faute d’un témoignage crédible, le demandeur est incapable d’établir l’existence d’une crainte subjective : Quintero Cienfuegos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1262 [Quintero Cienfuegos], aux paragraphes 25 et 26; Jele c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 24, au paragraphe 34; Borubae c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 125, aux paragraphes 16 et 17. Les demandes fondées sur l’orientation sexuelle peuvent s’avérer très délicates du point de vue de la preuve parce qu’« [i]l est possible que le témoignage de la personne soit le seul élément de preuve concernant son OSIGEG. Il se peut qu’aucun élément de preuve corroborant ou aucun élément de preuve supplémentaire ne soit normalement accessible dans une affaire donnée »
: article 3.2 des Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre [les Directives sur l’OSIGEG]; Osikoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 720 [Osikoya], aux paragraphes 60 et 61. Par conséquent, la crédibilité revêt une importance capitale dans ce type de demande. Il appartient donc aux décideurs d’évaluer minutieusement la crédibilité du demandeur, en tenant compte des éléments de preuve dont ils disposent et des directives sur l’OSIGEG.
[29]
Selon la jurisprudence constante de la Cour, les conclusions quant à la crédibilité ne peuvent pas se fonder sur des préoccupations qui sont accessoires à la demande d’asile : Lawani, précitée, au paragraphe 23. Quand une demande d’asile sur place est fondée sur les mêmes activités alléguées que celles qui ont soi-disant été pratiquées à l’étranger et qui ont été estimées non crédibles, la Cour a établi qu’il était loisible au décideur « d’intégrer »
les conclusions défavorables en matière de crédibilité et, par conséquent, d’imposer une norme plus stricte lorsqu’il s’agit de démontrer le fondement de la demande d’asile sur place : Jiang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1067 [Jiang], aux paragraphes 27 et 28; Li, précitée, au paragraphe 32; Sanaei, précitée, au paragraphe 64; Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 163 [Gong], au paragraphe 52.
[30]
J’examine donc maintenant la question de savoir si la SAR, en confirmant la décision de la SPR, a agi raisonnablement lorsqu’elle a mis en doute la crédibilité de M. Towolawi et si elle a traité ses éléments de preuve objectifs de façon raisonnable. À mon avis, on peut répondre par l’affirmative dans les deux cas. Dans la décision Lawani, précitée, aux paragraphes 21 à 25, monsieur le juge Gascon a bien résumé les grands principes applicables à l’appréciation de la crédibilité par le décideur [qu’il s’agisse de la SPR ou de la SAR, cette dernière ayant l’obligation, conformément à l’arrêt Huruglica, précité, d’établir si la SPR est arrivée à des conclusions correctes au sujet de chacune des erreurs de fait, de droit et mixtes qui lui sont reprochées] :
[21] Premièrement, lorsqu’ils jurent que certaines allégations sont véridiques, les demandeurs d’asile sont présumés dire la vérité […]. Toutefois, cette présomption de véracité n’est pas incontestable, et le manque de crédibilité d’un demandeur peut suffire à la réfuter. Par exemple, la présomption est réfutable lorsque la preuve ne concorde pas avec le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile […], ou lorsque la SPR n’est pas satisfaite de l’explication fournie par le demandeur pour ces incohérences […]
[22] Deuxièmement, même si elles peuvent être insuffisantes lorsqu’elles sont examinées une à une ou isolément, l’accumulation de contradictions, d’incohérences et d’omissions concernant des éléments cruciaux d’une demande d’asile peut appuyer une conclusion négative sur la crédibilité d’un demandeur […] la SPR est la mieux placée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur, puisqu’elle a l’avantage d’entendre son témoignage […]
[23] Troisièmement, la SPR ne peut fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur des contradictions mineures qui sont secondaires ou accessoires à la demande d’asile. Le décideur ne doit pas effectuer une analyse trop détaillée ou trop zélée de la preuve. […] ces conclusions ne devraient pas se fonder sur un examen « microscopique » de questions sans pertinence ou périphériques eu égard à la demande d’asile […]
[24] Quatrièmement, le manque de crédibilité concernant les éléments centraux d’une demande d’asile peut s’étendre à d’autres éléments de la demande et les entacher […], et s’appliquer de façon généralisée aux éléments de preuve documentaire présentés pour corroborer une version des faits. […]
[25] Cinquièmement, […] [l]orsque des éléments de preuve corroborants devraient raisonnablement être disponibles pour établir les éléments essentiels d’une demande d’asile et qu’il n’y a pas d’explication raisonnable de leur absence, le décideur peut tirer une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité en se fondant sur l’absence d’effort de la part du demandeur pour obtenir ces éléments de preuve corroborants […]
[26] Enfin, la SPR a également le droit de tirer des conclusions au sujet de la crédibilité d’un demandeur en se fondant sur des invraisemblances, le bon sens et la rationalité. Elle peut rejeter une preuve si elle est incompatible avec les probabilités touchant l’ensemble de l’affaire ou si elle est marquée par des incohérences. […] Les conclusions et les inférences de la SPR sur la crédibilité d’un demandeur d’asile doivent toujours demeurer raisonnables et l’analyse doit être formulée dans des « termes clairs et non équivoques » […]
[Renvois et parties du texte omis, par souci de concision.]
[31]
Compte tenu de ces principes, j’estime que l’évaluation que la SAR a faite de la crédibilité relativement à la situation de M. Towolawi au Nigéria est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle au regard des faits et du droit applicable en l’espèce et qu’elle est, par conséquent, raisonnable. Comme il l’a été mentionné précédemment, notamment dans la décision Lawani, précitée, « l’accumulation de contradictions, d’incohérences et d’omissions concernant des éléments cruciaux d’une demande d’asile peut appuyer une conclusion négative sur la crédibilité d’un demandeur »
. Parallèlement, l’examen de la preuve ne devrait pas être microscopique ni trop zélé : Lawani, précitée, aux paragraphes 22 et 23; Quintero Cienfuegos, précitée, au paragraphe 1; Camara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 362, aux paragraphes 19 et 26; Tejuoso c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 903, aux paragraphes 37, 38 et 40; Osinowo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 284, aux paragraphes 10,14 et 17. Souscrivant à la décision de la SPR selon laquelle le témoignage de M. Towolawi n’était pas crédible relativement à sa relation homosexuelle au Nigéria, la SAR a fourni des motifs détaillés, comme il est énoncé au paragraphe 13 des présents motifs. Bien que sa première demande de visa de visiteur ne figurait pas au dossier, il incombait à M. Towolawi de démontrer que l’évaluation de la SAR, fondée sur des conclusions non contestées de la SPR, était déraisonnable. Comme M. Towolawi ne s’est pas acquitté de cette obligation, je ne suis pas en mesure de dire que les conclusions de la SAR à propos des incohérences étaient déraisonnables.
[32]
M. Towolawi a fourni des explications quant aux incohérences énoncées au paragraphe 13, mais le ministre a soutenu, à juste titre selon moi, que la SAR et la SPR n’étaient tenues que de raisonnablement tenir compte de ces explications; elles n’étaient pas tenues d’y souscrire. Dans sa décision, la SAR, à l’instar de la SPR, a clairement exposé les incohérences, expliqué leur incidence sur des aspects cruciaux de la demande d’asile de M. Towolawi et énoncé les motifs pour lesquels elle a rejeté ses explications. À titre d’exemple, la SAR a établi que les incohérences entourant la période durant laquelle M. Towolawi a fait des études étaient pertinentes pour établir l’existence et la durée de sa première relation homosexuelle; elle a explicitement rejeté l’allégation selon laquelle les incohérences émanaient du fait que M. Towolawi aurait fait appel à un agent pour remplir les formulaires puisqu’il était tenu de s’assurer de leur exactitude et avait fourni suffisamment de renseignements pour laisser croire qu’il avait étroitement participé à la démarche. Il n’y avait rien de déraisonnable dans cette approche ni dans la conclusion selon laquelle M. Towolawi manquait généralement de crédibilité relativement à ses activités au Nigéria.
[33]
De surcroît, M. Towolawi affirme que la SAR, à l’instar de la SPR, a commis une erreur en se fondant sur ses conclusions défavorables quant à la crédibilité des relations homosexuelles qu’il aurait entretenues au Nigéria pour écarter ses éléments de preuve démontrant sa relation avec un présumé partenaire vivant au Canada au lieu de se demander si ces éléments de preuve étayaient sa demande d’asile. Je ne suis pas de cet avis. La SAR a clairement indiqué qu’elle avait examiné les témoignages de M. Towolawi et de son présumé partenaire, et elle a conclu qu’ils concordaient. La SAR a toutefois convenu avec la SPR, que, selon la prépondérance des probabilités, le partenaire n’était rien de plus qu’un ami et qu’il avait été appelé à témoigner que pour renforcer la demande d’asile de M. Towolawi au regard des trois facteurs suivants qu’elle a décrits en détail : i) le moment où le témoin a présenté sa déclaration et l’absence de documents justificatifs, étant donné que M. Towolawi n’a présenté la déclaration du témoin que la veille de l’audience et que, jusqu’à ce moment, il pensait que ce dernier n’était pas disponible pour témoigner; ii) malgré le fait qu’ils aient présenté des témoignages qui concordaient de manière générale, ils connaissaient très peu le passé de l’autre; iii) M. Towolawi avait déjà démontré qu’il était disposé à fournir de faux renseignements dans le cadre des procédures d’immigration. Selon moi, la conclusion est justifiée, transparente et intelligible.
[34]
En dépit des arguments de M. Towolawi à l’effet contraire, j’estime que la SAR a réalisé une évaluation raisonnable de la demande d’asile sur place. Comme l’a fait valoir le ministre, le fondement de la demande d’asile de M. Towolawi, tel qu’il a été plaidé devant la SPR et la SAR, n’est pas qu’il est devenu bisexuel une fois arrivé au Canada, mais bien qu’il l’était déjà avant son arrivée. Comme elles avaient conclu que les affirmations de M. Towolawi n’étaient pas crédibles en ce qui concernait ses relations au Nigéria, la SPR et la SAR étaient tenues d’examiner si sa demande d’asile sur place était également fondée sur ces relations étant donné que M. Towolawi avait aussi présenté des éléments de preuve à l’appui d’une supposée relation homosexuelle au Canada. Lorsqu’elles se sont penchées sur la question de savoir si M. Towolawi avait établi le fondement de sa demande d’asile sur place selon la prépondérance des probabilités, la SPR et la SAR étaient en droit de tirer une conclusion défavorable de crédibilité de l’allégation du risque à l’étranger dans la mesure où cela ne faisait pas naître une présomption irréfutable contre la possibilité d’établir le fondement de la demande d’asile sur place : Jarrah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 180, aux paragraphes 17 et 18; Ding, précitée, au paragraphe 23; Sanaei, précitée, aux paragraphes 51 à 64; Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1123 [Liu], aux paragraphes 26 et 27; Jiang, précitée, aux paragraphes 27 et 28. En l’espèce, le fait d’importer la conclusion défavorable quant à la crédibilité a fourni à la SPR et à la SAR un contexte permettant de comprendre les éléments de preuve supplémentaires se rapportant au Canada.
[35]
Étant donné qu’il avait déjà été conclu que M. Towolawi avait faussement déclaré avoir eu de relations homosexuelles [et non qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve en ce sens] afin d’induire en erreur des agents de l’immigration, il était raisonnable selon moi que la SPR et la SAR imposent une norme de preuve plus élevée que celle qui consiste à se fier uniquement au témoignage de M. Towolawi et de son présumé partenaire dans l’appréciation des allégations subséquentes de M. Towolawi selon lesquelles il avait eu des relations homosexuelles. Par conséquent, il était raisonnable pour la SPR et la SAR de s’attendre à ce que d’autres éléments de preuve corroborants, tels qu’une lettre de son présumé partenaire actuel, viennent étayer sa demande d’asile. M. Towolawi ne s’est pas acquitté de ce fardeau puisque son témoignage sur sa relation avec son présumé partenaire au Canada comportait des faiblesses. En dépit de l’affirmation de M. Towolawi à savoir que le témoignage en personne du partenaire avait plus de valeur qu’une lettre [et qu’il n’était donc pas raisonnable de lui demander qu’il produise une lettre d’avance], j’estime que la SPR et la SAR étaient en droit de tirer une inférence défavorable à l’endroit de M. Towolawi parce qu’il n’avait pas pu présenter une telle lettre alors qu’il ignorait, du moins jusqu’à peu avant l’audience, si le partenaire allait être disponible pour témoigner, ou n’avait pas pu expliquer plus tôt les raisons pour lesquelles le partenaire ne pourrait pas témoigner à l’audience : Lawani, précitée, aux paragraphes 33 et 35; Osikoya, précitée, au paragraphe 38.
[36]
Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que la Commission a raisonnablement évalué la crédibilité de M. Towolawi en rapport avec les allégations formulées dans sa demande d’asile initiale et dans sa demande d’asile sur place et a établi, en termes clairs, que M. Towolawi n’était généralement pas crédible. Il est donc raisonnable que sa demande d’asile au titre de l’article 96 de la LIPR soit rejetée. La seule question qui reste à trancher est de savoir si la Commission a équitablement traité les éléments de preuve objectifs, si bien qu’elle n’a pas pu sauver la demande : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sellan, 2008 CAF 381, au paragraphe 3.
[37]
Selon moi, la SAR a raisonnablement apprécié les éléments de preuve objectifs de M. Towolawi de façon globale et contextuelle. Ses éléments de preuve objectifs comprenaient ce qui suit, en plus du témoignage du partenaire vivant au Canada mentionné précédemment :
- Lettres d’appui rédigées par des tiers attestant de son appartenance à divers groupes LGBTQ : Comme la SAR l’a correctement souligné, l’appartenance à ces organisations LGBTQ ne permet pas en soi d’établir l’orientation sexuelle de M. Towolawi. Cette conclusion est raisonnable. Par ailleurs, aucun élément de preuve ne permet de croire qu’une telle appartenance [par exemple au groupe de soutien des réfugiés LGBTQ du Centre communautaire 519] soit fondée sur quoi que ce soit d’autre qu’une déclaration volontaire. De plus, la SAR a évoqué le fait que la SPR avait conclu que les lettres étaient toutes datées de la même période [soit peu après la date à laquelle la visite touristique de M. Towolawi aurait dû prendre fin] et que M. Towolawi n’avait fourni aucun élément de preuve à jour pour démontrer qu’il continuait à participer aux activités de ces organisations ou à entretenir des relations avec les signataires. Vu la conclusion de la SAR selon laquelle les allégations de M. Towolawi concernant son orientation sexuelle n’étaient pas crédibles, j’estime que la SAR a effectué une analyse cohérente et rationnelle et qu’elle a donc raisonnablement écarté ces lettres : Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 238 (ACF).
- Affidavits présentés par la mère et la cousine de M. Towolawi : En règle générale, un élément de preuve doit être pris en compte pour ce qu’il dit et non pour ce qu’il ne dit pas [p. ex., Chowdhury c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1216, au paragraphe 16]. En l’espèce toutefois, il n’a été accordé aucune force probante aux affidavits en raison des préoccupations quant à la crédibilité du témoignage de l’appelant au sujet de son orientation sexuelle [p. ex., Brahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1215, au paragraphe 17] et du fait que ces affidavits revenaient à dénoncer M. Towolawi aux autorités, ce qui serait inhabituel et ne se ferait normalement pas au Nigéria. Ce raisonnement s’applique également au texte de sa cousine. Comme il est indiqué dans la décision Lawani, précitée, aux paragraphes 24 et 25 :
« […] le manque de crédibilité concernant les éléments centraux d’une demande d’asile peut s’étendre à d’autres éléments de la demande et les entacher […], et s’appliquer de façon généralisée aux éléments de preuve documentaire présentés pour corroborer une version des faits »
, et« [...] [l]orsque des éléments de preuve corroborants devraient raisonnablement être disponibles pour établir les éléments essentiels d’une demande d’asile et qu’il n’y a pas d’explication raisonnable de leur absence [c.‑à‑d. l’omission, dans l’affidavit de sa cousine, du fait que l’association de M. Towolawi à la communauté LGBTQ au Canada aurait été révélée au Nigéria], le décideur peut tirer une conclusion défavorable à l’égard de la crédibilité en se fondant sur l’absence d’effort de la part du demandeur pour obtenir ces éléments de preuve corroborants [...] »
.
[38]
Dans l’ensemble, j’estime que la SAR a raisonnablement conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour justifier la demande d’asile sur place de M. Towolawi puisqu’il n’a pas été prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que M. Towolawi était bisexuel et que, pour cette raison, il était exposé à un risque.
VII.
Conclusion
[39]
La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les parties n’ont pas soulevé de question grave de portée générale et la Cour n’en relève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑2483‑19
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Mylène Borduas, traductrice
Annexe A : Dispositions pertinentes
(1) La partie 2 de la LIPR encadre le régime canadien des réfugiés. Le Canada confère l’asile aux personnes qui ont qualité de réfugié au sens de la Convention ou qualité de personne à protéger : LIPR, articles 95 à 97.
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(2) En première instance, la SPR est le décideur autorisé en ce qui concerne les demandes d’asile : LIPR, au paragraphe 107 (1).
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(3) Les demandeurs qui ne sont pas autrement privés de ce droit peuvent porter en appel auprès de la SAR les décisions défavorables de la SPR: LIPR, au paragraphe 110 (1).
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(4) La SAR peut confirmer la décision de la SPR, y substituer une autre décision ou renvoyer l’affaire en vue d’un nouvel examen : LIPR, au paragraphe 111 (1).
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑2483‑19
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INTITULÉ :
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ABDULGAFAR ADESEYE TOWOLAWI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Ottawa (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 18 décembre 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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la juge FUHRER
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DATE DES MOTIFS :
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le 13 février 2020
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COMPARUTIONS :
Dov Maierovitz
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pour le demandeur
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Brad Bechard
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pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
EME Professional Corp.
Avocats
North York (Ontario)
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pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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pour le défendeur
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