Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20191203


Dossier : IMM‑520‑19

Référence : 2019 CF 1537

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ARAM AHMED MOHAMMED MOHAMED

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Aram Ahmed Mohammed Mohamed [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 19 décembre 2018 par la Section d’appel des réfugiés [la SAR], en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. La SAR a, dans cette décision, confirmé le rejet de la demande d’asile du demandeur par la Section de la protection des réfugiés [la SPR].

[2]  La SPR avait rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il manquait de crédibilité, et la SAR a également conclu que la question déterminante était celle de la crédibilité du demandeur.

[3]  La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs exposés ci‑après.

II.  Contexte

[4]  Le demandeur soutient qu’il a travaillé à titre d’expert‑comptable pour l’« unité 70 » du personnel civil des Peshmergas, les forces armées du gouvernement régional kurde en Irak. Il a déclaré qu’en août 2015, il avait dressé une liste de 115 employés fantômes, c.‑à‑d. des personnes qui touchaient un salaire sans travailler. Suivant la présentation de son rapport, les 115 employés fantômes ont été congédiés. Parmi ceux‑ci, 63 auraient travaillé pour la « section 136 » des Peshmergas, laquelle est dirigée par Mahmood Sangawi, un homme notoirement puissant. Le demandeur soutient qu’à cause de cela, il a été menacé par trois hommes armés associés à la section 136. Ils l’auraient averti de ne plus chercher d’employés fantômes.

[5]  Le 12 octobre 2015, le demandeur a dressé une autre liste de personnes qu’il soupçonnait d’être des employés fantômes et, une fois de plus, ces personnes ont été congédiées. Parmi les 130 personnes figurant sur cette liste, 55 faisaient partie de la section 136. Le même jour, le demandeur affirme avoir appris que des hommes le cherchaient dans le but de le tuer. Il s’est immédiatement caché. Il a affirmé que le 16 octobre 2015, cinq soldats se sont présentés au domicile de sa famille, qui avait alors refusé de révéler où il se trouvait; les soldats avaient ensuite battu son frère. Pendant qu’il se cachait, il a présenté une demande de visa canadien, prétendant faire partie d’un groupe qui devait assister à un salon professionnel à Toronto. Le visa lui a été accordé et il a quitté l’Irak le 30 novembre 2015. Il a demandé l’asile au Canada en décembre 2015.

[6]  Le 29 septembre 2017, la SPR a instruit la demande d’asile du demandeur et le 3 novembre 2017, elle a rejeté cette demande au motif que le demandeur manquait de crédibilité. Le demandeur a ensuite interjeté appel devant la SAR.

A.  Les décisions de la SPR et de la SAR

[7]  La SAR a souligné que la SPR avait conclu que le demandeur n’était pas crédible pour les quatre raisons suivantes :

1.  Le demandeur travaillait pour les Peshmergas.

[8]  La SPR a tiré les conclusions suivantes en ce qui a trait à la question de savoir si le demandeur travaillait pour le personnel civil des Peshmergas :

(i)  Son témoignage sur la façon dont il enquêtait sur les signalements de possibles employés fantômes n’était ni cohérent ni détaillé.

[9]  La SAR a examiné le témoignage du demandeur concernant la façon dont il enquêtait sur les signalements de possibles employés fantômes et a souligné que ce témoignage était long et complexe et que la SPR avait dû poser de nombreuses questions. Toutefois, la SAR n’a relevé aucune incohérence dans le témoignage du demandeur sur ce point, bien qu’elle ait conclu que son témoignage concernant son rôle dans l’identification des employés fantômes ne comportait pas le niveau de détail attendu d’une personne exerçant l’emploi allégué.

(ii)  Peu de poids a été accordé au document d’identité d’employé. La SAR a constaté que la SPR avait souligné que la carte d’identité d’employé officielle du demandeur le présente vêtu d’un uniforme militaire et indique qu’il a un grade militaire.

[10]  Lorsque le demandeur a été invité à fournir une explication, étant donné qu’il avait affirmé être un employé civil, il a répondu que le grade militaire servait à déterminer son échelon de rémunération. Il a également affirmé qu’il ne possédait pas d’uniforme et que celui qu’il portait lui avait été fourni par le photographe lors de la prise de la photo pour sa carte d’identité. La SPR a conclu que, si l’organisation consent à ce que les pièces d’identité contiennent de faux renseignements et exige effectivement qu’il en soit ainsi, ces documents sont donc intrinsèquement non fiables. La SPR ne disposait d’aucune preuve indépendante corroborant l’existence de ces règles ou exigences ou la façon dont elles sont administrées, et a donc conclu que le grade et la photo ne reflétaient pas la réalité, bien que le reste de l’information fût exact.

[11]  La SAR s’est ralliée à la conclusion de la SPR selon laquelle il était invraisemblable qu’un employé civil soit tenu de porter un uniforme militaire, fourni par le photographe, lors de la prise d’une photographie pour une carte d’identité d’employé.

[12]  La SAR a également examiné la pièce d’identité originale et elle s’est interrogée à savoir si elle avait été altérée. Qui plus est, elle a examiné une version agrandie de cette dernière, ce qui lui a permis de constater que la photographie avait été collée sur la carte avant que celle‑ci soit plastifiée et que la bannière de la carte semblait également avoir été collée, parce qu’une partie de la bannière est inégale. Malgré ces caractéristiques physiques apparentes de la carte d’identité, la SAR n’était pas disposée à conclure qu’elle avait été falsifiée, étant donné qu’elle souscrivait à l’affirmation du demandeur selon laquelle il serait inapproprié d’appliquer les normes canadiennes aux Peshmergas.

[13]  Néanmoins, la SAR a conclu que le fait que la carte d’employé présente le demandeur, un civil, en tenue militaire soulève un doute quant à son authenticité. Par conséquent, la SAR a conclu que la carte d’identité à elle seule ne permettait pas de démontrer que le demandeur était un employé des Peshmergas.

(iii)  La SPR a accordé un poids minimal à une lettre de l’unité 70 du ministère des Peshmergas, adressée à l’hôpital Shorsh, dans laquelle il est indiqué que le demandeur est un [traduction] « fonctionnaire » et le personnel de l’hôpital est invité à [traduction] « l’aider et à faire le nécessaire ».

[14]  La SPR a conclu qu’elle ne pouvait accorder qu’un poids minimal à la lettre, puisque la raison pour laquelle le demandeur en aurait eu besoin s’il était avec les Peshmergas n’était pas claire. Le demandeur a par la suite fait valoir qu’il s’agissait également de  [traduction] « l’équivalent d’un billet du médecin » qui lui permettait de s’absenter du travail. La SAR a conclu que la lettre a une valeur probante et que le témoignage du demandeur au sujet de cette lettre n’était pas incohérent.

(iv)  La SPR a tiré une conclusion défavorable en raison de l’absence absolue de tout autre élément de preuve concernant le travail qu’aurait effectué le demandeur d’asile au sein des Peshmergas.

[15]  La SAR a attiré l’attention sur le fait que la SPR avait conclu qu’elle s’attendait à ce que le demandeur, qui prétend avoir travaillé pour les Peshmergas pendant plus d’un an, fournisse davantage d’éléments de preuve à l’appui à cet égard, en particulier compte tenu de sa profession de comptable. En particulier, elle a mentionné l’absence de photographies, de courriels, de lettres et d’autres documents officiels. La SPR avait conclu que la déclaration du demandeur, faite lors de son témoignage sous serment, concernant le fait que la loi l’aurait empêché d’obtenir des documents justificatifs liés à son travail n’était pas raisonnable ni étayée.

[16]  La SAR a souligné que la conclusion de la SPR selon laquelle la déclaration faite par le demandeur lors de son témoignage sous serment concernant son incapacité à obtenir des documents justificatifs liés à son travail en raison de la loi n’est pas raisonnable, et qu’en outre, le demandeur a confirmé cette déclaration dans ses observations à la SAR. Hormis sa mauvaise compréhension de la loi, le demandeur n’a donné aucune raison expliquant pourquoi il n’avait pas été en mesure d’obtenir des éléments de preuve à l’appui. La SAR a conclu qu’une telle erreur d’interprétation, commise par le demandeur parce qu’il n’avait fait aucun effort pour vérifier s’il comprenait bien la loi, ne constitue pas une explication raisonnable pour justifier le manque de documents démontrant qu’il travaillait effectivement pour les Peshmergas.

[17]  La SAR a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment de documents à l’appui pour démontrer qu’il travaillait pour les Peshmergas et qu’il n’avait pas donné d’explication raisonnable à cet égard, invoquant l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012‑256).

(v)  Le demandeur a prétendu travailler pour une autre organisation que les Peshmergas dans sa demande de visa canadien.

[18]  La SAR a souligné que la SPR avait conclu que le demandeur n’avait pas indiqué qu’il travaillait pour les Peshmergas dans sa demande de visa canadien et qu’il avait prétendu occuper un autre emploi dans une autre entreprise. Malgré le témoignage du demandeur, selon lequel les renseignements fournis dans la demande étaient faux et une entreprise lui aurait fait la faveur de l’aider à commettre cette fraude, la SPR avait conclu qu’elle ne pouvait pas s’appuyer sur son témoignage puisqu’il n’avait pas été honnête au sujet de son employeur dans sa demande de visa.

[19]  La SAR a conclu que le témoignage du demandeur, selon lequel il avait fait mention d’un faux emploi dans sa demande de visa canadien et que l’entreprise lui avait fait une faveur en le présentant frauduleusement comme l’un de ses employés, constituait, malgré tout, une explication raisonnable pour justifier pourquoi il n’avait pas indiqué qu’il travaillait pour les Peshmergas dans sa demande de visa.

2.  La lettre du cousin n’est pas contradictoire

[20]  La SAR a analysé la lettre du cousin du demandeur et a conclu que, bien que celle‑ci soit confuse, elle ne contredit pas le témoignage du demandeur. Toutefois, la SAR a également conclu que bien que cette lettre corrobore la déclaration du demandeur selon laquelle il a passé la soirée du 20 août 2015 avec son cousin, elle n’a aucune valeur pour ce qui est de corroborer les événements qui, selon le demandeur, se seraient produits. En effet, le cousin du demandeur ne fait que répéter les renseignements fournis par ce dernier.

3.  La lettre du médecin confirmant que des soldats se sont présentés chez le frère du demandeur n’est pas authentique

[21]  La SPR a conclu que le témoignage du demandeur était incohérent et changeant en ce qui a trait à la lettre d’un médecin faisant état de la blessure que le frère du demandeur prétend avoir subie lorsqu’un groupe de soldats à la recherche du demandeur s’est présenté au domicile familial. Entre autres problèmes concernant cette lettre, le demandeur a déclaré que son frère avait reçu cette dernière récemment, supposément peu de temps avant l’audience, de sorte que la date figurant sur celle‑ci était erronée. La SPR a déclaré qu’elle s’attendait à ce que le demandeur mentionne dès le départ que la date était erronée. La SPR a conclu qu’il était plus probable que le demandeur ait inventé une explication plutôt que de donner spontanément une réponse sincère. En outre, la SPR a jugé que la lettre n’était pas fiable, puisqu’elle avait été rédigée longtemps après l’événement, mais qu’elle porte la date du jour où son frère aurait été blessé.

[22]  La SAR a conclu que la lettre n’était pas authentique et que le frère du demandeur n’avait pas été blessé de la manière décrite par le demandeur. La SAR a jugé que le demandeur avait miné sa crédibilité en s’appuyant sur une lettre fabriquée.

4.  Le retard à présenter la demande d’asile

[23]  La SPR a relevé des contradictions dans le témoignage du demandeur qui ont miné la crédibilité générale de ce dernier en ce qui concerne le temps qu’il avait pris pour déposer sa demande d’asile après son arrivée au Canada. Le demandeur a déclaré qu’il avait besoin d’information sur la procédure à suivre et qu’il ne savait pas comment faire des recherches sur Internet ou qu’il ne parlait pas suffisamment bien l’anglais pour le faire. La SPR a conclu que cette explication était invraisemblable, étant donné que le demandeur avait travaillé comme comptable et comme vérificateur, qu’il avait fait une partie de ses études en anglais et qu’il possédait un téléphone intelligent. Le demandeur a ensuite modifié son témoignage pour préciser que le problème était qu’il n’avait pas accès à Internet pendant qu’il se cachait. La SAR a convenu que la déclaration du demandeur selon laquelle il ne savait pas comment faire des recherches sur Internet était invraisemblable, compte tenu de son profil, et a conclu que le fait qu’il eut modifié son témoignage plus tard au cours de l’audience – alléguant qu’il n’avait pas accès à Internet – minait sa crédibilité.

B.  Les nouveaux éléments de preuve déposés devant la SAR

[24]  Le demandeur a présenté les documents suivants en vue de leur dépôt en tant que nouveaux éléments de preuve :

[25]  La SAR a rejeté tous les nouveaux éléments de preuve susmentionnés, parce qu’ils ne respectaient pas les exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR, soulignant que le seuil à respecter pour l’admission de nouveaux éléments de preuve est élevé. Elle a rejeté l’argument de la « justice naturelle » selon lequel le refus de la SPR de vérifier la carte d’identité d’employé du demandeur équivalait à un refus de sa part de considérer que la carte d’identité soulevait une préoccupation factuelle.

[26]  Pour ce qui est de l’ordonnance administrative concernant la politique sur les traitements médicaux, la SAR a conclu que rien n’indiquait que ce document n’était pas normalement accessible ou qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur le présente au moment du rejet de sa demande d’asile par la SPR. En outre, la SAR a conclu que le demandeur avait eu amplement l’occasion de présenter ce document entre l’audience et le délai d’un mois précédant le rejet de sa demande d’asile par la SPR.

[27]  En ce qui concerne la lettre du « ministère des Peshmergas » confirmant l’emploi du demandeur, ce dernier soutient qu’il ne l’a pas demandée auparavant, parce qu’il avait présumé à tort qu’il ne pourrait pas l’obtenir s’il ne soumettait pas une demande en personne. La SAR a jugé que cette supposition erronée ne pouvait étayer la conclusion que le document n’était pas normalement accessible. La SAR a en outre relevé que le demandeur était représenté par un conseil expérimenté et qu’il aurait dû l’informer de l’importance de prouver qu’il travaillait pour les Peshmergas.

[28]  En ce qui concerne les trois cartes d’identité d’employé des Peshmergas, le demandeur a eu amplement l’occasion de les présenter, notamment après l’audience, mais avant le rejet de sa demande d’asile, et pourtant, il a encore une fois omis de le faire.

[29]  Enfin, les photographies ont été jugées irrecevables, parce que l’explication du demandeur – à savoir qu’il ne lui était pas venu à l’esprit de les présenter – était déraisonnable à première vue.

C.  La question déterminante : la crédibilité

[30]  La SAR a conclu que la question déterminante dans le dossier dont elle disposait était celle de la crédibilité du demandeur. Elle a réévalué la preuve devant la SPR et, bien qu’elle ne fût pas d’accord avec la SPR sur de nombreux points, elle a néanmoins confirmé, dans des motifs longs et détaillés, la présence de problèmes importants quant à la crédibilité.

[31]  En résumé, la SAR a convenu avec la SPR que la preuve établissant que le demandeur travaillait pour les Peshmergas – l’affidavit d’un collègue de travail, la carte d’identité et la lettre des Peshmergas à un hôpital – était limitée. Bien qu’elle ait relevé certaines erreurs dans l’analyse de la SPR, la SAR était d’accord avec d’autres aspects importants de son analyse et a conclu qu’à bien des égards, le demandeur n’avait pas fourni une preuve suffisante à l’appui de ses allégations, en plus d’être affligé d’importants problèmes de crédibilité. Lorsqu’elle a soupesé ces problèmes en tenant compte des documents à l’appui, à l’exception des conclusions rejetées, la SAR a conclu que le demandeur manquait généralement de crédibilité et que, selon la prépondérance des probabilités, les membres de la Peshmerga ne le poursuivraient pas en raison de ses activités liées à la comptabilité.

III.  Les questions en litige

[32]  Le demandeur soutient que le présent dossier soulève les trois questions suivantes :

IV.  La norme de contrôle

[33]  Pour ce qui est des nouveaux éléments de preuve, « [l]’interprétation par la SAR du paragraphe 110(4) de la LIPR est susceptible de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable, conformément à la présomption voulant que l’interprétation par un organisme administratif de sa loi constitutive fasse l’objet de déférence par la cour de révision » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au para 29).

[34]  La norme de la décision correcte s’applique à la question de savoir si la SAR a enfreint une règle de justice naturelle (Kastrati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1141).

[35]  Les erreurs commises dans le processus d’établissement des faits, qui sont décrites dans la jurisprudence de la Cour fédérale comme des « erreurs susceptibles de révision », sont assujetties à la norme de la décision correcte (Kallab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 706, aux para 31 à 33).

[36]  La question de savoir si la décision peut « se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47) dépend d’abord des faits établis sans commettre d’erreur par le décideur. Les conclusions de fait, les inférences tirées des faits et les questions mixtes de fait et de droit dans les cas où la question de droit n’est pas isolable ne peuvent être infirmées que lorsque l’erreur est manifeste (également définie comme une erreur évidente) et dominante (Jean Pierre c Canada (Immigration et Statut de réfugié), 2018 CAF 97, au para 53 [Jean Pierre], conformément à Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 RCS 235, aux para 1, 4, 5, 21‑23 et 32‑33, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, au para 61, Kallab et Aldarwish c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1265, aux para 22‑42).

V.  Analyse

A.  Le refus du commissaire de la SAR d’accepter de nouveaux éléments de preuve était‑il déraisonnable?

[37]  Tel qu’il a été mentionné, la SAR a rejeté les nouveaux éléments de preuve principalement parce qu’elle a conclu que rien n’indiquait que les documents n’étaient pas normalement accessibles lors de l’audience de la SPR ou qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur les présente avant que cette dernière ne rende sa décision.

[38]  Cette preuve documentaire était accessible, comme l’ont confirmé les réponses du demandeur aux questions de la commissaire de la SPR concernant l’absence de preuves corroborantes similaires. Lorsque le demandeur a été invité à préciser s’il avait conservé des dossiers du temps où il travaillait au ministère, il a répondu : [traduction] « Non, je n’ai que ma carte d’identité pour prouver que je travaillais pour le ministère des Peshmergas. » Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’avait pas d’autres documents, sa réponse a été la suivante : [traduction] « Parce qu’aucun événement ne m’a poussé à obtenir des documents; je n’ai pas cherché à obtenir des lettres d’hospitalisation et je n’ai pas eu besoin d’une aide quelconque pour laquelle j’aurais eu à demander des lettres d’appui ». De même, lorsqu’il a été invité à dire s’il avait communiqué avec un membre des Peshmergas pour lui demander s’il pouvait lui fournir des documents ou de l’aide pour le dépôt de sa demande d’asile, il a répondu par la négative et a déclaré : [traduction] « Parce que je ne savais pas que c’était nécessaire. J’ai pensé que ma carte d’identité suffirait. » La SAR a fait remarquer que le demandeur était représenté par le même conseil lors des deux instances.

[39]  Ces aveux sont suffisants pour écarter tout argument justifiant l’introduction de nouveaux éléments de preuve, y compris son argument selon lequel il ne pouvait pas raisonnablement prévoir, avant la tenue de l’audience, qu’il devrait prouver qu’il avait travaillé au sein du personnel civil (Shafi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 714). En outre, la pièce d’identité comporte une contradiction évidente, puisqu’elle montre et indique que le demandeur est membre de la force militaire.

[40]  Le demandeur soutient également que [traduction] « l’argument du commissaire selon lequel le demandeur aurait pu et aurait dû penser à obtenir tous ces éléments de preuve entre l’audience et la décision de la commissaire de la SPR est déraisonnable. Ces éléments de preuve n’étaient pas sous son contrôle. » Premièrement, le motif invoqué par le commissaire n’est pas un [traduction] « argument », mais plutôt une conclusion étayée par la preuve. Si le demandeur estimait que l’obtention de tels éléments de preuve était hors de son contrôle, il aurait dû invoquer ce motif plutôt que de dire qu’il ne pensait pas que cela était nécessaire.

[41]  De plus, il n’est pas logique de soutenir qu’un demandeur d’asile n’est pas tenu de produire des documents « tant que les documents visés se trouveraient à l’extérieur du Canada et échapperaient au contrôle du requérant » (Owusu‑Ansah c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] ACF no 442, 98 NR 312, au para 10), dans la mesure où le demandeur a par la suite obtenu les nouveaux documents à l’appui et les a présentés à la SAR.

[42]  L’argument concernant le délai avant d’obtenir de tels renseignements corroborants de la part de collègues au motif [traduction] « qu’aucun d’entre eux ne croyait qu’il était possible qu’un fonctionnaire canadien ne croie pas que j’ai travaillé au service de la comptabilité et de la paie de l’unité 70 des Peshmergas » est tout aussi insoutenable. La SAR a rejeté à juste titre l’affirmation du demandeur selon laquelle « ses anciens collègues en Irak ne pensaient pas qu’il soit possible qu’un fonctionnaire canadien rejette ce document », ce qu’elle a estimé être une explication déraisonnable. De plus, la SAR a fait remarquer qu’il aurait dû demander conseil à son avocat sur cette question, et non pas à ses collègues.

[43]  En outre, la preuve dont disposait la SAR et qui visait à démontrer que les collègues du demandeur ne croyaient pas qu’un fonctionnaire canadien puisse douter qu’il fût un employé civil figurait dans un affidavit du demandeur, et non pas dans des affidavits produits par ses collègues. Le fait que le même avocat ait représenté le demandeur tout au long des procédures suggère qu’il a été difficile d’obtenir ces renseignements directement auprès de ses collègues, qui étaient soi‑disant réticents à l’idée de l’aider en premier lieu.

[44]  Le demandeur a donné une deuxième explication pour justifier son défaut de présenter les nouveaux éléments de preuve devant la SPR, à savoir que les questions concernant son identité n’auraient pas pu être raisonnablement anticipées avant l’audience. Cette conclusion va également à l’encontre de la preuve. La principale preuve prouvant qu’il était membre du personnel civil est sa carte d’identité. À première vue, cette carte présente et désigne le demandeur comme un membre de la force militaire. Le demandeur et son avocat ont peut‑être, d’une façon ou d’une autre, négligé cette incohérence évidente soulevée par cet élément de preuve particulièrement important. Le demandeur ne peut donc pas justifier ainsi le fait qu’il n’a pas respecté l’obligation qui lui incombait de présenter des éléments de preuve corroborants très objectifs provenant des Peshmergas, puisque cela constituait le seul moyen de renverser la forte présomption selon laquelle un employeur ne délivrerait pas une pièce d’identité d’employé qui dénaturerait délibérément l’identité de son titulaire.

[45]  Le demandeur a ensuite tenté de soulever une question de justice naturelle en faisant une observation, encore une fois non fondée, concernant une forme alléguée de préclusion pour question déjà tranchée : la commissaire de la SPR leur aurait laissé croire, à lui et à son avocat lors de l’audience, que l’authenticité de la pièce d’identité ne soulevait pas de préoccupation factuelle, alors qu’en réalité, elle en soulevait. Je rejette cet argument pour un certain nombre de raisons.

[46]  Premièrement, le demandeur s’est appuyé sur la décision Sivamoorthy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 408 [Sivamoorthy], pour faire valoir que [traduction] « même si un commissaire n’avait pas indiqué explicitement qu’une pièce d’identité avait été acceptée, le déroulement de l’audience pouvait donner l’impression que celle‑ci n’était plus contestée ». La SAR avait tout à fait raison d’affirmer ce qui suit : « De toute évidence, les faits énoncés dans la décision Sivamoorthy sont sensiblement différents de ceux de la présente affaire en ce qui concerne les observations faites par le décideur de la Commission. »

[47]  Dans la décision Sivamoorthy, qui ne portait pas sur le dépôt de nouveaux éléments de preuve devant la SAR, les faits fournissaient un fondement très solide permettant à la SPR de conclure que le décideur [traduction] « a donné l’impression que [la pièce d’identité] n’était plus contestée ». Ces faits n’ont aucune ressemblance avec la présente affaire. Dans la décision Sivamoorthy, les autorités sri‑lankaises ont confirmé l’authenticité de la pièce d’identité originale. Lors de la conférence préparatoire à l’audience, l’avocat du demandeur a indiqué à plusieurs reprises qu’il croyait que l’identité du demandeur n’était plus un problème, puisque l’authenticité du document avait été confirmée. Plus précisément, en réponse à la question de savoir si le frère du demandeur témoignerait, l’avocat a déclaré : « Je ne crois pas qu’il soit nécessaire pour lui de témoigner puisque nous avons vérifié la CNI. Je n’ai donc pas l’intention de le convoquer comme témoin. » Dans de telles circonstances, l’admission d’autres éléments de preuve quant à l’authenticité de la carte d’identité était tout à fait raisonnable, étant donné que l’avocat a explicitement tenu pour acquis que celle‑ci n’était pas en cause, ce que la SPR n’a pas contredit, et que cela s’est avéré préjudiciable.

[48]  Deuxièmement, je rejette l’observation selon laquelle la commissaire de la SPR aurait soulevé des doutes imprévus lors de l’audience, de sorte que le demandeur n’avait aucune raison de croire qu’il devait fournir davantage d’éléments de preuve avant que la décision soit rendue :

[traduction]

Lors de l’audience, la commissaire de la SPR a soulevé des doutes imprévus et s’est expressément vu offrir de faire vérifier la pièce d’identité. Elle a choisi de ne pas le faire. Par conséquent, le demandeur n’avait aucune raison de penser qu’il avait encore besoin de présenter d’autres éléments de preuve démontrant qu’il avait travaillé pour les Peshmergas.

[49]  Le demandeur dénature les faits lorsqu’il prétend qu’il a été confronté au doute imprévu selon lequel il n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve, ou que la commissaire de la SPR l’a d’une façon ou d’une autre induit en erreur, ce qui lui a été préjudiciable. Cela est confirmé dans la transcription de la discussion sur cette question, laquelle est, à mon avis, résumée fidèlement par le commissaire de la SAR, qui indique implicitement [non souligné dans l’original] que les renseignements nécessaires concernant la fausse déclaration sur la carte d’identité ne peuvent être obtenus qu’auprès des forces des Peshmergas :

[38] Il ressort aussi clairement de l’enregistrement que la SPR n’a à aucun moment mentionné qu’elle acceptait les arguments du conseil de l’appelant ou que la validité de la carte d’identité n’était plus en cause. Elle a plutôt affirmé qu’elle ne pensait pas qu’il serait pratique de procéder à une authentification pour les motifs suivants : a) [traduction] « Je doute qu’ils aient un spécimen de cette carte en particulier [...] à des fins de comparaison »; b) l’allégation du conseil de l’appelant selon laquelle les Forces armées canadiennes travaillent avec les peshmergas ne [traduction] « signifie pas que [...] le centre de documentation de la GRC au Canada aurait des copies des cartes d’identité locales des forces peshmergas »; et, c) la SPR estimait qu’il n’était pas pratique d’[traduction] « envoyer [le document] en Irak pour qu’il soit vérifié par des soldats [canadiens] en Irak qui y travaillent avec les forces peshmergas. » Le fait que le conseil ait signalé que son client était disposé à consentir à la carte d’identité n’a pas créé d’obligation pour que la SPR le fasse. De même, en ne prenant pas cette mesure, la SPR n’a pas restreint sa capacité à juger que la carte d’identité était problématique.

[50]  Troisièmement, dans son observation finale, le demandeur tente d’intégrer ses arguments de manquement aux principes de justice naturelle se rapportant à une allégation non fondée ayant amené le commissaire de la SAR à conclure que la carte d’identité était falsifiée :

[traduction]

La question est de savoir si une personne raisonnable s’attendrait à ce que la commissaire de la SPR conclue que la carte d’identité a été falsifiée et que le demandeur n’est pas un employé des Peshmergas, même si la commissaire de la SPR a choisi de ne pas effectuer de vérification et que le demandeur a présenté de nombreux éléments de preuves corroborants.

[51]  La réponse à cet argument reprend en grande partie les motifs évoqués par la SAR pour rejeter l’argument susmentionné. Il est aussi complètement erroné d’affirmer que la carte d’identité a été amplement corroborée, étant donné qu’elle comporte de fausses déclarations importantes à sa face même. Quoi qu’il en soit, le demandeur confond dans ses observations le concept de falsification matérielle, une question soulevée, puis abandonnée, par la SAR, et de fausse représentation du demandeur en tant que membre de la force militaire des Peshmergas. Cette dernière question a été en litige tout au long de l’audience devant la SPR. J’examine et rejette cette allégation dans mon analyse de la deuxième question concernant le manquement présumé aux principes de justice naturelle, qui est présentée ci‑dessous.

[52]  Enfin, le demandeur soutient qu’il est [traduction] « également déraisonnable pour le commissaire de la SAR d’insister sur le fait que le demandeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve démontrant qu’il était employé par les Peshmergas, tout en [refusant] d’accepter de nouveaux éléments de preuve » pour corroborer ce qui a été présenté à la SAR. Cet argument démontre que le demandeur ne comprend pas l’objectif du paragraphe 110(4) de la LIPR. La politique qui sous‑tend le paragraphe 110(4) et les dispositions connexes est d’exiger des parties qu’elles présentent leurs meilleurs arguments à la SPR, évitant ainsi de gaspiller de précieuses ressources décisionnelles, et ce, en empêchant les demandeurs d’asile de présenter les mêmes arguments à la SAR en se fondant sur des éléments de preuve qui étaient accessibles avant que la SPR ne rende sa décision.

[53]  Par conséquent, pour les motifs exposés ci‑dessus, la décision de la SAR de refuser d’admettre les nouveaux documents est confirmée.

B.  Le commissaire de la SAR a‑t‑il manqué aux principes de justice naturelle en soulevant un nouvel argument auquel le demandeur n’a pas eu la chance de répondre?

[54]  Le demandeur présente l’observation suivante concernant le fait que la SAR aurait fondé sa décision sur un nouvel argument de falsification qui ne lui avait pas été divulgué [non souligné dans l’original] :

[traduction]

Le commissaire de la SAR a manqué aux principes de justice naturelle en examinant une « version agrandie » de la carte d’identité des Peshmergas; il a jugé qu’il pouvait voir des choses qui n’étaient pas perceptibles lors de l’examen de la carte originale, même en examinant celle‑ci avec soin, et sa décision était fondée sur une méthode qui n’avait pas été divulguée au demandeur. Bien que l’authenticité de la carte d’identité soulève manifestement un doute, la méthodologie employée par le commissaire de la SAR, soit la création d’une « version agrandie », et ce qui l’aurait apparemment motivée, n’a jamais été divulguée.

[55]  Comme il est mentionné ci‑dessus, la SAR a effectué un examen physique de l’original. Cet examen est différent, notamment pour ce qui est de la question qu’il soulève concernant les conclusions de la SPR et de la SAR selon lesquelles le contenu de la carte est inconciliable avec l’allégation du demandeur selon laquelle il serait un membre civil des Peshmergas. En l’espèce, la question de l’authenticité a été soulevée, parce que la carte indique que le demandeur est membre du personnel militaire. Il ne s’agit pas ici de la falsification physique du document. Le demandeur a fini par reconnaître que cela n’avait eu aucune incidence sur la décision, puisque le commissaire de la SAR a expressément conclu que le document n’avait pas été contrefait après avoir examiné un agrandissement de la pièce d’identité. Le commissaire a alors mentionné ce qui suit :

[34] […] Je suis d’accord avec l’appelant pour dire qu’il serait inapproprié d’appliquer les normes canadiennes aux peshmergas : ils ont peut‑être un système de fabrication de cartes d’identité qui consiste à coller physiquement des photos et des bandeaux sur une carte.

[56]  Cela élimine complètement l’argument concernant le manquement aux principes de justice naturelle par la SAR du fait qu’elle aurait fondé sa décision sur une méthode non divulguée sans donner l’occasion au demandeur d’y répondre. Toutefois, la Cour répondra aux observations connexes du demandeur concernant l’iniquité de la procédure, lesquelles sont en fait des observations sur le caractère déraisonnable des conclusions de la SAR et, par conséquent, ne seront pas examinées selon la norme de la décision correcte.

[57]  Le demandeur tente de se soustraire à l’allégation erronée d’un manquement présumé aux principes de justice naturelle en présentant un certain nombre d’observations qui remettent en question le caractère raisonnable du raisonnement du commissaire. Plus particulièrement, le demandeur tente de présenter un argument logique en affirmant que si la SAR avait accepté l’authenticité physique du document, elle aurait dû également reconnaître que le contenu du document était authentique. En tentant d’appuyer cet argument, le demandeur a mal interprété et invoqué à tort la décision Marshall c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 622 [Marshall], en affirmant qu’un [traduction] « document officiel est authentique ou faux, de sorte qu’il ne peut pas être rejeté de façon ambivalente en lui accordant “peu de poids” ».

[58]  Le juge en chef Lutfy ne fait aucune déclaration comme celle décrite ci‑dessus. Au lieu de cela, son commentaire au paragraphe 3 appuie pleinement l’approche du commissaire [non souligné dans l’original] :

[3] D’un autre côté, si l’agent d’ERAR avait accepté que la lettre était authentique, mais qu’il n’était pas satisfait des informations de fond qui y figuraient, il était tenu d’expliquer pourquoi il avait accordé peu de poids au contenu.

[59]  Une conclusion sur un aspect de l’authenticité physique du document n’exclut pas la possibilité de diminuer le poids qui lui est accordé pour les besoins d’une décision distincte sur une question sans rapport avec l’apparence physique du document. Les raisons qui ont amené à douter de l’authenticité du contenu de la carte en l’espèce sont évidentes, dans la mesure où le contenu compromet la raison d’être du document, à savoir identifier de façon fiable la personne qui en est titulaire.

[60]  Le demandeur soutient également qu’il y a une contradiction dans le raisonnement du commissaire. En effet, celui‑ci estime que la carte d’identité n’a pas été altérée, parce qu’il ne peut pas appliquer les normes canadiennes aux Peshmergas, mais il n’applique pas le même raisonnement au contenu le présentant comme un membre du personnel militaire. Je ne suis pas d’accord. C’est une chose pour le commissaire de la SAR d’accepter qu’ils « ont peut‑être un système de fabrication de cartes d’identité qui consiste à coller physiquement des photos et des bandeaux sur une carte ». C’en est une autre que d’accepter qu’une carte d’identité contrevienne intentionnellement à l’objet de ce type de document, c’est‑à‑dire permettre de bien identifier le détenteur de la carte et décrire avec exactitude les attributs importants de cette personne.

[61]  Bien qu’il reconnaisse que le commissaire n’a pas conclu que le document avait été contrefait à la suite de l’examen physique, le demandeur a néanmoins abordé la question du caractère inapproprié de l’examen d’une version agrandie aux paragraphes 28 à 31, puis séparément aux paragraphes 50 à 57. Le demandeur justifie ses arguments en ces termes :

[traduction]

Après avoir conclu qu’il ne pouvait pas considérer la carte comme un faux document, le commissaire a estimé qu’elle n’est pas authentique parce qu’il présume qu’une vraie carte des Peshmergas ne comporterait pas de photo d’un employé civil en uniforme militaire. C’est irrationnel, car un document officiel est ou n’est pas contrefait, et dire qu’un document est contrefait ou qu’un document n’est pas authentique du fait qu’il comporte une photographie inappropriée revient exactement au même. Le commissaire de la SAR ne saisit pas bien ses propres conclusions.

[62]  L’avocat n’aide pas sa cause en faisant des déclarations désobligeantes comme celle où il affirme que le raisonnement du commissaire de la SAR est irrationnel et qu’il ne saisit pas bien ses propres conclusions. De telles déclarations violent également le Code de déontologie du Barreau [de l’Ontario]. Le paragraphe 3 de la règle 5.6‑1 – Obligation d’inciter au respect de l’administration de la justice du Code de déontologie est ainsi libellé :

[3] Critique des tribunaux – Tous les citoyens et toutes les citoyennes, y compris les membres de la profession juridique, peuvent légitimement examiner et critiquer les décisions des tribunaux. Mais la loi ou les usages interdisent souvent aux juges et aux membres des tribunaux de se défendre eux‑mêmes et ce fait impose des responsabilités particulières à la profession.

[…]

En troisième lieu, lorsque les tribunaux sont la cible de critiques injustes, les avocats, de par leur participation à l’administration de la justice, sont les mieux placés pour se porter à leur défense et doivent effectivement le faire, d’abord parce que les membres des tribunaux ne peuvent pas se défendre eux‑mêmes, puis parce qu’ils permettent ainsi au public de mieux comprendre et, par voie de conséquence, de respecter davantage le système judiciaire.

[63]  En outre, ces critiques ne sont pas fondées. Le demandeur s’est plaint qu’il a été privé de son droit à la justice naturelle en raison du fait que le commissaire avait obtenu une version agrandie de sa carte d’identité et qu’il s’était fondé sur cette méthode non divulguée pour rendre sa décision. Je répète qu’il est évident que le commissaire n’a pas fondé sa décision sur cette méthode, ce qui fait que l’argument du demandeur est trompeur.

[64]  Au lieu de cela, le demandeur tente de relier la méthode non divulguée et, en fin de compte, non pertinente de l’examen physique de la carte à la question évidente et très pertinente qui hante le demandeur depuis qu’il a déclaré être un employé civil et qui amène à remettre en question l’authenticité de la carte qui le présente comme un membre du personnel militaire.

[65]  Par conséquent, le demandeur commet une erreur lorsqu’il soutient dans son mémoire [traduction] qu’« [a]près avoir conclu qu’il ne pouvait pas considérer la carte comme un faux document, le commissaire a estimé qu’elle n’est pas authentique », étant donné que la carte ne représente pas adéquatement le demandeur. Dans sa conclusion, le commissaire indique seulement que son manque d’authenticité apparent réduit le poids qu’il accorde à l’allégation du demandeur selon laquelle il serait un membre du personnel civil des Peshmergas. De plus, dès le départ, la représentation irréconciliable du demandeur en tant que membre du personnel militaire était au cœur de la présente instance, et aucun aspect s’y rattachant ne soulève de question de justice naturelle.

[66]  De toute évidence, le document n’est pas authentique parce qu’il représente le demandeur en tant que membre de la force militaire, un fait que ce dernier a admis être faux. Le demandeur a affirmé que la fausse représentation et la fausse déclaration sur la pièce d’identité avaient pour but de représenter l’échelon salarial approprié. Cet élément de preuve semble contraire au but de la carte d’identité, et il s’agit là d’une façon extrêmement détournée et trompeuse d’établir les échelles salariales de la part d’une agence gouvernementale, plutôt que de déléguer cette responsabilité aux gestionnaires et aux propriétaires comme partout ailleurs dans le monde.

[67]  Par ailleurs, il semble que l’explication selon laquelle les grades militaires sont utilisés pour déterminer l’échelon salarial ne soit pas non plus étayée par la preuve; elle ne l’est pas, du moins, dans la transcription suivante où la question a été abordée pour la première fois.

[traduction]

Commissaire : Avez‑vous demandé une protection personnelle?

Demandeur d’asile : Vous voulez dire quelqu’un qui me protège personnellement?

Commissaire : Oui.

Demandeur d’asile : Non, parce que j’étais un civil et que cela n’est pas dans leur politique de protéger le personnel civil.

Commissaire : Qu’est‑ce que cela signifie, que vous étiez un civil ou un membre du personnel civil? Quelle est la différence?

Demandeur d’asile [s’adressant à l’interprète] : Vous savez comment c’est au Kurdistan. Les gens qui sont dans les forces armées se voient fournir des gardes pour les protéger, alors que les civils n’y ont pas droit.

Commissaire : D’accord, mais je veux dire en général dans l’armée, pas dans ce cas particulier [inaudible 1:41:38.5]. Quelle est la différence entre le personnel civil, dont vous affirmez faire partie, et les vraies forces armées?

Demandeur d’asile : Lorsqu’il est question d’un « civil », cela signifie que toutes les responsabilités de cette personne sont civiles, et cela est même mentionné à la réception de son salaire. Cela signifie que cette personne ne prendra pas les armes et ne participera à aucun scénario de guerre. Elle n’est pas autorisée à utiliser ou à porter une arme quelconque, parce que les membres des Peshmergas sont ceux qui ont les armes, étant donné que ce sont eux les combattants.

Commissaire : Y a‑t‑il d’autres différences mis à part le fait de ne pas participer à la guerre?

Demandeur d’asile : C’est tout ce que je sais.

Commissaire : Le système de classement hiérarchique était‑il différent?

Demandeur d’asile : Oui, il est différent. Dans l’armée, par exemple, ils ont des officiers.

Commissaire : Qu’en est‑il du côté civil? Est‑ce...

Demandeur d’asile : Il n’y a aucun grade d’officier chez les civils.

Commissaire : La tenue est‑elle la même?

Demandeur d’asile : Non, les civils peuvent porter ce qu’ils veulent, une tenue décontractée, comme celle‑ci, mais les membres des Peshmergas sont censés porter l’uniforme, un uniforme militaire.

Commissaire : Avez‑vous un uniforme?

Demandeur d’asile : Non.

Commissaire : Pourquoi portez‑vous ce qui semble être un uniforme militaire sur votre carte d’identité?

Demandeur d’asile : Oui, c’est le cas parce que je travaillais pour la section des Peshmergas. Ils m’ont donné un grade pour m’accorder le salaire correspondant. Le ministère des Peshmergas fait aussi partie de ces organisations. Seulement pour cette photo, nous étions censés porter l’uniforme des Peshmergas.

[68]  Enfin, il y a également un problème de logique dans l’argument du demandeur. Si le commissaire de la SAR avait reconnu l’authenticité de la carte qui le présente comme un membre du personnel militaire, cela aurait eu pour effet d’invalider toute observation selon laquelle il était membre du personnel civil. Ce n’est qu’en concluant que la carte n’était pas falsifiée, mais que son authenticité était douteuse puisqu’elle le présentait de cette façon, que le commissaire pouvait accorder un certain poids à cet élément de preuve.

[69]  Le demandeur ne se rend pas compte que la SAR a accepté sa preuve selon laquelle le gouvernement représenterait faussement aux yeux du reste du monde le statut du détenteur d’une carte d’identité, allant ainsi à l’encontre de l’objet même de cette carte. La SAR accorde un certain poids au document, contrairement à la SPR qui a conclu que la représentation inconciliable l’empêchait de lui accorder du poids. Franchement, la SAR le fait sans expliquer pourquoi la SPR aurait commis une erreur en concluant qu’il ne faut pas accorder de poids à ce document. À mon avis, les deux sections auraient pu raisonnablement conclure que le document [traduction] « irrationnel » mettait sérieusement en doute l’allégation du demandeur selon laquelle il était membre du personnel civil.

[70]  Le demandeur soutient en outre que le commissaire ne devrait pas avancer des hypothèses sur le fonctionnement d’une force de sécurité relevant d’une dictature étrangère complexe, affirmant que [traduction] « le commissaire de la SAR suppose qu’une force de sécurité qui n’est même pas administrée directement par un gouvernement [sic] préparerait ses cartes d’identité ». Je ne suis pas d’accord, et ce, pour les mêmes motifs. Conclure qu’une carte d’identité qui rapporte incorrectement l’identité du détenteur pose un problème d’authenticité ne relève pas de la conjecture.

[71]  Une explication probante était nécessaire pour justifier l’incohérence, étant donné que le demandeur était présenté comme un soldat gradé sur son principal document d’identification. Ses explications, soit que le photographe demande aux employés civils de porter un uniforme ou qu’il aurait été photographié en tenue militaire pour déterminer son échelon salarial, sont toutes deux improbables et certainement insuffisantes, puisqu’il ne fournit aucune preuve objective autre que son allégation. Je répète que le fait de délivrer une carte d’identité qui dénaturerait le statut du demandeur afin qu’il obtienne une rémunération fondée sur les grades militaires est tout aussi improbable, en l’absence d’éléments de preuve objectifs expliquant pourquoi une façon aussi étrange d’administrer les salaires a été adoptée.

[72]  Par conséquent, pour les motifs décrits ci‑dessus, je ne relève aucun indice d’un manquement aux principes de justice naturelle de la part du commissaire de la SAR, ni du caractère déraisonnable de sa conclusion lorsqu’il attribue un certain manque d’authenticité à la pièce d’identité, parce qu’elle modifie le statut de membre du personnel civil des Peshmergas, comme il l’a affirmé.

C.  La décision du commissaire de la SAR était‑elle déraisonnable, compte tenu de la preuve qu’il a accepté d’examiner?

[73]  Le demandeur présente un certain nombre d’observations pour appuyer l’argument selon lequel la décision était déraisonnable. Je conclus qu’aucune erreur susceptible de révision n’a été commise. En fait, le demandeur demande à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve, ce qu’elle ne peut pas faire.

VI.  Les motifs du commissaire de la SAR ne sont pas contradictoires

[74]  Le demandeur allègue que les motifs du commissaire de la SAR sont contradictoires puisqu’il a conclu que le demandeur n’était pas un employé des Peshmergas, malgré le fait qu’il ait accepté les éléments de preuve suivants :

[75]  Le demandeur soutient que, selon la décision Carll c Canada (Solliciteur général), 27 juin 1995, dossier no IMM‑3615‑94, [1995] ACF no 1001 (QL), 56 ACWS (3e) 366 [Carll], une décision contradictoire doit être annulée. Dans la décision Carll, la Cour a annulé la décision de la Commission principalement parce que la SPR n’a pas pris de décision claire concernant la crédibilité, ce qui signifie « que la Commission devait dire si elle croyait ou non le requérant, et si elle ne le croyait pas, expliquer, au moins en termes généraux, pourquoi elle ne le croyait pas » (Carll, au para 13).

[76]  En l’espèce, le commissaire a fait part de ses préoccupations concernant la lettre adressée à l’hôpital. Il n’était pas en désaccord avec la conclusion de la SPR selon laquelle le témoignage du demandeur a évolué, en ajoutant un deuxième objectif à la lettre, mais il estimait que le témoignage n’était pas incohérent. Le commissaire n’était pas non plus en désaccord avec la SPR lorsqu’elle a souligné que la lettre ne fournissait pas de détails précis concernant le poste du demandeur et qu’il n’y avait pas de notes originales disponibles. Quoi qu’il en soit, le commissaire a conclu que la lettre avait une certaine valeur probante.

[77]  De même, le commissaire a reconnu que la lettre du collègue du demandeur appuyait l’affirmation du demandeur selon laquelle il était un employé civil du service comptable et qu’il travaillait pour le personnel civil des Peshmergas.

[78]  Toutefois, le problème commun à tous les éléments de preuve était l’absence d’éléments de preuve documentaire démontrant qu’il relevait du personnel civil, éléments qui auraient dû être facilement accessibles à une personne qui travaillait comme comptable pour cette organisation. Le commissaire a convenu avec la SPR qu’aucun des documents qui auraient dû être fournis normalement, comme des courriels, des lettres, des photographies et des documents officiels, n’a été présenté.

[79]  Le demandeur a déclaré devant la SPR qu’il existe une loi selon laquelle des tiers ne peuvent obtenir aucun document des Peshmergas et qu’il ne pouvait donc pas obtenir de tels documents, étant donné qu’il était à l’étranger. Cette explication n’a pas été jugée raisonnable par la SPR, car le demandeur n’a pas été en mesure de fournir de détails sur cette prétendue loi. La SAR a fait référence à l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (DORS/2012‑256), qui précise que le demandeur d’asile « transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile » et que « [s]’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents ».

[80]  De plus, l’explication donnée à la SPR selon laquelle la « loi » l’aurait empêché de fournir des documents est maintenant reconnue par le demandeur comme étant erronée. Cette admission appuie la conclusion de la SAR selon laquelle le demandeur n’était pas crédible et aurait dû fournir davantage de documents à l’appui. Il existe des éléments de preuve probants à l’appui de cette conclusion de fait défavorable quant à la crédibilité et à l’insuffisance de preuve.

[81]  La commissaire de la SPR a tiré une conclusion claire quant au manque de crédibilité et, dans le cadre d’un examen exhaustif de toutes les questions et de tous les éléments de preuve, elle a souligné les nombreux aspects où le demandeur manquait de crédibilité. En fin de compte, le commissaire de la SAR a approuvé la conclusion de la SPR : « la preuve de l’emploi de l’appelant par les peshmergasl’affidavit d’un collègue, la carte d’identité et la lettre des peshmergas à un hôpital était de nature limitée ». Le commissaire de la SAR a examiné les observations du demandeur, ses conclusions lui ont été favorables dans certains cas, défavorables dans d’autres, et en soupesant et en analysant ces conclusions, il a conclu que le demandeur n’était pas un employé au sein du personnel civil et qu’il n’était pas crédible. Ces évaluations ne sont pas tout à fait erronées et le processus n’est entaché d’aucune erreur susceptible de révision.

VII.  La conclusion du commissaire de la SAR concernant la carte d’identité n’est ni contradictoire ni incohérente

[82]  J’ai déjà traité des questions relatives au caractère raisonnable du traitement réservé par la SAR à la carte d’identité. Le demandeur confond le concept de preuve matérielle d’une carte frauduleuse et la situation très particulière de l’espèce, où le contenu de la carte d’identité ne correspond pas à la déclaration du demandeur selon laquelle il était membre du personnel civil. Les autres décisions citées par le demandeur, y compris celle que j’ai rendue dans Agyemang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 265, et appliquée dans Bahati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1071, portent toutes sur des altérations de documents qui, à moins que les modifications ne soient évidentes, devraient normalement être renvoyés à des experts en documents frauduleux. Quoi qu’il en soit, comme cela a été mentionné, la question n’est pas la falsification des cartes, qui sont souvent renvoyées à des experts pour les besoins d’une décision, mais plutôt les aspects de la carte du demandeur qui ne sont pas réconciliables avec ses déclarations, ce qui ne nécessite aucune expertise.

[83]  Je suis également d’accord avec la SPR lorsqu’elle affirme qu’un décideur n’est pas tenu de s’appuyer sur une carte d’identité qui dénature les attributs du détenteur de la carte, à moins qu’une preuve hautement probante soit présentée pour expliquer le casse‑tête évident que soulève cette carte d’identité. Il existe une forte présomption à l’encontre de l’émetteur d’une pièce d’identité légitime intégrant délibérément du contenu erroné dans le document ce qui mine sa raison d’être.

VIII.  La conclusion du commissaire de la SAR concernant la lettre du médecin est raisonnable

[84]  Le demandeur reconnaît que le médecin a antidaté sa lettre pour qu’elle corresponde au jour de la visite de son frère à l’hôpital. Il soutient que la date ne démontre pas que la lettre est fausse, même si elle est antidatée, ce qui est assurément une forme de falsification visant à la faire passer pour une preuve historique. Cela démontre non seulement qu’il y a eu falsification, mais aussi que le médecin a collaboré avec le frère du demandeur pour tenter d’induire en erreur le décideur. Cela étant, il n’y a pas non plus de raison de soutenir que l’affidavit du frère ne devrait pas être considéré de la même façon, soit comme un document ayant peu de valeur probante.

[85]  Le demandeur allègue également que la lettre contient les coordonnées du médecin et le nom de l’hôpital. Citant Paxi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 905, au para 52 [Paxi], le demandeur soutient que le fait que « la Commission [remette] en cause l’authenticité du document sans s’être renseignée davantage alors qu’elle disposait des coordonnées appropriées pour le faire constitue une erreur susceptible de révision ».

[86]  En toute déférence, je suis en désaccord avec le raisonnement suivi dans la décision Paxi. Au paragraphe 52 des motifs cités par le demandeur, la Cour déclare ce qui suit [non souligné dans l’original] :

[…] Cependant, la raison pour laquelle « très peu de valeur probante » a été accordée à la lettre à des fins de crédibilité est qu’elle n’était pas datée, qu’elle n’était pas notariée, et qu’il n’y avait pas de documents d’identification objectifs. En fait, la lettre est datée. L’implication voulant que les documents soient notariés ou accompagnés par d’autres « documents d’identification objectifs » avant qu’une réelle valeur probante ne leur soit accordée ne tient pas compte de la solide preuve d’authenticité qui est contenue dans la lettre elle‑même. Outre le papier à en‑tête de l’église, la date et la signature du pasteur Eduardo, la lettre est détaillée et fait autorité, et elle fournit des coordonnées détaillées, y compris un numéro de téléphone. De plus, clairement, il est facile pour quiconque qui doute de son authenticité de procéder à une vérification. […]

[87]  Je crois comprendre que l’authenticité doit être établie pour qu’un décideur puisse tenir pour acquis que le contenu du document est authentique, en particulier dans un monde où la technologie a rendu la falsification de documents beaucoup plus problématique.

[88]  Cependant, et encore plus pertinent en l’espèce, je ne souscris pas à la position selon laquelle un tribunal administratif a l’obligation de communiquer avec un témoin pour obtenir des renseignements. Ce n’est pas son rôle. Il incombe au demandeur de présenter les éléments de preuve sur lesquels il compte s’appuyer et, ce faisant, de présenter la meilleure cause possible. Il n’appartient pas à la SPR de solliciter un témoin pour obtenir des éléments de preuve établissant qu’un document est authentique et qu’une personne capable de le confirmer l’a bel et bien fait, après avoir prêté serment devant une personne autorisée. Il incombe au demandeur de fournir les renseignements nécessaires pour authentifier l’auteur et le document.

[89]  En outre, on ne sait pas trop comment le commissaire procéderait à l’entrevue téléphonique. Dans la décision Paxi, la Cour indique qu’il s’agirait uniquement d’une authentification, mais lors de la conversation avec le témoin, il serait normal de s’attendre à ce que le commissaire interroge la personne au sujet du contenu de la lettre et lui pose toutes les questions connexes afin d’en déterminer la fiabilité, y compris de confirmer l’identité du témoin. De plus, diverses questions entrent en jeu, notamment l’assermentation, la tenue à jour du dossier, la nature des questions – lesquelles pourraient nécessiter un certain contre‑interrogatoire, avec un suivi par le demandeur comme le fait habituellement le commissaire – ou la façon dont la conversation pourrait avoir lieu sans la présence du demandeur. Essentiellement, il faudrait une autre audience officielle, qui ne pourrait pas être présidée par le commissaire qui appelle les témoins pour obtenir des renseignements.

[90]  Cela dit, l’élément de preuve est une lettre d’un médecin concernant la visite du frère du demandeur à l’hôpital. Il a déjà été établi que ce document est une fabrication, parce que la date a été falsifiée. La SAR n’était pas tenue de téléphoner au médecin pour vérifier des éléments de preuve fabriqués. En outre, la déclaration du médecin quant à la cause des blessures du frère du demandeur serait une preuve par ouï‑dire. Qui plus est, signaler l’agression aux autorités et obtenir un rapport de police est la procédure normale pour corroborer une agression de la même nature que celle rapportée dans la lettre du médecin. À tout le moins, il aurait été très simple pour le demandeur d’obtenir des documents objectifs de l’hôpital, p. ex. son dossier ou des notes, qui indiquent qu’il était un patient du médecin appelé à rendre compte de l’incident ayant justifié le traitement médical.

IX.  Il est raisonnable d’accorder peu de poids à la lettre du cousin et à celle de l’employeur pour lequel le demandeur travaillait à temps partiel en Irak

[91]  Le demandeur soutient que les deux lettres corroborent sa déclaration et qu’il aurait fallu tenir compte de ce qui est effectivement dit dans ces lettres, plutôt que de ce qui y est omis, invoquant la décision Mahmud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 8019 (CF), 167 FTR 309 [Mahmud], pour appuyer son argument. En l’espèce, il est reproché à l’agent d’avoir omis de formuler des commentaires au sujet des documents qui se trouvaient dans la lettre. Je souscris aux conclusions de la SAR selon lesquelles la SPR n’a pas commis d’erreur à l’égard de ces documents, mais plutôt simplement énoncé que l’explication de la raison pour laquelle le demandeur avait dû se cacher dans sa maison n’a qu’une faible valeur probante, dans la mesure où elle a été fournie par le demandeur.

[92]  Une preuve de cette nature, présentée après coup, a peu de valeur probante lorsque le témoin ne fournit pas de renseignements personnels, mais qu’il s’appuie sur les déclarations ou la conduite du demandeur. Cela est comparable à une preuve intéressée, où le témoin présente des éléments de preuve ou fait des déclarations, à d’autres occasions, pour confirmer un témoignage. De telles preuves sont problématiques en raison du risque de fabrication, conformément à la règle selon laquelle nul n’a le droit de créer de preuve pour lui‑même. Ces éléments de preuve ont également peu de valeur probante, dans la mesure où répéter la version des faits du demandeur ne la rend pas plus probable ou digne de foi, et ce, peu importe le nombre de répétitions. (Sidney N. Lederman, Alan W. Bryant et Michelle K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada, 5e édition, Toronto : LexisNexis Canada, 2018, à 7.1‑7.3.)

[93]  En outre, en toute déférence, je ne suis pas d’accord avec le principe énoncé dans la décision Mahmud selon lequel au moment de tirer des conclusions quant à la crédibilité et au manque de valeur probante, il faut tenir compte de la preuve documentaire pour ce qu’elle dit, et non pour ce qu’elle ne dit pas. Voici les extraits pertinents de la décision Mahmud [non souligné dans l’original] :

[6] Pour parvenir à ces conclusions, le tribunal a examiné les lettres de l’oncle du demandeur et du président du JJS de Demra. Les lettres ne mentionnent qu’en termes généraux les difficultés que le demandeur dit avoir vécues. La lettre de son oncle ne mentionne aucune arrestation ni détention, alors que l’autre lettre fait état d’une détention de deux jours. Aucune d’elles ne mentionne la torture. La SSR a écrit à propos des lettres :

[traduction] Le tribunal considère qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que les lettres produites par le demandeur expressément pour corroborer sa prétention de persécution au Bangladesh soient davantage cohérentes entre elles et avec la version du demandeur. [...] Le tribunal a largement accordé au demandeur la possibilité d’expliquer la raison pour laquelle les auteurs des deux lettres n’avaient pas corroboré les prétendus problèmes du demandeur qui supposément lui donnaient raison de craindre d’être persécuté au Bangladesh, mais celui‑ci n’a pu fournir d’explication raisonnable.

[…]

[10] Dans l’affaire Ahortor c. Canada (MEI) (93‑A‑237, 14 juillet 1993), le juge Teitelbaum a décidé que la SSR avait commis une erreur lorsqu’elle avait jugé qu’un demandeur n’était pas crédible en raison de l’absence de preuve documentaire pour corroborer ses prétentions. Ainsi, malgré que le défaut de présenter de la documentation puisse être une conclusion de fait valide, cela ne peut être rattaché à la crédibilité du demandeur en l’absence de preuves contredisant les allégations.

[11] En effet, en l’espèce, la SSR a jugé que les lettres produites par le demandeur contredisaient sa preuve, non pour ce qu’elles disent, mais bien pour ce qu’elles gardent sous silence. En vertu de la jurisprudence, les lettres doivent être examinées pour ce dont elles font état. Elles appuient à première vue la preuve du demandeur, et ne contiennent aucun élément qui viendrait la contredire.

[94]  Premièrement, la décision rendue dans l’affaire Mahmud ne semble pas conciliable avec celle de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Dehghani c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1990 CanLII 8084 (CAF), [1990] 3 CF 587 (CA), au para 6 [non souligné dans l’original] :

Il est important de constater que ce ne sont pas les renseignements préjudiciables que l’on a persuadé au requérant de divulguer à l’agent d’immigration qui ont alimenté les doutes du tribunal administratif au sujet du minimum de fondement de sa revendication; c’est plutôt ce qu’il n’a pas mentionné. Parmi ses omissions, soulignons des activités politiques royalistes, la confiscation de son entreprise et l’arrestation et l’exécution de sa fille. Bien que nous soyons peut‑être obligés d’accepter le témoignage donné par le requérant dans son affidavit au sujet de son état d’esprit et de sa perception de l’interrogatoire secondaire, le tribunal administratif n’était pas restreint de la sorte dans son appréciation de la crédibilité du requérant et de la valeur du témoignage que celui‑ci a donné pour expliquer de façon plausible les omissions en question. Cette appréciation entrait parfaitement dans le cadre de ses attributions.

[95]  Deuxièmement, le renvoi à la décision Ahortor portait sur l’omission de fournir la preuve corroborante sur laquelle la Commission s’est fondée pour étayer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur témoignant à l’audience, alors que l’arrêt Maldonado c Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302, (1979) 31 NR 34 (CAF) [Maldonado] soutient le principe selon lequel un témoignage sous serment est présumé véridique. La question en litige n’était pas celle qui a été abordée ici au sujet d’un document provenant d’un témoin extrajudiciaire, à l’égard duquel l’arrêt Maldonado ne s’applique pas et qui pourrait possiblement fournir des éléments de preuve pertinents sur des questions dont la Commission est saisie, mais qui ne sont pas abordées dans le document. En outre, l’inférence défavorable tirée de l’absence de preuve corroborante attendue d’un témoin est pertinente pour déterminer si les déclarations sous serment sont suffisantes et dignes de foi, conformément à l’alinéa 170h) de la LIPR et à l’article 11 des Règles. Cette question est abordée plus en détail ci‑dessous. Troisièmement, les règles de preuve des tribunaux de l’immigration et des réfugiés et d’autres décideurs admettent la preuve extrajudiciaire ou par ouï‑dire, y compris celle contenue dans des documents. Si des documents ont été admis de façon exceptionnelle, alors que l’auteur n’est pas disponible pour un interrogatoire ou un contre‑interrogatoire, il s’ensuit que le demandeur doit faire de son mieux pour présenter ces éléments de preuve. Cela signifie que le demandeur doit s’assurer, d’autant plus lorsqu’il est représenté, que le document contient tous les éléments de preuve importants dont l’auteur du document est présumé être au courant et qu’il est en mesure de fournir au tribunal. L’incapacité de régler ces questions ne constitue pas seulement un problème d’insuffisance de la preuve, mais aussi de crédibilité.

[96]  La situation est semblable à celle où une partie a un témoin disponible qui n’est pas appelé à témoigner. Dans de telles circonstances, le défaut d’appeler le témoin soulève une présomption selon laquelle le témoignage de ce témoin nuirait à la cause de la partie, ou du moins ne l’appuierait pas. Il en va de même pour les omissions dans les documents sur des questions qui auraient pu faire l’objet d’une déclaration de l’auteur et dont l’absence est remarquable (Sidney N. Lederman, Alan W. Bryant et Michelle K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada, 5e édition, Toronto : LexisNexis Canada, 2018, à 6.471‑6.473).

[97]  La situation est semblable à une omission qui donne lieu à une fausse déclaration. Une personne peut être tenue responsable d’une fausse déclaration, même si celle‑ci n’est pas faite de manière expresse, lorsqu’elle émet une déclaration qui s’avère trompeuse parce qu’elle omet ou dissimule partiellement des renseignements qui contredisent sa déclaration ou son contenu.

X.  L’argument selon lequel la SAR présume qu’un témoignage sous serment est faux, à moins qu’il ne soit corroboré par des documents, contredit la loi et la conclusion de la SAR

[98]  Le demandeur soutient que [traduction] « [l]a présomption du commissaire de la SAR selon laquelle le témoignage sous serment doit être présumé faux, à moins qu’il ne soit prouvé avec des documents, est entièrement erronée en droit, parce qu’elle viole la règle énoncée dans Maldonado, selon laquelle un témoignage sous serment est présumé véridique ». Le demandeur ajoute que [traduction] « [m]ême lorsque [la SAR] accepte un affidavit corroborant certains aspects de la demande d’asile, elle juge que la corroboration est insuffisante ». En ce qui concerne la première observation, cela dénature encore une fois les motifs de l’agent. Quant à la dernière déclaration, la Cour n’est pas tout à fait certaine de ce à quoi fait référence le demandeur, puisqu’il ne cite aucun paragraphe auquel cette déclaration pourrait s’appliquer.

[99]  Toutefois, lorsqu’elle souligne qu’il est nécessaire de corroborer les allégations factuelles du demandeur, la SAR a correctement cité la loi et défini son application comme suit :

[50] Bien entendu, la SPR a le droit de s’attendre à ce qu’un demandeur d’asile « [transmette] des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile ». La règle 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (Règles de la SPR) l’exige. Elle est également tenue d’examiner l’explication fournie par le demandeur d’asile quant à la raison pour laquelle il n’a pas pu le faire et les mesures qu’il a prises pour se procurer de tels documents. Encore une fois, la règle 11 des Règles de la SPR l’exige. Le fait que son témoignage ait été fait sous serment n’élimine pas la nécessité d’une preuve à l’appui. [Citant la récente décision de la Cour dans l’affaire Murugesu c MCI, 2016 CF 819, au par. 30, à l’appui de cette conclusion.]

[100]  Dans la décision Kallab, aux para 147‑157, j’ai également conclu que le principe de la reconnaissance de la véracité des déclarations sous serment dégagé dans l’arrêt Maldonado ne s’applique qu’à la crédibilité de la déclaration sous serment du demandeur d’asile. Elle ne s’applique pas à la « véracité » de la déclaration en référence à l’alinéa 170h) de la LIPR, qui définit le mandat de la SPR. Par conséquent, un demandeur d’asile doit déployer des efforts réels pour étayer la déclaration, y compris conformément à l’article 11 des Règles, pour obtenir le « bénéfice du doute » que la déclaration est digne de foi, conformément au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés.

[101]  Je conclus qu’aucune erreur de procédure susceptible de révision n’a été commise en raison d’un manquement aux principes énoncés dans l’arrêt Maldonado et que la conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas produit une preuve suffisante pour corroborer ses déclarations n’est manifestement pas erronée.

XI.  Les motifs évoqués par le commissaire de la SAR pour conclure que le demandeur n’est pas crédible sont raisonnables

[102]  Citant l’arrêt Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] ACF no 228 (QL),  (1991) 130 NR 236 [Hilo], au para 6, le demandeur soutient que la Commission a manqué à son obligation de fournir des motifs clairs et évidents pour mettre en doute sa crédibilité, parce qu’elle l’a fait en termes vagues et généraux sans préciser le manque de détails et les incohérences dans la preuve.

[103]  Premièrement, je crois qu’il y a une certaine exagération dans l’arrêt Hilo en ce qui concerne les conclusions sur la crédibilité ou les motifs à l’appui, à la lumière des propos tenus dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, 2011 CSC 62, au para 12, où il est indiqué que « la cour de justice doit d’abord chercher à [compléter les motifs] avant de tenter de les contrecarrer ». Tant qu’il y a des éléments de preuve probants à l’appui de la conclusion de fait sur la crédibilité, la Cour ne peut intervenir que si l’erreur est manifeste et dominante, une conclusion qui est encore plus restrictive lorsqu’elle est appliquée aux conclusions sur la crédibilité. Cette conclusion découle de la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Jean Pierre, selon laquelle les principes énoncés dans l’arrêt Housen s’appliquent à la norme de contrôle des conclusions de fait et des inférences de fait, qui englobent toutes deux les conclusions quant à la crédibilité.

[104]  Deuxièmement, plus important encore, je ne suis pas d’accord pour dire que la SAR n’a pas expliqué son raisonnement. Elle a souligné de nombreux aspects où des questions de crédibilité ont été soulevées, notamment le fait d’être photographié en uniforme militaire pour la pièce d’identité, des explications fabriquées comme celles fournies pour justifier le retard dans la présentation de la demande d’asile, et même des documents fabriqués, ainsi que l’absence de tout document corroborant le statut d’emploi du demandeur, ce à quoi il aurait été normal de s’attendre de la part d’une personne dans la situation du demandeur.

[105]  La SAR conclut sa décision approfondie et détaillée de plus de 80 paragraphes en soupesant les aspects pour lesquels un certain poids a été accordé au témoignage du demandeur par rapport à son manque important de crédibilité et à son défaut de fournir les éléments corroborants attendus, afin d’étayer sa conclusion selon laquelle le demandeur manque généralement de crédibilité. Je ne relève aucune erreur susceptible de révision dans la décision.

B.  Règles de défense d’une cause

[106]  La Cour hésite à compléter les présents motifs qui sont déjà longs, mais elle est d’avis que les observations du demandeur ont rendu cela nécessaire. Elle profite donc de l’occasion pour réitérer certaines règles de longue date que les avocats devraient suivre lorsqu’ils défendent leurs causes en tant qu’agent ou à la Cour. Les voici :

2.  L’avocat devrait éviter de dénaturer des faits ou des questions, notamment les faits invoqués pour démontrer un manquement aux principes de justice naturelle. Il est particulièrement important d’éviter de le faire si de telles déclarations peuvent entraîner l’autorisation de poursuivre la demande.

3.  L’avocat devrait éviter de dénaturer les principes tirés de la jurisprudence citée. Pour ce faire, il est préférable d’inclure les passages cités d’une décision dans l’argumentation afin de s’assurer que l’affaire est citée pour le principe approprié.

4.  L’avocat ne devrait pas soumettre d’innombrables questions, dont la plupart n’auront aucune incidence sur le résultat. Cette pratique fait perdre inutilement du temps au décideur et à la Cour. Une partie a habituellement une ou deux bonnes questions sur lesquelles elle peut s’appuyer. Les tribunaux s’attendent à ce que les deux premières questions du mémoire soient les plus importantes. Celles‑ci doivent généralement décrire des erreurs qui sont évidentes et relativement simples à expliquer. Il n’incombe pas à la Cour ou au décideur d’examiner chaque question dont il est saisi, seulement celles qui peuvent avoir une incidence sur le résultat. Le fait que la Cour l’ait fait constitue une exception et non la règle.

XII.  Conclusion

[107]  Pour ces motifs, la demande du demandeur est rejetée. La décision de la SAR appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, tout en étant étayée par un processus décisionnel pouvant être qualifié de justifié, transparent et intelligible. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑520‑19

« P. Annis »


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.