IMM-1256-96
OTTAWA (ONTARIO), LE 17 FÉVRIER 1997
EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE RICHARD
ENTRE
YOKANANTHAM ARUMUGAM,
requérant,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
ORDONNANCE
La décision est annulée et renvoyée pour qu'un tribunal de composition différente procède à un réexamen.
J.D. RICHARD
Juge
Traduction certifiée conforme
Tan Trinh-viet
IMM-1256-96
ENTRE
YOKANANTHAM ARUMUGAM,
requérant,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE RICHARD
Le requérant demande l'annulation de la décision en date du 20 mars 1996 dans laquelle la section du statut de réfugié a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
Le requérant est citoyen du Sri Lanka et est d'origine ethnique tamoule. Il est venu au Canada le 25 septembre 1995, et il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'il prétendait avoir raison de craindre d'être persécuté du fait de sa race, de sa nationalité, de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social.
La section du statut de réfugié a reconnu que le requérant avait raison de craindre d'être persécuté dans ces parties du Sri Lanka qui étaient contrôlées par le LTTE. Toutefois, elle a conclu que le requérant avait une possibilité de refuge intérieur (P.R.I.) à Colombo.
En conséquence, la question dominante dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si le tribunal a eu tort de conclure que Colombo constituait une possibilité de refuge intérieur valable pour le requérant.
En juillet 1995, le requérant a clandestinement quitté sa ferme et son entreprise se trouvant à environ 25 kilomètres de Jaffna, avec son oncle, et il a choisi Colombo comme lieu de sécurité éventuel, loin de ses problèmes avec les Tigres. Lorsqu'il est entré dans le territoire contrôlé par le gouvernement, il a traversé un point de contrôle de l'armée, et il s'est rendu à Vavuniya où il a obtenu la permission requise de la police pour prendre le train à destination de Colombo.
Le requérant et son oncle sont descendus dans l'auberge Ajantha à Colombo, et ils se sont déclarés à la police. Le requérant avait l'intention de tenter de mettre sur pied une entreprise à Colombo. Trois jours plus tard, une rafle a eu lieu dans l'auberge et 35 Tamouls, y compris le requérant et son oncle, ont été arrêtés. Ceux qui ont été arrêtés étaient des hommes et des femmes de différents âges. Ils ont été amenés à un poste de police où le requérant a été accusé d'être un militant ou un partisan du LTTE.
Lorsque le requérant a nié l'être, il a reçu une gifle au visage et on l'a battu avec la crosse d'un fusil. Le requérant croyait qu'on allait le tuer. Le requérant y a été détenu pendant deux jours et puis, lui et environ quinze autres détenus ont été amenés à un autre centre de détention. Le requérant a témoigné qu'il avait été transféré au second centre de détention pour subir une enquête complète. Le requérant a été accusé de faire partie des Tigres et a fait l'objet de diverses formes de harcèlement. Un officier de l'armée a dit [TRADUCTION] «Les Tamouls sont des Tigres et ils devraient tous être tués». Ceux des détenus qui ont été transférés à ce second centre de détention étaient des Tamouls qui avaient été pris dans différentes auberges. Le requérant a été détenu dans ce second endroit pendant quatre jours.
L'oncle du requérant a payé un pot-de-vin pour obtenir la libération du requérant. Selon le requérant, lorsqu'il a été libéré, on l'a averti de ne pas demeurer à Colombo, qu'il devrait retourner au Nord et qu'il serait tué s'il était de nouveau arrêté. Avant la libération du requérant, on a pris sa photo et ses empreintes digitales.
Après sa libération, le requérant a souffert de douleur par suite du traitement qu'il avait reçu, et il a soigné ses blessures au moyen de médicaments.
Le requérant est demeuré à Colombo pendant environ un mois après sa libération.
Le tribunal n'était pas convaincu que la preuve établissait l'existence d'un risque raisonnable que le requérant soit persécuté s'il devait retourner à son pays d'origine, puisque la preuve laissait clairement entendre qu'une P.R.I., dans les circonstances particulières du requérant, existait pour lui à Colombo.
Le tribunal n'a pas tiré de conclusions défavorables quant à la crédibilité du requérant.
L'avocat du requérant soutient que la décision du tribunal n'était pas judicieuse sur le point de vue juridique, et il s'est appuyé sur le critère à deux volets énoncé par le juge Mahoney dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Ratsaratnam c. M.E.I., [1992] 1 C.F. 706 :
À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.
L'avocat du requérant soutient également que le tribunal, en ne reconnaissant pas que le traitement connu par le requérant aux mains des agents de l'État à Colombo constituait de la persécution, n'a pas suivi la déclaration dans l'affaire Thirunavukkasuru[1] selon laquelle les coups donnés aux suspects ne peuvent jamais être considérés comme faisant partie des enquêtes parfaitement légitimes, si dangereux que les suspects semblent être. L'avocat prétend que le traitement connu par le requérant équivaut à de la persécution, et qu'il n'était donc pas loisible au tribunal de conclure que le requérant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo.
Le tribunal n'a ni oublié ni méconnu la preuve que le requérant avait été détenu et maltraité à Colombo. Toutefois, le tribunal a conclu qu'il existait moins qu'une sérieuse possibilité qu'il soit persécuté parce qu'il y avait la preuve que la situation des Tamouls à Colombo s'améliorait.
Compte tenu du dossier dont je dispose, je conclus que le tribunal a eu tort, en premier lieu, de n'avoir pas déterminé si le traitement connu par le requérant aux mains des agents de l'État à Colombo équivalait à de la persécution et, en second lieu, de n'avoir pas examiné si, dans les circonstances, il serait raisonnable pour le requérant de déménager à Colombo. En conséquence, la décision est manifestement déraisonnable.
Par ces motifs, la décision est annulée et renvoyée à un tribunal de composition différente pour qu'il procède à un réexamen.
J.D. RICHARD
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 17 février 1997
Traduction certifiée conforme
Tan Trinh-viet
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE :IMM-1256-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :YOKANANTHAM ARUMUGAM et MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :Le 4 février 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE RICHARD
EN DATE DU17 février 1997
ONT COMPARU :
Toni Schweitzer pour le requérant
David Tyndale pour l'intimé
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman & Associates pour le requérant
Toronto (Ontario)
George Thomson
Sous-procureur général du Canada
pour l'intimé