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Date : 20200121


Dossier : IMM‑2198‑19

Référence : 2020 CF 86

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

SRISHTI SURI

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision par laquelle un agent des visas [l’agent] a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse, Srishti Suri. L’agent a conclu que la demanderesse était interdite de territoire en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], pour avoir directement ou indirectement fait une présentation erronée sur un fait important qui aurait entraîné une erreur dans l’application de la LIPR.

II.  Le contexte

[2]  La demanderesse est une citoyenne de l’Inde. Le 2 novembre 2018, elle a présenté une demande de permis d’études en vue d’obtenir un certificat d’études supérieures en administration des affaires à la School of Business and Economics de l’Université Algoma, à Sault Ste. Marie.

[3]  La demanderesse a produit avec sa demande un certificat de placement garanti [CPG] de la Banque Scotia pour prouver qu’elle disposait de suffisamment de ressources pour financer ses études au Canada.

[4]  Le 30 janvier 2019, un agent d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a envoyé à la demanderesse une lettre d’équité procédurale dans laquelle il l’informait qu’il craignait qu’elle puisse être interdite de territoire pour fausses déclarations. La lettre indiquait que le CPG qu’elle avait produit avait été contrôlé et qu’il avait été confirmé qu’il était frauduleux.

[5]  Le 4 février 2019, le père de la demanderesse a répondu à la lettre d’équité procédurale. Il a expliqué que sa fille n’avait pas préparé les documents financiers elle‑même, mais qu’elle avait payé un agent de voyages en Inde pour le faire. La famille avait donné de l’argent comptant à cet agent de voyages, qui leur avait fourni le CPG et avait prétendu avoir déposé l’argent à la banque au Canada. La demanderesse avait ensuite présenté le CPG avec sa demande de permis d’études. Après avoir découvert que le CPG était frauduleux, le père de la demanderesse a essayé de communiquer avec l’agent de voyages, en vain.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[6]  Dans une lettre datée du 7 mars 2019, l’agent a rejeté la demande de permis d’études de la demanderesse. Cette lettre indique que la demanderesse a été jugée interdite de territoire au Canada en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR pour avoir fait, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. La lettre précise en outre que la demanderesse demeurera interdite de territoire au Canada pendant cinq ans à compter de la date de la lettre, comme le prévoit l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.

[7]  Les notes du Système mondial de gestion des cas [le SMGC] relatives au dossier indiquent que le CPG présenté par la demanderesse a été contrôlé et qu’il a été confirmé qu’il était frauduleux ou non authentique. L’agent de réexamen s’est dit préoccupé par le fait que si le CPG avait été jugé authentique, l’agent aurait pu conclure que la demanderesse avait les ressources financières nécessaires pour payer ses études et son logement au Canada et qu’elle satisfaisait ainsi aux exigences de l’article 220 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR]. L’agent de réexamen a noté que la réponse à la lettre d’équité procédurale avait fait l’objet d’un examen approfondi et minutieux, mais qu’il n’était pas convaincu que les préoccupations d’IRCC relatives aux fausses déclarations avaient été dissipées de manière satisfaisante. L’agent de réexamen a transmis le dossier, à des fins d’examen, à un décideur délégué.

[8]  La toute dernière entrée dans le SMGC est brève. Elle est ainsi libellée :

[traduction

Sur la foi des notes de l’agent de réexamen et des renseignements disponibles, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’intéressée a fait une fausse déclaration dans sa demande, ce qui aurait entraîné une erreur dans l’application de la LIPR, comme l’a expliqué l’agent de réexamen. L’intéressée a été informée de nos préoccupations et n’a pas réussi à les dissiper de manière crédible. Ainsi, compte tenu de tous les renseignements dont je dispose, je conclus que la demanderesse est interdite de territoire pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

IV.  Les questions en litige

[9]  Les questions en litige sont les suivantes :

  • (1) L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale lorsqu’il a traité la demande de permis d’études de la demanderesse?

  • (2) La décision de l’agent est‑elle raisonnable?

V.  La norme de contrôle

[10]  Les parties ont déposé leurs mémoires avant la publication des arrêts de la Cour suprême du Canada dans les affaires Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66.

[11]  La demanderesse n’a présenté aucune observation quant à la norme de contrôle. Le défendeur a fait valoir que les décisions discrétionnaires des agents des visas sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Odutola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1352, au par. 9).

[12]  La Cour a envoyé une directive aux parties et leur a donné la possibilité de présenter des observations écrites supplémentaires sur la norme de contrôle et l’application de celle‑ci. Le défendeur et la demanderesse ont présenté leurs observations dans des lettres datées du 10 janvier 2020.

[13]  Suivant l’arrêt Vavilov, lorsqu’une cour examine une décision administrative sur le fond, la norme de contrôle présumée est celle de la décision raisonnable (Vavilov, précité, au par. 23). La Cour suprême a relevé deux types de situations dans lesquelles cette présomption peut être réfutée (Vavilov, au par. 32). En l’espèce, la présomption n’est pas réfutée, et je ne vois aucune raison, au vu des faits, de s’écarter de la norme appropriée ou de l’application de celle‑ci. La norme de contrôle à appliquer à la décision de l’agent est donc celle de la décision raisonnable.

[14]  La norme de contrôle à appliquer aux questions d’équité procédurale demeure inchangée (Vavilov, au par. 23). Ainsi, pour déterminer si l’agent s’est acquitté de son obligation d’équité procédurale, il faut appliquer la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79).

VI.  Les dispositions législatives applicables

[15]  Aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, emporte interdiction de territoire pour fausses déclarations le fait de faire, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.

[16]  L’interdiction de territoire court pour les cinq ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger est jugé interdit de territoire pour fausses déclarations à l’extérieur du Canada (LIPR, al.  40(2)a)).

[17]  L’article 220 du RIPR est ainsi libellé :

À l’exception des personnes visées aux sous‑alinéas 215(1)d) ou e), l’agent ne délivre pas de permis d’études à l’étranger à moins que celui‑ci ne dispose, sans qu’il lui soit nécessaire d’exercer un emploi au Canada, de ressources financières suffisantes pour :

a) acquitter les frais de scolarité des cours qu’il a l’intention de suivre;

b) subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille qui l’accompagnent durant ses études;

c) acquitter les frais de transport pour lui‑même et les membres de sa famille visés à l’alinéa b) pour venir au Canada et en repartir.

VII.  Analyse

A.  L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’équité procédurale?

[18]  La demanderesse fait valoir que l’agent ne l’a pas informée de la façon dont le CPG avait été contrôlé ni de l’identité de la personne qui avait confirmé que le CPG était frauduleux. De surcroît, l’agent ne lui a pas demandé de produire des documents supplémentaires pour démontrer qu’elle disposait de ressources financières suffisantes pour étudier au Canada. La demanderesse soutient que, pour s’acquitter de son obligation d’équité procédurale, l’agent devait lui donner un avis valide et la possibilité de dissiper ses préoccupations particulières.

[19]  Le défendeur avance qu’il est difficile de comprendre comment le fait que l’agent n’a pas mentionné dans la lettre d’équité procédurale que le CPG avait été déclaré invalide par la Banque Scotia aurait pu nuire à la capacité de la demanderesse de répondre à cette lettre.

[20]  Je suis d’accord. Il n’y a pas de manquement à l’équité procédurale si un demandeur a une possibilité raisonnable de réfuter ce qu’on lui reproche, en particulier s’il profite de cette possibilité (Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 440, au par. 12). Dans la présente affaire, l’agent a informé la demanderesse qu’il avait été confirmé que le CPG était frauduleux. C’était le seul détail de la demande de permis d’études qui le préoccupait. La demanderesse a eu la possibilité d’y répondre et en a profité. Elle a présenté une réponse sous forme d’une lettre rédigée par son père expliquant que les documents relatifs au CPG lui avaient été remis par un agent de voyages. Cependant, la question de la nature frauduleuse du CPG n’a jamais été abordée.

[21]  Il est vrai que, dans sa lettre d’équité procédurale, l’agent d’IRCC n’a pas demandé à la demanderesse de fournir d’autres documents pour prouver qu’elle disposait de ressources financières suffisantes pour étudier au Canada. Cependant, il ne lui était pas nécessaire de le faire puisqu’il lui a donné la possibilité de [traduction« présenter des observations » en réponse à sa lettre. Si la demanderesse avait souhaité présenter d’autres documents, elle aurait pu le faire.

B.  La décision de l’agent est‑elle raisonnable?

[22]  Pour déterminer si la décision de l’agent est raisonnable, la Cour doit se demander si elle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov, au par. 99). Il incombe à la demanderesse de convaincre la Cour que les lacunes reprochées sont suffisamment importantes pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov, au par. 100).

[23]  La demanderesse fait valoir que les notes du SMGC indiquent simplement que l’agent a examiné et pris en compte sa réponse à la lettre d’équité procédurale, mais qu’elles ne précisent pas pourquoi l’agent n’était pas satisfait de cette réponse. La demanderesse soutient que l’agent aurait dû examiner sa réponse en tenant compte de son niveau de scolarité élevé et de la déclaration d’intention dans laquelle elle a expliqué qu’elle souhaitait étudier au Canada.

[24]  L’agent avait l’obligation d’examiner le dossier dans son intégralité (Shao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 610, au par. 37). Toutefois, l’attention qu’il a accordée au CPG frauduleux est justifiée compte tenu de l’exigence énoncée à l’article 220 du RIPR, qui prévoit qu’un agent ne doit pas délivrer de permis d’études à moins que le demandeur n’établisse qu’il dispose de ressources financières suffisantes pour financer ses études. En l’espèce, l’agent ne pouvait pas délivrer un permis d’études à la demanderesse à moins qu’elle satisfasse à l’exigence énoncée à l’article 220 du RIPR, et ce, même si elle satisfaisait aux autres exigences de la LIPR et du RIPR. En outre, les notes du SMGC indiquent précisément que l’agent a pris sa décision [traduction« sur la foi de tous les renseignements disponibles ».

[25]  Enfin, la demanderesse fait valoir que l’agent disposait de suffisamment de documents pour conclure qu’elle était une véritable étudiante et qu’il y avait une explication raisonnable pour justifier le CPG frauduleux. Comme il est indiqué ci‑dessus, l’agent a examiné les documents à l’appui du statut d’étudiante de la demanderesse, mais ceux‑ci n’étaient pas pertinents au regard de sa décision selon laquelle la demanderesse était interdite de territoire pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[26]  Même si la demanderesse a expliqué que le CPG frauduleux avait été fourni par son agent de voyages, il n’en demeure pas moins que c’est à elle qu’incombe ultimement la responsabilité de tous les documents figurant dans sa demande de permis d’études. Une erreur ou une fausse déclaration faite par son agent de voyages n’empêche pas l’application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR (Cao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 450, au par. 31).

[27]  Il est regrettable que la conséquence de cette fausse déclaration soit une interdiction de territoire de cinq ans, mais la demanderesse a manqué à son obligation de franchise. La décision de l’agent est raisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2198‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Michael D Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de février 2020.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DoSSIER :

IMM‑2198‑19

 

INTITULÉ :

SRISHTI SURI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JANVIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 JANVIER 2020

 

COMPARUTIONS :

Robert Gertler

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Kevin Doyle

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gertler Law Office

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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