Date : 20200204
Dossier : T-2201-18
Référence : 2020 CF 189
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 4 février 2020
En présence de monsieur le juge James W. O’Reilly
|
ENTRE :
|
X
|
demanderesse
|
et
|
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La demanderesse est une cadre supérieure chevronnée de la fonction publique. En 2017, plusieurs de ses subordonnés ont déposé une plainte contre elle auprès de leur syndicat. En 2018, un employé a déposé une plainte officielle en vertu de la partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86-304 (toutes les dispositions dont il est question dans les présents motifs sont reproduites en annexe). La partie XX du Règlement s’intitule « Prévention de la violence dans le lieu de travail »
.
[2]
En réponse aux plaintes, un directeur général a lancé une enquête informelle en application du paragraphe 20.9(2) du Règlement dans le but de « tente[r] avec l’employé de régler la situation à l’amiable dès que possible »
. Il a recommandé à la demanderesse d’accepter un règlement informel des plaintes en reconnaissant qu’elles étaient fondées, en s’excusant et en s’engageant à modifier son comportement à l’avenir. La demanderesse a refusé. Par conséquent, le directeur général a nommé une « personne compétente »
pour faire enquête en vertu du paragraphe 20.9(3) du Règlement.
[3]
La personne compétente a interrogé 11 employés actuels et anciens. Ils ont décrit le comportement de la demanderesse en milieu de travail et ont mentionné qu’elle proférait des menaces et qu’elle faisait preuve d’intimidation et d’ingérence. Seulement trois des employés interrogés ont accepté que leur identité soit révélée à la demanderesse.
[4]
Le directeur général a invité la demanderesse à participer à l’enquête en acceptant d’être interrogée par la personne compétente. En réponse à cette invitation, la demanderesse a demandé à connaître les détails des plaintes déposées contre elle. Le directeur général a initialement refusé de les lui communiquer. À la suite d’une discussion entre le directeur général, la personne compétente et la demanderesse, d’autres détails ont été fournis à cette dernière en septembre 2018.
[5]
Même si la demanderesse n’avait pas encore accepté d’être interrogée, la personne compétente a remis un rapport de son enquête en novembre 2018, dans lequel elle a conclu que la demanderesse avait exposé les employés à divers types de violence psychologique. Elle a reconnu que la demanderesse aurait pu être en mesure d’expliquer bon nombre de ses gestes si elle avait été interrogée. Cependant, la personne compétente était d’avis que les éléments de preuve qu’elle avait recueillis sans la participation de la demanderesse étayaient ses conclusions. Dans son rapport, elle a recommandé de prendre des mesures disciplinaires à l’encontre de la demanderesse, de la démettre de ses fonctions de gestionnaire, de lui fournir de la formation et de l’encadrement et de superviser son travail.
[6]
La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire du rapport. Elle me demande d’annuler le rapport pour manque d’équité procédurale au motif qu’il a été préparé sans qu’elle et des témoins qu’elle aurait pu présenter puissent y contribuer de façon significative et parce que la personne compétente et le directeur général ne lui ont pas fourni suffisamment de détails. Elle soutient également que le rapport était déraisonnable.
[7]
Je ne peux pas annuler le rapport. Il ne fait qu’énoncer des recommandations à l’intention de l’employeur de la demanderesse. Il ne s’agit pas d’une décision susceptible de contrôle judiciaire. La présente demande est donc prématurée. Étant donné cette conclusion, il est inutile que j’aborde les arguments de la demanderesse concernant le caractère inéquitable et déraisonnable du rapport. La seule question en litige est celle de savoir si la demande est prématurée.
II.
La demande de contrôle judiciaire est-elle prématurée?
[8]
La demanderesse soutient que le rapport équivaut à une conclusion définitive sur la question de la violence en milieu de travail et que la Cour est l’instance appropriée devant laquelle il convient de contester les conclusions du rapport. Elle affirme ne pas avoir d’autre recours véritable.
[9]
Je ne suis pas d’accord.
[10]
Le rapport de la personne compétente fait partie d’un processus en cours qui n’est pas encore terminé. Quelques mois après que le rapport a été rédigé et remis à la demanderesse, les parties – la demanderesse, son conseiller juridique et son employeur – se sont réunies pour en discuter. À ce moment-là, la demanderesse n’avait pas fourni de réponse écrite au rapport. En février 2019, on lui a de nouveau demandé de fournir une réponse écrite ou d’accepter d’être interrogée par la personne compétente. La demanderesse a fourni sa réponse en mars 2019.
[11]
En avril 2019, l’employeur a préparé son propre rapport en se basant sur les conclusions de la personne compétente et la réponse de la demanderesse. Il a rencontré la demanderesse en juin 2019 afin de discuter de son rapport.
[12]
À ce jour, l’employeur n’a pas pris de mesure administrative contre la demanderesse en réponse au rapport de la personne compétente. La demanderesse affirme avoir subi des conséquences négatives en lien avec le rapport : elle a dû changer de poste, a reçu une mauvaise évaluation de rendement et a été obligée de suivre une formation et de participer à des séances d’encadrement. Toutefois, ces conséquences ne découlaient pas du rapport, mais plutôt des plaintes sous‑jacentes. En effet, ces conséquences sont antérieures à la conclusion du rapport, et la demanderesse disposait de recours pour les contester. L’annulation du rapport visé par le contrôle judiciaire n’aurait aucune incidence sur les conséquences négatives subies par la demanderesse.
[13]
Je constate également que le rapport de la personne compétente a été préparé dans le cadre d’un régime réglementaire qui vise à prévenir la violence en milieu de travail et non à imposer des mesures disciplinaires aux personnes qui en sont responsables. De plus, ce régime oblige l’employeur à mettre en place des mesures pour éviter que la violence dans le lieu de travail ne se répète après avoir reçu un rapport d’enquête contenant des conclusions et des recommandations. Par conséquent, selon ce régime, l’autorité décisionnelle revient aux employeurs. Les personnes visées par ces décisions peuvent demander leur annulation par voie de contrôle judiciaire. Ce régime réglementaire renforce ma conclusion selon laquelle la demande de contrôle judiciaire du rapport de la personne compétente présentée par la demanderesse est prématurée.
III.
Conclusion et dispositif
[14]
Comme la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est prématurée, je dois la rejeter avec dépens.
JUGEMENT dans le dossier T-2201-18
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.
« James W. O’Reilly »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 11e jour de février 2020.
Mylène Boudreau, traductrice
Annexe
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-2201-18
|
INTITULÉ :
|
X c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Ottawa (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 18 NOVEMBRE 2019
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE O’REILLY
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
|
LE 4 FÉVRIER 2020
|
COMPARUTIONS :
Janice B. Payne
Dana Du Perron
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Joel Stelpstra
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Nelligan, O’Brien, Payne LLP
Avocats
Ottawa (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|