Date : 20040428
Dossier : T-676-03
Référence : 2004 CF 626
Montréal (Québec), le 28 avril 2004
Présente : Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer
ENTRE :
MAMIDIE KEÏTA et
BERNARD MICHAUD
demandeurs
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET IMMIGRATION DU CANADA
et
COMMISSAIRE ÀLA PROTECTION
DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada (le « ministre » ) de refuser la communication de certains renseignements aux demandeurs. Cette demande vise également la révision des recommandations du Commissaire à la protection de la vie privée (le « commissaire » ) de refuser de répondre aux questions du 18 mars 2003 des demandeurs.
LES FAITS
[2] Le 26 juin 2001, les demandeurs ont déposé des demandes d'accès à certains renseignements personnels.
[3] Le 16 août 2001, le ministre remettait aux demandeurs quelques-uns des documents demandés. Des compléments de réponses furent transmis par la suite les 23 octobre, 5 novembre et 3 décembre 2001 ainsi que les 14 janvier, 2 décembre et 6 décembre 2002.
[4] Les demandeurs, insatisfaits des renseignements acheminés par le ministre, ont déposé une plainte au commissaire.
[5] Le commissaire a procédé à une enquête afin de déterminer le bien-fondé de la plainte des demandeurs conformément à l'alinéa 29(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, c. P-21 (la « Loi » ). Tel que requis au paragraphe 35(1) de la Loi, le 7 mars 2003, le commissaire a fait part de ses conclusions aux demandeurs, les informant que leurs plaintes étaient fondées mais que puisque le ministre leur avait fourni les renseignements personnels manquants suite au dépôt de la plainte, celle-ci était considérée résolue.
[6] Quant aux informations demandées, mais non communiquées par le ministre, le commissaire informa les demandeurs que celles-ci étaient des informations relatives à des tiers et qu'elles étaient donc exemptées en vertu de l'article 26 de la Loi.
[7] Le commissaire les informa également que les ambassades d'Abidjian et de Conarky ne détenaient aucun autre renseignement personnel supplémentaire à leur sujet. Les dossiers de visiteurs ne sont conservés que pour une période maximale de deux ans après une intervention. Puisque ce délai était expiré, des informations supplémentaires ne pouvaient être communiquées puisqu'elles avaient été détruites.
[8] Suite à la réception de ce rapport du commissaire, les demandeurs, dans une lettre datée du 18 mars 2003, ont demandé une révision du traitement de leurs demandes d'accès aux renseignements personnels. Les demandeurs enjoignaient le commissaire de compléter un rapport et de répondre aux questions qu'ils soulevaient dans leur correspondance.
[9] Le 28 mars 2003, le commissaire accusait réception de leur lettre, mais affirmait que l'enquête ne serait pas réouverte.
[10] Le 17 novembre 2003, les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 41 de la Loi.
[11] Les demandeurs indiquent dans leur avis de demande qu'ils recherchent les mesures de redressement suivantes :
1) Ordonner au commissaire de répondre à toutes les questions et sous-questions des demandeurs incluses dans leur lettre du 18 mars 2003 ;
2) Réviser les décisions rendues par les défendeurs ;
3) Ordonner au ministre de communiquer aux demandeurs les renseignements dont la communication leur a été refusée et de rendre intelligibles certains renseignements communiqués sous forme codée et/ou dans une langue autre que celle de leur demande de renseignements ;
4) Ordonner au ministre que tous les mensonges, calomnies, inexactitudes et informations erronées contenus dans les dossiers des demandeurs et tout autre dossier ou source de données du ministre qui est véhiculé à l'intérieur du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration soient corrigés ou effacés et que des preuves authentiques et certifiées de l'exécution de cette ordonnance soient présentées à la Cour et aux demandeurs dans un délai maximal de 30 jours ;
5) Ordonner au ministre de présenter aux demandeurs une lettre d'excuses officielle, signée par le ministre lui-même, pour tous les sévices moraux et inconvénients qu'ils ont subis ;
6) Ordonner au ministre de payer aux demandeurs un dédommagement sous la forme d'une compensation monétaire nette de 25 000 $ attribuée en parts égales à chacun des demandeurs et de condamner le ministre à payer tous les frais et dépens de la présente demande et de rembourser aux demandeurs tous les frais, dépens, honoraires de représentation, pertes de salaire et intérêts encourus depuis la présente demande jusqu'à sa conclusion ;
7) Ordonner au ministre d'inviter les demandeurs à ses frais à une rencontre avec une personne suffisamment gradée, impartiale et ayant l'autorité d'arbitrer et le pouvoir décisionnel pour faire renverser la décision du personnel du ministre afin de mettre un terme définitif au traitement que le ministre a injustement fait subir aux demandeurs ;
8) Ordonner au commissaire d'envoyer une lettre d'excuses officielle aux demandeurs relativement à la façon désinvolte dont leur plainte a été traitée et pour la partialité dont il a fait preuve à leur détriment ;
9) Adresser un blâme sévère écrit au commissaire lui rappelant sa raison d'être et son obligation de crédibilité et d'impartialité dans l'exercice de son mandat.
[12] En premier lieu, il est important de rappeler que le seul pouvoir de cette Cour en pareille matière est d'ordonner la communication des renseignements lorsque la communication a été refusée contrairement aux dispositions de la Loi (Connolly c. Société canadienne des postes (2000),197 F.T.R. 161).
[13] Il en découle que plusieurs des conclusions recherchées par les demandeurs ne sauraient être accueillies dans le cadre de leur demande de contrôle judiciaire. Il s'agit de la demande en dommages-intérêts, la demande de lettre d'excuses du ministre, la demande de rencontrer une personne « suffisamment gradée » ainsi que la demande de modifier le contenu des dossiers de citoyenneté et immigration Canada.
[14] Quant à la divulgation de documents « sous forme codée » , il s'agirait de documents informatisés. Or, je ne peux que constater que les demandeurs ont coché la case « tels quels » sur le formulaire de demande d'accès à des renseignements personnels; c'est donc ce que leur a fourni le ministre.
[15] Eu égard à la communication de certains renseignements personnels impliquant des tiers, l'article 26 de la Loi reçoit ici pleine application.
[16] L'article 26 se lit comme suit :
26. Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) qui portent sur un autre individu que celui qui fait la demande et il est tenu de refuser cette communication dans les cas où elle est interdite en vertu de l'article 8. |
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26. The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) about an individual other than the individual who made the request, and shall refuse to disclose such information where the disclosure is prohibited under section 8. |
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[17] Dans l'arrêt Mislan c. Canada (Ministre du Revenu) (1998), 148 F.T.R. 121, le juge Rothstein a indiqué que le pouvoir discrétionnaire exercé en vertu de l'article 26 de la Loi de refuser la communication l'emporte sur le droit de la personne qui fait la demande de renseignements personnels d'y avoir accès.
[18] Tel est la situation dans le présent dossier. Je suis donc satisfaite que le ministre a agi de bonne foi et conformément à la Loi dans son traitement de la demande d'accès.
[19] Les demandeurs tentent également par le biais de leur contrôle judiciaire en vertu de l'article 41 de la Loi d'obtenir la révision des recommandations du commissaire.
[20] Or, le bien-fondé des recommandations du commissaire n'est pas sujet aux pouvoirs de révision de la Cour. La jurisprudence est claire et abondante sur ce point.
[21] Dans une affaire récente qui portait sur un régime similaire prévu à la Loi sur l'accès à l'information, la Cour d'appel fédérale dans Canada (procureur général) c. Bellemare, [2000] A.C.F. no 2077 a conclu que la Cour n'avait pas compétence en vertu de l'article 41 de procéder à une révision judiciaire des recommandations du commissaire. Le juge Noël affirmait :
[...] La demande est dirigée contre les décisions du Commissaire à l'information, en ce qu'elles refusent de donner suite aux plaintes présentées contres les institutions gouvernementales en cause. La Loi, prise dans son ensemble, et notamment ses articles 7, 19, 43, 48, 49 et 50, exprime très clairement que c'est l'organisme gouvernemental qui n'a pas transmis les renseignements demandés en vertu de la Loi qui doit justifier son refus, et non le Commissaire à l'information. Comme le juge Stone, J.C.A., l'a déclaré dans l'arrêt Rubin c. Canada (Greffier du Conseil privé), [1974] 2 C.F. 707, à la p. 713 :
L'article 37 ne semble imposer au responsable de l'institution fédérale aucune obligation de donner suite aux recommandations du Commissaire à l'information. Lorsque le responsable de l'institution fédérale s'obstine à refuser la communication de renseignements dont le Commissaire à l'information a recommandé la divulgation, le plaignant ne peut donc rien faire d'autre que d'exercer un recours en révision devant la Section de première instance en vertu de l'article 41 de la Loi.
L'article 41 n'autorise pas un recours à l'encontre du Commissaire à l'information (Wells c. Canada (Ministre des Transports et autres) T-1729-92 (19 avril 1993).
Dans l'arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, à la p. 421, le juge La Forest déclare ceci, au nom de la majorité : « L'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information prévoit la révision d'une décision de refuser la communication d'un document ... » . Dans Conseil canadien des oeuvres de charité chrétiennes c. Canada (Ministre des Finances), [1999] 4 C.F. 245, à la p. 255, le juge Evans (alors à la Section de première instance) a examiné les principes juridiques qui régissent l'application de l'article 41 et conclu que la décision faisant l'objet d'un contrôle était celle du responsable de l'institution de refuser la communication de renseignements et non les conclusions du Commissaire à l'information :
... il est nécessaire d'examiner la norme de contrôle applicable au refus du ministre de communiquer les renseignements en question. Contrairement à certaines lois provinciales analogues, la Loi sur l'accès à l'information de régime fédéral ne confère pas au commissaire canadien à l'information le pouvoir de décider si un document particulier doit ou non être communiqué. Il lui confère plutôt le pouvoir d'enquêter sur les refus de communiquer les renseignements demandés et de faire des recommandations au responsable d'une institution fédérale ... Étant donné que les recommandations du commissaire n'ont pas d'effet obligatoire, la décision qui fait l'objet du contrôle par la Cour fédérale en vertu de l'article 41 est la décision du ministre et non pas celle du commissaire à l'information.
En bref, l'article 41 n'accorde aucune compétence à la Cour pour procéder au contrôle judiciaire des conclusions et recommandations du Commissaire à l'information. Par conséquent, le juge des requêtes n'avait pas compétence pour autoriser la demande de contrôle judiciaire à procéder. (Je souligne).
[22] Ces remarques trouvent pleine application en l'espèce. Les demandeurs ne peuvent par le biais de leur contrôle judiciaire concernant le refus du ministre de communiquer l'information demandée, procéder au contrôle judiciaire des recommandations du commissaire.
[23] Bien que je comprenne les frustrations des demandeurs eu égard aux lourdeurs de l'appareil gouvernemental, il me faut accepter les limites de ma compétence lorsqu'il s'agit d'un contrôle judiciaire en vertu de l'article 41 de la Loi. Je n'ai trouvé aucun motif qui justifierait l'intervention de la Cour dans le présent dossier.
[24] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans frais.
« Danièle Tremblay-Lamer »
J.C.F.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-676-03
INTITULÉ : MAMIDIE KEÏTA et
BERNARD MICHAUD
demandeurs
et
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET IMMIGRATION DU CANADA
et
COMMISSAIRE À LA PROTECTION
DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA
défendeurs
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 27 avril 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :
L'HONORABLE JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER
DATE DES MOTIFS : Le 28 avril 2004
COMPARUTIONS :
Mamidie Keïta POUR LES DEMANDEURS
Bernard Michaud
(pour son compte)
Me Daniel Latulippe POUR LE DÉFENDEUR
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
Me Sean McGee POUR LE DÉFENDEUR
Me Annie G. Berthiaume COMMISSAIRE À LA PROTECTION
DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
Montréal (Québec) ET DE L'IMMIGRATION
Nelligan O'Brien Payne POUR LE DÉFENDEUR
Ottawa (Ontario) COMMISSAIRE À LA PROTECTION
DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA