Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200129


Dossier : IMM-1542-19

Référence : 2020 CF 159

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Pamel

ENTRE :

ZAKARI ABUBAKAR KYARI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La question en litige en l’espèce est celle de savoir si le demandeur aurait dû bénéficier d’une audience avant qu’un agent des visas ne tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité dans le contexte d’une demande de réadaptation.

[2]  Le demandeur conteste la décision d’un agent des visas rejetant sa demande de réadaptation [la demande de réadaptation de 2013] en ce qui concerne une déclaration de culpabilité grave inscrite contre lui lorsqu’il résidait aux États‑Unis [É.‑U.] il y a plus de 19 ans. Le demandeur soutient que la décision est injuste parce qu’il n’a pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas quant à la crédibilité. Il soutient également que la décision est déraisonnable parce que l’agent des visas a omis de prendre en compte les éléments de preuve concernant la réadaptation et les éléments de preuve se rapportant aux circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise.

[3]  Le défendeur soutient que l’agent des visas a pris en compte tous les éléments de preuve et n’a pas manqué à l’équité procédurale.

[4]  Pour les motifs qui suivent, j’accueille la présente demande de contrôle judiciaire.

II.  Faits

[5]  Le demandeur est un citoyen du Nigéria. En décembre 1999, le demandeur s’est rendu aux É.‑U. pour poursuivre ses études universitaires de premier cycle et résider avec ses frères en Floride. Au début, les parents du demandeur assumaient les frais de scolarité et les frais de subsistance de leurs enfants. Cependant, ils ont plus tard cessé de subvenir aux besoins de leurs fils en raison d’un ralentissement économique au Nigéria. Le demandeur et ses frères se sont retrouvés dans une situation précaire puisqu’ils ont dû subvenir à leurs propres besoins.

[6]  En 2001, pendant qu’il était aux É.‑U., le demandeur a été arrêté, puis déclaré coupable de fraude par carte de crédit et d’usurpation d’identité pour avoir tenté d’acheter plus de 20 000 $US de diamants au moyen de reçus de carte de crédit qu’il avait volés dans le garage de son frère. Il semblerait que l’un des frères du demandeur ait lancé une entreprise à domicile de vente de produits électroniques en ligne pour boucler son budget. Le demandeur a trouvé des documents jetés à la poubelle contenant des numéros de carte de crédit et s’est servi de ces numéros pour acheter des bijoux afin de les revendre pour en tirer un profit. Le demandeur avait 26 ans au moment de son arrestation.

[7]  Le demandeur a plaidé coupable et a été condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et un jour, et à deux ans de liberté surveillée. Il a aussi été condamné à une amende de 100 $US.

[8]  Le 31 mars 2003, avant la fin de sa liberté surveillée, le demandeur a été renvoyé des É.‑U. au Nigéria. Le demandeur a résidé au Nigéria depuis son départ des É.‑U.

[9]  Dès son retour au Nigéria, le demandeur a vécu une existence dénuée d’incidents. Il a obtenu un diplôme avec très grande distinction en comptabilité. Le demandeur s’est ensuite marié avec son épouse en 2007.

[10]  Le demandeur a fait partie pendant un an du Service national de la jeunesse du Nigéria et il a fait du bénévolat pour une organisation non gouvernementale, soit une fondation mise sur pied par sa défunte mère. Il a aussi été ordonné ministre de l’Évangile dans son église locale au Nigéria. Depuis 2005, le demandeur travaille comme analyste financier pour trois entreprises et a constitué sa propre société de portefeuille immobilier.

[11]  En 2009, le demandeur et son épouse ont décidé d’aller au Canada pour rendre visite à des parents et évaluer des possibilités d’investissements. Ils ont tous les deux demandé et obtenu un visa de résident temporaire [la demande de visa de 2009].

[12]  Cependant, dans la demande de visa de 2009, le demandeur n’a pas déclaré sa déclaration de culpabilité en matière criminelle de 2001 aux É.‑U. Dès leur arrivée au Canada, l’agent des services frontaliers a constaté que la déclaration de culpabilité en matière criminelle aux É.‑U. n’était pas inscrite sur la demande de visa de 2009. Le demandeur et son épouse ont été autorisés à retirer leur demande de visa de 2009, à quitter volontairement le Canada et à retourner au Nigéria. Depuis lors, l’épouse du demandeur déclare l’interdiction de territoire de son époux sur ses demandes de visa chaque fois qu’elle se rend au Canada.

[13]  En 2011, l’épouse du demandeur a demandé et obtenu un visa temporaire pour rendre visite à des parents au Canada. Pendant son séjour au Canada, elle a donné naissance aux jumeaux du couple. L’agent des visas a plus tard établi, au sujet de la demande de réadaptation de 2013 présentée par son époux, qu’elle s’était [traduction] « servie de son visa de résident temporaire pour accoucher au Canada ».

[14]  En avril 2013, le demandeur a présenté la demande de réadaptation de 2013. La demande contenait des observations étoffées quant aux circonstances de fait du demandeur et son admissibilité à la réadaptation.

[15]  Dans la demande de réadaptation de 2013, le demandeur a inclus les éléments suivants : i) des observations écrites de son avocate faisant état de l’infraction équivalente au Canada (fraude à l’identité, article 403 du Code criminel, LRC (1985), c C-46), des circonstances sous‑jacentes de son arrestation et des efforts déployés en vue de sa réadaptation; ii) un récit personnel mettant en lumière les changements intervenus dans sa vie personnelle, professionnelle et spirituelle; iii) des lettres d’appui de membres de sa famille, d’employeurs, d’amis et de membres de sa communauté; iv) des documents se rapportant à l’infraction commise, à la déclaration de culpabilité et à son renvoi des É.‑U.; v) des éléments de preuve relatifs à ses immeubles de placement et à ses comptes bancaires; vi) des copies de ses certificats et diplômes en comptabilité; vii) des documents relatifs à la constitution de sa société de portefeuille et d’autres pièces se rapportant à celle-ci; viii) un certificat de moralité de la police nigériane.

[16]  Même si la [traduction] « tentative de visite en 2009 » du demandeur est mentionnée dans les observations, celles-ci ne fournissent pas de précisions sur ce qui s’est passé au moment de la visite, et le demandeur n’explique pas non plus les raisons pour lesquelles il n’a pas divulgué sa déclaration de culpabilité en matière criminelle aux É.‑U. sur sa demande de visa de 2009. Ces omissions s’avéreront coûteuses.

[17]  Le demandeur a été invité à fournir des documents supplémentaires à deux reprises après la demande de réadaptation de 2013. En novembre 2013, le demandeur a produit un formulaire intitulé Renseignements additionnels sur la famille (IMM 5406) en réponse à une demande présentée par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.

[18]  Trois ans et demi plus tard, en février 2017, le demandeur a présenté un formulaire Demande d’approbation de la réadaptation (IMM 1444) actualisé, un formulaire Renseignements additionnels sur la famille (IMM 5406) actualisé, un certificat de moralité original actualisé de la police du Nigéria et de tout autre pays où il a vécu pendant au moins six mois consécutifs depuis 2013, et a versé des frais de réadaptation supplémentaires de 800 $.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[19]  La demande de réadaptation de 2013 du demandeur a été rejetée le 16 janvier 2019, quelque six ans après la demande initiale. Il est précisé dans la lettre que le demandeur est interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[20]  Le demandeur n’a pas été convoqué en entrevue ou n’a pas reçu de lettre d’équité procédurale de manière à pouvoir répondre aux préoccupations de l’agent des visas. Selon les notes dans le Système mondial de gestion des cas [le SMGC], les agents des visas ont accordé un poids considérable à l’omission du demandeur de divulguer sa déclaration de culpabilité en matière criminelle aux É.‑U dans sa demande de visa de 2009 et à la nature de la déclaration de culpabilité en matière criminelle. Les notes ne font toutefois pas état de conclusion de fausse déclaration intentionnelle (en vertu de l’article 40 de la LIPR) en ce qui concerne la demande de visa de 2009.

[21]  Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur attribue son omission de révéler ses antécédents criminels à un malentendu. Selon le demandeur, un avocat des É.‑U. lui a fait savoir que son casier judiciaire avait été effacé et que, par conséquent, il n’avait pas à déclarer la déclaration de culpabilité sur sa demande de visa. Il n’y a pas d’élément de preuve à l’appui ou corroborant à ce sujet.

IV.  Questions en litige

[22]  Il y a deux questions en litige dans cette affaire :

  • (1) L’agent des visas a-t-il manqué à l’équité procédurale?

  • (2) L’agent des visas a-t-il rendu une décision déraisonnable?

V.  Norme de contrôle

[23]  La première question concerne un manquement allégué à l’équité procédurale et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121 aux par. 37 à 56; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au par. 43; Punia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 184 au par. 19). Le choix de cette norme de contrôle pour les questions d’équité procédurale n’est pas touché par l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (voir Ntamag c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CF 40 au par. 7; Trboljevac c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 26 au par. 29; Adnani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 21 au par. 12).

[24]  La seconde question concerne une appréciation de la décision qui a été rendue dans le contexte d’une demande de réadaptation et est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov au par. 23). Une décision raisonnable est une décision qui repose sur un raisonnement interne logique et qui est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques se rapportant à la prise de décision administrative (Vavilov aux par. 99 à 101).

VI.  Analyse

A.  L’agent des visas a-t-il manqué à l’équité procédurale?

[25]  Le demandeur soutient qu’il aurait dû avoir la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent des visas quant à la crédibilité, à l’exactitude et à l’authenticité des éléments de preuve qui ont été produits en ce qui concerne deux conclusions.

[26]  En premier lieu, l’agent des visas a conclu que le demandeur n’était pas honnête parce qu’il avait omis de divulguer ses antécédents criminels dans la demande de visa de 2009. En second lieu, l’agent des visas a conclu que l’épouse du demandeur n’était pas crédible quant aux raisons pour lesquelles elle était venue au Canada, affirmant qu’il [traduction] « [s]emble que l’objectif plus vaste de sa visite était d’avoir des enfants nés au Canada. Il n’était pas crédible qu’elle ne sache pas qu’elle était enceinte lorsqu’elle a effectué ce voyage ».

[27]  Le demandeur estime que ces conclusions ont été tirées sans qu’il ait la possibilité de rétorquer et, par conséquent, contrevenaient à l’équité procédurale (citant la décision Kok c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 77, et Yaqoob c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1370). S’il avait eu la possibilité de répliquer, le demandeur soutient qu’il aurait pu expliquer les raisons pour lesquelles il n’a pas divulgué la déclaration de culpabilité en matière criminelle dans la demande de visa de 2009.

(1)  Omission de divulguer la déclaration de culpabilité en matière criminelle dans la demande de visa de 2009

[28]  Le demandeur affirme qu’il n’a jamais eu la possibilité d’expliquer qu’il n’a jamais intentionnellement omis de divulguer la déclaration de culpabilité en matière criminelle dans la demande de visa de 2009. Il n’a pas été convoqué en entrevue ou n’a pas reçu de lettre d’équité procédurale de manière à pouvoir répondre aux préoccupations de l’agent des visas. Le demandeur souligne aussi que de multiples inscriptions dans le SMGC donnent à penser qu’une entrevue était censée avoir lieu.

[29]  Le défendeur soutient que le demandeur a eu la possibilité de faire montre de franchise quant à son omission dans ses observations à l’appui de la demande de réadaptation de 2013 et de mentionner sa déclaration de culpabilité en matière criminelle dans sa demande de visa de 2009, mais qu’il ne l’a pas fait.

[30]  Le défendeur estime que l’omission répétée du demandeur est un simple cas de « doubler la mise » à l’égard d’une fausse déclaration, citant la décision Tahhan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1279 aux par. 22 et 23 [Tahhan]. Il affirme que ce type de fausse déclaration est particulièrement pertinent en l’espèce parce que la fraude et la malhonnêteté sous-tendent les infractions qui ont donné lieu à la demande de réadaptation (c.‑à‑d. la fraude et l’usurpation d’identité).

[31]  Je ne suis pas d’accord avec le défendeur. Il ne s’agit pas ici d’un cas de « doubler la mise ». Il me semble que ce soit plutôt une situation où le demandeur et l’agent des visas visaient des objectifs contradictoires : le demandeur mettait l’accent sur ses comportements criminels aux É.‑U. tandis que l’agent des visas mettait l’accent pour sa part sur ce qui avait incité le demandeur à ne pas divulguer les comportements criminels en question sur sa demande de visa de 2009.

[32]  La vaine tentative d’entrer au Canada en 2009 est inscrite deux fois dans les documents qui ont été produits à l’appui de la demande de réadaptation de 2013 du demandeur.

[33]  Premièrement, une lettre de l’avocate du demandeur mentionne que celui-ci et son épouse ont [traduction] « volontairement [retiré] leur demande d’entrée au Canada en raison de l’interdiction de territoire pour criminalité [du demandeur] ». Le demandeur ne précise pas les raisons du refus de la demande de visa de visiteur ou ne fournit pas d’explication quant aux raisons pour lesquelles il a omis de divulguer la déclaration de culpabilité en matière criminelle en 2009.

[34]  Deuxièmement, dans ses observations écrites, le demandeur mentionne la [traduction] « tentative de visite en 2009 » sans aborder les circonstances se rapportant à ladite visite au Canada ou, élément plus important, la raison pour laquelle le demandeur a alors omis de divulguer sa déclaration de culpabilité aux É.‑U.

[35]  Manifestement, la moindre fausse déclaration dans la demande de visa de 2009 aurait justifié le refus d’un visa de visiteur à ce moment, et la question de savoir si le demandeur a ou non [traduction] « eu l’intention » de faire une fausse déclaration à l’égard de ses antécédents criminels n’aurait pas normalement été considérée comme pertinente.

[36]  Toutefois, l’« intention » de peut-être faire une fausse déclaration à l’égard de ses antécédents criminels au moment de la demande de visa de 2009 est pertinente dans le contexte de la demande de réadaptation de 2013.

[37]  Comme l’a affirmé le juge Mosley dans la décision Lau c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1184 [Lau], « [le] facteur le plus important dans le contexte d’une demande de réadaptation » est celui « à savoir si l’étranger récidivera » (Lau au par. 24; voir aussi la décision Thamber c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 200 CFPI 177 aux par. 14 à 18).

[38]  L’omission du demandeur de divulguer sa déclaration de culpabilité en matière criminelle en 2009 constitue une considération pertinente quand il s’agit de juger de la réadaptation, particulièrement lorsque l’infraction initiale supposait de la malhonnêteté. Il est manifeste que l’omission de divulguer serait soulevée dans le cadre de sa demande de réadaptation parce que le non-respect des règlements en matière d’immigration est une considération pertinente dans l’appréciation du risque de récidive dans le contexte d’une demande de réadaptation (Tejada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 933 au par. 20 [Tejada]; Yu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1280 aux par. 23 et 24).

[39]  En fait, l’« intention » du demandeur dans la demande de visa de 2009 était au cœur des préoccupations de l’agent des visas pendant son examen de la demande de réadaptation de 2013.

[40]  La conclusion d’interdiction de territoire tirée par l’agent des visas découle de l’omission du demandeur de divulguer sa déclaration de culpabilité en matière criminelle dans la demande de visa de 2009.

[traduction]

Le demandeur est interdit de territoire au Canada pour grande criminalité. L’infraction qu’il a commise est grave dans le pays où il l’a commise (É.‑U.) comme au Canada. Le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement, ce qui est aussi très grave. Il a demandé un visa pour le Canada, qui lui a été délivré parce qu’il avait omis de divulguer sa criminalité. Ses antécédents criminels n’ont été révélés que lorsqu’il s’est présenté à un point d’entrée et qu’une recherche a été effectuée dans le National Crime Information Centre (NCIC). Le demandeur n’avait clairement pas l’intention d’être honnête ou de divulguer ses antécédents criminels. Ce fait bat en brèche sa responsabilité déclarée à l’égard de ses gestes et les remords exprimés.

[Non souligné dans l’original.]

[41]  La demande de réadaptation de 2013 n’abordait pas le fond de la question de la demande de visa de 2009, mais ne portait plutôt que sur la déclaration de culpabilité aux É.‑U., les raisons sous-tendant ses activités criminelles à l’époque, et les efforts qu’il avait déployés depuis lors en vue de sa réadaptation.

[42]  Dans sa décision, l’agent des visas n’a fait qu’une observation incidente quant au fait qu’il avait pris en compte [traduction] « tous les faits dont [il] disposait, y compris les facteurs favorables figurant dans les notes de l’agent ». Dans sa décision, l’agent semble s’être appuyé, en grande partie, sur l’omission du demandeur de divulguer sa déclaration de culpabilité en matière criminelle dans sa demande de visa de 2009.

[43]  En conférant de la mauvaise foi au demandeur et en concluant que celui-ci n’avait « clairement » pas l’intention d’être honnête en 2009, l’agent des visas tirait une conclusion voilée quant à la crédibilité à l’égard d’un élément qui n’était pas l’objet principal des observations formulées par le demandeur dans sa demande de réadaptation de 2013.

[44]  Je conviens avec le défendeur que la demande de réadaptation se situe à l’extrémité inférieure pour ce qui est des détails à fournir et des formalités, et que l’obligation d’équité dans le processus de demande de visa est moins stricte. L’agent des visas n’en est pas moins tenu d’offrir au demandeur la possibilité de répondre à ses préoccupations dans certaines circonstances (Egheoma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1164 aux par. 12 et 14; Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264 aux par. 25 à 28; Khwaja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 522 aux par. 16 et 17; Hafiz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1273 au par. 24).

[45]  Dans la décision Ekpenyong c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 1245, j’ai résumé certaines des situations donnant lieu à une telle obligation :

[37] Une communication additionnelle avec un demandeur de visa peut être adéquate dans certaines circonstances, par exemple lorsque l’agent des visas nourrit des doutes quant à la crédibilité de la preuve fournie ou quant à l’authenticité des témoignages, ou s’il se fonde sur des éléments de preuve extrinsèques ne faisant pas partie de son expertise générale ou sur de grandes généralisations ou des idées préconçues (voir Salman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 877, par. 12; Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501, par. 24).

[38] Wang est l’une de ces affaires où un appel téléphonique aurait très bien pu être suffisant. Dans cette affaire‑là, la Cour a conclu que l’agent des visas aurait dû, en plus d’aviser le demandeur [que l’agente des visas] avait des doutes sur la « sincérité de l’offre de soutien de sa cousine et sur son statut réel de visiteur temporaire au Canada, lui donner la possibilité de s’expliquer » (Wang, par. 13).

[39] L’agent des visas devrait aussi informer le demandeur de ses réserves lorsqu’il obtient des éléments de preuve extrinsèques pouvant être utilisés à l’appui de sa décision définitive (Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7681 (CF), par. 20).

[40] La Cour a aussi décidé que les agents des visas ne pouvaient pas justifier leurs décisions en faisant appel à des généralisations culturelles ou régionales sans permettre au demandeur d’y répondre : Yuan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1356, par. 12; Hernandez Bonilla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 20, par. 25 à 27.

[41] En ce qui concerne ces exceptions, la Cour a constamment rejeté l’argument selon lequel le demandeur a le droit d’apporter des précisions à sa demande ou de contester le fond de la décision de l’agent : Ling c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1198, par. 16; Li; Wen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1262.

[46]  Il me semble qu’il ne s’agit pas d’une situation où le demandeur fournit des éléments de preuve et l’agent des visas doute de sa crédibilité. En fait, aucun élément de preuve quant à l’état d’esprit du demandeur n’a été fourni puisque le demandeur a omis d’expliquer sa fausse déclaration dans la demande de visa de 2009. Il ne s’agit pas non plus d’une situation où le demandeur a tenté d’éviter d’aborder la demande de visa de 2009 dans l’espoir qu’elle échappe à l’agent des visas. En fait, le demandeur a mentionné expressément sa tentative de visite au Canada en 2009.

[47]  Il s’agit toutefois d’une situation où l’agent des visas a mis en doute la véracité des éléments de preuve du demandeur en raison d’une omission d’exposer la raison de la fausse déclaration en 2009 dans ses observations formulées à l’appui de la demande de réadaptation de 2013.

[48]  La décision Tejada est différente. Dans cette affaire, la question en litige tenait au fait que le demandeur avait constamment omis de divulguer par le passé son casier judiciaire dans ses demandes de visa temporaire au Canada ainsi que dans sa demande de résidence permanente. Il n’y a jamais eu le moindre doute quant à l’intention du demandeur de faire une fausse déclaration aux autorités de l’immigration au sujet de ses antécédents criminels. Ce n’est pas le cas ici.

[49]  Le défendeur soutient que le demandeur a eu la possibilité de dire la vérité et d’aborder directement la raison pour laquelle il avait omis de divulguer sa déclaration de culpabilité aux É.‑U. en 2009 dans ses observations en 2013, mais qu’il a omis de le faire.

[50]  Je ne suis pas de cet avis. Comme je l’ai mentionné plus tôt, la demande de réadaptation de 2013 portait essentiellement sur la déclaration de culpabilité aux É.‑U. Même si les éléments de preuve concernant le non-respect des dispositions législatives du Canada en matière d’immigration par le passé sont pertinents dans ce contexte, il me semble que la situation commandait l’équité procédurale et avant de prêter une « intention » au demandeur pour son omission en 2009, l’agent des visas aurait dû lui donner la possibilité d’aborder la question.

[51]  Pour paraphraser le juge Dinar dans la décision Tahhan, l’agent des visas avait assurément le pouvoir discrétionnaire de juger que le demandeur n’était pas encore réadapté, mais il avait l’obligation minimale d’appliquer les considérations juridiques nécessaires, et il devait offrir au demandeur la possibilité de répondre à toute préoccupation qu’il avait en ce qui concerne les intentions alléguées du demandeur de tromper les autorités dès 2009, particulièrement puisque ces préoccupations se rapportaient à la question essentielle de savoir si le demandeur récidiverait dans l’avenir (Tahhan au par. 24).

VII.  Conclusion

[52]  Il me semble qu’il s’agissait d’une question déterminante dans la décision rendue par l’agent des visas. Pour cette raison, la décision ne peut pas résister au contrôle judiciaire et doit être annulée (Vavilov au par. 100). Étant donné mes conclusions, je n’ai pas à traiter les autres questions soulevées par le demandeur.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1542-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

  2. Aucune question n’a été proposée pour fins de certification.

 

« Peter G. Pamel »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de mars 2020.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1542-19

 

INTITULÉ :

ZAKARI ABUBAKAR KYARI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 décembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PAMEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 janvier 2020

 

COMPARUTIONS :

Tamara Thomas

 

POUR LE DEMANDEUR

Kristina Dragaitis

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellissimo Law Group

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.