Dossier : IMM-2062-19
Référence : 2020 CF 118
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2020
En présence de monsieur le juge Ahmed
ENTRE :
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BHUPINDER SINGH MAAN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La présente affaire concerne la décision par laquelle un agent des visas à New Delhi, en Inde (l’agent
), a refusé la demande de permis de travail du demandeur à titre d’époux qui accompagne une ressortissante indienne qui se trouve au Canada grâce à un permis d’études. Sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), les époux de certains résidents temporaires peuvent faire une demande de permis de travail.
[2]
Dans une lettre datée du 5 février 2019, l’agent a refusé la demande de permis de travail au motif que le demandeur avait omis de présenter suffisamment d’éléments de preuve ou d’explications pour établir que sa relation conjugale avec son épouse était authentique et qu’elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège prévu par la LIPR. L’agent a conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, ce qui l’empêche de revenir au Canada pendant cinq ans en vertu de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.
[3]
Le demandeur prétend que la décision de l’agent est déraisonnable et que celui‑ci a tiré des conclusions de fait de façon abusive et arbitraire.
[4]
Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de l’agent est raisonnable et la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Les faits
[5]
M. Bhupinder Singh Maan (le demandeur
) est un citoyen de l’Inde âgé de 25 ans. Il s’est récemment marié avec Mme Pawanpreet Kaur, une citoyenne de l’Inde âgée de 23 ans, qui se trouve actuellement au Canada grâce à un permis d’études.
[6]
Le demandeur et Mme Kaur résident tous deux au Punjab. Par l’intermédiaire des membres de leurs familles, ils ont contracté un mariage arrangé. Les familles se sont rencontrées le 31 janvier 2018, environ au même moment où Mme Kaur a présenté sa demande de permis d’études au Canada. Mme Kaur a rédigé sa demande le 29 janvier 2018 et l’a envoyée à son consultant en immigration, qui l’a ensuite déposée le 31 janvier 2018. Le mariage arrangé a eu lieu peu de temps après que les familles se sont rencontrées, puisque le demandeur était l’aîné de deux fils et que sa famille tenait à ce qu’il se marie rapidement. Une petite cérémonie de fiançailles a eu lieu le 1er février 2018. Le mariage a été célébré le 4 février 2018 dans le cadre d’une cérémonie religieuse et d’un grand rassemblement réunissant famille et amis. Après le mariage, le couple a rendu visite à divers membres de la parenté. Mme Kaur affirme dans son affidavit qu’elle a vécu avec la famille du demandeur pendant plus de deux mois avant son départ pour le Canada.
[7]
Mme Kaur a reçu son visa le 15 mars 2018. Elle a quitté l’Inde pour le Canada le 13 avril2018. Mme Kaur soutient qu’à son arrivée, elle a avisé l’agent d’immigration à l’aéroport du changement de son état matrimonial.
[8]
Le ou vers le 29 juin 2018, le demandeur a présenté à l’agent des visas du Canada à New Delhi, en Inde, une demande de permis de travail à titre d’époux qui accompagne Mme Kaur. Le demandeur a été invité à passer une entrevue, laquelle a eu lieu le 15 novembre 2018 à New Delhi.
[9]
Les notes consignées dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC
) avant l’entrevue précisent que Mme Kaur était célibataire au moment où elle a présenté sa demande de permis d’études et qu’elle s’était mariée peu de temps avant la délivrance de son visa. Mme Kaur est arrivée au Canada peu de temps après le mariage, mais n’a pas informé l’agent des visas ni l’agent d’immigration au point d’entrée que son état matrimonial avait changé.
[10]
Pendant l’entrevue, l’agent a soulevé plusieurs préoccupations quant à l’authenticité du mariage contracté entre le demandeur et Mme Kaur, notamment l’incompatibilité de leurs parcours scolaires, le mariage conclu à la hâte, l’incapacité du demandeur à expliquer comment les célébrations du mariage ont pu être organisées en trois ou quatre jours, le fait que le demandeur ne savait pas que Mme Kaur avait l’intention d’aller au Canada, le fait que les photos ne montraient pas qu’il y avait 250 à 300 invités au mariage, comme l’affirmait le demandeur, l’absence de voyage effectué en compagnie de Mme Kaur et l’incapacité du demandeur de fournir une explication lorsqu’il a été questionné sur le sujet, le manque de connaissances du demandeur sur la vie de Mme Kaur et le manque d’éléments de preuve permettant d’établir les rapports existant entre le demandeur et Mme Kaur.
[11]
Dans une lettre datée du 5 février 2019, l’agent a refusé la demande de permis de travail. En se fondant sur la demande, les documents justificatifs, les notes sur la demande et les notes d’entrevue, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment de renseignements ou d’explications sur l’évolution de sa relation avec Mme Kaur, leur mariage, le temps passé ensemble après le mariage et leur mode de vie pour établir que leur mariage était authentique. L’agent a aussi conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve ou d’explications démontrant que les époux entretenaient une communication constante avant et après le mariage.
[12]
L’agent a ainsi conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve ou d’explications pour établir que la relation conjugale avec son épouse était authentique ou qu’elle ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou un privilège prévu par la LIPR. L’agent a également conclu que le demandeur était interdit de territoire au Canada conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, ce qui l’empêche de revenir au Canada pendant cinq ans.
[13]
C’est cette décision qui est à l’origine de la présente demande de contrôle judiciaire.
III.
Question préliminaire
[14]
Comme le fait remarquer le défendeur, le demandeur a tenté de soumettre à la Cour de nombreux éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés à l’agent. Les pages 56 à 61 du dossier de demande ainsi que l’affidavit complémentaire fournissent des éléments de preuve supplémentaires sur un voyage en Inde effectué en mai 2019.
Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Love c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée), 2015 CAF 198 (CanLII), au par. 17 :
Il est bien établi en droit, en général, qu’une demande de contrôle judiciaire doit être tranchée en fonction du dossier dont disposait le décideur administratif. Les exceptions reconnues à cette règle sont limitées et elles ne visent habituellement que trois types de preuve : des éléments de preuve généraux qui sont utiles à la Cour; des éléments de preuve qui sont liés au manquement à l’équité procédurale allégué à l’encontre du décideur qui n’apparaissent pas au dossier dont disposait le décideur; ou des éléments de preuve qui démontrent l’absence totale de preuve dont disposait le décideur administratif lorsqu’il a tiré la conclusion contestée : Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 N.R. 297, aux paragraphes 18 à 20; International Relief Fund for the Afflicted and Needy (Canada) c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 178, 2013 D.T.C. 5161, au paragraphe 10.
[15]
Les éléments de preuve que le demandeur cherche à présenter à la Cour ne sont visés par aucune des exceptions reconnues. Par conséquent, la Cour ne peut tenir compte des pages 56 à 61 du dossier de demande ni de l’affidavit complémentaire.
IV.
Questions en litige et norme de contrôle
[16]
Les questions en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :
L’agent a‑t‑il commis une erreur en concluant que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations?
Le refus de l’agent de délivrer un permis de travail au demandeur était‑il raisonnable?
[17]
Conformément au cadre d’analyse applicable au contrôle judiciaire, tel que révisé dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII) [Vavilov], l’analyse doit partir de la présomption que la norme de contrôle applicable est de celle de la décision raisonnable. Cette présomption peut être réfutée dans deux types de situations : la première est celle où le législateur a indiqué qu’il souhaite l’application d’une norme différente, c.‑à‑d. lorsque le législateur a prescrit expressément la norme de contrôle applicable ou qu’il a prévu un mécanisme d’appel à l’encontre d’une décision administrative devant une cour de justice; la deuxième est celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte, par exemple pour certaines catégories de questions de droit, soit les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, au par. 17).
[18]
En l’espèce, aucune des exceptions à la présomption de la norme de la décision raisonnable ne s’applique. La norme de contrôle judiciaire à appliquer est donc celle de la décision raisonnable pour les deux questions.
V.
Dispositions législatives applicables
[19]
Le paragraphe 30(1) de la LIPR est ainsi libellé :
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[20]
Aux termes des alinéas 199c) et e) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (RIPR
), l’étranger peut faire une demande de permis de travail s’il est membre de la famille d’une personne qui détient un permis d’études :
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[21]
Le paragraphe 4(1) du RIPR est ainsi libellé :
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VI.
Analyse
[22]
Le demandeur cherche à obtenir un permis de travail ouvert en tant qu’époux, soit un « membre de la famille »
de Mme Kaur, une étrangère qui détient un permis d’études. Toutefois, comme l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas contracté un mariage authentique avec Mme Kaur, il a été déclaré interdit de territoire conformément à l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. L’agent a conclu que les fausses déclarations du demandeur auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la loi et faire en sorte que celui‑ci obtienne un permis de travail ouvert en tant qu’époux qui accompagne une étrangère titulaire d’un permis d’études.
[23]
Le demandeur soutient que l’agent a pris une décision déraisonnable en se fondant sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive et arbitraire. Le demandeur fait plutôt valoir qu’il a répondu à toutes les questions à l’entrevue et qu’il n’a fourni aucun renseignement erroné. Il prétend avoir été nerveux à certains moments, ce qui explique pourquoi il n’a pas répondu aux questions. Le demandeur soutient également que l’agent a commis une erreur en concluant que le demandeur et Mme Kaur avaient [traduction] « des parcours scolaires incompatibles »
puisque le demandeur avait obtenu un diplôme pour améliorer ses perspectives d’emploi. Le demandeur prétend aussi qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de voir un problème à ce que les photos ne montrent pas tous les invités à une seule occasion. De plus, le demandeur souligne que son épouse et lui ne pouvaient pas se payer le [traduction] « luxe de partir en vacances »
après avoir engagé de grandes dépenses pour le mariage. En ce qui concerne la conclusion de l’agent selon laquelle la date de fin du cours n’était pas la bonne, le demandeur explique qu’il croyait que l’expression [traduction] « la fin du cours »
signifiait la fin des examens finaux et pas la fin de [traduction] « l’année officielle »
. Or, le demandeur n’a pas donné cette explication à l’agent lors de l’entrevue.
[24]
Le défendeur réplique que l’alinéa 40(1)a) de la LIPR est rédigé de façon large et peut s’appliquer à des situations où il y a même « une omission innocente de fournir des renseignements importants »
(Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299 (CanLII), au par. 15). L’existence de la mens rea, de la préméditation ou d’une intention n’est pas exigée pour en arriver à un constat d’interdiction de territoire pour fausses déclarations. Le défendeur soutient que le demandeur avance plusieurs explications qu’il n’a pas fournies à l’agent, pour étayer sa prétention voulant que celui‑ci ait commis une erreur.
[25]
Je suis d’accord avec le défendeur. Les notes d’entrevue consignées dans le SMGC indiquent que le demandeur était incapable de fournir une réponse ou une explication à plusieurs des questions apparemment simples, par exemple comment il était possible d’organiser un mariage en trois ou quatre jours ou pourquoi le demandeur et Mme Kaur ne sont pas allés en vacances après le mariage. J’aurais été disposé à accepter que certaines des préoccupations soulevées par l’agent puissent s’expliquer par la nature du mariage arrangé, mais il incombait malgré tout au demandeur de fournir suffisamment de renseignements pour répondre aux préoccupations de l’agent quant à l’authenticité du mariage. Un examen du dossier révèle néanmoins que le demandeur a simplement omis de fournir des explications ou des éléments de preuve suffisants pour dissiper les préoccupations de l’agent. Certes, le demandeur aurait pu mieux expliquer certaines des réponses aux questions pendant l’entrevue, comme il tente de le faire par le dépôt de l’affidavit dans le cadre de la présente demande, mais le dossier montre qu’il ne l’a pas fait. Étant donné l’absence d’explications ou de connaissances de la part du demandeur sur certains aspects, y compris l’intention de son épouse de se rendre à l’étranger, la raison pour laquelle le mariage a été préparé à la hâte, la façon dont il a été préparé si rapidement ou la raison pour laquelle le demandeur et son épouse ne sont pas partis en vacances, l’agent a raisonnablement conclu que le mariage n’était pas authentique et que le demandeur était donc interdit de territoire pour fausses déclarations.
[26]
Comme l’agent n’a pas commis d’erreur en concluant que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations, il était raisonnable de sa part de refuser la demande de permis de travail du demandeur, puisque celui‑ci ne pouvait plus présenter une telle demande en tant que « membre de la famille »
d’une étrangère titulaire d’un permis d’études au titre de l’article 199 du RIPR.
VII.
Question à certifier
[27]
La Cour a demandé aux avocats des parties s’il y avait des questions à certifier. Chacun a répondu qu’il n’y en avait pas et je suis d’accord.
VIII.
Conclusion
[28]
L’agent a conclu de manière raisonnable que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Le refus par l’agent de délivrer un permis de travail était également raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2062-19
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« Shirzad A. »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 10ejour de février 2020.
Semra Denise Omer, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2062-19
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INTITULÉ :
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BHUPINDER SINGH MAAN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 9 janvier 2020
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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le juge AHMED
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DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :
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LE 23 JANVIER 2020
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COMPARUTIONS :
Maninder Sidhu
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pour le demandeur
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David Joseph
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Maninder Sidhu
Avocat
Toronto (Ontario)
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pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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pour le défendeur
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