Date : 20200123
Dossier : IMM‑1958‑19
Référence : 2020 CF 111
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2020
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE :
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AIHUI CHEN
CHENGCHUN WEI
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et visant la décision du 26 février 2019 [la décision] par laquelle la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SAR] a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs contre la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR]; celle‑ci avait refusé de faire droit à leurs demandes d’asile et de protection présentée au titre des articles 96 et 97 de la LIPR.
II.
CONTEXTE
[2]
Les demandeurs, Aihui Chen et Chengchun Wei, sont des citoyens chinois. Ils se sont mariés en octobre 2016.
[3]
Ils prétendent qu’ils risquent d’être persécutés par le gouvernement chinois en raison de leur vive opposition à l’expropriation de leur terre.
[4]
En janvier 2017, les demandeurs affirment avoir reçu un avis d’expropriation foncière qui les enjoignait à évacuer leur domicile au plus tard le 20 mars 2017, et précisait qu’ils recevraient une indemnité de 20 000 yuans.
[5]
Le 1er février 2017, les demandeurs affirment avoir rencontré leurs voisins pour discuter de la manière dont ils pouvaient contrer l’offre d’indemnité inadéquate. Quelques jours plus tard, ils ont appris que la valeur de leur propriété était estimée à 450 000 yuans. Ils ont donc, avec quelques‑uns de leurs voisins, remis une pétition et des rapports d’évaluation au président de la ville le 15 février 2017.
[6]
Mais à la suite du refus de ce dernier de réexaminer l’affaire, les demandeurs affirment qu’ils ont rencontré, avec quelques‑uns de leurs voisins, le président adjoint du comté le 28 février 2017 et présenté la pétition et les rapports d’évaluation. Cependant, le 10 mars suivant, ils se seraient fait dire que l’indemnité ne serait pas modifiée.
[7]
À la suite de ce dernier refus, les demandeurs prétendent qu’ils ont décidé, avec quelques‑uns de leurs voisins, de protester publiquement contre l’expropriation et d’organiser un barrage routier le 19 mars 2017. La manifestation organisée à ce barrage a dégénéré le lendemain et six personnes ont été arrêtées.
[8]
Les demandeurs affirment qu’ils ont réussi à échapper aux arrestations et qu’ils sont allés se cacher chez la tante de Mme Chen. Mais d’après eux, le Bureau de la sécurité publique [le BSP] s’est rendu chez eux et a laissé à leur intention un chuanpiao, c’est‑à‑dire une assignation à témoigner, les accusant d’avoir dirigé la manifestation antigouvernementale.
[9]
Les demandeurs affirment qu’ils ont décidé de partir de la Chine le 30 mars 2017, avec l’aide d’un passeur. Arrivés aux États‑Unis d’Amérique [É.‑U.], ils sont entrés peu après au Canada, le 3 avril 2017 et ont soumis leurs formulaires Fondement de la demande d’asile le 17 avril suivant. Les demandeurs indiquent qu’ils se sont d’abord rendus aux États‑Unis parce qu’ils détenaient encore des visas valides d’entrée dans ce pays où ils avaient passé leur lune de miel en janvier 2017.
[10]
Le 21 novembre 2017, la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR, estimant essentiellement que leurs demandes d’asile n’étaient pas crédibles, compte tenu des nombreuses incohérences relevées dans leur témoignage, leur preuve documentaire et leur demande. Pour la SPR, l’explication avancée par les demandeurs pour justifier ces incohérences, liée à l’intervention chirurgicale de Mme Chen au cerveau, n’était pas crédible, compte tenu du manque de preuve; aussi, le fait qu’ils avaient pu partir de la Chine en toute sécurité discréditait encore plus leur demande d’asile. À ce titre, la SPR a estimé que ces problèmes critiques minaient les documents soumis à l’appui de leur demande, notamment l’assignation à témoigner [chuanpiao] et le mandat d’arrêt.
[11]
Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR devant la SAR. Dans le cadre de leur appel, ils sont soumis plusieurs documents additionnels, comprenant notamment : 1) une carte d’identité de résident chinois; 2) un certificat de diagnostic d’une maladie aiguë; 3) une note médicale confirmant que Mme Chen avait un anévrisme au cerveau et a subi une intervention chirurgicale; 4) des photographies de Mme Chen après son intervention chirurgicale au cerveau; et 5) l’affidavit d’un avocat du cabinet Lewis & Associates attestant que le traducteur avait déclaré par erreur que Mme Chen avait une tumeur plutôt qu’un anévrisme au cerveau.
[12]
Le 26 février 2019, la SAR a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs contre la décision de la SPR.
III.
DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[13]
La SAR a rejeté l’appel interjeté par les demandeurs contre la décision de la SPR, estimant qu’aucun document probant n’avait été soumis à l’appui de leur allégation voulant qu’ils soient recherchés par le gouvernement chinois en raison de leur opposition publique à l’expropriation de leur terre. La SAR a ainsi rejeté la preuve nouvellement soumise par eux au motif qu’elle était dépourvue de pertinence au regard de la question déterminante en l’espèce, et parce qu’elle aurait normalement pu être présentée à l’audience de la SPR.
[14]
La SAR a fait remarquer que la nouvelle preuve doit remplir les exigences énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR : elle doit être survenue depuis le rejet de la demande, elle ne devait alors pas être normalement accessible ou, si elle l’était, elle n’aurait pas normalement été présentée dans les circonstances à ce moment‑là. La SAR a souligné que le paragraphe 110(4) n’accorde pas la possibilité d’étoffer simplement un dossier lacunaire soumis à la SPR. Si les exigences de cette disposition sont remplies, la Cour d’appel fédérale, comme l’a souligné la SAR, a établi dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh] que la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et l’importance de la nouvelle preuve doivent être pris en compte, conformément aux critères énoncés dans l’arrêt Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385.
[15]
En l’espèce, la SAR a estimé que la question déterminante était sans rapport avec les documents médicaux soumis ni avec les erreurs que la nouvelle preuve était censée corriger. Elle a souligné en particulier, par ailleurs, que les photographies de Mme Chen prises après son intervention chirurgicale au cerveau auraient normalement pu être présentées à la SPR. À ce titre, la SAR n’a pas admis ces documents à titre de nouveaux éléments de preuve et n’a pas tenu d’audience aux termes de l’article 110(6) de la LIPR.
[16]
S’agissant du bien‑fondé de l’appel des demandeurs, la SAR a convenu que la SPR avait eu tort de ne pas effectuer une évaluation exhaustive de l’assignation à témoigner [chuanpiao] et du mandat d’arrêt. Elle a donc mené sa propre évaluation des documents en question. Ce faisant, elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils étaient frauduleux et qu’il n’existait à ce titre aucun document crédible à même d’appuyer l’argument des demandeurs selon lequel ils étaient recherchés par les autorités en Chine. La SAR a donc conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs n’étaient pas recherchés par les autorités chinoises.
[17]
Pour ce qui est de l’assignation à témoigner [chuanpiao], la SAR a souligné qu’elle n’était pas compatible avec les spécimens et les renseignements fournis dans le cartable national de documentation [CND] pour la Chine. En particulier, elle a relevé des incompatibilités touchant aux éléments suivants : 1) la structure et la présentation du texte situé au haut de l’assignation à témoigner [chuanpiao]; 2) les caractères chinois dans la troisième et la quatrième cases; 3) la structure des instructions énoncées au bas du document et énumérant deux catégories au lieu de trois; 4) les omissions se rapportant à la structure et aux caractères chinois au bas du document. Pour ces motifs, la SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l’assignation à témoigner [chuanpiao] soumise était frauduleuse et qu’elle minait la crédibilité de la demande d’asile des demandeurs.
[18]
En ce qui concerne le mandat d’arrêt, la SAR a souligné qu’il faisait incorrectement référence à l’article 59 du code de procédure pénale de la République populaire de Chine, aux termes duquel une déclaration de témoin peut être utilisée pour trancher une affaire. De plus, la SAR a déclaré que le mandat d’arrêt était totalement différent du spécimen du CND pour la Chine. À ce titre, elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le mandat d’arrêt soumis était également frauduleux.
[19]
Compte tenu de la conclusion défavorable tirée à l’égard de l’argument portant qu’ils étaient recherchés par les autorités chinoises, la SAR a estimé qu’ils étaient possiblement partis de la Chine sans difficulté grâce à leurs propres documents, sapant ainsi la crédibilité de leur recours allégué à un passeur.
[20]
Enfin, même si elle a convenu avec les demandeurs que la SPR avait eu tort de conclure que les problèmes de crédibilité soulevés étaient suffisants pour mettre en doute les documents soumis à l’appui de leur demande d’asile, la SAR a souligné que sa conclusion quant à la crédibilité de leur persécution alléguée par le gouvernement chinois était la question déterminante en l’espèce.
[21]
Pour ces motifs, la SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs pouvaient retourner en Chine sans craindre d’être persécutés par les autorités chinoises.
IV.
QUESTIONS À TRANCHER
[22]
Les questions soulevées en l’espèce sont les suivantes :
La SAR a‑t‑elle enfreint le droit des demandeurs à l’équité procédurale?
La SAR a‑t‑elle commis une erreur lorsqu’elle a rejeté la nouvelle preuve soumise par les demandeurs?
La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de l’assignation à témoigner [chuanpiao] et du mandat d’arrêt?
La SAR a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’accorder le poids voulu à la preuve qui contredisait sa conclusion en matière de crédibilité?
V.
NORME DE CONTRÔLE
[23]
La présente affaire a été débattue avant les décisions récentes rendues par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Le jugement de la Cour a été pris en délibéré. Les observations des parties quant à la norme de contrôle s’inspiraient donc du cadre de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Cependant, compte tenu des circonstances de la présente affaire et des instructions formulées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 144, la Cour a estimé qu’il n’était pas nécessaire de réclamer aux parties des observations additionnelles au sujet de la norme de contrôle. J’ai appliqué le cadre de l’arrêt Vavilov à mon examen de la demande et cet arrêt n’a pas pour effet de modifier les normes de contrôle applicables ou mes conclusions en l’espèce.
[24]
Aux paragraphes 23 à 32 de l’arrêt Vavilov, la majorité s’est efforcée de simplifier la démarche que doit entreprendre une cour de justice pour sélectionner la norme de contrôle applicable aux questions dont elle est saisie. La majorité a éliminé l’approche contextuelle et catégorielle adoptée dans l’arrêt Dunsmuir à la faveur de la présomption selon laquelle la norme du caractère raisonnable est la norme qui s’applique. Cependant, la majorité a fait remarquer que cette présomption peut être écartée 1) lorsque le législateur prescrit clairement une autre norme de contrôle (Vavilov, aux par. 33 à 52) et 2) lorsque la règle de droit exige l’application de la norme de la décision correcte, comme à l’égard des questions constitutionnelles, des questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et des questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 53 à 64).
[25]
Les demandeurs et le défendeur ont fait valoir que la norme de contrôle applicable aux questions à trancher en l’espèce était celle du caractère raisonnable. Je suis de cet avis, sauf pour ce qui est de la question de l’équité procédurale.
[26]
Certains tribunaux ont établi que la norme de contrôle régissant une allégation d’iniquité procédurale est celle de la « décision correcte »
(Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 59 et 61 [Khosa]). Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada n’aborde pas la norme de contrôle régissant les questions d’équité procédurale (Vavilov, au par. 23). Cependant, suivant une approche doctrinalement plus censée, aucune norme de contrôle ne s’applique à ce type de questions. Dans l’arrêt Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, la Cour suprême du Canada a déclaré que la question de l’équité procédurale :
n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier. (Moreau‑Bérubé, au par. 74).
[27]
S’agissant de la norme que la Cour doit appliquer au moment de contrôler la décision de la SAR de rejeter la preuve nouvellement soumise par les demandeurs, son évaluation de la preuve et ses conclusions en matière de crédibilité, rien ne permet de réfuter en l’espèce la présomption selon laquelle la norme du caractère raisonnable s’applique en l’espèce. L’application de cette norme aux questions soulevées concorde également avec la jurisprudence de la Cour suprême du Canada antérieure à l’arrêt Vavilov. Voir Digaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1255, au par. 27 concernant un contrôle du rejet de la preuve nouvellement soumise, et Wickramasinghe Arachchige Dona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 419, au paragraphe 15 sur un contrôle de l’évaluation de la preuve et des conclusions en matière de crédibilité de la SAR.
[28]
Au moment de contrôler une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse consistera à déterminer si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »
(Vavilov, au par. 99). La norme du caractère raisonnable est une norme unique qui varie et « s’adapte au contexte »
(Vavilov, au par. 89, citant Khosa, précité, au par. 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir »
(Vavilov, au par. 90). En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision : « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au par. 100). La Cour suprême du Canada énumère deux types de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable : 1) le manque de logique interne du raisonnement; et 2) le caractère indéfendable d’une décision « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur [elle] »
(Vavilov, au par. 101).
VI.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[29]
Les dispositions suivantes de la LIPR sont pertinentes au regard de la présente demande de contrôle judiciaire :
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VII.
ARGUMENTS
A.
Demandeurs
[30]
Les demandeurs soutiennent que la SAR : 1) a enfreint leur droit à l’équité procédurale en soulevant de nouvelles questions touchant à l’authenticité de l’assignation [chuanpiao] soumise; 2) a rejeté, de manière déraisonnable, la nouvelle preuve soumise sans examiner en quoi elle était liée à la décision de la SPR; 3) a effectué une évaluation déraisonnable de l’assignation à témoigner [chuanpiao] et du mandat d’arrêt; et 4) a ignoré une preuve critique qui contredisait ses conclusions en matière de crédibilité. Les demandeurs demandent pour ces motifs à la Cour de faire droit au contrôle judiciaire, d’infirmer la décision, de lui substituer sa propre décision favorable ou de renvoyer l’affaire à un autre décideur de la SAR pour qu’il rende une nouvelle décision.
1)
Atteinte à l’équité procédurale
[31]
Les demandeurs soutiennent que la SAR a enfreint leur droit à l’équité procédurale lorsqu’elle a soulevé de nouvelles questions touchant à l’authenticité de l’assignation à témoigner [chuanpiao] et du mandat d’arrêt, sans leur donner la possibilité de dissiper ces préoccupations. Ils font remarquer que la Cour a conclu qu’un décideur ne peut soulever de nouvelles questions déterminantes sans accorder au demandeur la possibilité de répondre, car cela constitue autrement une atteinte à l’équité procédurale et citent à l’appui de leur argument les décisions rendues par la Cour dans Ching c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 725, au par. 75 [Ching] et Sarker c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1168, au par. 19.
2)
Nouvelle preuve soumise à la SAR
[32]
Les demandeurs affirment que la SAR a eu tort de ne pas accepter la nouvelle preuve soumise, car elle n’a pas analysé en quoi les documents en question étaient liés aux conclusions de la SPR. Ils soulignent que la nouvelle preuve soumise aborde directement les conclusions de la SPR concernant les contradictions relevées dans le Hukou, et dément directement les conclusions défavorables de cette dernière en ce qui touche leur allégation selon laquelle Mme Chen avait un anévrisme au cerveau et a subi ensuite une intervention chirurgicale au cerveau. Pour les demandeurs, cette preuve était importante et pertinente, compte tenu des conclusions de la SPR.
3)
Évaluation de l’assignation à témoigner [chuanpiao] et du mandat d’arrêt
[33]
Les demandeurs font valoir que la SAR a conclu de manière déraisonnable que l’assignation à témoigner [chuanpiao] et le mandat d’arrêt étaient frauduleux.
[34]
Ils soulignent que les spécimens provenant du CND pour la Chine et invoqués par la SAR datent de 2013 et que rien dans le CND n’indique qu’il n’existe depuis 2015 aucune variante régionale touchant à la présentation des assignations.
[35]
Pour ce qui est de l’assignation à témoigner [chuanpiao], les demandeurs prétendent que la SAR a également commis plusieurs erreurs déraisonnables lorsqu’elle l’a comparée au spécimen du CND. Premièrement, un examen des caractères dans la troisième et la quatrième cases révèle que la troisième case rapporte les mêmes informations de manière différente, tandis que les caractères dans la quatrième case sont identiques à ceux du spécimen. Deuxièmement, les instructions au bas du document ne doivent pas nécessairement comporter trois lignes, attendu que les instructions contenues dans une assignation à témoigner [chuanpiao] donnée peuvent différer selon les circonstances. Les demandeurs affirment aussi que rien dans la preuve documentaire n’indique que les mêmes trois instructions seront adressées à tout un chacun. Troisièmement, ils soutiennent que les caractères au bas du document seront nécessairement différents d’une assignation à témoigner [chuanpiao] à l’autre puisqu’ils indiquent le nom du juge, le nom du comté et la date.
[36]
S’agissant du mandat d’arrêt, les demandeurs affirment qu’il est tout à fait vraisemblable que l’employé du BSP qui l’a rédigé ait mentionné par erreur l’article 59. Ils ajoutent que le document auquel la SAR a comparé le mandat d’arrêt n’apparaît pas dans le CND, et que la SAR n’a pas précisé en quoi les documents des demandeurs différaient du spécimen mentionné.
4)
Pondération de la preuve
[37]
Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur en ne jugeant pas crédible, compte tenu de ses conclusions concernant l’assignation à témoigner [chuanpiao] et le mandat d’arrêt, qu’ils soient recherchés par les autorités chinoises en raison de leur opposition publique à l’expropriation. Toujours d’après eux, la SAR a ainsi manqué d’accorder du poids à la preuve qui déniait cette conclusion en matière de crédibilité.
[38]
En effet, les demandeurs font valoir que la SAR n’ pas tenu compte d’éléments de preuve, tels que leur pétition, leur rapport d’évaluation, et l’évaluation psychologique de Mme Chen, qui confirment tous leur conflit avec le gouvernement chinois au sujet de l’expropriation de leur terre. Les demandeurs soutiennent que cette preuve documentaire n’a pas été jugée frauduleuse et même si elle a rejeté les conclusions de la SPR en matière de crédibilité, la SAR n’a pas analysé cette preuve ni fourni de motifs justifiant son rejet.
B.
Défendeur
[39]
Le défendeur fait valoir que : 1) le droit des demandeurs à l’équité procédurale n’a pas été violé, attendu que la SAR a abordé les questions qu’ils ont soulevées; 2) la nouvelle preuve soumise par eux avait simplement vocation à corriger un dossier lacunaire; 3) l’assignation à témoigner [chuanpiao] et le mandat d’arrêt comportaient de nombreux problèmes en plus des incompatibilités relevées avec les spécimens du CND; et 4) la SAR a explicitement considéré la preuve de l’expropriation citée par les demandeurs. Pour ces motifs, le défendeur soutient que la décision était raisonnable et que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.
1)
Atteinte à l’équité procédurale
[40]
Le défendeur fait valoir que le droit des demandeurs à l’équité procédurale n’a pas été violé, attendu que la SAR n’a pas soulevé de nouvelle question dans la présente affaire. Les demandeurs savaient que leur crédibilité et que les assignations étaient en cause devant la SAR, puisqu’ils ont explicitement soulevé ces enjeux dans l’appel qu’ils ont interjeté devant elle. Pour le défendeur, cette situation diffère de celle qui prévalait dans la décision Ching, précitée, que les demandeurs invoquent, et dans laquelle la juge Kane a conclu que la SAR avait commis une erreur en se penchant sur la question de la crédibilité du demandeur, étant donné que ce dernier n’avait pas soulevé cette question lors de son appel.
[41]
Le défendeur soutient qu’en l’espèce, la SAR a simplement abordé les questions que les demandeurs ont eux‑mêmes soulevées. Il souligne que la Cour a conclu que la SAR ne soulève pas de nouvelles questions lorsqu’elle examine et évalue la preuve depuis le début (Ibrahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 380, au par. 30; Marin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 243, au par. 37); ni lorsqu’elle relève dans le dossier des éléments de preuve additionnels qui sapent la crédibilité du demandeur, quand celle‑ci est déjà en cause (Oluwaseyi Adeoye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 246, aux par. 13 à 15).
2)
Preuve nouvellement soumise à la SAR
[42]
Le défendeur soutient que la SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a rejeté la preuve nouvellement soumise par les demandeurs, attendu que ces derniers tentaient simplement de corriger le dossier lacunaire qu’ils avaient présenté à la SPR. Voir Singh, précitée, aux par. 49 et 54.
[43]
Le défendeur ajoute que les demandeurs étaient représentés par un conseil et qu’ils ont choisi de soumettre à la SPR un certificat de diagnostic d’une maladie aiguë illisible ainsi qu’une preuve insuffisante de l’intervention chirurgicale que Mme Chen aurait subie au cerveau. À ce titre, ils ne peuvent pas demander à produire une nouvelle preuve simplement pour corriger ces lacunes relevées par la SPR. De plus, les photographies et les documents médicaux ne sont pas nouveaux puisqu’ils ne révèlent pas de fait qui leur était inconnu au moment de l’audience de la SPR.
3)
Évaluation de l’assignation à témoigner [chuanpiao] et du mandat d’arrêt
[44]
Le défendeur soutient que la SAR n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que l’assignation à témoigner [chuanpiao] et le mandat d’arrêt étaient frauduleux. La SAR a relevé de nombreux problèmes dans ces documents ainsi que plusieurs disparités lorsqu’elle les a comparés aux spécimens fournis dans le CND pour la Chine.
[45]
Le défendeur conteste en particulier l’argument des demandeurs selon lequel le modèle de document contenu dans le CND, auquel la SAR a comparé le mandat d’arrêt, n’existe pas, et cite en réponse l’onglet 9.6 du CND. Il conteste également leur déclaration voulant que les spécimens mentionnés par la SAR remontent à 2013; ceux fournis à l’onglet 9.6 du CND comprennent notamment des spécimens datés de 2014 à 2016.
4)
Pondération de la preuve
[46]
Le défendeur fait valoir que la SAR a convenablement pondéré en l’espèce la preuve sur l’expropriation lorsqu’elle a évalué le risque de danger ou de persécution auquel les demandeurs se heurteraient s’ils retournaient en Chine. En fait, de souligner le défendeur, la SAR a explicitement examiné cette preuve aux paragraphes 50 à 53 de sa décision, mais elle a estimé que les documents étaient insuffisants pour trancher la question déterminante en l’espèce : les demandeurs sont‑ils recherchés par les autorités chinoises en raison de leur opposition publique à l’expropriation de leur terre?
VIII.
ANALYSE
[47]
Nonobstant leurs observations écrites, les deux parties ont convenu devant moi à l’audition de la présente affaire qui s’est déroulée à Toronto le 5 décembre 2019 que la question déterminante est de savoir si l’évaluation par la SAR de l’assignation à témoigner [chuanpiao] et du mandat d’arrêt était raisonnable. Je conviens que la décision sera confirmée ou annulée en fonction de cette question.
[48]
Voici le cœur de la décision :
[42] Compte tenu des documents frauduleux en l’espèce, la SAR conclut que, selon la prépondérance des probabilités, les appelants n’étaient pas recherchés par le PSB ou les autorités chinoises, comme ils l’ont affirmé. Étant donné qu’il n’y a aucun document crédible pour étayer leurs allégations selon lesquelles ils sont recherchés par les autorités, la SAR conclut que les appelants ne sont pas des témoins crédibles en ce qui concerne la question déterminante de leurs demandes d’asile et des allégations voulant qu’ils se soient cachés après avoir prétendument échappé à la police à la suite de leur présumée protestation.
[43] Un fondement déterminant des demandes d’asile des appelants, c’est à dire être recherchés par les autorités en Chine en raison de leur prétendue protestation illégale, n’est pas crédible. Compte tenu de cette conclusion, la SAR estime que les appelants auraient pu quitter la Chine munis de leurs propres documents sans difficulté, et que les allégations selon lesquelles ils auraient eu recours à un passeur pour faciliter leur départ de la Chine ne sont pas crédibles.
[49]
Cette conclusion était fondée sur l’évaluation qu’a elle‑même effectuée la SAR de l’assignation à témoigner [chuanpiao], délivrée par une cour de justice, et d’un mandat d’arrêt que les demandeurs ont soumis en preuve à la SPR et à la SAR.
[50]
La SAR a convenu avec les demandeurs que l’évaluation par la SPR de ces documents était incomplète, et s’est attelée à mener sa propre évaluation :
[34] La SAR souscrit aux observations de l’appelante concernant l’évaluation incomplète de la citation à comparaître délivrée par le gouvernement. Par conséquent, la SAR évaluera le document délivré par le gouvernement qui a été présenté à l’appui des allégations des appelants selon lesquelles ils étaient recherchés par le PSB parce qu’ils auraient protesté illégalement contre l’expropriation de leurs terres.
[35] Une assignation à témoigner délivrée par la cour (chuanpiao), dont il a été question précédemment, a été présentée pour montrer que l’appelante était recherchée par les autorités chinoises. Après examen du cartable national de documentation (CND), la SAR constate que « le format des citations à comparaître et des assignations à témoigner est le même depuis 2003 (ibid. 22 juin 2013) ». La documentation mentionne également que ces formulaires sont censés être utilisés partout au pays et « [qu’] il ne devrait y avoir aucune variante régionale ». En examinant la citation à comparaître figurant dans les documents et en la comparant aux spécimens se trouvant dans le CND, la SAR estime que la structure et le format de la citation à comparaître ne correspondent pas à la documentation.
[36] La structure et la présentation de l’en‑tête de la citation à comparaître ne correspondent pas à la documentation. L’identificateur du dossier et la date ne figurent pas dans le coin supérieur droit de l’assignation à témoigner. Cet identificateur se trouve sous l’identification de l’autorité émettrice et au‑dessus du corps de la citation à comparaître.
[37] Les caractères chinois, et donc le libellé des troisième et quatrième cases de l’assignation à témoigner, ne correspondent pas à la documentation.
[38] La structure physique des instructions au bas de l’assignation à témoigner ne correspond pas à la documentation et cette dernière ne mentionne que deux catégories, et non trois.
[39] La structure et les caractères chinois au bas de l’assignation à témoigner ne correspondent pas à la documentation en ce sens qu’il manque des parties. Les caractères chinois sous le corps de la citation à comparaître ne correspondent pas aux spécimens fournis dans le CND.
[40] La SAR conclut que, selon la prépondérance des probabilités, la citation à comparaître présentée est frauduleuse, et elle tire une conclusion défavorable quant à la crédibilité de l’appelante, qui a présenté un document frauduleux pour appuyer sa cause.
[41] Des mandats d’arrestation, mentionnés précédemment, ont également été présentés par les appelants pour montrer qu’ils étaient recherchés par les autorités chinoises pour des activités antigouvernementales. L’article 59 de la Loi sur la procédure criminelle de la République populaire de Chine a été cité dans les documents présentés à titre de fondement pour les mandats d’arrestation. Après avoir examiné le document du CND portant sur la Loi sur la procédure criminelle de la République populaire de Chine (modifiée en 2012), la SAR constate que l’article 59 mentionne que la déclaration d’un témoin peut être utilisée pour trancher une affaire. La SAR conclut que, selon la prépondérance des probabilités, les mandats d’arrestation présentés sont frauduleux. Par ailleurs, la SAR a fait référence au document CHN106128.EF du CND et elle estime que sa conclusion est étayée, en ce sens que les documents présentés diffèrent en tous points des documents du CND.
[Renvois omis.]
[51]
Pour les demandeurs, la SAR a commis dans cette analyse une série d’erreurs qui rendent la décision déraisonnable.
A.
L’assignation à témoigner [chuanpiao]
[52]
Les demandeurs allèguent que la SAR a commis plusieurs erreurs factuelles dans son évaluation de cette assignation délivrée par une cour de justice.
1)
Aucune variante régionale dans les documents
[53]
Premièrement, les demandeurs affirment que les spécimens sur lesquels la SAR a fondé ses comparaisons remontaient à 2013, et que même si l’onglet 9.3 du CND précise que la présentation des assignations à témoigner ne donnait lieu à aucune variante régionale jusqu’en 2015, cela ne veut pas dire que de telles variantes étaient inenvisageables après cette date. L’assignation à témoigner des demandeurs est datée de 2017.
[54]
Je ne dispose d’aucune preuve me permettant d’évaluer si des variantes étaient permissibles lorsque les demandeurs se sont vus délivrer leur assignation à témoigner. C’est à eux qu’il incombe de produire la preuve des variantes permissibles, mais il est difficile de voir comment ils auraient pu le faire dans les circonstances de la présente affaire. Les renseignements provenant de la Direction des recherches et invoqués par la SAR indiquent que des termes standard « sont censés être utilisés »
et qu’« il ne devrait y avoir aucune variante régionale »
; mais cela ne prouve pas que de telles variantes n’existent pas, ce que la SAR aurait dû garder à l’esprit lorsqu’elle a comparé l’assignation des demandeurs aux spécimens produits par la Direction.
[55]
Un autre problème associé aux renseignements provenant de la Direction des recherches tient au fait qu’ils mentionnent [traduction] « aucune variante de présentation »
, sans préciser ce qui serait considéré comme une [traduction] « variante »
. Par exemple, si la case du formulaire indiquant [traduction] « Personne visée par l’assignation à témoigner »
comporte cinq caractères, s’agit‑il d’une variante de présentation si elle en comporte quatre? Et si cette case doit comporter cinq caractères, doivent‑ils toujours être les mêmes? L’avis contient également la mise en garde suivante : [traduction] « Cette réponse n’apporte pas, ni ne prétend apporter, de preuves concluantes quant au fondement d’une demande d’asile »
. Le sens de cette mise en garde n’est pas clair. Cela signifie‑t‑il qu’une variante de présentation ne doit pas être déterminante dans un cas donné, même en présence de variations? Il est étrange qu’en l’espèce, la SAR considère en fait la réponse de la Direction des recherches comme étant déterminante et qu’elle invoque uniquement la [traduction] « présentation »
pour juger frauduleuse l’assignation à témoigner [chuanpiao].
2)
Cases 3 et 4 de l’assignation à témoigner [chuanpiao]
[56]
Deuxièmement, les demandeurs affirment que les caractères chinois figurant dans la troisième et la quatrième cases n’étaient pas incompatibles avec le spécimen. D’après eux, ils sont en fait identiques à ceux du spécimen.
[57]
C’est inexact. La case 3 du spécimen comporte cinq caractères, tandis que l’assignation à témoigner [chuanpiao] des demandeurs en comporte quatre. La case 4 du spécimen comprend huit caractères, et celle de l’assignation à témoigner [chuanpiao] sept.
[58]
Cependant, comme la SAR s’appuie entièrement sur la présentation (c.‑à‑d., le nombre de caractères), il est impossible de dire s’il existe des différences de substance.
[59]
Si les cases 3 et 4 dans le spécimen et l’assignation signifient dans les deux cas [traduction] « Personne visée par l’assignation à témoigner »
et [traduction] « Adresse »
respectivement, la question de savoir si cela serait considéré comme une variante au sens des renseignements provenant de la Direction des recherches n’est pas claire.
3)
Nombre de lignes au bas de l’assignation à témoigner [chuanpiao]
[60]
Troisièmement, les demandeurs affirment que les instructions qui se trouvent au bas de l’assignation à témoigner [chuanpiao] sont énumérées en deux lignes et non en trois. Mais cela ne tient pas compte du fait que ces assignations peuvent être différentes en ce qu’il est possible que les mêmes instructions ne soient pas adressées à tout le monde. Ils affirment qu’il était déraisonnable que la SAR présume que chaque personne assignée à témoigner recevra les mêmes trois instructions. Les agents du BSP sont libres de fournir des instructions personnalisées.
[61]
La SAR n’aborde pas cette question et en s’appuyant exclusivement sur la forme au détriment du fond, elle n’explique pas la signification des différences découlant de variations éventuelles rendues nécessaires par le contexte et les personnes visées par l’assignation à témoigner. Par exemple, si la SAR avait examiné la teneur réelle de la troisième ligne, elle aurait pu alors clairement s’apercevoir que cette ligne n’était pas pertinente pour les demandeurs et qu’elle a été laissée de côté pour cette raison.
4)
Caractères différents au bas de l’assignation à témoigner [chuanpiao]
[62]
Les demandeurs affirment ensuite que la SAR a eu tort de s’appuyer sur le fait que les caractères figurant au bas de l’assignation à témoigner [chuanpiao] étaient différents de ceux de l’assignation provenant du spécimen. Ces différences concernent notamment le nom du juge, le nom du pays et la date. Il est donc évident que ces caractères ne concorderaient pas avec le spécimen.
[63]
Encore une fois, en l’absence d’une explication additionnelle de la SAR sur cette question, il est impossible de déterminer pourquoi elle a estimé légitime de s’appuyer sur la simple forme retenue dans cette partie de l’assignation à témoigner.
5)
Le mandat d’arrêt
[64]
La SAR a fait remarquer que dans les documents soumis par les demandeurs, le mandat d’arrêt était fondé sur l’article 59 du code de procédure pénale de la République populaire de Chine; cependant, d’après les documents contenus dans le CND, cette disposition porte sur des déclarations de témoins pouvant être utilisées pour trancher une affaire.
[65]
Depuis l’audition de la présente affaire à Toronto le 5 décembre 2019, l’avocate du défendeur a indiqué par écrit à la Cour ce qui suit :
[traduction]
Une fois l’audience terminée, l’avocate des demandeurs m’a fait savoir que le mandat d’arrêt contenait une erreur de traduction. Elle m’a ainsi informé que la version chinoise du mandat d’arrêt faisait référence à l’article 79 du code de procédure pénale de la République populaire de Chine, tandis que la traduction anglaise mentionne par erreur l’article 59. Je suis convaincue qu’elle a raison.
Dans sa décision, la Section d’appel des réfugiés (SAR) a tiré une inférence défavorable de la mention de l’article 59 dans le mandat d’arrêt, car cette disposition traite des déclarations de témoins, dépourvues de pertinence à l’égard des demandeurs. L’avocate de ces derniers a trouvé l’article 79 du code de procédure pénale de la République populaire de Chine, concernant l’arrestation des suspects criminels, qui ne peut passer pour être dépourvu de pertinence à l’égard des demandeurs.
Même si le défendeur reconnaît que le paragraphe 41 de la décision de la SAR était raisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait, que le document incorrectement traduit a été fourni par l’ancien conseil des demandeurs, et que la Cour ainsi que la Cour d’appel fédérale nous ont mis en garde contre l’utilisation de la nouvelle preuve pour infirmer la décision d’un décideur administratif sur le fond au moment du contrôle judiciaire, le défendeur n’invoquera plus le paragraphe 41 de la décision de la SAR pour appuyer le caractère raisonnable de celle‑ci.
[Renvois omis.]
[66]
Le paragraphe 41 de la décision fournit les motifs pour lesquels la SAR a jugé que le mandat d’arrêt était frauduleux, et cela tenait dans une large mesure à la mauvaise traduction de la disposition du code de procédure pénale invoquée. Il semble à présent qu’il aurait dû s’agir de l’article 79 et non de l’article 59, et le défendeur reconnaît à présent que l’article 79 ne peut être jugé aussi dépourvu de pertinence au regard de l’assertion des demandeurs selon laquelle ils sont recherchés par les autorités chinoises.
[67]
Si cette erreur n’avait pas été faite, il est difficile de voir comment la SAR aurait pu conclure que ce mandat d’arrêt était frauduleux. Cependant, la traduction incorrecte de l’article 79 a été fournie par l’ancien conseil des demandeurs. La SAR a également évoqué les documents du CND et estimé que « les documents présentés diffèrent en tous points des documents du CND »
. Cependant, il est impossible de savoir si la SAR aurait conclu que le mandat d’arrêt était frauduleux si l’article 79 avait été correctement traduit. En l’absence de détails quant à ce que la SAR considérait comme des dissemblances, il n’est pas possible d’évaluer le caractère raisonnable de cette conclusion.
[68]
C’est uniquement à cause d’une erreur commise par l’ancien conseil des demandeurs que la SAR ne disposait pas de la bonne traduction de l’article 79, et les circonstances de cette erreur ne m’ont pas été expliquées.
[69]
La SAR a tiré ses conclusions quant aux questions déterminantes après avoir déterminé que l’assignation à témoigner [chuanpiao] et le mandat d’arrêt étaient frauduleux. Si le défendeur n’invoque plus le paragraphe 41 pour appuyer le caractère raisonnable de la décision, j’estime que les conclusions de la SAR à l’égard de l’assignation à témoigner [chuanpiao] sont suffisamment problématiques pour compromettre la décision et la rendre déraisonnable.
[70]
Les avocats conviennent qu’aucune question n’est à certifier et je suis du même avis.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑1958‑19
LA COUR STATUE que :
Il est fait droit à la demande. La décision est infirmée et l’affaire est renvoyée à un tribunal de la SAR différemment constitué pour qu’elle rende une nouvelle décision.
Aucune question n’est à certifier.
« James Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 10e jour de mars 2020.
Claude Leclerc, traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑1958‑19
|
INTITULÉ :
|
AIHUI CHEN ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 5 DÉCEMBRE 2019
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE Russell
|
DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
|
LE 23 JANVIER 2020
|
COMPARUTIONS :
Stephanie Fung
|
POUR Les demandeurs
|
Ada Mok
|
POUR Le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lewis & Associates
Toronto (Ontario)
|
POUR Les demandeurs
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR Le défendeur
|