Date : 20200123
Dossier : IMM‑2275‑19
Référence : 2020 CF 110
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2020
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE :
|
PETRA NOVAKOVA
|
demanderesse
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
La Cour est saisie d’une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 18 mars 2019 [la décision], par laquelle la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre du refus de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de lui reconnaître la qualité de réfugiée et celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.
II.
CONTEXTE
[2]
La demanderesse est citoyenne de la République tchèque. Elle vit en union de fait avec M. Lukas Simonic, un citoyen slovaque d’origine ethnique rom. Ensemble, ils ont trois enfants qui sont à moitié tchèques et à moitié roms. Deux des enfants sont nés en République tchèque, tandis que le troisième est né au Canada, après l’audience devant la SPR. Dans sa décision, la SPR a conclu que la demanderesse, son conjoint de fait et leurs deux enfants nés en République tchèque n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention, au titre de l’article 96 de la LIPR.
[3]
La demanderesse affirme craindre d’être persécutée si elle est renvoyée en République tchèque, parce qu’elle vit en union de fait avec un conjoint rom et qu’elle est la mère d’enfants à moitié roms.
[4]
La demanderesse déclare qu’elle a été victime à de nombreuses occasions d’actes discriminatoires graves en Slovaquie et en République tchèque, lesquels équivalent cumulativement à de la persécution. Elle déclare qu’elle a été : (1) ostracisée par sa famille parce qu’elle a des enfants avec un Rom; (2) agressée par trois skinheads qui ont craché sur ses enfants et se sont opposés à sa relation avec un Rom; (3) privée de l’aide des autorités; (4) constamment agressée verbalement par des Tchèques; (5) harcelée par le propriétaire de son logement qui ne voulait pas de son conjoint, M. Simonic, dans le logement; et (6) forcée de voir ses enfants être victimes de discrimination à l’école. Elle soutient que, compte tenu des difficultés très répandues que subissent les personnes roms en République tchèque, elle ne croit pas qu’elle serait en sécurité dans ce pays, quel que soit l’endroit où elle se trouve.
[5]
Le 20 septembre 2018, la SPR a rejeté les demandes d’asile de la demanderesse, de son conjoint et de leurs deux enfants nés en République tchèque. La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Simonic au motif qu’elle doutait de sa crédibilité et que les difficultés auxquelles il était confronté en République tchèque n’équivalaient pas à de la persécution. De même, la SPR a rejeté les demandes d’asile de la demanderesse et de ses enfants, au motif que les problèmes auxquels ils étaient exposés en République tchèque équivalaient à de la discrimination, mais pas à de la persécution.
[6]
Le 18 mars 2019, la SAR a accueilli les appels concernant les demandes d’asile de M. Simonic et de ses enfants nés en République tchèque. Toutefois, elle a rejeté l’appel visant la demande d’asile de la demanderesse.
III.
DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[7]
La SAR a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre de la décision de la SPR, au motif que le traitement auquel la demanderesse serait exposée si elle retournait en République tchèque n’équivaudrait probablement pas à de la persécution. Par conséquent, la SAR a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.
[8]
La SAR a conclu que la SPR avait commis une erreur en ne tenant pas compte de l’effet cumulatif des actes discriminatoires dont la demanderesse avait été victime. En conséquence, la SAR a réévalué l’ensemble des éléments de preuve présentés, mais a néanmoins souscrit à la décision de la SPR.
[9]
La SAR a fait observer que la demanderesse est d’origine tchèque et qu’elle n’a pas été victime de la marginalisation et de la stigmatisation – tout au long de sa vie – que de nombreux Roms vivent régulièrement. La SAR a fait remarquer que la discrimination dont la demanderesse a été victime découle plutôt de ses relations avec des personnes roms. La SAR a reconnu que la demanderesse pourrait être victime d’actes discriminatoires et de racisme si elle retournait en République tchèque, mais a ajouté que la demanderesse court bien moins de risques qu’un citoyen d’origine rom de se heurter à des difficultés, notamment en matière d’éducation, de soins de santé, de logement, d’accès au marché du travail et d’obtention du soutien de l’État. En fait, la SAR a souligné que dans le passé, la demanderesse avait pu poursuivre ses études et louer un logement par elle‑même.
[10]
Pour ces motifs, la SAR a souligné que l’appréciation cumulative des éléments de preuve dont elle disposait n’établissait pas que la demanderesse serait exposée à plus qu’une simple possibilité de persécution si elle retournait en République tchèque, même en tenant compte du traitement hostile infligé par sa famille ou du fait qu’elle était une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.
IV.
QUESTIONS EN LITIGE
[11]
Les questions soulevées en l’espèce sont les suivantes :
- La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation du risque de persécution auquel la demanderesse était exposée?
- La SAR a‑t‑elle commis une erreur en examinant la demande d’asile de la demanderesse sur le fondement qu’elle serait séparée de sa famille?
- La SAR a‑t‑elle fourni des motifs suffisants à l’appui de sa décision?
V.
NORME DE CONTRÔLE
[12]
La présente demande a été plaidée avant que la Cour suprême du Canada ne rende les récents arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. La décision de la Cour a été mise en délibéré. Les observations des parties portant sur la norme de contrôle ont donc été présentées selon le cadre d’analyse de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Toutefois, compte tenu des circonstances de l’espèce et des directives de la Cour suprême du Canada figurant au paragraphe 144 de l’arrêt Vavilov, la Cour conclut qu’il n’était pas nécessaire de demander aux parties de présenter des observations supplémentaires relativement à la norme de contrôle. Dans le contrôle de la présente demande, j’ai appliqué le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov et, en l’espèce, cela ne change ni la norme de contrôle applicable ni mes conclusions.
[13]
Aux paragraphes 23 à 32 de l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont voulu simplifier la manière dont une cour de révision choisit la norme de contrôle applicable aux questions litigieuses dont elle est saisie. Les juges majoritaires sont passés d’une approche contextuelle et orientée vers des catégories, adoptée dans l’arrêt Dunsmuir, à l’instauration d’une présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique. Toutefois, les juges majoritaires ont fait observer que cette présomption peut être réfutée si : (1) le législateur prévoit l’application d’une norme de contrôle différente (Vavilov, aux par. 33 à 52), et si (2) la primauté du droit requiert l’application de la norme de la décision correcte dans le contrôle de certaines catégories de questions, soit les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 53 à 64).
[14]
En l’espèce, la demanderesse et le défendeur ont fait observer que la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable. Je suis du même avis.
[15]
Rien ne permet de réfuter la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce. L’application de la norme de la décision raisonnable à ces questions litigieuses est aussi cohérente avec la jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada. Voir la décision Iraqi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1049, au par. 15, concernant l’évaluation faite par la SAR du risque de persécution d’un demandeur, et la décision Amadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1166, aux par. 30 et 31, concernant le contrôle du caractère suffisant des motifs de la SAR.
[16]
Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse portera sur la question de savoir si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »
(Vavilov, au par. 99). La norme de la décision raisonnable constitue une norme de contrôle unique « qui s’adapte au contexte »
(Vavilov, au par. 89 citant l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir »
(Vavilov, au par. 90). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que lorsqu’elle est convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au par. 100). La Cour suprême du Canada énonce deux catégories de lacunes fondamentales qui rendent la décision déraisonnable : (1) le manque de logique interne du raisonnement du décideur; (2) le cas d’une décision indéfendable « sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision »
(Vavilov, au par. 101).
VI.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[17]
Les dispositions législatives suivantes de la LIPR s’appliquent à la présente demande de contrôle judiciaire :
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
VII.
ARGUMENTS
A.
Demanderesse
[18]
La demanderesse fait valoir que la décision de la SAR était déraisonnable, car celle‑ci n’a pas effectué une évaluation cumulative adéquate du risque de persécution auquel la demanderesse serait exposée à l’avenir, a erronément supposé que la demanderesse serait séparée de sa famille à son retour en République tchèque et n’a pas suffisamment motivé sa décision. En conséquence, la demanderesse demande à la Cour d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.
(1)
Évaluation du risque de persécution
[19]
La demanderesse soutient que la SAR a évalué de façon déraisonnable son risque d’être persécutée en République tchèque. Premièrement, elle fait valoir que la SAR n’a pas effectué une évaluation cumulative adéquate des difficultés auxquelles elle a été exposée et aurait dû tenir compte des conseils donnés par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés dans son guide portant sur l’examen des effets cumulatifs de la discrimination auquel la Cour a souscrit, au paragraphe 34 de la décision Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2003 CFPI 429.
[20]
Deuxièmement, la demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur en prenant en considération le fait qu’elle pourrait poursuivre ses études en République tchèque, sans toutefois effectuer d’analyse prospective. La demanderesse souligne qu’il est peu probable qu’elle soit en mesure de poursuivre des études à l’avenir, car elle a 28 ans et est mère de trois enfants.
[21]
Troisièmement, la demanderesse soutient que la SAR n’a pas tenu compte du fait qu’elle a pu poursuivre ses études et louer un logement dans le passé parce qu’elle ne fréquentait pas encore M. Simonic. Elle fait valoir que le fait qu’elle ait été ou non victime de stigmatisation ou de discrimination avant de rencontrer M. Simonic n’a pas d’importance en l’espèce, car sa demande d’asile est fondée sur sa crainte de persécution à l’avenir, en raison de sa relation et de sa famille multiethniques.
(2)
Séparation supposée de la famille
[22]
La demanderesse fait valoir que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a évalué le risque de persécution auquel elle serait exposée à l’avenir en République tchèque en supposant qu’elle serait séparée de sa famille. La demanderesse affirme que sa demande d’asile, ainsi que les demandes d’asile des membres de sa famille, auraient dû être examinées simultanément. Ainsi, la SAR ne pouvait pas supposer qu’elle ne vivrait pas avec son conjoint et ses enfants en République tchèque.
(3)
Caractère suffisant des motifs
[23]
La demanderesse fait aussi valoir que la SAR a agi de façon déraisonnable en menant une analyse très succincte de sa demande d’asile, malgré le fait qu’elle ait accepté la grande majorité des éléments de preuve présentés.
B.
Défendeur
[24]
Le défendeur affirme que la décision était raisonnable, car la SAR a évalué cumulativement les risques de persécution, sur une base personnalisée, en conformité avec les principes du droit canadien des réfugiés, et qu’elle a fourni des motifs justifiés, transparents et intelligibles à l’appui de ses conclusions. Le défendeur affirme donc que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.
(1)
Évaluation du risque de persécution
[25]
Le défendeur soutient que la décision était raisonnable. Selon lui, comme la demande d’asile de la demanderesse était fondée sur la persécution dont étaient victimes les autres membres de sa famille, il était raisonnable pour la SAR de conclure que la demanderesse n’avait pas réussi à établir qu’elle serait exposée à davantage que de la discrimination en tant que femme d’origine tchèque.
[26]
Le défendeur soutient que l’appartenance à une famille ne suffit pas en soi à établir la persécution, car il doit y avoir un lien personnalisé entre la persécution dont est victime l’un des membres de la famille et la persécution que fait valoir un autre membre de la famille. Autrement dit, la persécution doit être personnalisée.
[27]
Dans cette perspective, le défendeur affirme qu’il est évident que la décision est raisonnable. La SAR a pris en compte l’ensemble des éléments de preuve présentés et a expressément reconnu qu’elle avait évalué le risque de persécution de la demanderesse en tenant compte de l’effet cumulatif de tous les actes discriminatoires dont elle avait été victime. Pour ce faire, la SAR a reconnu que la discrimination dont la demanderesse avait été victime découlait de sa relation avec un Rom et du fait qu’elle est la mère d’enfants roms. Toutefois, la SAR a conclu que ces relations familiales ne signifiaient pas que la demanderesse serait elle‑même exposée à quelque difficulté que ce soit en tant que personne d’origine tchèque.
(2)
Séparation supposée de la famille
[28]
Le défendeur affirme aussi que la SAR a raisonnablement évalué la situation individuelle de la demanderesse et que cette évaluation était conforme à l’état actuel du droit. Le droit canadien des réfugiés ne reconnaît pas le droit fondamental qu’auraient les membres d’une famille de vivre ensemble (Nazari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 561, au par. 20). Même si le défendeur admet que des motifs d’ordre humanitaire peuvent justifier que les membres d’une famille vivent ensemble, il ne s’agit pas d’un fondement sur lequel la demande d’asile d’un demandeur peut être évaluée. Il s’agit plutôt d’une considération à prendre en compte dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, visée à l’article 25 de la LIPR.
[29]
Dans cette perspective, le défendeur affirme que l’évaluation individualisée que la SAR a effectuée quant au risque de persécution de la demanderesse était raisonnable, car l’identité et l’origine ethnique de son conjoint et de ses enfants ne sont pas visibles pour les personnes gravitant autour d’elle.
(3)
Caractère suffisant des motifs
[30]
Enfin, le défendeur affirme que les motifs de la SAR étaient suffisants en l’espèce. Il fait remarquer que le caractère succinct des motifs ne signifie pas en soi que ceux‑ci sont insuffisants. La Cour suprême du Canada a précisément énoncé que les motifs ne doivent pas être parfaits et qu’ils sont considérés comme suffisants dès lors qu’ils répondent aux critères de la justification de la décision et de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux par. 14 à 18).
VIII.
ANALYSE
A.
Introduction
[31]
Après avoir admis tous les éléments de preuve de la demanderesse qui établissent qu’elle a été exposée à l’hostilité et à l’ostracisme de sa famille et aux agressions verbales d’autres personnes, qu’elle a été abordée par des skinheads pendant qu’elle faisait des courses avec ses enfants et que les employés ont refusé de l’aider, et qu’elle a subi le harcèlement grave d’un propriétaire raciste, la SAR a néanmoins conclu que, même en tenant compte de l’effet cumulatif de ces difficultés, celles‑ci n’établissaient pas que, si la demanderesse retournait en République tchèque, elle serait exposée à davantage qu’une simple possibilité de persécution.
[32]
De toute évidence, les traitements hostiles et l’ostracisme dont la demanderesse a été victime dans le passé découlaient de sa relation avec son conjoint et ses enfants qui sont d’origine ethnique rom et qui ont obtenu l’asile au Canada.
B.
Motifs
[33]
La demanderesse soutient que la SAR a commis plusieurs erreurs déraisonnables dans sa décision.
(1)
Accès à l’éducation
[34]
La demanderesse reproche à la SAR :
[TRADUCTION]
[…] d’avoir pris en compte le fait qu’elle avait fait des études, mais de ne pas avoir reconnu qu’elle était âgée de 28 ans et était la mère de trois enfants et, donc, dans une analyse prospective, qu’elle ne tenterait probablement pas de poursuivre d’autres études.
[35]
Ce reproche démontre que la demanderesse n’a pas compris pourquoi la SAR a formulé ces remarques concernant les études. La SAR devait de toute évidence examiner si la demanderesse avait antérieurement subi de la discrimination dans ses études, car cet élément devait faire partie de son évaluation cumulative. Le fait que la demanderesse n’en ait pas subi était important, car cela révélait qu’elle n’avait pas été victime de discrimination dans le passé, jusqu’à ce qu’elle épouse un Rom et qu’elle ait des enfants roms. Si la demanderesse n’a pas l’intention de poursuivre d’autres études en République tchèque si elle y retourne, cet élément ne peut donc pas constituer un motif de persécution à l’avenir.
(2)
Séparation de la famille
[36]
La demanderesse soutient que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle en considérant [traduction] « les perspectives de persécution à l’avenir en se fondant sur le fait qu’elle serait séparée de sa famille »
:
[TRADUCTION]
Bien que la SAR ait simultanément accordé la qualité de réfugié au sens de la Convention à M. Simonic, celui‑ci était citoyen de la Slovaquie, et non pas de la République tchèque. On ne pouvait donc pas supposer qu’il ne vivrait pas avec la demanderesse dans ce pays à l’avenir.
[37]
À mon avis, c’est ici que la SAR a commis des erreurs susceptibles de contrôle.
[38]
Tout d’abord, lorsque le paragraphe de conclusion de la décision, le paragraphe 16, est lu dans son ensemble, il n’est pas clair si la SAR fonde son évaluation de la persécution sur le retour de la demanderesse en République tchèque seule ou avec sa famille. Étant donné qu’elle a été victime d’actes discriminatoires dans le passé en raison de sa relation avec son conjoint et ses enfants, cette discrimination diminuera ou cessera probablement si elle retourne seule dans ce pays. Toutefois, si elle y retourne avec sa famille, ces actes continueront vraisemblablement pour une période indéfinie. Ainsi, en évaluant si la demanderesse serait victime de persécution à l’avenir, la SAR aurait dû tenir compte du fait que, à un moment donné, être agressée et insultée par des skinheads et devoir défendre ses enfants, en plus d’être victime d’autres actes discriminatoires, pourraient équivaloir à de la persécution. Il convient de noter que, en analysant si la demanderesse serait victime de discrimination à l’avenir, la SAR a mentionné l’éducation, les soins de santé, le logement, l’accès au marché du travail, l’obtention du soutien de l’État, mais n’a pas tenu compte du fait que si ses enfants sont avec elle, elle pourrait aussi bien être victime, pendant une durée indéfinie, de racisme et de violence de la part des skinheads et du public en général, comme elle l’a été dans le passé. Il s’agit de questions cruciales. À tout le moins, il y a un manque de précision sur cet élément, ce qui rend la décision inintelligible. Ainsi, un nouvel examen s’impose.
[39]
Les avocats conviennent qu’il n’y a pas de question à certifier et la Cour est du même avis.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑2275‑19
LA COUR STATUE que :
La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SAR pour qu’il l’examine à nouveau.
Il n’y a pas de question à certifier.
« James Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 7e jour de février 2020.
Mylène Boudreau, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑2275‑19
|
INTITULÉ :
|
PETRA NOVAKOVA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
Le 4 décembre 2019
|
Jugement et motifs :
|
Le juge Russell
|
DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
|
Le 23 janvier 2020
|
COMPARUTIONS :
D. Clifford Luyt
|
Pour la demanderesse
|
David Knapp
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
D. Clifford Luyt
Avocat
Toronto (Ontario)
|
Pour la demanderesse
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
Pour le défendeur
|