Date : 20200122
Dossier : IMM-1992-19
Référence : 2020 CF 107
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2020
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE :
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TAHIR AHMED
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], d’une décision rendue le 1er mars 2019 [la décision contestée] par laquelle un agent des visas [l’agent] a rejeté la demande de visa de résident temporaire [VRT] du demandeur.
II.
LE CONTEXTE
[2]
Le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il affirme qu’il réside au Pakistan avec son épouse et ses trois enfants et qu’il est un employé permanent de Sui Northern Gas Pipelines Limited depuis près de 25 ans.
[3]
Le 8 janvier 2019, le demandeur a présenté une demande de VRT pour rendre visite à son cousin au Canada et assister à un mariage. Le demandeur a indiqué qu’il s’était vu refuser un visa canadien de visiteur en mai 2017 en raison de ses antécédents de voyage, de ses liens familiaux au Canada et de l’objet de sa visite, et qu’il s’était par la suite vu refuser un visa canadien en février 2018 en raison de ses biens, de ses finances et de l’objet de sa visite. Toutefois, le demandeur a omis d’inclure dans son formulaire de demande de 2019 le fait qu’il s’était vu refuser un visa américain en octobre 2018. Il a également omis d’inclure ce renseignement dans un formulaire de demande présenté antérieurement au Canada.
[4]
Le 14 février 2019, l’agent a envoyé au demandeur une lettre relative à l’équité procédurale concernant cette omission et a averti le demandeur qu’il pouvait être jugé interdit de territoire au Canada pour fausse déclaration aux termes du paragraphe 40(1) de la LIPR. La lettre invitait le demandeur à présenter une réponse dans les 10 jours.
[5]
Le 23 février 2019, la consultante en immigration du demandeur a répondu à la lettre de l’agent en affirmant que cette omission était le résultat d’une erreur de bonne foi commise par son collègue, qui avait simplement copié les renseignements d’une demande antérieure sans inclure les renseignements les plus récents. La lettre indique que le demandeur n’a jamais eu l’intention d’induire l’agent en erreur, comme en témoigne le fait qu’il a explicitement mentionné les refus de visa antérieurs. Une déclaration solennelle du collègue de la consultante en immigration, qui atteste de l’erreur, a été jointe à la lettre.
III.
LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[6]
Le 1er mars 2019, l’agent a rejeté la demande de VRT du demandeur. Le refus indique que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur [traduction] « a répondu véridiquement à toutes les questions qui lui ont été posées »
. Par conséquent, l’agent a également jugé que le demandeur était interdit de territoire au Canada, en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, pour avoir, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui a entraîné ou risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR.
[7]
Selon les notes de l’agent, celui-ci était d’avis que le rejet de la demande de visa américain du demandeur était un fait important qui n’a pas été dissimulé par erreur, puisque la question avait été posée au demandeur de façon claire. Étant donné l’importance du passé du demandeur en matière d’immigration, l’agent a fait remarquer que la réticence aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, si la fausse déclaration n’avait pas été découverte. L’agent a également fait remarquer que la lettre de la consultante du demandeur n’a pas dissipé cette préoccupation.
[8]
L’agent a également indiqué qu’il n’était pas convaincu que le demandeur serait un véritable visiteur au Canada et qu’il quitterait le pays à la fin de son séjour autorisé. L’agent a fondé cette conclusion sur les renseignements fournis par le demandeur ainsi que sur la situation politique, économique et en matière de sécurité du Pakistan. L’agent a fait remarquer que cette conclusion était également étayée par les préoccupations quant à la crédibilité en ce qui concerne les fausses déclarations du demandeur.
IV.
LA QUESTION EN LITIGE
[9]
La question à trancher dans la présente demande est de savoir si l’agent a commis une erreur en concluant que le demandeur a, directement ou indirectement, fait une présentation erronée sur un fait important en l’espèce ou une réticence sur ce fait.
V.
LA NORME DE CONTRÔLE
[10]
La présente demande a été plaidée avant que la Cour suprême du Canada rende sa décision dans les affaires Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Le jugement de la Cour a été pris en délibéré. Les observations des parties sur la norme de contrôle ont donc été présentées selon le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Toutefois, compte tenu des circonstances de l’espèce et des directives de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 144, la Cour a conclu qu’il n’était pas nécessaire de demander aux parties de présenter des observations supplémentaires sur la norme de contrôle. J’ai appliqué le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov dans mon examen de la demande et cela ne change pas la norme de contrôle applicable en l’espèce ni mes conclusions.
[11]
Dans l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 23 à 32, les juges majoritaires ont cherché à simplifier la manière dont les tribunaux choisissent la norme de contrôle applicable aux questions dont ils sont saisis. Les juges majoritaires ont exclu l’approche contextuelle et catégorique adoptée dans l’arrêt Dunsmuir au profit de la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique. Toutefois, les juges majoritaires ont fait observer que cette présomption pouvait être réfutée dans deux types de situations : (1) celle où le législateur a prescrit une norme de contrôle différente (Vavilov, aux par. 33 à 52); et (2) celle où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte. C’est le cas pour les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 53 à 64).
[12]
Le demandeur et le défendeur conviennent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Je suis d’accord.
[13]
Rien ne réfute la présomption suivant laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce. L’application de la norme de la décision raisonnable à la question en litige est également conforme à la jurisprudence qui existait avant l’arrêt Vavilov. Voir Sbayti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1296, au par. 21, et Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 401, au par. 14.
[14]
Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse portera sur la question de savoir si elle « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci »
(Vavilov, au par. 99). La norme de la décision raisonnable est une norme unique qui varie et qui « s’adapte au contexte »
(Vavilov, au par. 89, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir »
(Vavilov, au par. 90). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que lorsque la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au par. 100). La Cour suprême du Canada mentionne deux catégories de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable : (1) le manque de logique interne du raisonnement du décideur; et (2) le caractère indéfendable d’une décision « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision »
(Vavilov, au par. 101).
VI.
LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES
[15]
Voici les dispositions de la LIPR qui s’appliquent à la présente demande de contrôle judiciaire :
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VII.
LES ARGUMENTS
A.
Les arguments du demandeur
[16]
Le demandeur fait valoir que la décision est déraisonnable, car une analyse globale des éléments de preuve produits démontre que le demandeur n’a pas délibérément omis le fait qu’il s’est vu refuser un visa américain en 2018. Le demandeur soutient plutôt que cette omission relève de l’exception reconnue relative à l’erreur de bonne foi.
[17]
Le demandeur fait valoir que la Cour a reconnu à maintes reprises une distinction entre ceux qui cherchent délibérément à faire une fausse déclaration et ceux qui commettent une erreur de bonne foi dans leurs formulaires de demande. Le demandeur cite la décision rendue par la Cour dans l’affaire Osisanwo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1126, aux par. 9 et 10 :
[9] L’examen de quelques précédents est utile ici. Dans l’arrêt Hilario c. Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration) (1977), 18 N.R. 529 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale examinait un cas où des renseignements n’avaient pas été divulgués. S’exprimant pour la Cour, le juge Heald écrivait ce qui suit, à la fin du premier paragraphe, à la page 530 :
Taire des renseignements véridiques, appropriés et pertinents peut « tromper » tout aussi bien que fournir positivement des renseignements incorrects.
[10] Ce passage de l’arrêt Hilario comporte l’idée de « taire » et de « fournir », ce qui signifie que la mens rea est requise.
[18]
Le demandeur fait valoir que la décision contestée est déraisonnable, car l’exception relative à l’erreur de bonne foi est clairement applicable en l’espèce. Si l’agent avait évalué la fausse déclaration potentielle à la lumière de l’ensemble des éléments de preuve qui ont été présentés, il serait arrivé à la seule conclusion raisonnable possible : le défaut de mentionner le rejet du visa américain en 2018 était une erreur de bonne foi résultant d’une erreur administrative commise par ses consultants en immigration. Le demandeur fait valoir que cela est évident lorsqu’on considère que le demandeur a indiqué dans sa demande les visas refusés antérieurement, ce qui indique qu’il n’avait pas l’intention de tromper délibérément l’agent.
[19]
L’agent a commis une erreur en évaluant de manière étroite la question de savoir si une fausse déclaration avait été commise délibérément en l’espèce. En fait, le demandeur fait remarquer que l’agent doit évaluer, selon la prépondérance des probabilités, si le demandeur a délibérément cherché à induire en erreur. Aucune raison n’est donnée dans la décision contestée pour ce qui est de savoir comment ou pourquoi l’agent est arrivé à la conclusion que le demandeur a délibérément fait une présentation erronée sur un fait important. Autrement dit, la décision ne tenait pas compte de la mens rea. L’agent est plutôt arrivé à sa conclusion en se fondant sur une simple apparence de fausse déclaration plutôt que sur un examen minutieux de tous les éléments de preuve dont il disposait.
[20]
L’appréciation de l’agent est incompatible avec la décision rendue par la Cour dans l’affaire Lamsen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 815, au par. 24, et dans l’affaire Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117, aux par. 20 et 21, où la Cour indique :
[20] Dans la décision visée par la présente demande, l’agent mentionne, sans toutefois l’évaluer, l’importance éventuelle du fait que les renseignements que M. Berlin a omis d’indiquer dans sa demande officielle se trouvaient dans les dossiers du défendeur ainsi que dans certaines des pièces que M. Berlin avait soumises avec la demande alors examinée. D’ailleurs, il est fort possible que ce soit l’existence des autres renseignements que possédait déjà le défendeur qui a conduit à la découverte de l’omission. L’opinion négative de l’agent reposait uniquement sur l’observation qu’il était [traduction] « raisonnable de s’attendre » à ce que M. Berlin soit mieux avisé et qu’il [traduction] « lui incomb[ait] » de s’assurer que les renseignements fournis [traduction] « soient exacts et à jour ». En outre, l’agent a simplement conclu qu’[traduction] « il semble qu’il ait manqué de franchise ».
[21] L’importance pour la famille du demandeur de la décision faisant l’objet de la présente demande exigeait que l’on examine attentivement tous les éléments de preuve et qu’on s’abstienne de rejeter la demande en se fondant sur des expressions accrocheuses portant sur la responsabilité personnelle et sur des observations non concluantes sur un manque de franchise apparent. On n’établit pas l’existence de fausses déclarations sur de simples apparences. Ainsi que le guide opérationnel sur l’exécution de la loi du défendeur le reconnaît, l’existence d’une fausse déclaration doit être établie selon la prépondérance des probabilités (Citoyenneté et Immigration Canada, Guide opérationnel : Exécution de la loi, ENF 2, au paragraphe 9.3).
[21]
Le demandeur conclut que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie, que la décision de l’agent devrait être annulée et que l’affaire devrait être renvoyée à un autre décideur pour réexamen.
B.
Les arguments du défendeur
[22]
Le défendeur soutient que la décision contestée était raisonnable, car le demandeur n’a pas réussi à démontrer à l’agent que l’exception relative à l’erreur de bonne foi s’appliquait en l’espèce. Par conséquent, le présent contrôle judiciaire devrait être rejeté.
[23]
Le défendeur fait remarquer que le demandeur avait une obligation de franchise, qui l’obligeait à divulguer tous les faits importants pendant le processus de demande (Alkhaldi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 584, au par. 18 [Alkhaldi]). Cette obligation s’applique même aux observations faites par des tiers en son nom (Khedri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1397, au par. 24). Le demandeur ne s’est pas acquitté de cette obligation.
[24]
Le défendeur reconnaît qu’il existe une exception à l’obligation de franchise dans les cas où un demandeur peut démontrer qu’il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne dissimulait aucun renseignement important. Le défendeur souligne toutefois qu’il incombe au demandeur de démontrer que l’exception s’applique, et non à l’agent de démontrer que le demandeur avait l’intention de faire une fausse déclaration.
[25]
Le défendeur constate en outre que la Cour a statué que ce n’est que lorsqu’une erreur a été jugée involontaire que le décideur doit déterminer si l’erreur n’était pas seulement honnête mais raisonnable afin de déterminer si l’exception relative à l’erreur de bonne foi s’applique (Alalami c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 328, au par. 16).
[26]
En l’espèce, l’agent a conclu, après avoir examiné l’explication du demandeur à l’égard de l’omission, qu’il n’était pas raisonnable compte tenu des faits d’établir que l’erreur du demandeur était involontaire. L’agent n’a donc pas eu à se demander si l’erreur était à la fois honnête et raisonnable pour déterminer si l’exception relative à l’erreur de bonne foi s’appliquait. Cette conclusion relevait du pouvoir discrétionnaire de l’agent.
[27]
En fait, le défendeur soutient que la présente affaire s’apparente à la décision Alkhaldi, où la Cour a conclu que la conclusion de l’agent des visas, selon laquelle le demandeur avait fait une fausse déclaration en omettant de déclarer un refus de visa américain, était raisonnable, malgré l’argument du demandeur selon lequel l’exception relative à l’erreur de bonne foi s’appliquait, et ce, parce que le demandeur était un homme d’affaires raffiné ayant une expérience des procédures d’immigration. En l’espèce, le défendeur soutient aussi que le demandeur est un homme d’affaires ayant une expérience notable des procédures et des demandes d’immigration au Canada et à l’étranger.
VIII.
ANALYSE
[28]
La cause du demandeur est simple. Il admet qu’il y a eu une fausse déclaration en l’espèce, mais il fait valoir qu’elle relève de l’exception relative à la fausse déclaration de bonne foi.
[29]
Le demandeur affirme :
[traduction]
20. En l’espèce, le demandeur avait expliqué par l’intermédiaire de ses représentants légaux que, puisque ses demandes de VRT avaient été déposées l’une après l’autre à des dates rapprochées, son formulaire de VRT avait été copié et collé et que les derniers refus n’avaient pas été mentionnés parce que son représentant légal avait oublié de les ajouter.
[30]
Comme l’indique clairement la jurisprudence de la Cour, l’exception relative à la fausse déclaration de bonne foi n’est pas établie par simple inadvertance ou parce que l’erreur a été commise par un représentant tiers : voir Goudarzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 425, au par. 40 [Goudarzi], et Sayedi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 420, au par. 43 [Sayedi].
[31]
Les principes généraux applicables aux fausses déclarations ont été réitérés et résumés par la Cour à de nombreuses reprises. Dans l’affaire Kazzi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 153, au par. 38 [Kazzi], le juge Gascon a énoncé les principes généraux suivants :
[38] Pour ce qui est de la jurisprudence, les principes généralement issus de la jurisprudence de la Cour sur l’alinéa 40(1)(a) de la LIPR ont [été] bien résumés par la juge Tremblay-Lamer dans Sayedi aux paragraphes 23-27, par la juge Strickland dans Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971 [Goburdhun] au paragraphe 28 et par le juge Gleeson dans Brar aux paragraphes 11-12. Les principaux enseignements découlant de ces décisions s’appliquant spécifiquement au contexte de la présente demande peut être ainsi résumés : (1) la disposition doit être interprétée au sens large pour appuyer son objectif sous-jacent; (2) elle a pour objectif de prévenir les fausses déclarations et de préserver l’intégrité du processus d’immigration au Canada; (3) toute exception à cette règle générale doit être rare et ne s’appliquer qu’aux circonstances réellement exceptionnelles; (4) le demandeur porte le fardeau et l’obligation continue de franchise et de donner des renseignements complets, exacts et véridiques pour entrer au Canada; (5) considération doit être prise du libellé de la disposition et de son objectif sous-jacent pour décider si la fausse déclaration est importante; (6) une fausse déclaration est importante si elle pourrait modifier le cours du processus d’immigration; (7) une fausse déclaration ne doit pas nécessairement être décisive ou déterminante pour être importante; (8) un demandeur ne peut tirer parti du fait que la fausse déclaration a été décelée par [les] autorités d’immigration avant l’évaluation finale de la demande; (9) l’analyse de l’importance ne se limite pas à un point donné du traitement la demande; et (10) l’évaluation de la question de savoir si une fausse déclaration aurait pu mener à une erreur dans l’application de la LIPR est réalisée au moment où est faite la représentation erronée.
[32]
Le demandeur qualifie la fausse déclaration en l’espèce d’erreur de bonne foi commise par un tiers (en l’espèce, le consultant en immigration du demandeur). Dans la décision Goudarzi, au paragraphe 40, la Cour a recommandé ce qui suit :
[40] De pair avec cette obligation de franchise, la demanderesse est tenue, selon moi, de s’assurer qu’au moment de présenter sa demande les documents sont complets et exacts. Il est trop facile de prétendre plus tard qu’on est innocent et de jeter le blâme sur une tierce partie quand, comme c’est le cas en l’espèce, le formulaire de demande indique clairement que les résultats du test de langue doivent y être joints et que les demandeurs l’ont signé. Ce n’est que dans les cas exceptionnels où un demandeur peut démontrer qu’il croyait honnêtement et raisonnablement ne pas cacher des renseignements importants « dont la connaissance échappait à sa volonté » qu’il peut se prévaloir d’une exception à l’application de l’alinéa 40(1)a). Ce n’est pas le cas en l’espèce.
[Souligné dans l’original.]
[33]
Ces directives ont été suivies et approuvées dans d’autres affaires. Par exemple, dans la décision Sayedi, aux paragraphes 43 et 44, la Cour a conclu ce qui suit :
[43] Les observations faites par le juge Mosley au paragraphe 16 de Haque, précitée, sont révélatrices :
[16] Le demandeur se trouvait au Bangladesh lorsque la demande mise à jour a été soumise. Il a reconnu lors d’une conversation téléphonique, le 26 mai, qu’il [traduction] « aurait pu signer un formulaire vierge pour le consultant ». Le nouveau formulaire renfermait d’autres contradictions. Apparemment, le demandeur s’en est remis au consultant pour fournir les renseignements nécessaires sans en vérifier personnellement l’exactitude.
En l’espèce, les demandeurs ont décidé de faire confiance à leur consultant. Le demandeur principal reconnaît avoir signé sa demande. Ce serait contraire à l’obligation de franchise imposée au demandeur de lui permettre maintenant d’invoquer son omission d’examiner sa propre demande. Il lui incombait de vérifier que sa demande était honnête et complète – il a fait preuve de négligence à cet égard.
[44] En outre, pour que les demandeurs puissent invoquer un moyen de défense les mettant à l’abri de la constatation de présentation erronée, cette défense doit reposer soit sur une loi, soit sur la common law. À mes yeux, un tel moyen de défense est absent de la Loi : le libellé de l’alinéa 40(1)a) est suffisamment large pour inclure les présentations erronées faites par une autre partie à l’insu du demandeur : Wang, précitée, aux paragraphes 55 et 56. De plus, dans Haque c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 315, la Cour a statué que le fait qu’un consultant en immigration était à blâmer pour une présentation erronée ne constituait pas un moyen de défense. Comme je l’ai déjà expliqué, les demandeurs ne peuvent invoquer une exception en faisant valoir qu’il s’agissait d’une erreur commise honnêtement.
[34]
La jurisprudence établit clairement que les demandeurs doivent fournir des renseignements complets et exacts et qu’ils sont liés par les observations de ceux qui les représentent dans le processus. Il incombe au demandeur de s’assurer que les observations de ses représentants sont complètes et exactes.
[35]
Le demandeur ne prétend pas que tous les refus qu’il a essuyés antérieurement étaient négligeables ou non pertinents. Il affirme simplement qu’il était de bonne foi en l’espèce et que l’erreur était attribuable à son consultant en immigration. Toutefois, cet argument ne tient pas compte de la véritable justification de la décision de l’agent, telle qu’elle est énoncée dans la lettre de refus et dans les notes de l’agent versées dans le Système mondial de gestion des cas [SMGC].
[36]
Comme l’indique clairement la décision, la demande de VRT présentée par le demandeur le 8 janvier 2019 a été refusée parce que l’agent n’était pas convaincu que le demandeur avait répondu véridiquement à toutes les questions posées.
[37]
Les notes du SMGC expliquent que le demandeur s’est vu refuser un visa américain le 18 octobre 2018 et qu’il [traduction] « n’a pas divulgué ce renseignement dans le formulaire de demande actuel ou dans un formulaire de demande antérieur »
(non souligné dans l’original).
[38]
Dans la lettre relative à l’équité procédurale adressée au demandeur, l’agent a clairement indiqué que [traduction] « dans sa demande de visa de résident temporaire, le demandeur n’a pas mentionné toutes les occasions où il s’est vu refuser un visa ou un permis par un pays quelconque »
.
[39]
Le demandeur n’a pas répondu personnellement à la lettre relative à l’équité procédurale. Ses représentants au Canada ont fourni une explication le 23 février 2019. Cette réponse comprenait la déclaration solennelle de M. Zaki Ahmad, qui était ainsi libellée :
[traduction]
Je soussigné, Zaki Ahmad, de la ville de Calgary, en Alberta, déclare le 23 février 2019 ce qui suit :
1. Je me suis porté volontaire pour travailler sur une demande de visa de résident temporaire au nom de M. Tahir Ahmed.
2. En copiant les formulaires antérieurs, j’ai omis de mentionner les refus précédents et je n’ai pas communiqué avec M. Tahir Ahmed pour lui demander s’il avait, de son propre chef, demandé d’autres visas de résident temporaire qui auraient été refusés.
3. J’ai communiqué avec lui via WhatsApp le 14 février 2019 pour lui demander de fournir une liste de tous les refus qu’il a essuyés. Il a expliqué qu’on lui avait refusé un visa américain en octobre 2018.
4. J’ai commis une erreur de bonne foi en ne m’assurant pas que les renseignements exacts figuraient sur le formulaire et en ne communiquant pas avec M. Ahmed pour m’assurer que nous avions tous les renseignements exacts à la question 2c du formulaire.
ET JE FAIS cette déclaration la croyant consciemment vraie et sachant qu’elle a la même force et le même effet que si elle était faite sous serment.
[40]
Le demandeur n’a fourni aucun renseignement directement à l’agent (par affidavit ou autrement) pour (1) expliquer pourquoi il n’avait pas informé ses représentants du visa américain refusé le 18 octobre 2018, et (2) indiquer s’il avait fourni aux représentants les renseignements pertinents concernant le rejet du visa américain en 2018. En fait, aucune copie de l’échange sur WhatsApp n’a été fournie pour que l’agent puisse comprendre la position du demandeur à ce sujet ou pourquoi il n’avait pas informé ses représentants du refus antérieur des États-Unis. Le demandeur est un homme d’affaires raffiné ayant présenté au moins quatre demandes de VRT au cours des dernières années, et rien n’indique qu’il n’a pas compris l’importance de divulguer tous les refus antérieurs. Il a peut-être expliqué à M. Ahmad qu’il s’était vu refuser un visa américain lorsque M. Ahmad a communiqué avec lui le 14 février 2019, mais il n’a fourni aucun renseignement à l’agent quant aux raisons pour lesquelles il n’avait pas divulgué ce fait avant que la demande de VRT ne soit présentée ou avant que l’omission ne soit relevée dans la lettre relative à l’équité procédurale du 14 février 2019.
[41]
M. Ahmad a dit qu’il s’agissait d’une [traduction] « erreur de bonne foi »
de sa part, mais l’agent a le droit d’évaluer l’erreur lui-même après avoir examiné tous les éléments de preuve présentés. En fait, M. Ahmad n’explique pas pourquoi le demandeur ne lui a pas communiqué ce renseignement avant de recevoir la lettre relative à l’équité procédurale. Par conséquent, l’agent n’avait aucun moyen de connaître ce fait important et de savoir si le demandeur était lui-même de bonne foi ou, en fait, si M. Ahmad se contentait d’endosser la responsabilité pour son client, sachant que cela n’aurait pas de répercussions sur lui.
[42]
L’agent avait droit à une vue d’ensemble de la situation et à suffisamment d’éléments de preuve fiables sur tous les facteurs de préoccupation afin de pouvoir évaluer lui-même la question de la fausse déclaration. Les affirmations de M. Ahmad ne dressent qu’une partie du tableau. M. Ahmad n’explique pas pourquoi le demandeur ne l’a pas informé du visa américain qui a été refusé avant d’apprendre, par le biais de la lettre relative à l’équité procédurale, que l’agent avait découvert cette omission importante, ni pourquoi c’était en fait la deuxième fois qu’il omettait de divulguer ce renseignement dans une demande de VRT au Canada, contrairement à ce qu’exige son obligation de franchise.
[43]
La déclaration solennelle de M. Ahmad avait clairement pour but de lui faire assumer l’entière responsabilité de l’erreur. Or, en l’absence d’autres éléments de preuve de la part du demandeur ou concernant l’échange sur WhatsApp, l’agent n’était pas en mesure d’examiner la question avec toute la diligence requise.
[44]
C’est pourquoi, après avoir examiné la réponse de la consultante en immigration du demandeur, l’agent pouvait toujours ne pas être convaincu que le demandeur avait commis une erreur de bonne foi :
[traduction]
Les observations de la représentante ont été examinées; la représentante a déclaré que [le demandeur] avait omis par erreur de mentionner ses antécédents en matière d’immigration aux États-Unis. L’explication du [demandeur] n’a pas dissipé mes préoccupations concernant sa demande. La question a été posée de façon claire et je ne suis pas convaincu que [le demandeur] a effectivement commis une erreur.
[45]
Il incombait au demandeur de convaincre l’agent que l’erreur avait été commise de bonne foi. Voir Kazzi, au par. 38, et Alkhaldi, au par. 18. Il ne s’est pas acquitté de ce fardeau pour les raisons que j’ai exposées ci-dessus.
[46]
Dans la présente demande, le demandeur a tenté de me convaincre qu’il avait commis une erreur de bonne foi. Toutefois, ce n’est pas ce dont la Cour est chargée de décider. La question est de savoir si, compte tenu des renseignements que le demandeur et sa consultante en immigration ont présentés à l’agent en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale, les conclusions et les constatations de l’agent au sujet de la fausse déclaration étaient raisonnables. Je ne peux pas dire qu’elles ne l’étaient pas. L’agent n’avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour trancher la question en faveur du demandeur et cette situation ne peut être corrigée par les éléments de preuve que le demandeur me présente aujourd’hui pour expliquer pourquoi il n’a pas divulgué le refus des États-Unis à ses représentants ou à l’agent en réponse à la lettre relative à l’équité procédurale.
[47]
La jurisprudence sur les fausses déclarations faites de bonne foi n’aide pas le demandeur en l’espèce, parce qu’il n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve à l’agent pour lui permettre de prendre une décision à ce sujet. Ce n’est pas à moi de prendre cette décision maintenant, sur le fondement de la preuve personnelle présentée par le demandeur.
[48]
Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.
JUGEMENT dans le dossier IMM-1992-19
LA COUR STATUE que :
La demande est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« James Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 19e jour de février 2020.
Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-1992-19
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INTITULÉ :
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TAHIR AHMED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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CALGARY (ALBERTA)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 19 NOVEMBRE 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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Le juge Russell
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DATE DES MOTIFS :
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Le 22 janvier 2020
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COMPARUTIONS :
Tahir Chaudhary
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Pour le demandeur
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Meenu Ahluwalia
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
CKM Law LLP
Calgary (Alberta)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Calgary (Alberta)
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Pour le défendeur
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