Date : 20200122
Dossier : IMM-2101-19
Référence : 2020 CF 104
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2020
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE :
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GZIM LATIF
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
La Cour est saisie d’une demande fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC (2001), c 27 [la LIPR], en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision du 6 mars 2019 par laquelle la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel du demandeur à l’encontre de la décision de la Section de l’immigration [la SI] de prendre une mesure de renvoi contre lui en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, ainsi que sa demande en vue de conserver son statut de résident permanent [RP] pour des motifs d’ordre humanitaire fondée sur l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.
II.
LE CONTEXTE
[2]
Le demandeur, M. Gzim Latif, est un citoyen de la Macédoine âgé de 53 ans. Il est arrivé au Canada dans le cadre d’un voyage en juillet 2005 et vit ici depuis lors.
[3]
En Macédoine, le demandeur a été marié à Mme Fedarie Selmanova de 1982 jusqu’à leur divorce en 1997. Ils ont eu deux fils.
[4]
En juillet 2005, alors qu’il était au Canada, le demandeur a rencontré Mme Vera Silajeva, une citoyenne canadienne, qu’il a épousée quatre mois plus tard, en novembre 2005. Mme Silajeva l’a parrainé afin qu’il obtienne le statut de RP au Canada, statut qui lui a été accordé le 30 décembre 2008. Mme Silajeva a par la suite demandé le divorce le 7 janvier 2009, indiquant comme date de séparation le 1er février 2008. Le divorce a été prononcé en mai 2009.
[5]
De retour en Macédoine pour trois semaines en avril 2010, le demandeur s’est remarié à Mme Selmanova, dont il avait divorcé en 1997. Il a ensuite demandé de parrainer cette dernière afin qu’elle obtienne le statut de RP au Canada. La SI a rejeté la demande au motif que le premier mariage du demandeur avec Mme Selmanova avait été principalement dissous pour qu’il puisse acquérir le statut de RP grâce à un mariage arrangé avec Mme Silajeva. L’appel que le demandeur a interjeté auprès de la SAI a par la suite été rejeté en juin 2012, et le couple a divorcé de nouveau en 2015.
[6]
Le demandeur est maintenant marié à Mme Magdalena Latif, avec qui il a commencé à vivre en octobre 2014 et qu’il a épousée en août 2016. Le couple a eu un enfant, né le 7 décembre 2017, en plus du fils de Mme Latif, Kyro, aujourd’hui âgé de 18 ans.
[7]
Cependant, le 25 mars 2014, le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, car il était allégué que son mariage avec Mme Silajeva était un mariage de convenance. Le 26 avril 2017, la SI a prononcé une mesure de renvoi contre le demandeur. La décision a été portée en appel devant la SAI, qui a rejeté l’appel à la suite d’une nouvelle audience.
[8]
Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire le 29 mars 2019, soit 16 jours après avoir reçu la décision de la SAI le 13 mars 2019; la SAI avait envoyé la décision par courrier régulier prépayé le 11 mars 2019.
III.
LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[9]
Le 6 mars 2019, la SAI a conclu que la mesure de renvoi prise contre le demandeur était valide en droit pour fausses déclarations en application de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Elle a également conclu qu’il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales.
A.
La validité juridique de la mesure de renvoi
[10]
La SAI a conclu que la mesure de renvoi était valide en droit en raison de la gravité des fausses déclarations en l’espèce. Plus précisément, elle a conclu que le demandeur avait fait de fausses déclarations sur : 1) l’authenticité de son mariage avec Mme Silajeva et 2) la nature de sa relation avec Mme Selmanova à la suite de leur divorce en 1997. En concluant que la première fausse déclaration avait causé une erreur dans l’application de la LIPR et que la seconde aurait pu causer d’autres erreurs, la SAI a jugé qu’il y avait suffisamment de motifs pour déclarer le demandeur interdit de territoire pour fausses déclarations, en application de l’alinéa 40(1)a).
(1)
Le mariage avec Mme Silajeva
[11]
Premièrement, la SAI a conclu que le demandeur avait fait une présentation erronée sur le but premier et l’authenticité de son mariage avec Mme Silajeva. La SAI a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que ce mariage en était un de convenance. Elle a fondé sa conclusion sur les incohérences relevées dans la preuve entourant son divorce d’avec Mme Silajeva.
[12]
La SAI a tout d’abord souligné les dates de dépôt dans le processus de divorce. Outre le fait que Mme Silajeva et le demandeur ont entamé une procédure de divorce quelques semaines après que ce dernier a reçu son statut de RP, la demande de divorce du demandeur indique que Mme Silajeva et lui étaient séparés en février 2008, soit 10 mois avant que le demandeur reçoive son statut de RP. Bien que le demandeur ait affirmé qu’il s’agissait d’une erreur et qu’ils s’étaient séparés en février 2009, la SAI a jugé que cette explication n’était pas crédible, car le couple devait être séparé depuis au moins un an pour pouvoir obtenir le divorce en mai 2009.
[13]
La SAI a également signalé que cette conclusion concorde avec le fait que la demande de divorce a été signifiée au demandeur à l’adresse de son frère, qu’il a changé l’adresse indiquée sur son permis de conduire pour celle de son frère le 7 janvier 2009 et que le quatrième époux de Mme Silajeva a changé son adresse pour la sienne le 16 décembre 2008. La SAI a également cité le témoignage contradictoire du demandeur et l’affidavit de Mme Silajeva concernant la raison de leur divorce et de la relation qu’ils entretiennent depuis ce temps.
[14]
Dans l’ensemble, la SAI a conclu que ces fausses déclarations avaient causé une erreur dans l’application de la LIPR parce que le statut de RP du demandeur avait été accordé sur la foi de son mariage avec Mme Silajeva et que l’omission de divulguer les renseignements pertinents concernant son mariage avec Mme Silajeva « [avaient]
fait en sorte que les autorités n’[avaient] pas poussé leurs recherches ou leur enquête »
.
(2)
Le mariage avec Mme Selmanova
[15]
Deuxièmement, la SAI a conclu que le demandeur avait dissous son premier mariage avec Mme Selmanova dans le but d’acquérir un avantage au titre de la LIPR et que, selon la prépondérance des probabilités, il avait entretenu avec elle une relation depuis leur divorce prononcé en 1997.
[16]
La SAI a fondé cette conclusion sur le fait que : 1) le demandeur avait indiqué dans sa demande de visa de 2005 qu’il était marié de fait, 2) Mme Selmanova avait déclaré dans sa seconde demande de divorce que le demandeur lui avait envoyé de l’argent pendant qu’il se trouvait au Canada et qu’il avait promis de [traduction] « l’emmener au Canada »
, 3) Mme Selmanova vivait en face de la maison des parents du demandeur en Macédoine, sans avoir de loyer à payer, et 4) l’absence d’une explication raisonnable pour justifier la courte période durant laquelle le demandeur et Mme Selmanova s’étaient remariés à la suite du divorce du demandeur d’avec Mme Silajeva. La SAI a également indiqué que le témoignage du demandeur et celui de Mme Selmanova quant à la relation qu’ils avaient entretenue à la suite de leur divorce en 1997 étaient contradictoires.
[17]
Pour ces motifs, la SAI a conclu que le récit du demandeur à propos de la relation qu’il entretenait avec Mme Selmanova n’était pas crédible et que, selon la prépondérance des probabilités, les deux avaient entretenu une relation continue à la suite de leur divorce en 1997 jusqu’en 2015. La SAI a conclu que cette présentation erronée aurait pu causer une erreur dans l’application de la LIPR si l’on avait accordé le statut de RP à Mme Selmanova et à leur fils.
B.
Les motifs d’ordre humanitaire
[18]
La SAI a conclu que, en l’espèce, il n’y avait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant d’autoriser le demandeur à conserver son statut de RP malgré la fausse déclaration qui le rendait interdit de territoire. Bien qu’elle ait conclu que l’établissement du demandeur au Canada, les répercussions sur Mme Latif, l’intérêt supérieur du fils de Mme Latif, Kyro, et l’intérêt supérieur du fils du demandeur faisaient tous pencher la balance en faveur du demandeur, la SAI a conclu que les six tentatives du demandeur pour tromper les autorités, son absence de remords concernant ses fausses déclarations, de même que l’absence de difficultés sérieuses auxquelles il se heurterait s’il était renvoyé du Canada l’emportaient sur les facteurs favorables en l’espèce. Elle a précisé que, même si l’intérêt supérieur des enfants était un facteur important, il n’était pas déterminant et ne pouvait l’emporter sur les facteurs défavorables importants. Par conséquent, la SAI a conclu qu’il y avait lieu de maintenir la mesure de renvoi.
(1)
L’établissement au Canada
[19]
La SAI a accordé un poids favorable à la période durant laquelle le demandeur a vécu au Canada, ainsi qu’à son emploi et aux liens financiers qu’il avait ici. Les facteurs favorables sont notamment le fait d’avoir vécu de manière ininterrompue au Canada pendant près de 15 ans, son emploi à temps plein, le fait qu’il paie ses impôts et qu’il cotise à un régime de retraite, ses économies et ses investissements conjoints, de même que le fait qu’il possède des biens (la maison qu’il partage avec Mme Latif et un véhicule de 2016).
(2)
L’intérêt supérieur du fils de Mme Latif, Kyro
[20]
La SAI a reconnu qu’il est dans l’intérêt supérieur du fils de Mme Latif, Kyro, que le demandeur reste au Canada, et elle a subséquemment accordé à ce facteur un poids favorable. Elle a toutefois conclu que la preuve n’établissait pas que Kyro régresserait si le demandeur était renvoyé.
[21]
Même si Mme Latif attribue en grande partie au demandeur les progrès que Kyro a réalisés, la SAI a jugé que ces progrès étaient principalement attribuables au programme ASD2 du ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse, auquel Kyro a participé entre mars et novembre 2014. La SAI s’est appuyée sur le fait que le rapport de novembre 2014 qui décrivait en détail les progrès de Kyro ne mentionne pas le demandeur, qui n’a emménagé avec la famille qu’un mois avant la date de ce rapport favorable, établi à l’issue du programme. Par conséquent, la SAI a conclu que rien ne démontre que Kyro ne continuerait pas à faire des progrès.
(3)
L’intérêt supérieur du fils du demandeur
[22]
La SAI a accordé un poids favorable au fait qu’il serait dans l’intérêt supérieur du fils du demandeur que celui‑ci reste au Canada. Cependant, elle a réduit le poids de ce facteur en tenant compte du fait que l’enfant est suffisamment jeune pour s’adapter à des changements dans sa vie quotidienne. Elle a aussi reconnu que sa mère et sa grand‑mère, qui vit non loin de chez eux, prendraient bien soin de l’enfant. Par conséquent, ce facteur n’a pas été jugé déterminant.
(4)
Les répercussions sur Mme Latif
[23]
La SAI a également conclu que le fait de renvoyer le demandeur du Canada aurait des répercussions négatives sur Mme Latif et, par conséquent, elle a accordé un poids favorable à ce facteur. Elle a toutefois réduit le poids de ce facteur et a jugé qu’il n’était pas déterminant. En fait, elle a déclaré que Mme Latif « a pris les décisions qui ont contribué à sa situation actuelle »
et a souligné l’absence d’éléments de preuve démontrant que cette dernière ne serait pas capable de se débrouiller après le renvoi du demandeur, son meilleur « état d’esprit »
général et la proximité de sa mère. La SAI a également conclu que Mme Latif pourrait parrainer le demandeur en vue de son retour au Canada après cinq ans.
(5)
Les difficultés auxquelles le demandeur se heurterait en Macédoine
[24]
La SAI a conclu que le demandeur s’exposerait au début à des difficultés modérées en Macédoine s’il était renvoyé dans ce pays. Elle a toutefois conclu qu’il serait vraisemblablement capable de surmonter ces difficultés et qu’il pourrait s’établir à nouveau en Macédoine. Elle a fait remarquer qu’il était né dans ce pays, qu’il parle la langue, qu’il a des liens familiaux étroits dans ce pays et qu’il possède une maison située en face de celle de sa mère. La SAI a également signalé que le demandeur a travaillé en Macédoine comme camionneur avant d’arriver au Canada, qu’il a acquis ici des compétences et une expérience utiles dans le domaine de la construction et qu’il est « une personne travaillante et pleine de ressources »
qui devrait être en mesure de s’établir à nouveau.
(6)
Les fausses déclarations graves et l’absence de remords
[25]
La SAI a conclu que la gravité des fausses déclarations était extrême et que le demandeur n’éprouvait pas de remords. De ce fait, ces facteurs pesaient lourdement contre lui. La SAI a signalé que ces fausses déclarations avaient causé de graves erreurs dans l’application de la LIPR et qu’elles auraient pu en occasionner d’autres. Elle a signalé que le demandeur continue néanmoins de faire de fausses déclarations au sujet de ses mariages avec Mme Silajeva et Mme Selmanova, de sorte que « la tromperie [a] continué de prendre de l’ampleur, car [le demandeur devait] mentir davantage pour masquer ses tromperies précédentes ».
[26]
La SAI a conclu qu’il s’agissait d’un facteur défavorable important qui pesait contre le demandeur, que les facteurs positifs ne pouvaient pas surmonter. Par conséquent, la SAI a décidé de ne pas accorder la mesure discrétionnaire que sollicitait le demandeur en vertu de l’alinéa 67(1)c).
IV.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[27]
Les questions à trancher dans la présente demande sont les suivantes :
La SAI a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation des difficultés auxquelles le demandeur se heurterait s’il était renvoyé du Canada?
La SAI a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants?
V.
LA NORME DE CONTRÔLE
[28]
La présente demande a été plaidée avant les récents arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66, de la Cour suprême du Canada. Le jugement de notre Cour a été mis en délibéré. Les observations des parties sur la norme de contrôle applicable ont donc été présentées dans le cadre de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. Toutefois, compte tenu des circonstances en l’espèce et des directives que la Cour suprême du Canada a données dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 144, notre Cour a jugé qu’il n’était pas nécessaire de demander aux parties de présenter des observations supplémentaires au sujet de la norme de contrôle applicable. J’ai appliqué le cadre établi dans l’arrêt Vavilov lors de mon examen de la demande et ce cadre ne change en rien les normes de contrôle qui s’appliquent en l’espèce, pas plus que mes conclusions.
[29]
Dans l’arrêt Vavilov, aux paragraphes 23 à 32, les juges majoritaires ont voulu simplifier la façon pour le tribunal de déterminer la norme de contrôle applicable aux questions qui lui sont présentées. Les juges majoritaires ont abandonné l’analyse fondée sur le contexte et les catégories adoptée dans l’arrêt Dunsmuir en faveur de la présomption selon laquelle la norme applicable est celle de la décision raisonnable. Toutefois, les juges majoritaires ont souligné que cette présomption peut être réfutée sur le fondement 1) de l’intention claire du législateur de prescrire une norme de contrôle différente (Vavilov, aux par. 33‑52) et 2) de certains scénarios où la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte, comme les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 53‑64).
[30]
Les deux parties ont convenu que la norme de contrôle applicable en l’espèce était celle de la décision raisonnable.
[31]
Rien ne permet de réfuter la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce. L’application de cette norme aux questions en litige concorde également avec la jurisprudence qui était en vigueur avant que la Cour suprême du Canada se prononce dans l’arrêt Vavilov. Voir Li c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2019 CF 1235, au par. 14.
[32]
Dans le cadre du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse portera sur la question de savoir si « la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci »
(Vavilov, au par. 99). La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle unique qui « s’adapte au contexte »
(Vavilov, au par. 89, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au par. 59). Ces contraintes contextuelles « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir »
(Vavilov, au par. 90). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que lorsque la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au par. 100). La Cour suprême du Canada énumère deux types de lacunes fondamentales qui rendent la décision déraisonnable : 1) le manque de logique interne du raisonnement du décideur et 2) son caractère indéfendable « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision »
(Vavilov, au par. 101).
VI.
LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[33]
Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent à la présente demande de contrôle judiciaire :
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VII.
LES ARGUMENTS
A.
Le demandeur
[34]
Le demandeur fait valoir que, en l’espèce, la SAI a évalué les facteurs d’ordre humanitaire de manière déraisonnable et que, de ce fait, il convient d’accueillir sa demande de contrôle judiciaire. En particulier, il soutient que : 1) la SAI a formulé des hypothèses déraisonnables et a fait abstraction de faits importants dans son évaluation des difficultés auxquelles se heurteraient Mme Latif et lui s’il était renvoyé du Canada et 2) la SAI a commis une erreur en analysant de manière erronée et insuffisante l’intérêt supérieur des enfants.
(1)
L’évaluation des difficultés
[35]
Le demandeur est d’avis que la SAI a évalué de manière déraisonnable les difficultés auxquelles Mme Latif et lui se heurteraient s’il était renvoyé du Canada.
[36]
Premièrement, la SAI a évalué de manière déraisonnable sa capacité d’obtenir un emploi en Macédoine. La SAI a commis une erreur en présumant que la capacité qu’il a démontrée de s’établir au Canada lui permettrait d’en faire autant en Macédoine. Elle a également commis une erreur en faisant abstraction des difficultés auxquelles il se heurterait du fait de son âge et en laissant entendre que ces difficultés seraient mineures compte tenu de la possibilité qu’il soit parrainé cinq ans plus tard.
[37]
En fait, le demandeur signale que notre Cour a formulé une mise garde contre le fait de se servir du degré d’établissement au Canada pour miner les difficultés qu’une personne rencontrerait en cas de renvoi (Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 336, au par. 26).
[38]
Le demandeur souligne également que sa capacité d’obtenir un nouvel emploi manuel en Macédoine à l’âge de 52 ans (maintenant 53) est un élément de fait important dans l’évaluation des difficultés que pourrait lui causer son renvoi, dont la SAI ne peut pas raisonnablement faire abstraction, comme l’a indiqué notre Cour dans la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 157 FTR 35, au paragraphe 17. Il soutient qu’il s’agit d’un facteur évident et nécessaire sur lequel la SAI aurait dû se pencher.
[39]
Deuxièmement, le demandeur soutient que la SAI a déraisonnablement fait abstraction d’éléments de preuve pertinents concernant les difficultés auxquelles Mme Latif se heurterait s’il était renvoyé du Canada.
[40]
Plus précisément, le demandeur indique que Mme Latif dépend du soutien affectif et financier qu’il lui apporte et que ce soutien ne peut être remplacé par des visites en Macédoine ni par le soutien de sa mère et l’issue incertaine d’une demande de parrainage présentée dans cinq ans. Il ajoute que la SAI n’a pas pris en compte la gravité de la situation dans laquelle Mme Latif se trouverait s’il était renvoyé. Cette dernière serait chargée : 1) de l’obligation d’assurer à elle seule le soin et le soutien constants de leur jeune fils, 2) d’autres obligations financières et 3) de choisir entre rester au Canada avec son fils Kyro ou rejoindre le demandeur en Macédoine pour le bien‑être de leur jeune fils.
[41]
Par ailleurs, le demandeur soutient que la SAI n’aurait pas dû mettre en doute les difficultés auxquelles Mme Latif se heurterait en affirmant que ce sont ses propres décisions qui ont mené à cette situation difficile. Il ajoute que Mme Latif n’était pas au courant de la gravité du statut d’immigrant du demandeur quand ils ont commencé à se fréquenter. Il déclare également qu’ils ont acheté une maison en raison du coût élevé des loyers dans leur secteur et que la naissance de leur fils n’était pas prévue.
(2)
L’analyse de l’intérêt supérieur des enfants
[42]
Le demandeur fait valoir que la SAI a commis une erreur en évaluant l’intérêt supérieur des enfants en l’espèce. Plus précisément, elle a commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur du fils de Mme Latif, Kyro, en faisant abstraction d’éléments de preuve pertinents quant au rôle qu’a joué le demandeur dans les progrès et les succès de ce dernier et en ne procédant pas à une analyse rigoureuse.
[43]
Premièrement, le demandeur soutient que le SAI a créé une [traduction] « dichotomie artificielle »
en concluant que les progrès et les succès de Kyro étaient principalement attribuables au programme ASD2 et non à la présence du demandeur. Il indique que la SAI aurait dû considérer que ces deux facteurs se complétaient l’un l’autre. Cependant, en les opposant l’un à l’autre, la SAI a fait fi de l’effet positif de la présence du demandeur sur Kyro. Le témoignage de Mme Latif a confirmé ce fait, de même que le fait que Kyro, qui n’entretenait aucune relation avec son père biologique, a changé son nom de famille pour celui du demandeur. Par conséquent, le demandeur fait valoir que cet élément de preuve crucial qui contredit les conclusions de la SAI a été déraisonnablement écarté.
[44]
Deuxièmement, le demandeur soutient que la SAI n’a pas analysé de manière exhaustive l’intérêt supérieur de son jeune fils et que son analyse n’était donc pas conforme à la jurisprudence, qui oblige le décideur à être « réceptif, attentif et sensible »
aux besoins et à l’intérêt supérieur d’un enfant (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au par. 75). Il ajoute que la SAI a déraisonnablement limité son analyse à la question de savoir si l’enfant serait capable de s’adapter à un changement dans sa dynamique quotidienne. Cependant, le demandeur affirme que la SAI n’a pas tenu compte du fait qu’il joue un rôle vital et actif dans les soins affectifs et physiques prodigués à son fils et qu’il assure la stabilité financière de la famille. Étant donné qu’il s’agit d’années importantes dans le développement d’un enfant, et que son fils serait âgé d’au moins sept ans au moment où on l’autoriserait à revenir au Canada, le demandeur indique que la SAI n’aurait pas dû conclure que la mère de Mme Latif pouvait assurer un degré semblable de soutien et de soin.
B.
Le défendeur
[45]
Le défendeur fait valoir que la décision de la SAI était raisonnable et que cette dernière a évalué globalement l’ensemble des facteurs pertinents en fonction du poids qu’il convenait de leur accorder. Ce faisant, la SAI a raisonnablement conclu que les facteurs favorables qui jouaient en faveur du demandeur ne pouvaient pas surmonter ses fausses déclarations graves et son absence de remords.
[46]
En réponse aux arguments du demandeur, le défendeur affirme que la SAI n’a pas commis d’erreur dans son évaluation des difficultés auxquelles le demandeur et Mme Latif pourraient se heurter. Il en est ainsi parce qu’il incombait au demandeur, pour surmonter les facteurs défavorables en l’espèce, d’établir qu’il lui serait impossible de trouver un emploi en Macédoine et de fournir une preuve suffisante des difficultés que Mme Latif pourrait rencontrer. Le défendeur rappelle aussi à la Cour que l’intérêt supérieur d’un enfant ne donne pas automatiquement droit à une décision favorable pour le demandeur. En l’espèce, il était loisible à la SAI de conclure que ce facteur était insuffisant pour surmonter les facteurs défavorables.
[47]
Le défendeur fait valoir que le demandeur prie simplement la Cour de pondérer de nouveau les éléments de preuve dont disposait la SAI, ce qui n’est pas le rôle qui lui revient dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, citant la décision Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1463, au paragraphe 32. Par conséquent, il soutient qu’il y a lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.
(1)
L’évaluation des difficultés
[48]
Le défendeur est d’avis que la SAI a évalué de manière raisonnable les difficultés qui pourraient survenir si le demandeur était renvoyé du Canada. Il incombait au demandeur de fournir une preuve suffisante pour démontrer que Mme Latif et lui se heurteraient à des difficultés qui l’emporteraient sur les facteurs défavorables en l’espèce. Il signale que le demandeur n’est pas parvenu à le faire.
[49]
Premièrement, le défendeur soutient que la SAI n’a pas commis d’erreur en concluant que les nouvelles compétences que le demandeur a acquises au Canada, en plus des dizaines d’années durant lesquelles il a vécu en Macédoine et des liens familiaux solides qu’il y entretient, lui permettraient de s’établir à nouveau. Le demandeur fait valoir que la SAI n’a pas tenu compte des difficultés qu’il éprouverait en raison de son âge, mais le défendeur affirme qu’il n’a présenté aucune preuve de difficultés liées à son âge.
[50]
Deuxièmement, le défendeur affirme qu’il ressort clairement de la décision de la SAI que cette dernière a tenu compte de l’ensemble de la preuve du demandeur concernant les difficultés auxquelles Mme Latif se heurterait s’il était renvoyé du Canada, dont le propre témoignage de cette dernière. Bien que la SAI ait reconnu que Mme Latif éprouverait des difficultés, elle a conclu que le degré de difficultés ne l’emportait pas sur les facteurs défavorables. Le défendeur affirme que cette conclusion faisait partie des résultats raisonnables auxquels la SAI pouvait arriver.
(2)
L’analyse de l’intérêt supérieur des enfants
[51]
Le défendeur affirme que la SAI a conclu de manière raisonnable que, même si l’intérêt supérieur des enfants commanderait que le demandeur reste au Canada, ce facteur ne l’emportait pas sur les facteurs défavorables en l’espèce. Il ajoute que l’intérêt supérieur d’un enfant ne donne pas automatiquement droit à une décision favorable pour le demandeur. Il incombait au demandeur d’établir que l’intérêt supérieur des enfants était déterminant en l’espèce.
[52]
Pour ce qui est de la manière dont la SAI a évalué l’intérêt supérieur du fils du demandeur, le défendeur soutient que celui‑ci a fourni peu d’éléments de preuve démontrant en quoi son renvoi du Canada aurait une incidence sur son fils, hormis la situation financière de Mme Latif et sa capacité de prendre soin de deux enfants. Il soutient que, comme la décision de la SAI répondait aux observations et aux éléments de preuve que le demandeur lui avait présentés, elle a raisonnablement évalué l’intérêt supérieur du fils du demandeur, et le poids accordé à ce facteur était raisonnable.
[53]
Quant à la manière dont la SAI a évalué l’intérêt supérieur de Kyro, le fils de Mme Latif, le défendeur est d’avis que la SAI a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que Kyro régresserait s’il était renvoyé du Canada. Le défendeur soutient que, par conséquent, le poids accordé à l’intérêt supérieur de Kyro était raisonnable.
VIII.
ANALYSE
[54]
Bien que le demandeur nie toujours devant moi avoir fait une fausse déclaration, dans la présente demande, il ne conteste pas la conclusion de la SAI selon laquelle il a fait une fausse déclaration grave au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, pas plus qu’il ne dit que la mesure de renvoi prononcée contre lui n’est pas valide. Il affirme seulement que la SAI a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable.
[55]
Dans les affaires où la SAI est appelée à évaluer et à soupeser un nombre considérable de variables, il y a manifestement place à des désaccords quant au poids à accorder à chacune d’elles, de même qu’à la conclusion finale du décideur. Un simple désaccord sur ces questions n’est pas un motif de contrôle, et notre Cour a déclaré à maintes reprises que son rôle ne consiste pas à soupeser de nouveau la preuve. Voir Vavilov, au par. 125, et Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1536, au par. 26. Même si la Cour serait parvenue à une conclusion différente de celle de la SAI, cela ne suffit pas, en soi, pour infirmer la décision. Voir Vavilov, aux par. 15 et 83‑86. En fait, dans certains cas, une décision tant favorable que défavorable serait raisonnable au vu des faits. Voir Animodi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 929, au par. 80. Il en est ainsi parce que le législateur a conféré à la SAI dans la LIPR un pouvoir discrétionnaire qui, pourvu qu’il soit exercé raisonnablement et de bonne foi, doit être respecté.
[56]
Un autre principe général important qu’il faut garder à l’esprit est qu’il incombe au demandeur qui sollicite une réparation fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de fournir la preuve et la justification qui permettront à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur. Il n’appartient pas au décideur de trouver des raisons ou de se fonder sur des facteurs que le demandeur n’a pas suffisamment prouvés ou dont il n’a pas traité. Voir Daniels c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 463, au par. 32.
[57]
Il ne fait aucun doute que, dans le contexte de la situation familiale du demandeur au Canada, il s’agissait d’une affaire très difficile pour la SAI. Cependant, hormis sa famille ainsi que son emploi et ses liens financiers au Canada, le demandeur a présenté peu d’éléments à l’appui de sa thèse. Il ne conteste pas les conclusions de la SAI selon laquelle « il a menti pour tromper et induire en erreur les autorités de l’immigration à cinq occasions distinctes »
et ne montre aucun signe de remords. Comme la SAI l’a conclu :
[28] Je ne constate aucun signe de remords, puisque [le demandeur] nie toute fausse déclaration, qu’elle soit délibérée ou non. Je juge cela troublant, car [le demandeur] a eu de nombreuses occasions d’assumer la responsabilité de ses actes.
[58]
En abusant sans remords du système d’immigration canadien, le demandeur s’est établi au Canada et jouit ici du soutien d’une famille aimante. Il se sert maintenant de ces facteurs pour contester son renvoi. Pour la SAI, ce genre de situation est très difficile à régler. Nul n’allègue dans la présente demande que la SAI n’a pas relevé ni pris en considération les facteurs pertinents. Comme elle le dit :
[24] Le fardeau de la preuve incombe [au demandeur]. Pour faire droit au présent appel, je dois être convaincue qu’il y a – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales. Je suis aussi consciente des objectifs de la LIPR en matière d’immigration, notamment de « veiller à la réunification des familles au Canada ». La décision de la Cour fédérale dans l’affaire Wang se penche sur les facteurs qui sont correctement pris en compte par la SAI lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire dans les cas où il y a eu de fausses déclarations. Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive, et l’importance accordée à chacun d’eux peut varier selon les circonstances de chaque cas. Les facteurs à examiner comprennent :
● la gravité des fausses déclarations ayant entraîné la mesure de renvoi et les circonstances dans lesquelles elles ont eu lieu;
● les remords exprimés par [le demandeur];
● le temps passé au Canada par [le demandeur] et son degré d’établissement;
● l’importance des difficultés que causerait [au demandeur] son renvoi du Canada, y compris les conditions dans le pays de destination probable;
● la présence de membres de la famille [du demandeur] au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour la famille.
J’examine ci‑dessous les facteurs pertinents.
[Renvois omis.]
[59]
Essentiellement, le demandeur se plaint que la SAI, en appliquant les règles de droit en vigueur, a fait abstraction de facteurs et d’éléments de preuve importants ou a tiré des conclusions déraisonnables.
[60]
Le demandeur sait parfaitement que la Cour ne peut soupeser à nouveau la preuve et nie que c’est ce qu’il sollicite :
[traduction]
70. Le demandeur ne demande pas à la Cour de soupeser à nouveau un élément de preuve quelconque; il est admis qu’il ne s’agit pas du rôle de l’honorable Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. Le demandeur soutient plutôt que [la SAI] a écarté des éléments de preuve pertinents et n’a pas voulu examiner comme il se doit les facteurs nettement favorables dans la présente demande.
[61]
Quoi qu’il en soit, les erreurs alléguées par le demandeur constituent essentiellement une tentative pour inciter la Cour à conclure que la SAI a fait fi de questions importantes et n’a pas accordé un poids suffisant à certains facteurs qui auraient dû faire pencher la balance en sa faveur.
[62]
En définitive, je ne suis pas convaincu que la SAI a commis des erreurs susceptibles de contrôle. Le demandeur est responsable des difficultés auxquelles son épouse actuelle et leurs enfants se heurteraient s’il était renvoyé. Pourtant, au lieu de reconnaître ses erreurs évidentes et d’éprouver des remords sincères devant la SAI, il a choisi de compromettre ses chances d’obtenir une décision favorable en niant avoir commis quoi que ce soit de répréhensible, alors que la preuve qui pèse contre lui concernant sa fausse déclaration est vraiment solide. En agissant ainsi, le demandeur ne songeait manifestement pas à sa famille canadienne.
[63]
Dans ses observations écrites (entérinées durant la plaidoirie), le demandeur formule une série d’affirmations qu’une simple lecture de la décision de la SAI ne corrobore pas.
A.
L’emploi et les difficultés en Macédoine
[64]
Le demandeur affirme, au sujet de ses perspectives d’emploi en Macédoine :
[traduction]
27. Il est allégué que les conclusions de la [SAI] sont déraisonnables pour plusieurs raisons. Le demandeur a témoigné au sujet de ses antécédents de travail en Macédoine en tant que camionneur, à une époque où il était plus jeune. Il a également déclaré que, pendant ses dernières années au Canada, il a travaillé dans le domaine de la construction, notamment comme cimentier‑finisseur, même s’il n’avait acquis aucune expérience dans ce domaine auparavant. La conclusion de [la SAI] selon laquelle il serait vraisemblablement capable de s’établir à nouveau juste parce qu’il revient dans son pays d’origine est conjecturale. [La SAI] fait abstraction de la preuve des antécédents d’emploi du demandeur au Canada et suppose que, juste parce qu’il a pu s’établir au Canada au cours des 14 dernières années, il sera capable d’en faire de même en [Macédoine].
[…]
29. S’il est vrai que le demandeur a travaillé constamment au Canada au cours des 14 dernières années, rien ne donne à penser qu’il a acquis des compétences qui l’aideraient à trouver un emploi bien rémunéré en Macédoine et suffisant pour subvenir aux besoins de sa famille. Il est journalier et, vu son âge avancé, il est difficile d’imaginer qu’il peut simplement retourner et trouver du travail à l’endroit qu’il a quitté il y a de nombreuses années.
[65]
Il incombait au demandeur d’établir pourquoi il serait incapable de vivre et de travailler en Macédoine. Au moment où la SAI a rendu sa décision, le demandeur était âgé de 52 ans. Rien ne démontre pourquoi cet âge est considéré comme [traduction] « avancé »
ni que le demandeur n’est pas physiquement apte à travailler en Macédoine et capable de le faire. En fait, rien ne démontre que le demandeur a même évoqué son âge comme problème devant la SAI.
[66]
Au paragraphe 33, la SAI a conclu que le demandeur s’était bien établi au Canada et que « le temps [qu’il] a passé au Canada, son emploi et ses attaches sur le plan financier au Canada jouent en faveur de la prise en considération de motifs d’ordre humanitaire »
.
[67]
Les observations du demandeur ne tiennent pas compte du contexte global dans lequel la SAI a évalué les difficultés en Macédoine. La SAI n’a fait abstraction d’aucun élément que le demandeur a soulevé dans sa demande :
[34] [Le demandeur] est citoyen de la Macédoine. Il est né et a grandi là‑bas, il parle la langue et il connaît bien le contexte culturel. Sa mère, sa sœur, ses deux fils mariés et leur famille, y compris cinq petits-enfants (âgés de 1 mois à 14 ans), vivent là‑bas. Il communique régulièrement avec ses fils. Il est retourné rendre visite à sa mère et à sa famille en Macédoine plusieurs fois au fil des ans (y compris en 2010, en 2011, en 2012, en 2013 et en 2015), et plus récemment, il y est allé avec son épouse et ses enfants, en 2017. Sa mère vieillit, et il essaie de lui fournir de l’aide lorsqu’il lui rend visite. La mère [du demandeur] vit au domicile familial dans un petit village. [Le demandeur] est propriétaire de la maison située en face de celle de sa mère, et son fils aîné vit maintenant dans cette maison avec sa famille. Avant de quitter la Macédoine, [le demandeur] était camionneur à temps plein, mais depuis sa venue au Canada, il a également acquis et perfectionné des compétences dans le domaine de la construction.
[35] [Le demandeur] affirme qu’il ferait face à des difficultés s’il devait être renvoyé en Macédoine en raison des possibilités de travail limitées et de son manque de liens là‑bas. Je reconnais que [le demandeur] réside au Canada depuis plus de 13 ans, et l’environnement économique particulier et le manque de liens sont assurément des difficultés auxquelles [le demandeur] se heurterait. Toutefois, les éléments de preuve dont je dispose démontrent que [le demandeur] est une personne travaillante et pleine de ressources qui a réussi à obtenir un succès considérable dans le contexte canadien malgré les obstacles liés à la langue, à la culture et à la formation. Étant donné les capacités [du demandeur], selon la prépondérance des probabilités, j’estime qu’il devrait être en mesure de se réinstaller en Macédoine, particulièrement à la lumière du fait qu’il a l’avantage de posséder des compétences avancées, un soutien de la famille proche et des biens immobiliers, en plus de connaître la langue, la culture et la société là‑bas. Selon la prépondérance des probabilités, j’estime que, même s’il ne fait aucun doute que [le demandeur] devrait vivre une période d’adaptation à son retour en Macédoine, rien n’indique qu’il se heurterait à des difficultés relativement à ses perspectives d’emploi.
[36] [Le demandeur] a dit que sa vie est maintenant au Canada et qu’il serait difficile de perdre tout ce qu’il a établi ici. Il affirme qu’il ne peut gagner le revenu qu’il touche au Canada s’il retourne en Macédoine. Bien que je reconnaisse qu’il s’est constitué une sécurité financière et s’est bâti une carrière, il l’a fait, sachant que son statut d’immigration avait été mal acquis et que, du moins depuis 2013, il n’était pas assuré. Il a acheté sa maison et son véhicule en 2017, après avoir reçu son rapport d’interdiction de territoire et sa mesure d’exclusion du 5 juillet 2016. J’estime que ces pertes ne constituent pas une difficulté pour [le demandeur] pour ce qui est de sa capacité de se rétablir en Macédoine.
[68]
En ce qui concerne les perspectives d’emploi en Macédoine, la SAI a reconnu sans réserve les « difficultés auxquelles [le demandeur] se heurterait »
, et rien ne donne à penser qu’elle a fait fi d’un quelconque élément de preuve sur ce point. Ni le demandeur ni la SAI ne peuvent dire avec certitude ce qui arrivera s’il retourne en Macédoine et y cherche un emploi, de sorte que l’exercice tout entier est forcément de nature conjecturale. Il incombe toutefois au demandeur de démontrer ce qui se passera vraisemblablement, et non à la SAI. Compte tenu des facteurs établis (la débrouillardise établie du demandeur, les capacités et les compétences qu’il a acquises au Canada, l’appui familial étroit dont il bénéficie en Macédoine, le fait de posséder des biens en Macédoine et sa connaissance de la langue, de la culture et de la société dans ce pays), ainsi que de l’absence de preuve sur les difficultés que le demandeur éprouverait, les conclusions de la SAI sur cette question n’ont rien de déraisonnable. Le demandeur a interprété de façon sélective la décision de la SAI sur cette question.
B.
Le parrainage
[69]
Une interprétation sélective se dégage également des allégations du demandeur quant au fait que la SAI s’est déraisonnablement fondée sur la perspective d’un parrainage futur.
[70]
Le demandeur affirme que [traduction] « rien ne garantit qu’il sera capable de revenir au Canada […], [et] il était [donc] inapproprié pour [la SAI] de se servir de la possibilité d’un parrainage futur pour renoncer à sa responsabilité d’analyser globalement la situation du demandeur sous l’angle des difficultés »
. Ce n’est pas ce qu’a fait la SAI.
[71]
La SAI n’a fait référence à un éventuel parrainage qu’au passage, lorsqu’elle s’est penchée sur les conséquences défavorables qu’aurait le renvoi du demandeur sur son épouse :
[48] Mme Latif a témoigné quant aux répercussions négatives que le renvoi [du demandeur] aurait sur sa vie. Elle a dit qu’il lui faudrait vendre leur maison actuelle et qu’elle redeviendrait un parent monoparental. Toutefois, Mme Latif a pris les décisions qui ont contribué à sa situation actuelle : elle savait que [le demandeur] pourrait devoir quitter le Canada lorsqu’ils se sont mariés, ont acheté leur maison actuelle et ont décidé d’avoir un enfant. Mme Latif a été décrite dans les documents médicaux comme étant [traduction] « résiliente », et rien ne me donne à penser qu’elle ne serait pas en mesure de s’en sortir après le renvoi [du demandeur].
[49] Mme Latif se trouve aussi dans une bien meilleure situation que lorsqu’elle a fait la connaissance [du demandeur]. Elle est dans un meilleur état d’esprit. Elle a un nouvel emploi qui paye mieux, elle possède des biens conjoints avec [le demandeur] et un partenaire sur qui elle peut compter pour du soutien affectif. Sa mère est toujours en santé et joue un rôle dans sa vie, et ses deux fils sont en santé et stables.
[50] Même si l’absence [du demandeur] aurait des répercussions négatives sur Mme Latif et la famille, il y a des façons d’atténuer la perte [du demandeur] auprès d’eux : Mme Latif et ses deux fils pourraient rendre visite [au demandeur] en Macédoine, comme elle l’a déjà fait sans problème; la technologie peut aider à maintenir la communication; et Mme Latif peut présenter une demande de parrainage [du demandeur] afin qu’il revienne au Canada après cinq ans. Dans l’ensemble, les répercussions négatives sur la famille et l’intérêt supérieur des enfants ne suffisent pas pour l’emporter sur les autres facteurs défavorables.
[72]
Lorsqu’elle mentionne le parrainage comme moyen possible d’atténuer les difficultés, la SAI ne tente pas d’éviter de reconnaître pleinement les difficultés qui pourraient survenir, comme l’affirme le demandeur.
[73]
Il est clair que, dans la décision de la SAI, rien n’indique que le parrainage sera fructueux. Toutefois, le demandeur n’a pas démontré que ce ne sera pas le cas. La seule remarque que fait la SAI est que le parrainage demeure un moyen possible pour permettre au demandeur de revenir au Canada. Dans le contexte global de sa décision, la SAI ne s’en remet pas de manière déraisonnable à l’option du parrainage. Rien ne donne à penser que la SAI n’a pas pris en compte les difficultés d’un éventuel parrainage en l’espèce ni celles que l’absence du demandeur causerait à la famille.
C.
Les difficultés causées à la famille au Canada
[74]
Le demandeur affirme que la SAI [traduction] « a fait abstraction d’éléments de preuve pertinents quant aux difficultés auxquelles Mme Latif serait confrontée s’il était renvoyé au Canada ». Je crois que le demandeur veut dire « Macédoine », et non « Canada ».
[75]
En particulier, le demandeur affirme que la SAI n’a pas tenu compte de la mesure dans laquelle Mme Latif et sa famille canadienne dépendent de lui. Il affirme que la SAI [traduction] « n’a pas tenu compte comme il se doit de la gravité de la situation dans laquelle Mme Latif se trouverait »
et que cela [traduction] « soulève la possibilité que la [SAI], en rejetant brièvement les difficultés auxquelles Mme Latif serait confrontée si le demandeur était renvoyé, a fait abstraction de cette preuve ».
[76]
Je répondrai brièvement à cette autre interprétation sélective de la décision que rien ne donne à penser que la SAI a fait abstraction d’une question importante. La SAI a montré qu’elle était pleinement consciente de la situation de l’épouse du demandeur, Mme Latif, et de sa famille, et aucune question se rapportant à la situation de la famille n’a été [traduction] « brièvement rejetée »
. Le demandeur affirme tout simplement qu’il aurait fallu accorder plus de poids à la situation de la famille et que cet aspect aurait dû l’emporter sur tout autre facteur dans l’exercice de mise en balance. Il s’agit d’une question de poids et, comme je l’ai déjà souligné, la Cour n’a pas pour rôle de soupeser à nouveau la preuve d’une manière qui favorisera le demandeur.
D.
Les éléments de preuve qui n’ont pas été pris en considération
[77]
Le demandeur affirme que la SAI a fait abstraction du rôle essentiel qu’il joue dans la vie de sa famille. Mme Latif a témoigné de manière convaincante que le demandeur participe pleinement à la vie familiale ([traduction] « il fait tout »
) et que les deux fonctionnent comme une équipe, de sorte que son absence aurait un effet nettement préjudiciable sur la dynamique de la famille, indépendamment des conséquences sur les plans affectif et psychologique.
[78]
Au paragraphe 37, la SAI a pleinement reconnu que le « principal facteur qui joue en faveur de l’exercice du pouvoir discrétionnaire pour [le demandeur] est sa situation familiale »
. Elle a cité la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, au paragraphe 11, en ce qui concerne les facteurs qu’elle doit prendre en considération et a expressément relevé « la présence de membres de la famille [du demandeur] au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour la famille »
.
[79]
La SAI a ensuite analysé de manière assez détaillée les conséquences qu’aurait le renvoi sur Mme Latif et chacun des enfants. Toutefois, rien n’indique que la SAI n’a pas tenu compte du rôle familial du demandeur dans son ensemble et de son apport en tant que partenaire à part entière à la vie familiale. En fait, la SAI a abordé le témoignage de Mme Latif à ce sujet dans son analyse des conséquences qu’aurait le renvoi sur elle. La SAI a indiqué qu’elle comprend parfaitement que Mme Latif « redeviendrait un parent monoparental »
, mais fait remarquer ce qui suit :
[50] Même si l’absence [du demandeur] aurait des répercussions négatives sur Mme Latif et la famille, il y a des façons d’atténuer la perte [du demandeur] auprès d’eux : Mme Latif et ses deux fils pourraient rendre visite [au demandeur] en Macédoine, comme elle l’a déjà fait sans problème; la technologie peut aider à maintenir la communication; et Mme Latif peut présenter une demande de parrainage [du demandeur] afin qu’il revienne au Canada après cinq ans. Dans l’ensemble, les répercussions négatives sur la famille et l’intérêt supérieur des enfants ne suffisent pas pour l’emporter sur les autres facteurs défavorables.
[80]
Là encore, je crois que rien dans la décision de la SAI n’indique que cette dernière n’a pas tenu compte du rôle du demandeur dans la vie familiale et que ce rôle n’a pas fait partie de son évaluation générale. Par ailleurs, je pense que la véritable plainte du demandeur est que la SAI n’a pas accordé un poids suffisant à ce facteur.
[81]
Le demandeur soutient que c’est grâce à lui et au rôle stabilisateur qu’il joue au sein de la famille que Mme Latif se trouve aujourd’hui dans une situation nettement meilleure. Peut‑être bien, mais rien ne prouve qu’il a l’intention d’abandonner sa famille ou qu’à cause de son absence, Mme Latif ne pourra pas s’adapter et gérer la séparation.
E.
L’intérêt supérieur des enfants
[82]
Le demandeur affirme que la SAI [traduction] « a tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants dans [sa] décision, mais que sa conclusion quant à savoir s’il serait dans leur intérêt supérieur qu’il reste au Canada »
n’était pas tout à fait juste. Cette affirmation est tout simplement inexacte.
[83]
Pour ce qui est du fils de Mme Latif, Kyro, la SAI a conclu au paragraphe 46 que « [s]elon la prépondérance des probabilités, bien que l’intérêt supérieur du fils de Mme Latif soit probablement que [le demandeur] demeure dans la maison familiale, les éléments de preuve ne soutiennent pas l’affirmation selon laquelle le fils de Mme Latif va régresser si [le demandeur] est renvoyé du Canada »
.
[84]
Quant à l’enfant que le demandeur a eu avec Mme Latif, la SAI a clairement indiqué au paragraphe 47 que « [s]elon la prépondérance des probabilités, l’intérêt supérieur de cet enfant serait que [le demandeur] vive auprès de lui […] »
. Les conclusions de la SAI à propos de l’intérêt supérieur des enfants ne sont pas non plus [traduction] « obscures »
, comme l’allègue le demandeur. La SAI a jugé qu’il serait dans l’intérêt supérieur des deux enfants que le demandeur reste au Canada. Cependant, l’examen des éléments de preuve concernant les conséquences du renvoi du demandeur sur chacun des enfants a amené la SAI à conclure que ces conséquences n’étaient pas suffisamment graves pour faire pencher la balance en sa faveur, car l’intérêt supérieur des enfants ne peut pas toujours l’emporter sur l’ensemble des autres facteurs. La Cour, ou d’autres tribunaux, auraient pu accorder plus de poids à l’intérêt des enfants et aux conséquences possibles de leur séparation du demandeur, mais là n’est pas la question. Rien ne démontre que la SAI a fait fi de certains éléments de preuve ou des conséquences possibles qui ont été dûment soulevées et établies. Ainsi, la Cour ne peut pas intervenir pour ce motif, même si, à l’instar de tout être doué de sentiment, je préférerais nettement mieux (tout comme la SAI) que cette séparation n’ait pas lieu.
[85]
Le demandeur affirme que [traduction] « l’analyse [qu’a fait la SAI] de l’intérêt supérieur de l’enfant est en soi viciée pour une multitude de raisons »
. Toutefois, les « raisons »
que cite le demandeur ne sont pas confirmées par une simple lecture de la décision de la SAI ou sont des désaccords au sujet du poids à accorder à la preuve.
(1)
Kyro
[86]
Par exemple, le demandeur fait valoir que la SAI [traduction] «
insiste beaucoup trop sur le rapport [du 17 novembre 2014], en le mettant en contraste avec le soutien [qu’il] a assuré à Mme Latif et à Kyro, plutôt que de considérer qu’ils se complètent l’un l’autre »
.
[87]
Le demandeur affirme également qu’il [traduction] « est déraisonnable, en se fondant uniquement sur un rapport de 2014 qui témoigne de l’origine des changements dans la situation de Kyro, d’éliminer totalement le rôle que le demandeur a joué dans la vie de ce dernier, et le rôle qu’il continuera de jouer dans son avenir »
. Il ressort on ne peut plus clairement d’une simple lecture de la décision que la SAI n’a pas [traduction] « éliminé »
le rôle que le demandeur a joué dans la vie de Kyro et qu’elle a reconnu sa contribution dans les progrès qu’il a réalisés. La SAI a simplement fait remarquer que le rapport de novembre 2014 indique clairement que les progrès ont été réalisés « avant que [le demandeur] commence à faire partie intégrante de leur vie »
. Et il n’existe aucune preuve de la part d’un médecin ou d’un autre expert qui donne à penser que Kyro – bien que manifestement bouleversé par le départ du demandeur – risque de régresser. Si ce scénario avait réellement été une possibilité, le demandeur et son épouse, en tant que parents responsables, auraient assurément fourni la preuve nécessaire pour l’établir et, ainsi, améliorer les chances que l’on rende une décision favorable.
[88]
Le demandeur affirme que la SAI [traduction] « insiste beaucoup trop sur le rapport, en le mettant en contraste avec le soutien [qu’il] a assuré à Mme
Latif et à Kyro, plutôt que de considérer qu’ils se complètent l’un l’autre »
. Selon lui, cela veut dire que la SAI a créé une [traduction] « dichotomie artificielle entre l’appui que Kyro a reçu du programme du ministère et l’appui qu’il a reçu du demandeur »
.
[89]
Le rapport du 17 novembre 2014 est bien sûr important en l’espèce puisqu’il s’agit de la seule preuve objective que le demandeur a décidé de présenter à la SAI à propos de l’état de Kyro. Et ce rapport indique bel et bien qu’il y a eu des changements positifs.
[90]
Mme Latif a personnellement déclaré que, selon elle, le demandeur était celui qui avait fait le plus de différences dans la vie de Kyro. Ainsi, la SAI devait évaluer la contribution du demandeur aux progrès de Kyro. Mme Latif a déclaré que le demandeur était celui qui avait le plus contribué aux progrès de Kyro, mais il n’est pas mentionné dans le rapport.
[91]
La SAI a examiné en détail les déclarations de Mme Latif et a décrit la participation du demandeur dans la vie de Kyro. Elle a accepté sans réserve que le demandeur a joué un rôle positif, mais son affirmation (étayée par Mme Latif) selon laquelle c’est surtout grâce à lui que Kyro a réalisé des progrès n’est pas confirmée par la preuve objective :
Même si j’admets que [le demandeur] a probablement joué un rôle dans les améliorations survenues chez le fils de Mme Latif, le rapport démontre que ces changements se produisaient avant que [le demandeur] commence à faire partie intégrante de leur vie. Le rapport lui‑même ne fait pas du tout mention [du demandeur].
[92]
Il n’y a aucune [traduction] « dichotomie artificielle »
en l’espèce. La SAI était tenue d’évaluer la contribution du demandeur aux progrès de Kyro. Mme Latif a déclaré qu’il était le facteur le plus important, mais la SAI était également tenue d’examiner ce que révélait la preuve objective. La SAI a conclu que le demandeur avait effectivement eu un effet positif sur Kyro, mais que les changements positifs avaient déjà commencé avant son arrivée.
[93]
En fait, c’est le demandeur qui crée ce qu’il appelle une [traduction] « dichotomie artificielle »
. Il voulait que la SAI conclue qu’il était le facteur le plus important dans les progrès de Kyro. La SAI a pris acte de ce rôle mais, après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve pertinents, elle a simplement conclu que les changements avaient déjà eu lieu avant que le demandeur entre dans la vie de Kyro. Compte tenu de la preuve que le demandeur a décidé de présenter à la SAI, cette conclusion n’a rien de déraisonnable.
[94]
En fait, le demandeur affirme essentiellement que la SAI a accordé plus de poids à d’autres facteurs dans la vie de Kyro qu’au rôle qu’il a joué et qu’il continue de jouer. Il s’agit là encore d’une plainte concernant la pondération, qu’il a tenté de déguiser sous la forme de ce qu’il appelle une [traduction] « dichotomie artificielle »
.
[95]
Rien ne donne à penser que la SAI a fait fi des éléments de preuve que Mme Latif et le demandeur ont présentés concernant les répercussions que ce dernier a eues sur l’environnement familial. Là encore, le demandeur affirme simplement que la SAI aurait dû souscrire à sa propre évaluation (et celle de Mme Latif) du rôle positif qu’il a joué dans l’environnement familial et dans les progrès de Kyro, et qu’elle aurait dû accorder à ce facteur le poids qu’il mérite.
(2)
Le fils cadet
[96]
Le demandeur affirme que, en évaluant l’intérêt supérieur de son fils cadet, la SAI n’a pas tenu compte des graves conséquences qu’aura son absence. La SAI ne disposait d’aucune preuve quant à la manière dont la famille interagira si le demandeur retourne en Macédoine. À l’évidence, son absence se fera nettement sentir sur les habitudes familiales établies. Néanmoins, il s’agit d’une conséquence inévitable de l’expulsion d’un parent.
[97]
Dans sa plaidoirie, l’avocat du demandeur a affirmé que la SAI a conclu que cet enfant était assez jeune pour s’adapter, mais [traduction] « a fait fi de tout le reste »
.
[98]
Une simple lecture de la décision démontre clairement que la SAI n’a fait fi d’aucun élément que le demandeur et Mme Latif ont fait valoir à l’égard de cette question :
[47] Mme Latif a donné naissance à son fils et à celui [du demandeur] le 7 décembre 2017. [Le demandeur] et Mme Latif ont témoigné au sujet de l’approche pratique [du demandeur] dans son rôle de père à l’égard de cet enfant. Ils ont décrit comment ils trouvent un juste milieu entre eux entre les soins fournis à cet enfant et les tâches ménagères, et, selon la prépondérance des probabilités, [le demandeur] a un lien positif avec son fils. Ce fils est en santé et il se développe de la manière attendue. Selon la prépondérance des probabilités, l’intérêt supérieur de cet enfant serait que [le demandeur] vive auprès de lui; toutefois, cet enfant est assez jeune pour pouvoir s’adapter à des changements au sein de sa dynamique quotidienne. Cet enfant profite également des soins de sa mère et de sa grand‑mère, qui vit tout près et contribue à ses soins également. Même si l’intérêt supérieur de cet enfant est un facteur favorable pour que je fasse droit à l’appel, il ne l’emporte pas sur les autres facteurs défavorables.
[99]
Là encore, le demandeur (et Mme Latif) affirme seulement que la SAI n’a pas accordé suffisamment de poids aux conséquences qu’aura son retour en Macédoine sur son fils cadet. Ils ne démontrent pas que la SAI a fait fi d’un quelconque élément qu’ils auraient dit ou produit. S’ils croyaient que les conséquences sur leur fils cadet seraient différentes de la perturbation familiale que cause habituellement le renvoi d’un parent, ou que cet enfant en subirait un préjudice, il leur appartenait d’en parler et de présenter des éléments de preuve à l’appui. Vu les éléments de preuve qu’ils ont présentés, il est difficile de voir comment la SAI aurait pu dire quoi que ce soit d’autre. Personne, surtout pas la SAI, n’était insensible. Pour le demandeur et sa famille, il s’agit d’une situation extrêmement difficile. Mais la séparation d’une famille, en soi, n’est qu’un facteur parmi d’autres à soupeser. Il ne l’emporte pas sur tout le reste. S’il en était ainsi, bon nombre des évaluations des motifs d’ordre humanitaire ne serviraient à rien.
F.
Les difficultés causées à Mme Latif
[100]
En ce qui concerne Mme Latif elle‑même, le demandeur affirme là encore que la SAI n’a pas tenu compte de la réelle gravité des conséquences que son renvoi aurait sur elle. Elle a déclaré qu’elle avait le sentiment que tout allait s’écrouler. Il aurait été inusité, vu la situation familiale, que Mme Latif ne réagisse pas de cette façon. Ce qui arrivera est forcément conjectural et, sans une sorte de preuve médicale ou autre preuve objective, la SAI ne peut pas simplement considérer que les sentiments évidents et compréhensibles de Mme Latif sont d’une importance primordiale. S’il y avait des répercussions médicales ou psychologiques, le demandeur aurait facilement pu fournir la preuve d’un professionnel à ce sujet. À part cela, rien ne démontre que le demandeur a l’intention, ou sera contraint, d’abandonner sa famille s’il est renvoyé en Macédoine. En fait, rien ne prouve que tout s’écroulera. La vie sera bien sûr beaucoup plus difficile jusqu’à ce que la famille se réorganise pour gérer la séparation et établisse un plan en vue d’une réunification future. Il est naturel et inévitable qu’ils dressent personnellement le tableau le plus sombre possible de l’avenir, de façon à résister à la séparation, mais cela ne veut pas dire, une fois que la séparation deviendra inévitable, qu’ils s’écrouleront et que tout ce qu’ils auront réalisé ensemble disparaîtra.
[101]
Même si la SAI ne l’a pas dit tout à fait en ces termes, il est très clair que c’est ce qu’elle avait à l’esprit quand elle a déclaré que « [m]ême si l’absence [du demandeur] aurait des répercussions négatives sur Mme
Latif et la famille, il y a des façons d’atténuer la perte [du demandeur] auprès d’eux […] »
.
G.
Les conclusions
[102]
Les tentatives du demandeur pour dénaturer et présenter sous un faux jour ce que dit clairement la SAI dans sa décision ne sont pas convaincantes.
[103]
Le demandeur n’a soulevé aucun argument convaincant qui donne à penser que la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle en analysant l’intérêt supérieur des enfants par rapport aux autres facteurs en jeu. Il aimerait simplement que la conclusion soit différente, ce qui est compréhensible, mais cela ne permet pas à la Cour d’infirmer la décision. Le demandeur n’a pas établi sa principale prémisse, à savoir que la SAI [traduction] «
a fait abstraction d’éléments de preuve pertinents et n’a pas voulu examiner comme il se doit les facteurs nettement positifs dans la présente demande »
.
IX.
CERTIFICATION
[104]
Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est d’accord.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2101-19
LA COUR ORDONNE ce qui suit :
La demande est rejetée.
Il n’y a aucune question à certifier.
« James Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 19e jour de mars 2020.
Mylène Boudreau, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2101-19
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INTITULÉ :
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GZIM LATIF c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 14 NovembRE 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE Russell
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 22 JANVIER 2020
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COMPARUTIONS :
Adam Avi Hummel
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POUR LE DEMANDEUR
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Amy King
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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