Dossiers : IMM‑1548‑19
IMM‑1549‑19
IMM‑1550‑19
Référence : 2020 CF 62
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2020
En présence de monsieur le juge Ahmed
Dossier : IMM‑1548‑19
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ENTRE :
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GURTEJ SINGH SANGHA
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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Dossier : IMM‑1549‑19
ENTRE :
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AMRINDER SINGH SANGHA
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IIMMIGRATION
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défendeur
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Dossier : IMM‑1550‑19
ENTRE :
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KULDEEP KAUR SANGHA
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le présent jugement concerne la décision du 20 février 2019 par laquelle un agent d’immigration (l’agent) a rejeté les demandes de visa de résident temporaire des demandeurs. Ces derniers sont citoyens indiens et forment une famille de trois personnes. Les trois dossiers ont été examinés ensemble aux fins du contrôle judiciaire. Les demandeurs avaient présenté des demandes de visa de résident temporaire pour rendre visite à des membres de leur famille et célébrer un anniversaire de mariage au Canada. L’agent a rejeté les demandes de visa de résident temporaire, car il n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur séjour, en particulier parce qu’ils n’avaient pas les fonds suffisants.
[2]
Pour les motifs qui suivent, il est fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire.
II.
Les faits
A.
Les demandeurs
[3]
Mme Kuldeep Kaur Sangha (la première demanderesse), M. Gurtej Singh Sangha (le deuxième demandeur) et leur fils de 15 ans, Amrinder Singh Sangha (le troisième demandeur) (collectivement, les demandeurs) sont des citoyens de l’Inde. Le deuxième demandeur possède une terre agricole en Inde et exploite une ferme laitière. La première demanderesse ne travaille pas actuellement, tandis que le troisième demandeur est inscrit à l’école.
[4]
Le 30 janvier 2019, les demandeurs ont présenté des demandes de visa de résident temporaire pour pouvoir assister à l’anniversaire de mariage d’un oncle, prévu le 22 février suivant. D’après les demandes, ils avaient l’intention de rester au Canada pendant 11 jours. Les demandeurs ont également présenté la preuve de leurs biens meubles et immeubles nécessaires pour financer leur voyage, y compris : le rapport sommaire d’un comptable indiquant que la valeur nette combinée du patrimoine familial s’élevait à 235 437 $, la vérification d’une déclaration de revenus indienne, ainsi qu’une lettre de Kore Wala Kalan Milk Producers Co‑Op Society Ltd confirmant le revenu annuel net que tire le deuxième demandeur de l’exploitation de sa ferme laitière.
[5]
Les demandeurs ont joint à leurs demandes une lettre de soutien de parents éloignés au Canada indiquant qu’ils étaient disposés à leur apporter tout le soutien financier nécessaire et à les héberger durant leur séjour au Canada. Les parents en question ont également fourni un relevé bancaire faisant état d’un solde de 28 158,80 $.
B.
La décision faisant l’objet du contrôle
[6]
Le 20 février 2019, l’agent a rejeté les demandes de visa de résident temporaire des demandeurs. Il n’était pas convaincu que les demandeurs quitteraient le Canada à la fin de leur séjour puisque la preuve fournie concernant leur situation financière et les fonds dont ils disposaient était insuffisante. D’après l’agent, les fonds en question ne suffisaient pas à couvrir les dépenses du voyage de 11 jours.
[7]
S’agissant du niveau d’établissement financier des demandeurs et de l’objet de leur voyage, l’agent a conclu que ce voyage n’était pas une dépense raisonnable ou abordable. Il a conclu que les demandeurs n’avaient pas démontré que leurs attaches ou leur établissement en Inde étaient suffisamment solides pour les motiver à y retourner. L’agent a également relevé l’absence d’antécédents de voyage des demandeurs et a finalement conclu qu’ils n’étaient pas de véritables visiteurs au Canada.
III.
La question en litige et la norme de contrôle
[8]
La question à trancher dans le cadre du présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de l’agent est raisonnable, et en particulier :
Si l’agent a commis une erreur en tirant des conclusions subjectives et arbitraires;
Si l’agent a commis une erreur en faisant fi de la preuve contradictoire.
[9]
Avant que la Cour suprême ne rende récemment sa décision dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (CanLII) [Vavilov], la décision d’un agent d’immigration de refuser d’accorder un visa de résident temporaire était généralement assujettie à la norme de la décision raisonnable : Anand c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 372 (CanLII), au par. 9; Paramasivam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 811 (CanLII), au par. 14).
[10]
La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent doit être déterminée conformément au cadre énoncé dans l’arrêt Vavilov. Comme l’ont souligné les juges majoritaires, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Vavilov, au par. 85). Par ailleurs, « la cour de révision doit être convaincue [que la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov, au par. 100). En l’espèce, je ne vois aucune raison de m’écarter de la jurisprudence existante en ce qui a trait à la norme de contrôle applicable. La norme de la décision raisonnable s’applique à l’affaire dont je suis saisi.
IV.
Les dispositions applicables
[11]
Les paragraphes 11(1) et 20(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIRP) prévoient ce qui suit :
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[12]
L’alinéa 179b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR), prévoit ce qui suit :
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V.
Analyse
[13]
Les demandeurs font valoir que la conclusion de l’agent selon laquelle le voyage n’était pas une dépense raisonnable était subjective et arbitraire et qu’il n’a pas tenu compte de la preuve contradictoire. La preuve dont disposait l’agent attestait des fonds suffisants, y compris : un relevé comptable faisant état d’un solde de 13 775 $ CAN dans le compte-épargnes de la deuxième demanderesse, le relevé du compte-chèques conjoint faisant état d’un solde de 13 448,11 $ CAN, le relevé bancaire du parent des demandeurs faisant état d’un solde total de 28 158 $ CAN, ainsi qu’une lettre d’emploi du parent des demandeurs indiquant qu’il gagnait un salaire mensuel de 11 000 $ CAN. Comme la preuve attestait que les demandeurs avaient à leur disposition une somme combinée d’environ 55 000 $ CAN, ces derniers font valoir qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de conclure que cette somme ne suffisait pas à couvrir leurs dépenses pour un voyage de 11 jours au Canada. Ils soutiennent que l’agent n’a pas tenu compte d’éléments de preuve importants qui contredisent ses conclusions (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF)). Ils ajoutent que la conclusion de l’agent selon laquelle leurs attaches et leur établissement en Inde ne sont pas suffisants ne reflète pas bien la preuve, étant donné qu’ils ont vécu toute leur vie dans ce pays : ils y ont élevé une famille, y exploitent une ferme et y possèdent des biens.
[14]
Le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour l’agent d’être préoccupé par la capacité des demandeurs à financer leur voyage, vu qu’ils avaient indiqué dans leurs demandes que la famille disposait d’une somme de 3 500 $ CAN pour le voyage. Il ajoute que l’agent était raisonnablement préoccupé par l’établissement financier des demandeurs en Inde, étant donné que le revenu annuel de la famille s’élevait à 16 328 $ CAN. S’agissant de la lettre de soutien de leurs parents, le défendeur s’appuie sur la décision Clement c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 703 (CanLII), aux paragraphes 29 et 30, pour affirmer que le dépôt d’un cautionnement n’entraîne pas nécessairement l’octroi d’un visa de résident temporaire. Le défendeur fait valoir que l’agent n’était pas tenu d’examiner la situation financière de l’oncle et de la tante ni leur promesse de subvenir aux besoins des demandeurs.
[15]
À mon avis, l’agent a commis une erreur en faisant fi des éléments de preuve contradictoires et en tirant des conclusions subjectives et arbitraires, erreur qui rend la décision déraisonnable. Il a conclu que les fonds réservés au voyage étaient insuffisants, alors qu’il disposait d’une preuve contraire importante. Il était indiqué sur chaque demande que le demandeur disposait d’une somme de 3 500 $ CAN pour le voyage. Comme chaque demande a été présentée individuellement, l’explication la plus évidente serait que chaque demandeur disposait d’une somme de 3 500 $ CAN pour le voyage de 11 jours, et non que la famille était limitée à une telle somme. Même suivant le dernier scénario, la conclusion de l’agent ne tient pas compte des autres éléments de preuve contradictoires, puisque les demandeurs avaient à leur disposition des fonds s’élevant à près de 55 000 $ CAN.
[16]
La raison pour laquelle l’agent a conclu, après avoir examiné la preuve des actifs des demandeurs et les relevés bancaires de leurs parents, que leurs fonds étaient insuffisants n’est pas claire. Compte tenu de la preuve contredisant ses conclusions, l’affirmation de l’agent portant qu’il a [traduction] « examiné l’ensemble des documents »
sonne creux. Par ailleurs, contrairement à la conclusion de l’agent voulant que les demandeurs ne soient pas suffisamment établis financièrement en Inde, la preuve attestait qu’ils possédaient dans ce pays des biens, à la fois résidentiels et agricoles, s’élevant à près de 213 357 $ CAN.
[17]
En bref, les demandeurs ont présenté une demande de visa de résident temporaire pour pouvoir passer une courte période de 11 jours au Canada. Ils ont fourni tous les documents pertinents attestant leur capacité à financer le voyage, leur établissement financier en Inde, ainsi que la volonté et la capacité de leur famille élargie à financer le voyage au besoin. Malgré la pléthore d’éléments de preuve, l’agent a tiré une conclusion déraisonnable, à savoir qu’ils ne disposaient pas de fonds suffisants pour voyager et séjourner au Canada. À mon avis, il lui incombait d’expliquer pourquoi les fonds étaient insuffisants, vu que la preuve étayait le contraire. Cette conclusion rend sa décision déraisonnable.
VI.
Question à certifier
[18]
On a demandé aux avocats de chaque partie s’il y avait des questions à certifier. Ils ont chacun affirmé qu’aucune question à certifier ne se posait, et je suis d’accord.
VII.
Conclusion
[19]
Il est fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire.
JUGEMENT dans les dossiers IMM‑1548‑19, IMM‑1549‑19 et IMM‑1550‑19
LA COUR STATUE que :
La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.
Il n’y a aucune question à certifier.
Une copie du présent jugement et des motifs sera placée dans les dossiers IMM‑1549‑19 et IMM‑1550‑19.
« Shirzad A. »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 24e jour de janvier 2020.
Mylène Boudreau, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑1548‑19, IMM‑1549‑19 et IMM‑1550‑19
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INTITULÉ :
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GURTEJ SINGH SANGHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
AMRINDER SINGH SANGHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
KULDEEP KAUR SANGHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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CALGARY (ALBERTA)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 13 NOVEMBRE 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE AHMED
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 16 JANVIER 2020
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COMPARUTIONS :
Raj Sharma
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POUR LES DEMANDEURS
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David Shiroky
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POUR LE défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Stewart Sharma Harsanyi
Calgary (Alberta)
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POUR LES DEMANDEURS
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Ministère de la Justice
Calgary (Alberta)
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POUR LE défendeur
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