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                                                                                                                     Date : 20040625

                                                                                                               Dossier : T-1913-03

                                                                                                      Référence : 2004 CF 929

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                       ABDULLA ZAVERY

                                                                                                                               demandeur

                                                                       et

DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA

ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                défendeurs

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                M. Abdulla Zavery, le demandeur, prétend avoir été victime de discrimination par le ministère fédéral Développement des ressources humaines Canada (DRHC). Le 11 novembre 2001, il a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). La plainte a fait l'objet d'une enquête et un rapport de l'enquêteuse a été préparé et a recommandé qu'il ne soit pas statué sur la plainte. Après avoir reçu des observations additionnelles, la Commission, par une décision-lettre datée du 12 septembre 2003, a informé M. Zavery qu'elle avait décidé, suivant le paragraphe 41(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi), de ne pas statuer sur sa plainte. Il a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire de cette décision.

Les questions en litige

[2]                M. Zavery soulève vingt-deux questions à être examinées par la Cour. En réalité, toutes ces questions sont comprises dans la question suivante :

1.         La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de contrôle :

·            en acceptant la décision de l'enquêteuse selon laquelle deux allégations de M. Zavery portaient sur des actes qui n'étaient pas de la compétence de la Commission parce que l'incident qui était survenu entre juillet et septembre 2000 avait fait l'objet d'une réparation et parce que DRHC n'était pas le défendeur approprié quant à l'incident d'octobre 2000 qu'il avait allégué; ou


·            en omettant d'avoir pris en compte les raisons pour lesquelles il avait tardé à déposer sa plainte, notamment que (i) le retard de six mois pour le dépôt de sa plainte dépendait du fait qu'il attendait que la Commission lui transmette les formulaires appropriés et (ii) qu'il avait retardé le dépôt de sa plainte jusqu'à ce qu'il ait épuisé le recours qu'il exerçait contre le Commissaire à la protection de la vie privée en juin 2000.

Historique de la plainte

[3]                Selon son affidavit, M. Zavery a d'abord téléphoné à la Commission à l'égard du dépôt d'une plainte en novembre 2000. L'avocat de M. Zavery a également communiqué avec la Commission en mars et avril 2001. Dans des lettres datées du 16 mars 2001 et du 13 avril 2001, l'avocat a exposé les doléances de M. Zavery et a demandé qu'on envoie : [TRADUCTION] « sans plus tarder à mon bureau des formulaires appropriés pour le dépôt dans les règles d'une plainte concernant les droits de la personne » . Une réponse de la Commission le 3 octobre 2001 incluait des renseignements à l'égard de la procédure de dépôt. Comme il a été mentionné, la plainte a été déposée le 11 novembre 2001.


[4]                Dans sa plainte, M. Zavery prétend que, lors de la fourniture de services, les employés de DRHC lui ont fait subir de la discrimination et l'ont harcelé du fait de sa situation de famille (il n'était pas marié), de sa déficience (chirurgie à son genou gauche et dépression) et de son origine nationale ou ethnique (ressortissant des Indes orientales), en violation des articles 5 et 14 de la Loi. Sa plainte contenait dix allégations distinctes qui se rapportaient à des incidents survenus entre août 1992 et octobre 2000. Les huit premiers incidents se sont produits entre le 19 août 1992 et le 25 février 1998. Les deux derniers incidents sont les suivants :

1.          Le 21 octobre 2000, des employés du Centre d'emploi de DRHC ont dit à M. Zavery qu'il devait signer un formulaire I14 pour pouvoir utiliser les services du Centre. Comme il a été révélé par des observations faites durant l'enquête effectuée à l'égard de la plainte, l'incident s'est en fait produit au YMCA - Seneca College Employment Resource Centre et non à des bureaux de DRHC.

2.          En juillet, août et septembre 2000, DRHC a informé M. Zavery qu'il ne pouvait pas toucher des prestations d'assurance-emploi (AE) pour la période du 14 mai au 7 juin 2000 parce qu'il n'était pas au Canada au cours de cette période. En septembre 2000, M. Zavery a reçu les prestations d'AE en question.


[5]                Il est important de mentionner que, bien que toutes les allégations se rapportent à la fourniture de services par un seul organisme, chaque allégation est distincte et ne dépend pas des autres allégations. En fait, M. Zavery a déposé 10 plaintes distinctes en utilisant un seul formulaire.

Le rapport de l'enquêteuse

[6]                La Commission a nommé une enquêteuse pour étudier la plainte. Après avoir reçu des observations de DRHC et des observations additionnelles de M. Zavery, l'enquêteuse a préparé un rapport de l'enquêteuse daté du 17 mars 2003. Sauf quant à un résumé des motifs invoqués au soutien des allégations, le rapport ne traite aucunement de la question de savoir si les allégations ont un lien avec les motifs prévus par la Loi. Plutôt, le rapport ne traite que des objections soulevées par DRHC selon lesquelles huit des dix plaintes étaient hors délai et les deux autres n'étaient pas de la compétence de la Commission.

[7]                Après avoir résumé les observations des parties à l'égard de ces deux questions, l'enquêteuse a fait l'analyse suivante :

[TRADUCTION]

14.            Huit des dix allégations faites dans le formulaire de plainte traitent d'incidents survenus entre 1992 et 1998. Le plaignant a au départ communiqué avec la Commission en mars 2001 et il attribue une partie du retard à son ancien avocat.

15.            Les deux autres allégations traitent d'actes qui ne sont pas de la compétence de la Commission étant donné que l'incident de mai 2000 a fait l'objet d'une réparation et que le défendeur n'est pas le défendeur approprié quant à l'incident d'octobre 2000 qu'il a allégué.


[8]                La recommandation de l'enquêteuse était que la Commission ne statue pas sur la plainte.

La décision de la Commission

[9]                Le rapport de l'enquêteuse a été communiqué aux parties qui ont eu la possibilité d'y répondre. Seul le demandeur y a répondu. La partie pertinente de la décision de la Commission est la suivante :

[TRADUCTION]

Avant de rendre sa décision, la Commission a examiné le rapport qui vous a été communiqué antérieurement et les observations présentées en réponse. Après avoir examiné les renseignements à cet égard, la Commission a décidé, suivant les alinéas 41c) et 41e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de ne pas statuer sur la plainte parce que :

1.              les faits comme ils ont été allégués par le plaignant ne constitueraient pas un acte discriminatoire au sens des articles 5 et 14 de la Loi;

2.             la plainte est fondée sur des actes qui se sont produits plus d'un an avant qu'elle soit déposée.

Par conséquent, le dossier de cette affaire est maintenant fermé.


[10]            Bien que ce ne soit pas totalement clair, la Commission a apparemment fondé sur trois motifs sa décision de ne pas statuer sur la plainte. Premièrement, aucune des allégations n'a été faite durant la période d'un an prévu par l'alinéa 41(1)e). Deuxièmement, en plus d'être hors délai, les deux dernières allégations n'étaient pas de la compétence de la Commission suivant l'alinéa 41(1)c). Ce sont les motifs mentionnés par M. Zavery dans la présente demande.

[11]            Le troisième motif énoncé selon lequel les faits comme ils étaient mentionnés ne constitueraient pas un acte discriminatoire n'est pas un motif, mais est une conclusion qui n'a aucune pertinence quant à cette décision particulière de la Commission à cette étape. Les prétentions de M. Zavery sont qu'il a, en raison de motifs prévus aux articles 5 et 14 de la Loi, fait l'objet d'un acte discriminatoire par DRHC à l'égard de la fourniture de services. La question de savoir si les allégations de M. Zavery sont exactes ne peut être tranchée qu'après qu'une enquête est effectuée en vertu de la Loi et non à cette étape d'examen préliminaire où la Commission ne fait que décider si l'un des motifs énoncés au paragraphe 41(1) empêche la Commission de statuer plus à fond sur la plainte. Les parties n'ont pas soulevé de question à l'égard de cette conclusion. Bien que la déclaration ait pu être déplacée étant donné qu'elle a été faite à cette étape du processus de la Commission, elle n'est pas déterminante dans mon examen de la décision.

Les dispositions législatives et réglementaires pertinentes

[12]            Le paragraphe 41(1) de la Loi énonce ce qui suit :



Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission thata) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

(a)            the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

b)              la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

(b)            the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

c)             la plainte n'est pas de sa compétence;

(c)             the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

d)             la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d)            the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

e)             la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

(e)             the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.


Analyse

La norme de contrôle


[13]            Sous la plupart des aspects, la décision de la Commission suivant le paragraphe 41(1) de la Loi est discrétionnaire. La Cour ne devrait pas, par conséquent, intervenir à moins que la décision soit manifestement déraisonnable (décision Price c. Concord Transportation Inc. (2003), 238 F.T.R. 113, au paragraphe 42) ou à moins que la Commission ait agi de mauvaise foi, qu'elle n'ait pas tenu compte de l'équité en matière de procédure ou qu'elle se soit appuyée sur des considérations non appropriées ou non pertinentes (décision Société de développement du Cap-Breton c. Hynes (1999), 164 F.T.R. 32, à la page 37). Il s'agit certainement de la norme applicable à une décision rendue quant à la question de la présentation en temps opportun suivant l'alinéa 41(1)e).

[14]            Cependant, les parties conviennent qu'une décision quant à la compétence suivant l'alinéa 41(1)c) de la Loi selon laquelle la Commission n'a pas compétence pour examiner une plainte devrait vraisemblablement être examinée suivant la norme de la décision correcte. J'accepterai cette norme aux fins de l'examen de la question de la compétence.

La compétence pour examiner les deux dernières plaintes

[15]            Il appert que la décision de ne pas statuer sur les deux dernières plaintes a été prise sur le fondement de l'alinéa 41(1)c) - à savoir que ces plaintes n'étaient pas de la compétence de la Commission. M. Zavery prétend que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a rendu cette décision. Selon ce qu'ont convenu les parties, la norme de contrôle de ces décisions est la décision correcte.

(a)         La plainte à l'égard de l'incident survenu au bureau du YMCA était-elle de la compétence de la Commission?


[16]            Dans sa plainte, M. Zavery a décrit un incident survenu dans un lieu de Richmond Hill, en Ontario, le 21 octobre 2000. À l'égard de cette allégation, il a déclaré que des [TRADUCTION] « agents » de DRHC lui ont fait subir de la discrimination du fait de son incapacité en insistant pour qu'il signe un formulaire particulier avant qu'il puisse utiliser le centre d'emploi.

[17]            Dans son rapport, l'enquêteuse a conclu que le bureau où cet incident allégué est survenu était occupé par le YMCA - Seneca College Employment Resource Centre et non par DRHC. Dans sa réponse au rapport de l'enquêteuse, datée du 6 avril 2003, M. Zavery a prétendu qu'il y avait un grand panneau portant l'enseigne du Gouvernement du Canada et que, par conséquent, le Centre [TRADUCTION] « se présentait comme faisant partie du ministère fédéral ou était à tout le moins approuvé par le ministère » . Devant la Cour, M. Zavery a tenté de renforcer sa prétention en alléguant que le centre d'emploi du YMCA avait des liens étroits avec DRHC et administrait en fait un programme d'emploi fédéral pour DRHC. L'enquêteuse et la Commission n'ont pas accepté cette prétention. Je ne l'accepte pas non plus.


[18]            La compétence de la Commission est établie par la Loi et se trouve dans le partage constitutionnel des compétences énoncé dans la Loi constitutionnelle de 1867. Cette compétence est explicitement établie à l'article 2 de la Loi où il est énoncé que l'objet de la Loi est de s'appliquer aux questions entrant « dans le champ de compétence du Parlement du Canada » . Il n'y a pas de doute que les centres d'emploi établis et gérés par les employés de DRHC sont soumis à la Loi. Cependant, il ne serait pas approprié d'étendre la compétence de la Commission à des domaines qui sont par ailleurs de compétence provinciale sauf s'il existe un lien très étroit et intégral. De toute façon, la province d'Ontario, où le centre YMCA est situé, a également une loi en matière de droits de la personne qui s'applique à la discrimination dans un contexte provincial.

[19]            Je ne dispose d'aucun élément de preuve donnant à penser que le YMCA est un ministère du gouvernement fédéral ou a reçu des pouvoirs du Parlement. Les seuls éléments de preuve dont je dispose pour décrire la relation qui existe entre DRHC et le centre d'emploi du YMCA sont les souvenirs de M. Zavery, à savoir :

1.          Lorsque M. Zavery a demandé à l'une des employés du centre YMCA d'aller avec lui à DRHC, elle lui a dit qu'elle ne pouvait pas le faire parce qu'[TRADUCTION] « ils faisaient " partie intégrante " de DRHC et que cela constituerait un conflit d'intérêts pour elle » .

2.         À l'entrée du centre YMCA, il y avait un grand panneau comportant l'enseigne du gouvernement du Canada.


[20]            C'est là toute la preuve de l'existence du lien entre DRHC et le YMCA - Seneca College Employment Resource Centre. Cela ne suffit aucunement à établir que les services fournis par les employés du centre YMCA entrent dans le « champ de compétence du Parlement du Canada » .

[21]            En conclusion sur ce point, je suis convaincue que la plainte déposée par M. Zavery à l'égard des services fournis par les employés du YMCA - Seneca College Employment Resource Centre n'est pas de la compétence de la Commission.

(b)         La plainte à l'égard du refus des agents de DRHC de payer des prestations d'AE était-elle de la compétence de la Commission?

[22]            L'avant-dernier incident décrit par M. Zavery dans sa plainte est survenu en juillet, août et septembre 2000 et se rapportait à des prestations d'AE. M. Zavery a prétendu que DRHC lui a fait subir de la discrimination : [TRADUCTION] « fondée sur le pays de résidence lorsqu'il a décidé que je ne toucherais pas de prestations pour la période du 14 mai au 7 juin 2000 parce que je n'étais pas au Canada » . Subsidiairement, M. Zavery a prétendu que la décision par laquelle on lui a refusé des prestations d'AE était discriminatoire étant donné que : [TRADUCTION] « les agents qui ont rendu la décision initiale de ne pas me rendre admissible étaient motivés par un désir de harceler le plaignant pour un motif illicite, à savoir l'origine ethnique ou la déficience » . En septembre 2000, M. Zavery a reçu les prestations d'AE en question.

[23]            L'enquêteuse a conclu que la plainte n'était pas de la compétence de la Commission étant donné que les prestations d'AE avaient maintenant été payées à M. Zavery.

[24]            Dans ses prétentions à la Commission et à la Cour, M. Zavery a déclaré que, bien qu'il ait reçu les prestations d'AE en litige, le traitement qu'il a reçu durant le processus d'obtention de ces prestations était du harcèlement et que c'est le préjudice psychologique qu'il a subi en raison de ce traitement qui constitue le fondement de sa plainte. Je partage son opinion. Le paiement de prestations ne fournit pas nécessairement une réparation complète à l'allégation de harcèlement. Par conséquent, la conclusion de l'enquêteuse qui a été acceptée sans autre analyse par la Commission a été acceptée par erreur.

(c)         Conclusion quant à la compétence

[25]            En conclusion sur cette question, je suis d'avis que :

1.         la Commission a eu raison de conclure que l'incident touchant le centre d'emploi du YMCA n'était pas de sa compétence;

2.         la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que la plainte se rapportant aux prestations d'AE n'était pas de sa compétence.


La présentation des plaintes en temps opportun

[26]            La question de la présentation des plaintes en temps opportun soulevée dans la plainte était le motif principal pour lequel la Commission a rejeté la plainte déposée par M. Zavery. Il n'y a pas de doute que la plainte a été déposée plus d'un an après la date à laquelle est survenue la dernière des allégations. M. Zavery prétend que sa plainte aurait été déposée moins d'un an après que sont survenues les deux dernières allégations si la Commission n'avait pas pris 6 mois à envoyer les formulaires appropriés de plainte à son avocat. M. Zavery me demande de conclure qu'il y a eu dépôt [TRADUCTION] « réputé » durant la période prescrite. Je n'accepte pas cet argument. M. Zavery était représenté par un avocat qui devait être familier avec les procédures de la Commission, y compris avec l'exigence de déposer une plainte dans un délai d'un an. De toute façon, un dépôt [TRADUCTION] « réputé » de la plainte en mars ou avril 2001 n'aurait pas aidé M. Zavery étant donné que les allégations qui ont clairement été rejetées pour son omission de les avoir faites en temps opportun sont survenues entre 1992 et 1998. C'était bien au-delà de la limite d'un an indépendamment de la question de savoir si le temps est calculé jusqu'en mars, avril ou novembre 2001.


[27]            La décision à l'égard de la question de la présentation en temps opportun est une décision discrétionnaire de la Commission qui requiert la plus grande retenue. Si la décision de la Commission de rejeter toutes les allégations en raison de l'omission de présentation en temps opportun n'était pas manifestement déraisonnable ou autrement susceptible de contrôle, l'erreur quant à la compétence devient non pertinente. La Commission est tenue, lorsqu'elle rend une décision à l'égard de la question de savoir s'il devrait être statué sur une plainte déposée après la période d'un an, d'examiner la question de savoir si les circonstances justifient qu'une période plus longue soit accordée pour le dépôt de la plainte (alinéa 41(1)e)).

[28]            Le premier argument de M. Zavery est que la Commission n'a pas examiné toute la preuve dont elle disposait à l'égard de la question du délai. M. Zavery prétend que la Commission a commis une erreur comme elle l'a fait dans l'arrêt Société Radio-Canada c. Paul (2001), 198 D.L.R. (4th) 633. Dans cet arrêt, la Cour d'appel fédérale a statué, au paragraphe 51, qu'étant donné que la Commission a mentionné dans sa décision-lettre certains éléments de preuve dont elle disposait et non d'autres documents qu'elle était tenue d'examiner, il peut être tiré une inférence selon laquelle la Commission a omis d'examiner toute la preuve dont elle disposait. Le demandeur prétend que, comme l'intimée dans cet arrêt, lui aussi a reçu des motifs qui révélaient cette erreur. Je ne partage pas cette opinion.


[29]            Dans la présente affaire, une inférence selon laquelle la Commission a omis de tenir compte de certains éléments de preuve dont elle disposait ne peut raisonnablement pas être tirée. Une telle inférence ne peut pas être tirée parce que la Commission dans sa lettre au demandeur a déclaré tout à fait le contraire, c'est-à-dire qu'elle avait examiné le rapport de l'enquêteuse et toutes les observations présentées en réponse. Pour ce motif, il est facile de faire la différence entre l'arrêt Société Radio-Canada, précité, et la présente affaire. Bien qu'il ait été préférable que la Commission énumère ou mentionne autrement les éléments de preuve qu'elle avait examinés, l'omission de le faire ne constituait pas une erreur susceptible de contrôle.

[30]            À l'égard des huit premières allégations, un examen du dossier dont disposait la Commission révèle que les deux parties ont déposé des observations quant à la question de la présentation en temps opportun. En particulier, DRHC a prétendu qu'il subirait un préjudice si une enquête à l'égard de ces allégations devait avoir lieu si longtemps après qu'elles sont survenues.


[31]            M. Zavery a également déposé des observations à l'égard de la question de la présentation en temps opportun. Son principal argument était qu'il n'a pas déposé une plainte plus tôt parce qu'il était [TRADUCTION] « engagé dans un recours auprès du Commissaire à la protection de la vie privée, recours qui avait pris beaucoup de temps et causé des retards » . Le 29 juin 2000, M. Zavery a finalement obtenu la décision du Commissaire à la protection de la vie privée et a commencé à s'occuper de sa plainte à la Commission. À mon avis, le fait que M. Zavery poursuivait un « recours auprès du Commissaire à la protection de la vie privée » n'est pas pertinent. Son grief auprès du Commissaire à la protection de la vie privée, bien qu'ayant des liens, n'avait pas le même fondement que les allégations de sa plainte à la Commission. Chaque recours a été intenté afin d'obtenir une réparation à une plainte différente. Selon les faits de la présente affaire, le fait d'épuiser le premier recours ne pouvait raisonnablement pas être une exigence préalable au deuxième recours.

[32]            Compte tenu de cette preuve à l'égard des huit premières plaintes, la Commission pouvait préférer les observations de DRHC. Il n'appartient pas à la Cour d'évaluer à nouveau la preuve dont disposait la Commission.


[33]            Cependant, j'ai des préoccupations quant à la décision de la Commission de rejeter les deux dernières plaintes en raison du retard pour leur présentation. Même si les allégations excédaient la période d'un an prévue pour le dépôt de la plainte, M. Zavery a présenté des observations approfondies à l'égard des raisons pour lesquelles la Commission devrait néanmoins statuer sur ces plaintes. Le seul élément de preuve clair de la part de DRHC, comme cela a été décrit dans le rapport de l'enquêteuse, visait le retard portant préjudice quant au dépôt des huit premières plaintes. Aucun préjudice n'a été invoqué par DRHC à l'égard du fait d'entendre les deux autres plaintes. De plus, l'analyse du retard effectuée par l'enquêteuse mettait également exclusivement l'accent sur les huit premières plaintes. Les seules observations quant à la question du retard à l'égard des deux dernières plaintes ont été présentées par M. Zavery. DRHC a choisi de ne fournir aucun commentaire à l'égard du rapport de l'enquêteuse ou de la réponse de M. Zavery. Étant donné que ces motifs n'ont jamais été explicitement contestés par DRHC ou analysés par l'enquêteuse, la Commission ne disposait d'aucun élément de preuve au soutien de sa conclusion selon laquelle les deux dernières plaintes devraient être rejetées en raison du retard. Étant donné que cette décision de la Commission n'était pas fondée sur la preuve dont elle disposait, et qu'il n'y a pas de motifs énoncés à cet égard, elle est manifestement déraisonnable.

[34]            Cette erreur de la Commission est importante seulement à l'égard de la plainte se rapportant au paiement d'AE parce que la dernière plainte n'était pas, comme cela a été mentionné plus tôt, de la compétence de la Commission et qu'elle ne pouvait pas faire l'objet d'une décision de toute façon.

Conclusion

[35]            En conclusion, la Commission n'a pas commis une erreur lorsqu'elle a conclu que l'incident touchant le centre d'emploi du YMCA n'était pas de sa compétence. La Commission n'a pas non plus commis une erreur lorsqu'elle a décidé de ne pas statuer sur les huit premières allégations en raison de l'omission de présentation en temps opportun. Cependant, la Commission a commis une erreur dans sa décision selon laquelle la dernière allégation touchant les services qu'avait reçus M. Zavery à l'égard de ses réclamations d'AE n'était pas de sa compétence. Elle a en outre tiré une conclusion manifestement déraisonnable à l'égard de la question de la présentation en temps opportun de cette allégation.

[36]            Cela m'amène à la question de la réparation. La décision de la Commission à l'égard de toutes les allégations, sauf celle touchant l'AE, devrait être maintenue. La décision selon laquelle la Commission ne statuerait pas sur l'allégation touchant l'AE sera annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission afin qu'il soit statué à nouveau sur l'affaire. Cela ne constitue pas une directive à la Commission d'enquêter plus à fond sur la plainte, mais c'est une directive d'examiner à nouveau la question de savoir si, suivant le paragraphe 41(1) de la Loi, il devrait être statué sur cette seule allégation. La Commission peut, en statuant à nouveau sur cette affaire, obtenir et examiner d'autres éléments de preuve, y compris à l'égard de l'application possible de l'alinéa 41(1)e).


[37]            L'alinéa 41(1)e) donne mandat à la Commission de statuer sur toute plainte sauf si « la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée » (non souligné dans l'original). En se fondant sur une interprétation de cette disposition, on peut prétendre que si la Commission, dans la présente affaire, décidait qu'elle doit statuer sur l'allégation touchant l'AE, elle devrait alors statuer sur les huit premières allégations. Dans l'éventualité où il y aurait certains autres liens que l'agent de discrimination commun qui a été allégué, je pourrais partager cette opinion. Cependant, dans la présente affaire, chaque allégation se rapporte à un incident distinct. Il serait illogique et potentiellement injuste à l'endroit des défendeurs d'utiliser les mots de cette disposition pour faire examiner par la Commission des griefs de longue date en se fondant sur un incident plus récent. Notamment, dans la présente affaire, j'estime raisonnable la conclusion de la Commission selon laquelle elle ne devrait pas étendre le délai au-delà d'un an puisque l'inclusion des huit premières allégations entraînerait une iniquité en matière de procédure à l'endroit du défendeur. Par conséquent, je limite le nouvel examen devant être effectué par la Commission à la plainte touchant l'AE seulement, à savoir l'allégation de traitement discriminatoire en juillet, août et septembre 2000.

[38]            Les deux parties ont demandé les dépens de la présente demande. Étant donné que M. Zavery a eu gain de cause en partie seulement, j'exercerai mon pouvoir discrétionnaire et je n'accorderai pas de dépens. Chaque partie assumera ses propres frais.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande pour la partie qui se rapporte à l'incident survenu entre juillet et septembre 2000 et qui était fondée sur le refus de DRHC de fournir au demandeur des prestations d'assurance-emploi sera accueillie.


2.          La décision de ne pas statuer sur la demande pour la partie qui se rapporte à l'incident touchant l'assurance-emploi est annulée et renvoyée à la Commission afin qu'il soit statué à nouveau sur la question suivant le paragraphe 41(1) de la Loi.

3.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

                                                                                                                  _ Judith A. Snider _               

                                                                                                                                         Juge                            

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1913-03

INTITULÉ :                                        ABDULLA ZAVERY c. DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 15 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                       LE 25 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Guy B. M. Hunter                                                                POUR LE DEMANDEUR

Sadian Campbell                                                                 POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hrycyna Pothemont Hunter                                                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                                POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

                                                   Date : 20040625

                                             Dossier : T-1913-03

ENTRE :

ABDULLA ZAVERY

                                                            demandeur

- et -

DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA et al.

                                                            défendeurs

                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE


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