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Date : 20200114


Dossier : T-1147-18

Référence : 2020 CF 47

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2020

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

demanderesse

et

GARNET ALEXANDER HARMAN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse présente une requête en jugement sommaire en vue de recouvrer auprès du défendeur la somme de 777 427,27 $, plus les intérêts et les frais, au motif que ce dernier a manqué à ses obligations de rembourser les fonds reçus dans le cadre du programme de paiements anticipés prévu par la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, LC 1997, c 20 [la LPCA]. La demanderesse soutient que la présente affaire devrait être tranchée par jugement sommaire, puisque la preuve requise pour statuer équitablement sur la question se trouve dans les affidavits dont dispose la Cour et que l’affaire porte principalement sur des questions juridiques se rapportant à l’interprétation de la LPCA.

[2]  Le défendeur ne s’oppose pas à ce que la présente affaire soit tranchée par voie de jugement sommaire et soutient que la demande de recouvrement de la demanderesse est prescrite puisqu’elle a été déposée en dehors du délai de prescription. En outre, il affirme qu’il n’y a aucune preuve que les fonds ont effectivement été versés. Il demande un jugement sommaire rejetant la demande, avec dépens.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je rends un jugement sommaire en faveur de la demanderesse.

II.  Le contexte

[4]  Le litige en l’espèce porte sur trois paiements versés au défendeur dans le cadre du programme de paiements anticipés prévu par la LPCA. Comme ces paiements sont au cœur de l’affaire, il importe d’examiner en détail l’historique de chacun d’eux.

[5]  Le 17 avril 2008, le défendeur a présenté à la Manitoba Livestock Cash Advance Inc. (MLCA) une demande de paiement anticipé en vertu de la LPCA pour l’année de production 2008-2009. La MLCA agissait comme agent d’exécution du programme de paiements anticipés. Le défendeur a reçu des avances totalisant 326 958,40 $, moins les frais d’administration et la somme retenue, les 23 mai 2008, 7 août 2008, 20 août 2008 et 23 septembre 2008 (le paiement anticipé no 1).

[6]  Le 16 décembre 2008, le défendeur a présenté à la Canadian Livestock Advance Association (la CLAA) une demande de paiement anticipé en vertu de la LPCA pour l’année de production 2008-2009. La CLAA agissait comme agent d’exécution du programme de paiements anticipés. Le 13 janvier 2009, le défendeur a reçu une avance de 62 822,76 $, moins les frais d’administration et la somme retenue (le paiement anticipé no 2).

[7]  Le 1er avril 2011, le défendeur a présenté à la Commission canadienne du blé (la CCB) une demande de paiement anticipé en vertu de la LPCA pour l’année de production 2011-2012. La CCB agissait comme agent d’exécution du programme de paiements anticipés. À cette même date, le défendeur a reçu une avance de 52 048,00 $, moins les frais d’administration et la somme retenue (le paiement anticipé no 3).

[8]  Le 13 mai 2009, le défendeur a signé une entente de sursis à la mise en défaut avec la MLCA relativement au paiement anticipé no 1. Cette mesure a permis de réduire le taux d’intérêt sur la première tranche de 100 000 $ avancée.

[9]  Le 5 mai 2009, le défendeur a signé une entente de sursis à la mise en défaut avec la CLAA relativement au paiement anticipé no 2.

[10]  La MLCA, la CLAA et la CCB étaient en droit de réclamer au ministre une partie des sommes dues. Conformément au paragraphe 23(1) de la LPCA, le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (le ministre) a versé à la MLCA, en date du 8 mai 2014, le montant de la garantie prévue pour le paiement anticipé no 1. Le ministre a également versé le montant de la garantie prévue pour le paiement anticipé no 2 à la CLAA le 30 mai 2014. Enfin, il a versé à la CCB, en date du 19 juin 2013, le montant de la garantie prévue pour le paiement anticipé no 3. Le ministre a été subrogé dans les droits des agents d’exécution en vertu de l’article 23 de la LPCA. La demanderesse cherche maintenant à recouvrer ces sommes, plus les intérêts et les frais, auprès du défendeur.

III.  Les questions en litige

[11]  La principale question à trancher consiste à déterminer s’il y a lieu de rendre un jugement sommaire en faveur de la demanderesse. Le défendeur affirme que la demande de recouvrement est prescrite et, subsidiairement, que les accords ne sont pas exécutoires, puisqu’il n’y a aucune preuve que les paiements lui ont effectivement été versés.

[12]  J’examinerai les questions à trancher dans l’ordre suivant :

  1. La demande de recouvrement est-elle prescrite parce qu’elle a été déposée au-delà du délai de prescription applicable?
  2. Y a-t-il lieu de rendre un jugement sommaire en faveur de la demanderesse?

IV.  Analyse

A.  La demande de recouvrement est-elle prescrite parce qu’elle a été déposée au-delà du délai de prescription applicable?

[13]  La demanderesse soutient que la demande de recouvrement est assujettie aux dispositions de prescription précises énoncées dans la LPCA. La règle d’application générale concernant les délais de prescription dans le cadre de poursuites auxquelles l’État est partie figure à l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, LRC 1985, c C-50, qui prévoit que les règles de droit en vigueur dans une province s’appliquent à l’égard de tout fait générateur survenu dans cette province; autrement, la procédure se prescrit par six ans. La demanderesse soutient que la présente instance n’est pas assujettie à ces règles d’application générale, puisqu’elle est visée par l’exception prévue dans le texte introductif de l’article 32 : « Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale [...] »

[14]  La LPCA prévoit un délai de prescription précis, qui s’applique aux actions intentées par le ministre visant le recouvrement de créances. Il convient de rappeler qu’en vertu de l’article 23 de la LPCA, les droits du ministre de demander le recouvrement de créances dans le cadre du programme de paiements anticipés ne prennent naissance que lorsque le producteur est en défaut relativement à l’accord de remboursement et que l’agent d’exécution a présenté une demande de remboursement au ministre. Lorsque ces conditions sont réunies, le paragraphe 23(2) prévoit ce qui suit :

Subrogation

Subrogation

(2) Le ministre est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution contre le producteur défaillant et les personnes qui se sont engagées au titre des alinéas 10(1)c) et d), à concurrence du paiement qu’il fait en application des paragraphes (1) ou (1.1). Il peut notamment prendre action, au nom de l’agent d’exécution ou au nom de la Couronne, contre ce producteur et ces personnes.

(2) The Minister is, to the extent of any payment under subsection (1) or (1.1), subrogated to the administrator’s rights against the producer in default and against persons who are liable under paragraphs 10(1)(c) and (d) and may maintain an action, in the name of the administrator or in the name of the Crown, against that producer and those persons.

[15]  La LPCA énonce ensuite différentes règles relatives à la prescription des poursuites intentées par le ministre, y compris la règle d’application générale prévue au paragraphe 23(4) :

Prescription

Limitation or prescription period

(4) Sous réserve des autres dispositions du présent article, toute poursuite visant le recouvrement par le ministre d’une créance relative au montant non remboursé de l’avance, aux intérêts ou aux frais se prescrit par six ans à compter de la date à laquelle il est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution.

(4) Subject to the other provisions of this section, no action or proceedings may be taken by the Minister to recover any amounts, interest and costs owing after the six year period that begins on the day on which the Minister is subrogated to the administrator’s rights.

[16]  La demanderesse soutient que cette disposition régit la présente instance et qu’elle a intenté sa poursuite en recouvrement dans le délai de six ans prescrit, après la subrogation du ministre dans les actions des agents d’exécution.

[17]  Le défendeur avance plusieurs arguments à l’appui de sa thèse selon laquelle la demande de recouvrement doit être rejetée par application des délais de prescription. Premièrement, il soutient que comme la MLCA, la CLAA et la CCB agissaient au nom du ministre à titre d’agents d’exécution du programme de paiements anticipés sous le régime de la LPCA, ces organismes et le ministre ne sont, en réalité, qu’[traduction] « une seule et même entité ». Selon ce point de vue, le ministre ne peut être en meilleure position que les agents d’exécution aux termes des accords signés par le défendeur.

[18]  Deuxièmement, le défendeur affirme que les modalités du contrat ont été fixées par le ministre et n’ont fait l’objet d’aucune négociation et que, par conséquent, toute ambiguïté doit être interprétée en sa faveur; la règle contra preferentum s’applique. Le défendeur, qui est un résident de la Saskatchewan, est lié par l’accord en vertu duquel le délai de six ans établi dans la loi du Manitoba s’applique, et non le délai de prescription de deux ans plus favorable prévu dans la loi applicable de la Saskatchewan. Il s’agit d’une dérogation à un droit fondamental qui vise à protéger les personnes comme le défendeur.

[19]  En outre, le défendeur attire l’attention sur le libellé des accords qui établit le lien entre les agents d’exécution et le ministre, notamment le paragraphe « m » du formulaire de demande de paiement de la CCB, aux termes duquel le producteur s’engage, [traduction] « en cas de défaut, à rembourser au ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada, par l’entremise de l’agent d’exécution, le somme due, y compris les intérêts au taux indiqué dans la présente demande et tous les frais de recouvrement, y compris les frais juridiques ». Le défendeur attire également l’attention sur la disposition selon laquelle [traduction] « la CCB, en tant qu’agent d’exécution, peut transférer le solde impayé à Agriculture et Agroalimentaire Canada aux fins de recouvrement ». Ces dispositions confirment que le ministre et les agents d’exécution sont essentiellement la même entité aux termes des accords.

[20]  Les arguments du défendeur reposent principalement sur la situation précise qui découle des faits de l’espèce. Le défendeur soutient qu’il ne s’agit pas d’une situation où un garant tiers se substitue au débiteur principal pour honorer la garantie de prêt. En l’espèce, le ministre et les agents d’exécution sont, en réalité, une seule et même entité. En outre, le ministre a défini les modalités du programme de paiements anticipés, qui permet d’avancer des fonds aux agriculteurs admissibles sans que soit déployée la diligence raisonnable habituellement requise pour obtenir un prêt commercial. Le ministre a fixé toutes les modalités applicables du programme. Il a décidé de faire participer les agents d’exécution au fonctionnement quotidien du programme. En vertu de la LPCA et des accords conclus par le défendeur, le ministre savait qu’en cas de défaut, il serait tenu de payer les sommes dues si les agents d’exécution lui en faisaient la demande. Par conséquent, les droits de subrogation du ministre ont pris naissance dès lors qu’il y a eu défaut de remboursement des prêts, et non lorsque le ministre a fait un quelconque paiement aux agents d’exécution. Corollairement, la demande de recouvrement a été déposée en retard étant donné que le défaut est survenu bien avant la période de six ans prescrite par la loi du Manitoba.

[21]  Le défendeur affirme que les renvois aux droits de subrogation du ministre dans les accords qu’il a signés ne sont qu’un [traduction] « simple verbiage procédural » sur lequel il n’avait absolument aucun contrôle. Le ministre n’était pas partie aux contrats que le défendeur a signés; les parties contractantes, à savoir la MLCA, la CLAA et la CCB, ont choisi de ne pas exercer leurs droits de demander un recouvrement auprès du défendeur. Elles ont plutôt choisi de demander un remboursement au ministre. Cela ne peut pas avoir pour effet de créer une clause de prescription entièrement ouverte, au détriment du défendeur.

[22]  À titre subsidiaire, le défendeur soutient que les droits de subrogation prennent naissance lorsque le ministre est subrogé dans les droits des agents d’exécution, et non lorsque le ministre décide de faire un paiement à la suite d’une demande d’un de ces derniers. Selon cette interprétation des accords, les droits de subrogation du ministre prennent naissance dès lors que l’obligation de paiement s’applique, et au plus tard lorsque la demande de paiement est faite, plutôt qu’à la date où le paiement est effectivement versé. Interpréter les accords autrement revient à conférer au ministre le droit absolu de proroger unilatéralement les délais applicables, au détriment du défendeur.

[23]  Le défendeur soutient également que la subrogation est un recours en equity et que, comme les droits du ministre sont les mêmes que ceux des agents d’exécution, le délai de prescription doit commencer à courir au même moment pour les deux. Comme l’indique le défendeur dans ses observations écrites, [traduction] « inférer le contraire serait manifestement injuste pour tous les producteurs et favoriserait une conduite répréhensible de la part du gouvernement [...] ». Le défendeur fait valoir que le ministre ne devrait pas être autorisé à intenter une action maintenant pour recouvrer des dettes impayées depuis le 1er octobre 2010 et le 6 avril 2011, car il ne se présente pas devant la Cour avec [traduction] « une attitude irréprochable ». Il n’est pas logique que le ministre puisse intenter cette action dans les six ans suivant le versement des paiements aux agents d’exécution, puisque cela signifie qu’il peut unilatéralement proroger le délai en retardant le paiement aux agents.

[24]  Le point de départ de l’analyse est les accords signés par le défendeur, qui intègrent ou reflètent certaines des dispositions de la loi habilitante, la LPCA. Dans un sens, ces accords peuvent être considérés comme des « transactions commerciales ordinaires », qui permettent aux agriculteurs d’obtenir des avances pour leur bétail ou leur récolte qu’ils doivent rembourser à la fin de la saison de croissance, une fois ceux-ci vendus sur le marché. En réalité, ces accords vont bien plus loin – il s’agit du moyen qu’a choisi le gouvernement pour atteindre les objectifs de son programme, conformément aux dispositions de la loi adoptée à cette fin par le législateur, à savoir la LPCA. À ce titre, ces accords prennent l’aspect d’un mécanisme d’exécution de programmes, dont les modalités sont fixées en partie par la loi.

[25]  Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que toutes les modalités essentielles en cause en l’espèce ont été fixées par le gouvernement. Je conviens également que le gouvernement a fait le choix de mettre en œuvre ce programme en faisant appel à des organismes tiers qu’il a désignés pour agir au quotidien comme agents d’exécution du programme de paiements anticipés. Je ne suis toutefois pas convaincu que, pour cette raison, la demanderesse et les agents d’exécution ne représentent qu’[traduction] « une seule et même entité » aux fins de la présente demande. La LPCA et les accords signés par le défendeur indiquent clairement que les accords conclus lient le producteur (en l’espèce, le défendeur) et les agents d’exécution. Bien que les agents d’exécution agissent au nom du ministre, cela ne signifie pas, en soi, qu’il y a fusion juridique entre eux. Comme le fait remarquer la demanderesse, les agents d’exécution ont des droits légaux distincts de ceux du ministre; en outre, la loi qui a créé la CCB indique expressément que celle‑ci n’est ni mandataire de Sa Majesté ni une société d’État (paragraphe 4(2) de la Loi sur la Commission canadienne du blé, LRC 1985, c C­24).

[26]  Je conclus que, tout au long de la période visée par les questions en litige en l’espèce, la demanderesse, la MCLA, la CLAA et la CCB étaient des entités distinctes et indépendantes; cette conclusion est confirmée par les dispositions législatives applicables et est conforme aux accords signés par le défendeur.

[27]  Le droit d’action de la demanderesse en l’espèce découle de l’application de la LPCA; il s’agit d’une demande de recouvrement fondée sur la loi, et non sur un contrat. Les dispositions applicables de la loi, en particulier les droits de subrogation du ministre, sont reflétées dans les accords signés par le défendeur, mais cela n’a pas pour effet d’en modifier la nature essentielle. Je n’accepte pas l’allégation du défendeur selon laquelle les demandes de cette nature doivent être interprétées comme des réclamations contractuelles ou des réclamations en equity. J’examinerai l’argument de l’[traduction] « attitude irréprochable » plus loin.

[28]  J’estime que les accords et la LPCA sont cohérents et clairs : le droit du ministre d’intenter une action en recouvrement d’une créance ne peut être exercé que lorsque certaines conditions sont remplies. Premièrement, le producteur doit être en défaut de paiement (article 22 de la LPCA). Deuxièmement, l’agent d’exécution doit avoir présenté au ministre une demande de paiement correspondant au montant prévu par la loi et le règlement (paragraphe 23(1) de la LPCA). Troisièmement, le ministre doit avoir effectué un paiement à l’agent d’exécution conformément à la demande faite en ce sens (paragraphes 23(1) et (1.1) de la LPCA). Ce n’est qu’une fois ces conditions réunies que le ministre est subrogé dans les droits de l’agent d’exécution (paragraphe 23(2) de la LPCA). Le cas échéant, le producteur est redevable au ministre du montant imputé par subrogation (paragraphe 23(3) de la LPCA). C’est à ce moment‑là que le délai de prescription commence à courir, sous réserve des autres dispositions relatives aux délais prescrits aux paragraphes 23(6) à (9) de la LPCA.

[29]  Les principaux éléments de ce régime sont reflétés dans les accords, qui comprennent plusieurs renvois aux droits de subrogation du ministre en cas de défaut. Le défendeur a signé ces accords, tout comme les ententes de sursis à la mise en défaut subséquentes. Même en appliquant à ceux-ci la règle contra preferentum, je ne vois pas en quoi cette règle étaye l’argument du défendeur. En vertu de la LPCA et des accords, le producteur doit présenter une demande de fonds à un agent d’exécution du programme de paiements anticipés – il s’agit précisément de ce que le défendeur reconnaît avoir fait en l’espèce. Les fonds ont été avancés, ce qui a eu pour effet d’imposer au défendeur une obligation contractuelle envers la MCLA, la CLAA et la CCB, en tant qu’agents d’exécution du programme. Les modalités de cette obligation sont énoncées en détail dans les accords, y compris l’obligation relative aux intérêts et le taux d’intérêt à payer. Les ententes de sursis à la mise en défaut modifient quelque peu ces modalités, en réduisant le taux d’intérêt et en ajustant les périodes de paiement, mais elles n’altèrent pas la nature fondamentale des accords – en fait, elles confirment que les accords sont intervenus entre le défendeur, d’une part, et la MCLA ou la CLAA, d’autre part.

[30]  Il n’est tout simplement pas possible d’interpréter ces accords, ou cette loi, comme ayant pour effet de conférer au ministre une position ou un intérêt juridique identique à celui des agents d’exécution. Ils ne sont pas et n’ont jamais été [traduction] « une seule et même entité ». L’argument du défendeur à ce sujet doit être rejeté, puisqu’il va à l’encontre des modalités clairement énoncées des accords et de la loi qui régit ces derniers. Par exemple, le défendeur invoque le paragraphe « m » de l’accord conclu avec la CCB, mais d’après la simple lecture de cette clause, il est clair qu’en cas de défaut, le producteur a l’obligation de rembourser les fonds qui lui ont été avancés. Le fait que les fonds proviennent du gouvernement, dont la responsabilité revient au ministre, et qu’ils ont été versés au producteur par l’entremise de l’agent d’exécution n’a aucunement pour effet de fusionner les droits et les intérêts du ministre avec ceux de l’agent d’exécution. Le ministre ne dispose pas du droit automatique et indépendant de demander le recouvrement des fonds. En vertu des accords et de la LPCA, les droits du ministre ne prennent naissance que lorsque les conditions préalables énoncées précédemment sont réunies.

[31]  Par conséquent, je rejette l’argument selon lequel les accords et la LPCA doivent être interprétés et appliqués comme si le ministre et les agents d’exécution formaient [traduction] « une seule et même entité ». Ce rejet repose sur plusieurs conclusions.

[32]  D’abord, les droits de subrogation du ministre n’ont pas pris naissance lorsque le défendeur s’est retrouvé en défaut relativement aux accords. Les modalités des accords étaient assujetties aux dispositions de la LPCA, qui énonce les conditions préalables en vertu desquelles les droits de subrogation du ministre prennent naissance. Toute interprétation voulant que ces droits prennent naissance dès lors qu’il y a manquement à une obligation envers l’agent d’exécution est incompatible avec les modalités des accords et le régime de la LPCA.

[33]  En outre, l’argument selon lequel il est injuste ou inéquitable pour le défendeur d’interpréter la LPCA comme conférant au ministre le droit « absolu » de proroger unilatéralement le délai de prescription est sans fondement, tant au regard des faits que du droit. En l’espèce, le ministre cherche à faire respecter une obligation qui découle de l’application de la LPCA, et le défendeur n’a pas démontré qu’il a subi une injustice ou un préjudice indu au cours de la période comprise entre son défaut initial relativement aux accords, ou aux ententes subséquentes qu’il a conclues, et l’introduction de la présente instance. Sans me prononcer sur la question de savoir si ces arguments pourraient avoir une incidence sur l’application de la loi ou des modalités des accords si un retard indu était prouvé, je ferai simplement observer que ces arguments devraient reposer sur un fondement factuel solide. Aucun fondement de ce genre n’a été établi ici.

[34]  Par conséquent, je rejette l’argument du défendeur selon lequel les renvois aux droits du ministre ne sont qu’un [traduction] « simple verbiage procédural » ou que le ministre ne se présente pas devant la Cour avec [traduction] « une attitude irréprochable ».

[35]  Pour tous ces motifs, je conclus que les demandes de recouvrement de la demanderesse ne sont pas prescrites par application de la loi manitobaine en matière de prescription. Le ministre a agi dans les délais fixés au paragraphe 23(4) de la LPCA, et cette disposition est celle qui régit la présente instance.

B.  Y a-t-il lieu de rendre un jugement sommaire en faveur de la demanderesse?

[36]  En plus de l’argument de la prescription examiné précédemment, le défendeur a avancé plusieurs arguments contre le prononcé d’un jugement sommaire en faveur de la demanderesse. Le défendeur soutient que rien dans le dossier ne démontre que les paiements lui ont effectivement été versés. Là encore, j’examinerai brièvement cet argument. Le défendeur n’a présenté aucun élément de preuve à l’appui de cette allégation, et celle-ci va à l’encontre de la preuve et des aveux consignés au dossier. La demanderesse a présenté des copies des demandes présentées par le défendeur, ainsi que des documents opérationnels démontrant les paiements qui ont été versés aux agents d’exécution après que ces derniers en aient fait la demande au gouvernement. Dans sa défense, le défendeur a admis avoir manqué à ses obligations en ce qui concerne ces sommes. De plus, le défendeur a signé des ententes subséquentes avec la MCLA et la CLAA, dans lesquelles il a reconnu ses obligations et a consenti à rembourser les sommes dues, compte tenu des modifications apportées au taux d’intérêt et aux dates d’échéance des différents paiements. Tout cela concorde avec la seule conclusion logique qui puisse être tirée au vu de la preuve au dossier, à savoir que les sommes ont été versées comme convenu.

[37]  Dans une requête en jugement sommaire, il incombe aux deux parties de présenter leurs meilleurs arguments. Plus particulièrement, l’article 214 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, précise que le défendeur ne peut simplement formuler des affirmations quant à ce que la preuve à l’instruction permettra de démontrer; la règle exige plutôt que le défendeur énonce les faits précis et produise les éléments de preuve démontrant l’existence d’une véritable question litigieuse : voir Moroccanoil Israel Ltd c Lipton, 2013 CF 667, au par. 10.

[38]  Je ne vois rien dans le dossier qui me permette de douter sérieusement de l’affirmation selon laquelle les paiements ont été effectués; j’y trouve plutôt une preuve substantielle, dont la conduite constante du défendeur, qui appuie la conclusion que les fonds ont effectivement été avancés à ce dernier. Je rejette l’argument du défendeur sur ce point.

[39]  D’après la preuve par affidavit déposée par la demanderesse, je suis convaincu que cette dernière a démontré que les paiements anticipés ont été versés et que le défendeur est en défaut. La preuve démontre également qu’une demande de paiement a été présentée par la demanderesse, mais que les sommes demeurent impayées. Au vu de la preuve au dossier, je ne vois aucune raison de refuser de rendre un jugement sommaire en faveur de la demanderesse.

V.  Conclusion

[40]  Je conclus que la demanderesse a établi le bien-fondé de sa requête en jugement sommaire et qu’il n’y a aucune preuve convaincante ni aucun argument m’empêchant de prononcer un jugement sommaire en sa faveur. Par conséquent, je rends un jugement sommaire en faveur de la demanderesse.

[41]  Dans ses observations écrites et l’affidavit de Glenda Probert déposés à l’appui de la présente requête, la demanderesse cherche à obtenir un jugement pour la somme de 777 427,27 $. Cette somme comprend les créances envers le ministre, y compris le capital et les intérêts exigibles (calculés en date du 8 avril 2019) à l’égard du défaut du défendeur relativement aux paiements anticipés no 1, no 2 et no 3, moins les paiements déjà effectués, ainsi que les intérêts. Cela représente pour les paiements anticipés no 1, no 2 et no 3 une somme de 608 404,64 $, de 92 848,00 $ et de 76 174,63 $, respectivement. De plus, la demanderesse demande que des intérêts antérieurs au jugement soient calculés pour les paiements anticipés no 1, no 2 et no 3 à un taux quotidien de 115,85 $, de 13,23 $ et de 14,50 $, respectivement, à compter du 8 avril 2019 jusqu’à la date du présent jugement.

[42]  La demanderesse réclame également des dépens de 1 237,33 $, y compris les débours et les honoraires des avocats, calculés conformément au tarif B. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles, j’estime raisonnable cette adjudication des dépens. Enfin, la demanderesse soutient que les intérêts postérieurs au jugement devraient être fixés à un taux de 5 % par année, à compter de la date du jugement, conformément à la Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c I-15.

[43]  Pour les motifs énoncés ci-dessus, la demanderesse a droit à la réparation demandée, notamment un jugement pour la somme de 777 427,27 $ et des intérêts avant et après jugement, de même que les dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-1147-18

LA COUR STATUE que :

  1. La requête en jugement sommaire est accueillie en faveur de la demanderesse;

  2. Le défendeur doit verser à la demanderesse la somme de 777 427,27 $, qui comprend :

    1. La somme de 608 404,64 $ en lien avec le paiement anticipé no 1;

    2. La somme de 92 848,00 $ en lien avec le paiement anticipé no 2;

    3. La somme de 76 174,63 $ en lien avec le paiement anticipé no 3;

  3. Le défendeur doit verser à la demanderesse des intérêts antérieurs au jugement pour les paiements anticipés no 1, no 2 et no 3, calculés à un taux quotidien de 115,85 $, de 13,23 $ et de 14,50 $, respectivement, à compter du 8 avril 2019 jusqu’à la date du présent jugement;

  4. Le défendeur doit payer à la demanderesse les dépens et les débours fixés à 1 237,33 $;

  5. Le défendeur doit verser à la demanderesse des intérêts postérieurs au jugement à un taux de cinq (5) pour cent par an, conformément à la Loi sur l’intérêt.

« William F. Pentney »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de février 2020.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1147-18

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA c GARNET ALEXANDER HARMAN

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PENTNEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 14 JANVIER 2020

COMPARUTIONS :

Don Klaassen

POUR LA DEMANDERESSE

William R. Howe

Tarissa L. Peterson

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LA DEMANDERESSE

Linka Howe Peterson Law Offices

Avocats

Regina (Saskatchewan)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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