Dossier : IMM‑1907‑19
Référence : 2020 CF 33
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2020
En présence de madame la juge Simpson
ENTRE :
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Gurpreet Kaur GILL
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
(Prononcés oralement à l’audience à Toronto (Ontario), le 10 décembre 2019)
[1]
La présente demande de contrôle judiciaire concerne une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en date du 1er mars 2019, [la décision] dans laquelle le commissaire a rejeté l’appel de la demanderesse pour défaut de compétence parce que la demanderesse avait déposé une demande de résidence permanente alors qu’il lui était interdit de le faire en raison de fausses déclarations. Cette demande de contrôle judiciaire est présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
I.
Contexte
[2]
La demanderesse a présenté une demande en vue de parrainer son époux, Amandeep Singh Aujla [le mari] à titre de résident permanent, et la demande a été présentée en juin 2016 [la demande de parrainage].
[3]
Toutefois, le 18 novembre 2015, le mari avait été déclaré interdit de territoire pour fausses déclarations parce qu’il avait présenté des documents bancaires frauduleux à l’appui d’une demande de visa de résident temporaire.
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Le 31 mars 2017, un agent d’immigration [l’agent] a refusé la demande de parrainage pour deux raisons. Premièrement, il n’était pas convaincu que la demanderesse et son mari avaient contracté un mariage authentique qui n’avait pas été organisé principalement à des fins d’immigration et, deuxièmement, il a conclu que le mari n’était pas admissible à présenter une demande de résidence permanente pour une période de cinq ans à compter du 18 novembre 2015.
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La demanderesse a interjeté appel de la décision de l’agent devant la SAI.
II.
Décision
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La SAI a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour instruire l’appel de la décision de l’agent de refuser la demande de parrainage parce que le mari était interdit de territoire pour fausses déclarations en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, et parce que le paragraphe 40(3) de la LIPR s’appliquait. Voici ce qu’on peut y lire :
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La SAI a déclaré à juste titre que la Cour fédérale n’a pas rendu de décisions traitant de l’incidence du paragraphe 40(3) sur le droit d’interjeter appel devant la SAI. Elle a donc renvoyé à quatre de ses décisions qui traitent de la question, reconnaissant que même si elles ne la lient pas, elles fournissent une orientation. Il s’agit de Lefter c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CanLII 10743 (CA CISR), Keays c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CanLII 54764 (CA CISR), Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CanLII 102071 (CA CISR), et Josefina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CanLII 136419 (CA CISR) (appelée Delos Reyes dans la décision). Dans ces quatre décisions, la SAI conclut que lorsque l’interdiction de territoire pour fausses déclarations est antérieure à la demande de résidence permanente, comme en l’espèce, la SAI n’a pas compétence pour instruire l’appel du refus de la demande de parrainage par un agent.
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Dans Lefter et Dhillon, la SAI a fait observer que, nonobstant le paragraphe 40(3), si un agent rend une décision au sujet d’une demande de parrainage, la SAI a normalement compétence en appel. Toutefois, dans la décision, la SAI a noté que ces déclarations constituaient une opinion incidente parce que, dans aucune de ces affaires, l’agent n’avait rendu de décision.
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La SAI a donc conclu que les quatre décisions appuient une conclusion selon laquelle la SAI n’a pas compétence pour examiner un appel lorsque le paragraphe 40(3) s’applique, même quand, comme en l’espèce, un agent a rendu une décision sur une demande de résidence permanente.
[10]
Pour appuyer sa conclusion, la SAI a examiné la LIPR et son Règlement et a conclu que le fait qu’un agent d’immigration rend une décision au sujet d’une demande de résidence permanente qui n’aurait pas dû être présentée ne crée pas un droit d’appel devant la SAI.
[11]
La SAI a conclu ce qui suit :
Le paragraphe 40(3) de la LIPR prévoit qu’un demandeur parrainé qui est interdit de territoire pour fausses déclarations ne peut pas présenter de demande pour obtenir le statut de résident permanent pendant la période de cinq ans prescrite à l’alinéa 40(2)a).
Le dépôt d’une demande de parrainage après que l’époux a été frappé d’une interdiction en vertu du paragraphe 40(3) n’est pas fait en conformité avec paragraphe 10(1) du Règlement, puisque la demande de parrainage ne comprend pas une demande de résidence permanente valide.
Le paragraphe 10(6) du Règlement s’applique alors. Il est rédigé comme suit : « Pour l’application du paragraphe 63(1) de la Loi, la demande de parrainage qui n’est pas faite en conformité avec le paragraphe (1) est réputée non déposée. »
Par ailleurs, l’article 12 du Règlement exige que l’agent retourne la demande de résidence permanente en cas de non‑conformité.
De plus, suivant le paragraphe 15(1) de la LIPR, l’agent d’immigration peut procéder au contrôle d’une demande de parrainage uniquement si elle est soumise à l’agent en conformité avec la LIPR.
Conclusion de la SAI : lorsque le paragraphe 40(3) s’applique durant la période d’exclusion de cinq ans, le demandeur n’est pas autorisé à présenter une demande de résidence permanente. Cela signifie qu’une demande de résidence permanente déposée au cours de cette période n’est pas faite conformément à la LIPR et, par conséquent, qu’un agent ne peut pas procéder à un examen de la demande de résidence permanente de cette personne.
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Enfin, la SAI a examiné le Bulletin opérationnel 595 [BO 595]. Voici ce qu’on peut y lire :
En vertu du nouveau paragraphe 40(3), une personne ne peut dorénavant pas présenter une demande de résidence permanente pendant la même période que celle de l’interdiction de territoire pour motif de fausses déclarations. Par conséquent, toute demande de résidence permanente présentée par un étranger interdit de territoire en vertu de l’article 40 qui est reçue pendant la période d’interdiction de territoire de cinq ans doit être retournée au demandeur accompagnée des frais, car elle ne sera pas examinée.
[13]
La SAI a finalement conclu qu’en raison des décisions de la SAI, du paragraphe 40(3) de la LIPR et du BO 595, la SAI n’avait pas compétence pour instruire l’appel.
III.
Questions en litige
[14]
Étant donné que la présente demande concerne une demande de parrainage qui a été soumise après l’établissement de la période d’exclusion de cinq ans pour fausses déclarations et a été tranchée par un agent dans ce contexte, je ne traiterai que des questions soulevées par ces faits.
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Vu ce contexte, les questions en litige sont les suivantes :
Les déclarations de la SAI dans Lefter et Dhillon aident‑elles le demandeur?
La SAI s’est‑elle trop appuyée sur le BO 595?
La SAI a‑t‑elle mal interprété le paragraphe 15(1) de la LIPR et le paragraphe 10(6) du Règlement?
J’examinerai ces questions une à une.
IV.
Lefter et Dhillon
[16]
Il ressort clairement du libellé utilisé par la SAI dans ces décisions que ses déclarations constituaient une opinion incidente. Cela étant, et comme j’estime qu’une demande déposée en contravention du paragraphe 40(3) est nulle de nullité absolue, je ne suis pas convaincue que, simplement parce qu’un agent rend une telle décision par erreur, sa décision erronée donne vie à la demande et crée un droit d’appel.
V.
BO 595
[17]
À mon avis, la SAI a examiné ce bulletin pour voir s’il étayait la décision qu’elle a également rendue en fonction de ses décisions antérieures et du libellé du paragraphe 40(3). Cette interprétation du bulletin était raisonnable.
VI.
Paragraphe 15(1) de la LIPR et paragraphe 10(6) du Règlement
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Ces dispositions sont libellées comme suit :
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À mon avis, ces dispositions portent sur deux questions différentes. Les termes « en conformité avec »
semblent traiter de questions de forme et de contenu et, par conséquent, je ne suis pas convaincue qu’il était raisonnable de la part de la SAI de conclure que les paragraphes 10(1) et 10(6) du Règlement étaient utiles pour rendre sa décision.
[20]
Toutefois, à mon avis, cette erreur n’était pas importante. Le paragraphe 15(1) parle des demandes faites « au titre de la présente loi »
et, par conséquent, la SAI a raisonnablement tenu compte de cette disposition dans son analyse parce qu’il ressort clairement du paragraphe 40(3) que la demande de parrainage n’a pas été faite au titre de la Loi.
VII.
Conclusion
[21]
Le paragraphe 40(3) est déterminant. La demande de parrainage était nulle, tout comme la décision de l’agent. Par conséquent, la SAI n’avait aucune décision valide à contrôler et il était raisonnable qu’elle conclue dans ces circonstances qu’elle n’avait pas compétence.
VIII.
Certification
[22]
Aucune question n’a été proposée pour certification en vue d’un appel.
JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑1907‑19
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été soulevée aux fins de certification.
« Sandra J. Simpson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 21e jour de janvier 2020
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑1907‑19
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INTITULÉ :
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GURPREET SINGH GILL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 10 décembre 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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la juge SIMPSON
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DATE DES MOTIFS :
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le 13 janvier 2020
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COMPARUTIONS :
Stephen W. Green
Alexandra Cole
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Pour la demanderesse
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Hilary Adams
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Pour la défenderesse
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Green and Spiegel LLP
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour la demanderesse
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour la défenderesse
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