Date : 20040819
Dossier : IMM-2039-03
Référence : 2004 CF 1154
Toronto (Ontario), le 19 août 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY
ENTRE :
JOSE JOAQUIM DA SILVA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Da Silva demande le contrôle judiciaire d'une décision qu'a rendue une agente d'exécution en matière d'immigration en date du 25 mars 2003. Dans cette décision, l'agente a rejeté la demande du demandeur visant à faire surseoir à son renvoi jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue sur la demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires qu'il a faite à partir du Canada (la demande CH). Une requête visant à faire surseoir à la mesure de renvoi a été rejetée le 26 mars 2003 et M. Da Silva a été renvoyé au Portugal le même jour. Il s'agissait de son troisième renvoi du Canada en raison de nombreuses déclarations de culpabilité criminelles.
[2] Le défendeur a présenté une requête visant à faire rejeter la demande au motif que celle-ci est maintenant devenue théorique en raison du renvoi du demandeur du Canada et du fait que sa demande CH a été rejetée dans l'intervalle. En conséquence, il n'y a plus de litige actuel entre les parties. Le demandeur prétend qu'il y a toujours un litige actuel parce qu'il a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue sur sa demande CH.
[3] Subsidiairement, le demandeur soutient que même si la Cour devait conclure que l'affaire est maintenant devenue théorique, je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire me permettant de me prononcer sur le fond de l'affaire.
[4] Il est important de souligner qu'en l'espèce, on conteste non pas la légitimité de la mesure de renvoi elle-même, mais uniquement la décision qu'a prise l'agente quant au moment où il convenait d'appliquer la mesure de renvoi, en n'exerçant pas son pouvoir discrétionnaire limité lui permettant de surseoir au renvoi.
[5] Appliquant le premier volet du critère à deux volets énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, je conclus que le litige entre les parties est théorique. Dans l'arrêt Borowski, précité, le juge Sopinka a écrit à la page 353 :
La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer. J'examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d'exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.
La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire. La jurisprudence n'indique pas toujours très clairement si le mot « théorique » (moot) s'applique aux affaires qui ne comportent pas de litige concret ou s'il s'applique seulement à celles de ces affaires que le tribunal refuse d'entendre. Pour être précis, je considère qu'une affaire est « théorique » si elle ne répond pas au critère du « litige actuel » . Un tribunal peut de toute façon choisir de juger une question théorique s'il estime que les circonstances le justifient.
[6] Le différend concret et tangible entre les parties en l'espèce a disparu, c'est-à-dire la question de savoir si l'agente a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire limité lorsqu'elle a décidé de ne pas surseoir au renvoi du demandeur jusqu'à ce qu'il ait reçu une décision sur sa demande CH. Cette question est maintenant devenue théorique, étant donné que le demandeur a été renvoyé du Canada. De plus, la raison pour laquelle le sursis a été demandé n'existe plus puisque la décision relative à la demande CH a été rendue. Le fait que le demandeur ait présenté une demande de contrôle judiciaire à l'égard de cette décision ne suffit pas, à mon avis, pour faire en sorte que le présent litige conserve son caractère actuel.
[7] Le deuxième volet du critère énoncé dans l'arrêt Borowski, précité, consiste pour la Cour à déterminer si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire lui permettant d'entendre et de trancher la demande de contrôle judiciaire, même si celle-ci est théorique. La Cour suprême du Canada a énoncé certains facteurs à prendre en compte lorsqu'il s'agit de décider si une affaire théorique doit quand même être entendue, facteurs tels : (1) la question de savoir s'il y a toujours un débat contradictoire entre les parties; (2) la question de savoir s'il est justifié de consacrer des ressources judiciaires pour entendre et juger l'affaire.
[8] Compte tenu des facteurs susmentionnés, j'estime qu'il n'y a pas lieu en l'espèce d'exercer mon pouvoir discrétionnaire me permettant de trancher une demande par ailleurs théorique. Le débat contradictoire relativement à la décision contestée n'est plus apparent. Je ne vois aucune « conséquence accessoire » à la solution du présent contrôle judiciaire qui constituerait pour le demandeur une façon de faire subsister le débat contradictoire entre le ministre et lui : voir Borowski, précité, à la page 359. Le fait qu'une affaire théorique puisse avoir des « conséquences accessoires » pour le demandeur a été analysé dans une affaire en matière d'immigration, Ramoutar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 3 C.F. 370 (1re inst.). Dans cette décision, le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour d'appel fédérale) a dit au paragraphe 14 :
Dans la présente affaire, une décision qui porte gravement préjudice au requérant figure maintenant dans le dossier d'immigration de ce dernier. Cette décision pourrait avoir un effet négatif sur le requérant dans toute action qu'il pourrait vouloir intenter ultérieurement sous le régime des lois d'immigration du Canada [...] Il se peut fort bien que cette décision ait une incidence sur le succès de la demande du requérant. Dans ces circonstances, une décision fondée sur la mauvaise norme de preuve, et rendue sans faire bénéficier le requérant de l'équité procédurale, serait susceptible de porter préjudice au requérant à l'avenir.
[9] À mon avis, la décision de ne pas surseoir au renvoi du demandeur n'est pas préjudiciable à un point tel qu'elle a un effet négatif sur les procédures en matière d'immigration que celui-ci pourrait vouloir intenter ultérieurement. D'autres actions du demandeur - qui n'ont rien à voir avec la décision faisant l'objet du présent contrôle -, comme le fait d'être à deux reprises revenu au Canada sans obtenir l'autorisation nécessaire, ce qui a donné lieu à deux renvois antérieurs du pays, et le fait d'avoir un casier judiciaire chargé au Canada, ont déjà porté un tel préjudice à son dossier d'immigration. De plus, il n'est pas justifié de consacrer des ressources judiciaires pour trancher la demande théorique en l'espèce.
[10] En conséquence, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire est théorique, et je ne trancherai pas l'affaire au fond. La présente demande est donc rejetée. Aucune question n'ayant été proposée aux fins de certification, aucune question ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.
« Richard G. Mosley »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2039-03
INTITULÉ : JOSE JOAQUIM DA SILVA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE : LE 19 AOÛT 2004
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE MOSLEY
DATE DES MOTIFS : LE 19 AOÛT 2004
COMPARUTIONS :
Wennie Lee POUR LE DEMANDEUR
Mielka Visnic POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Le cabinet d'avocat de Lennie Lee POUR LE DEMANDEUR
North York (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE
Date : 20040819
Dossier : IMM-2039-03
ENTRE :
JOSE JOAQUIM DA SILVA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE