Dossier : T‑29‑19
Référence : 2020 CF 28
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2020
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE :
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GARY EUNICK
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1] En 2004, le demandeur, Gary Eunick, a été reconnu coupable de meurtre au premier degré et de tentative de meurtre, et il a commencé à purger sa peine d’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans à l’Établissement de Beaver Creek, un établissement à sécurité moyenne [EBC‑MOY]. M. Eunick et un complice ont été déclarés coupables d’avoir tiré à de nombreuses reprises sur deux co‑propriétaires de bar, dont l’un est décédé de ses blessures par balle, après avoir été refusés d’entrée à une fête privée tenue dans ce bar en 2002. Les appels de M. Eunick concernant sa déclaration de culpabilité et sa peine ont été rejetés; il continue néanmoins de nier toute participation aux infractions.
[2] En juillet 2017, M. Eunick a demandé un transfèrement sollicité de l’EBC‑MOY à l’Établissement de Joyceville, un établissement à sécurité minimale [EJ‑MIN], conformément à l’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1922, c 20 [LSCMLC] et à l’article 15 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 [RSCMLC].
[3] Le même mois, dans le cadre de la demande de transfèrement, l’équipe de gestion de cas [EGC] de M. Eunick, composée de ce dernier, de son agent de libération conditionnelle par intérim et d’un agent de correction, a préparé une Évaluation en vue d’une décision [ED] pour recommander de faire passer sa cote de sécurité [CS] de moyen à minimal et pour approuver le transfèrement, étant donné l’absence de maintien de lien avec un groupe menaçant la sécurité [GMS ou gang], l’amélioration de sa conduite en établissement, l’absence de préoccupations de la direction à son endroit au cours des dernières années, l’évitement d’incidents et le respect continu de son plan correctionnel. En réalité, cela signifiait maintenir l’évaluation de son adaptation à l’établissement [AE] comme faible et réévaluer ses cotes de risque d’évasion [RE] et de risque pour la sécurité publique [RSP] pour les faire passer de modérées à faibles.
[4] Toutefois, le 3 août 2017, le gestionnaire des interventions et de l’évaluation [GIE] a recommandé que la CS de M. Eunick demeure à un niveau moyen et que sa demande de transfèrement soit refusée au motif qu’il a continué de poser un RE modéré en raison de l’imprévisibilité [perçue] de sa réaction à un contrôle judiciaire en instance concernant son délai d’admissibilité à la libération conditionnelle, et un RSP modéré fondé sur son déni continu des infractions sous‑jacentes ainsi que sur le maintien de son affiliation [mal interprétée] à un GMS ou un gang. Le même jour, le Comité d’intervention correctionnelle [CIC] a accepté la recommandation du GIE et a transmis le dossier au directeur de l’EBC‑MOY [directeur]. Le directeur a adopté la recommandation du CIC et a rejeté la demande de transfèrement de M. Eunick. M. Eunick a interjeté appel du refus concernant sa CS et son transfèrement conformément à la procédure interne de règlement des griefs prévue aux articles 74 à 82 du RSCMLC. Le 28 novembre 2018, son dernier grief [au troisième palier] a été rejeté par le conseiller spécial du commissaire du Service correctionnel du Canada [SCC] [le conseiller spécial] dans la réponse définitive au grief du délinquant [la décision relative au grief].
[5] M. Eunick sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision relative au grief conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. Bien que le conseiller spécial mentionne et adopte parfois les décisions des instances inférieures, c’est la décision relative au grief elle‑même qui fait l’objet du présent examen : Thompson c Canada (Service correctionnel du Canada), 2018 CF 40, par. 18-16. M. Eunick demande également les dépens relatifs à la demande conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.
[6] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Décision relative au grief faisant l’objet du contrôle
[7]
Le conseiller spécial a résumé la justification du CIC pour la CS moyenne, en particulier sa décision sur les cotes relatives au RE et au RSP de M. Eunick et les observations de M. Eunick sur ces points. Constatant que la cote relative à l’AE de M. Eunick était déjà faible, le conseiller spécial s’est concentré uniquement sur ses cotes de RE et de RSP, en plus de tenir compte de l’affirmation de M. Eunick selon laquelle les commentaires fournis par l’EJ‑MIN ne tenaient pas compte de son plan correctionnel mis à jour, influençant ainsi indûment la décision du directeur et, par conséquent, la décision relative au grief.
Évaluation du risque d’évasion
[8]
Se fondant sur l’annexe B des directives du commissaire [DC] 710‑6 du 23 janvier 2017, le conseiller spécial a constaté qu’un RE modéré comprend quelqu’un « qui présente un risque réel d’évasion s’il est hébergé dans un établissement sans mur ou clôture périmétrique »
. Reconnaissant que l’EGC, le GIE et le CIC s’entendent pour dire qu’il n’a démontré aucun comportement d’évasion depuis son arrivée à l’EBC‑MOY et qu’aucune preuve ne laisse croire que M. Eunick souffre d’un trouble de santé mentale aigu pouvant constituer une contre‑indication à un transfèrement, le conseiller spécial a fait remarquer que l’EGC et le GIE ont conclu que la proximité de la date d’admissibilité à la semi‑liberté de M. Eunick (dans sept ans) était préoccupante, vu ses antécédents de manquements et sa condamnation antérieure pour défaut de se conformer à un engagement. Le conseiller spécial a également souligné que l’EGC et le GIE ont conclu que le contrôle judiciaire en instance de M. Eunick [de sa peine d’emprisonnement à perpétuité aux termes de l’article 745.6 du Code criminel afin de demander une réduction du nombre d’années préalable à sa libération conditionnelle] pourrait [traduction] « influencer considérablement »
son RE, car une décision négative pourrait l’amener à se mettre suffisamment en colère pour s’enfuir d’un établissement à sécurité minimale. Pour cette raison, le conseiller spécial a jugé raisonnable de maintenir le RE de M. Eunick à modéré.
Évaluation des risques pour la sécurité publique
[9]
Se fondant encore une fois sur l’annexe B des DC 710‑6 du 23 janvier 2017, le conseiller spécial a constaté qu’un RSP modéré comprend des situations où le délinquant a fait des progrès dans la prise en compte des facteurs dynamiques ayant contribué à un comportement violent antérieur, mais où le délinquant présente encore un ou plusieurs indicateurs d’un risque modéré et/ou de problèmes modérés. Reconnaissant que M. Eunick avait continué de s’améliorer, le conseiller spécial a constaté que M. Eunick continuait de nier qu’il avait perpétré les infractions à l’origine de la peine et qu’il continuait d’être affilié au même GMS qu’avant les infractions. Le conseiller spécial reconnaît que l’inscription de l’affiliation de M. Eunick à un GMS a été modifiée; cette affiliation n’est donc plus une préoccupation, mais il a néanmoins conclu que le déni continu de M. Eunick à l’égard des infractions à l’origine de la peine était à lui seul suffisant pour maintenir sa cote de RSP modéré.
Commentaires de l’EJ‑MIN
[10]
Reconnaissant que les commentaires de l’EJ‑MIN ont été fournis avant que cet établissement ait reçu la mise à jour du plan correctionnel de M. Eunick, le conseiller spécial a constaté que l’EGC, le GIE, le CIC et le directeur avaient quant à eux tous eu accès au plan correctionnel de M. Eunick mis à jour et a de ce fait tenu compte de son contenu . Par conséquent, les commentaires de l’EJ‑MIN n’ont pas influencé ses conclusions de façon déterminante.
[11]
De façon générale, le conseiller spécial a constaté que la CS de M. Eunick avait été évaluée conformément à l’annexe B de la DC 710‑6 du 23 janvier 2017 et à l’article 18 du RSCMLC. Par conséquent, la CS et le refus de transfèrement ont tous deux été confirmés.
III.
Questions à trancher
[12] La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :
(1)
La Cour est‑elle dûment saisie des allégations de violation de la Charte?
(2)
La décision relative au grief était‑elle équitable sur le plan procédural?
(3)
La décision relative au grief était‑elle raisonnable?
IV.
Dispositions et politiques applicables
[13] Voir l’annexe ci-jointe pour connaître le cadre législatif, réglementaire et politique applicable.
V.
Nouveau cadre pour déterminer et appliquer la norme de contrôle applicable
[14] Le 19 décembre 2019, la Cour suprême du Canada [CSC] a rendu un arrêt fort attendu, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], dans lequel elle a adopté : « un cadre d’analyse révisé permettant de déterminer la norme de contrôle applicable lorsqu’une cour de justice se penche sur le fond d’une décision administrative »
. Ce cadre repose sur « la présomption [réfutable] voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable dans tous les cas »
et la « nécessité d’indications plus précises […] sur l’application appropriée de la norme de contrôle de la décision raisonnable »
: Vavilov, précité, par. 10‑11.
[15] En ce qui concerne le contrôle du caractère raisonnable, la CSC affirme ce qui suit au paragraphe 13 de l’arrêt Vavilov :
Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une approche visant à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif. Il tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs. Toutefois, il ne s’agit pas d’une « simple formalité » ni d’un moyen visant à soustraire les décideurs administratifs à leur obligation de rendre des comptes. Ce type de contrôle demeure rigoureux.
[16] En bref, « [l]orsqu’elle effectue un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour de révision doit tenir compte du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous‑jacent à celle‑ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée. »
: Vavilov, précité, par. 15.
[17] La présomption de l’application de la norme de caractère raisonnable est réfutée dans les situations suivantes résumées dans l’arrêt Vavilov, précité, au paragraphe 69 :
Dans les présents motifs, nous avons relevé cinq situations où se justifie une dérogation à la présomption de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, soit sur le fondement de l’intention du législateur (en l’occurrence, les normes de contrôle établies par voie législative et les mécanismes d’appel prévus par la loi), soit parce que la primauté du droit exige un contrôle selon la norme de la décision correcte (en l’occurrence, les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, ainsi que les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs). […]
[Caractères gras ajoutés.]
[18] En ce qui concerne l’équité procédurale et le caractère raisonnable, la CSC a conclu ce qui suit au paragraphe 81 de l’arrêt Vavilov, précité :
[…] Notre analyse prend donc comme point de départ que, lorsque des motifs sont requis [se reporter par exemple au par. 80(3) du RSCMLC reproduit à l’annexe], ceux‑ci constituent le mécanisme principal par lequel les décideurs administratifs démontrent le caractère raisonnable de leurs décisions, tant aux parties touchées qu’aux cours de révision. En conséquence, la communication des motifs à l’appui d’une décision administrative est susceptible d’avoir des répercussions sur sa légitimité, à la fois au regard de l’équité procédurale et du caractère raisonnable de ceux‑ci sur le fond.
[19] Toute méthode raisonnée de contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse avant tout aux motifs, et la cour de révision « […] doit d’abord examiner les motifs donnés avec une “attention respectueuse” et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [la] conclusion »
: Vavilov, précité, par. 84. Le contrôle en fonction de la norme du caractère raisonnable doit donc être axé sur la décision, y compris le fil de raisonnement du décideur et le résultat de la décision. La cour de révision n’est appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue en tenant compte du raisonnement suivi et du résultat obtenu et elle ne doit pas se livrer à sa propre analyse ni substituer sa propre décision : Vavilov, précité, par. 83. Comme l’a souligné la CSC, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable. […] La cour de justice doit plutôt être convaincue que la lacune ou la déficience […] est suffisamment capitale ou importante pour rendre cette [décision] déraisonnable. »
: Vavilov, précité, par. 100.
[20] La CSC a relevé deux catégories de lacunes fondamentales dont il est utile de tenir compte : « [l]a première est le manque de logique interne du raisonnement »
et « [l]a seconde se présente dans le cas d’une décision indéfendable sous certains rapports compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision »
: Vavilov, précité, par. 101. Autrement dit, pour être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique : Vavilov, précité, par. 102. La CSC a défini une décision raisonnable comme étant une décision « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle [et] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
et a conclu que la cour de justice doit faire « … preuve de déférence envers une telle décision »
: Vavilov, précité, par. 85. La CSC a conclu qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision [...] »
: Vavilov, précité, par. 86 [italiques dans l’original]. La décision doit posséder « les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et [être] justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci : »
Vavilov, précité, par. 99. « [S]i des motifs sont communiqués, mais que ceux‑ci ne justifient pas la décision de manière transparente et intelligible […], la décision sera déraisonnable »
: Vavilov, précité, par. 136. Toutefois, les motifs écrits « ne doivent pas être jugés au regard d’une norme de perfection »
: Vavilov, précité, par. 91. Il faut plutôt « les interpréter de façon globale et contextuelle. L’objectif est justement de comprendre le fondement sur lequel repose la décision »
: Vavilov, précité, par. 97.
[21] En bref, « le contrôle judiciaire porte à la fois sur le résultat et sur le processus »
pour déterminer si la décision contestée était déraisonnable, compte tenu du fil d’analyse [l’analyse était‑elle intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée?] au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, précité, par. 87. Gardant à l’esprit ce cadre et ces principes directeurs, j’entamerai maintenant l’analyse de la décision contestée relative au grief, y compris le raisonnement et le résultat de cette décision.
VI.
Analyse
(1)
La Cour est‑elle dûment saisie des allégations de violation de la Charte?
[22] Si les allégations sont dûment présentées [c.‑à‑d. en temps opportun], la méthode de détermination de la norme de contrôle établie dans l’arrêt Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12, continue de s’appliquer aux allégations de restriction des droits consacrés par la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte] : Vavilov, précité, par. 57. Comme l’a fait remarquer le procureur général et l’a confirmé un examen du dossier certifié du tribunal [DCT] en l’espèce, M. Eunick n’a pas soulevé d’arguments fondés sur la Charte dans ses observations dans le cadre du processus interne de règlement des griefs, y compris devant le conseiller spécial. Dans Forest Ethics Advocacy Association c Canada (Office national de l’énergie), 2014 CAF 245 [Forest Ethics], aux paragraphes 43 à 46, la Cour d’appel fédérale présente un résumé succinct des raisons pour lesquelles les arguments fondés sur la Charte doivent être présentés en premier lieu au niveau administratif :
[43] [...] Le Parlement a confié à l’Office, et non à la Cour, la responsabilité de statuer sur le fond de questions factuelles et juridiques y compris le fond de questions constitutionnelles. Les dossiers de preuve sont constitués devant l’Office, et non devant la Cour. En règle générale, la Cour se limite à contrôler les décisions de l’Office à travers la lentille de la norme de contrôle appropriée en utilisant le dossier de preuve constitué devant l’Office et transmis à la Cour. Voir, à titre général, Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 (CanLII), 428 N.R. 297.
[44] S’il en allait autrement, si les décideurs administratifs pouvaient être court-circuités sur des questions pareilles, ils ne pourraient jamais examiner de telles questions. Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, les décideurs administratifs n’ont pas de pleins droits de participation en qualité de parties ou d’intervenants. Ils ne peuvent pas présenter des observations à la cour de révision en vue d’étayer ou de compléter leurs motifs. Ils sont assujettis à de véritables restrictions quant aux observations qu’ils peuvent formuler. Voir, à titre général, Canada (Procureur général) c Quadrini, 2010 CAF 246 (CanLII), [2012] 2 R.C.F. 3 aux paragraphes 16 et 17. En conséquence, bien souvent, c’est dans leurs motifs qu’ils ont la seule occasion de fournir des renseignements pertinents au regard de la question comme des appréciations factuelles, des éclairages attribuables à leur spécialisation et des considérations au plan des politiques.
[45] Si les décideurs administratifs pouvaient être court-circuités relativement à des questions pareilles, ces appréciations, éclairages et considérations ne parviendraient jamais à la connaissance de la cour de révision, ce qui est très grave en matière constitutionnelle. Les questions constitutionnelles devraient uniquement être tranchées sur le fondement d’un dossier factuel riche et complet : Mackay c Manitoba, 1989 CanLII 26 (CSC), [1989] 2 R.C.S. 357 aux pages 361 à 363. [...]
[46] La Cour suprême a fortement souligné le fait que les questions constitutionnelles devaient d’abord être soumises à un décideur administratif habilité à les entendre : Okwuobi c Commission scolaire Lester-B.-Pearson School Board; Casimir c Québec (Procureur général); Zorrilla c Québec (Procureur général), 2005 CSC 16 (CanLII), [2005] 1 R.C.S. 257 aux paragraphes 38 à 40. Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, un décideur administratif peut entendre et trancher des questions constitutionnelles, les parties ne devraient pas contourner cette compétence en soulevant les questions constitutionnelles pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Il faut respecter la décision du législateur de conférer compétence à l’Office pour trancher de telles questions. [Caractères gras ajoutés.]
Voir aussi la décision Fabrikant c Canada, 2012 CF 1496, par. 11, citant R c Conway, 2010 CSC 22, par. 79.
[23] Par conséquent, M. Eunick aurait dû soulever ses allégations et arguments liés à la Charte dans le cadre de la procédure de grief du SCC, ou à tout le moins devant le conseiller spécial, afin que la Cour puisse bénéficier des connaissances spécialisées et de l’expertise du SCC avant d’examiner les présumées violations de la Charte. Plus fondamentalement, en l’absence d’une décision du conseiller spécial sur ces questions, il n’y a rien que la Cour puisse examiner. Comme il est indiqué au paragraphe 43 de l’arrêt Forest Ethics, « [e]n règle générale, la Cour se limite à contrôler les décisions de l’Office à travers la lentille de la norme de contrôle appropriée en utilisant le dossier de preuve constitué devant l’Office et transmis à la Cour »
[caractères gras ajoutés.]
[24] Bien que la Cour d’appel fédérale ait affirmé que cette règle générale peut être assouplie en cas d’urgence et qu’une contestation directe en Cour de la constitutionnalité d’une loi est possible dans la mesure où cette contestation ne contourne pas le processus administratif ou n’équivaut pas par ailleurs à une attaque indirecte du pouvoir d’un administrateur de trancher la question, ce n’est pas le cas en l’espèce : Forest Ethics, précité, par. 46‑47. En particulier, le DCT ne contient aucune preuve d’urgence liée à la demande de classement selon la CS ou de transfèrement de M. Eunick. De plus, les allégations de violation de la Charte faites par le demandeur ne constituent pas une contestation directe de la constitutionnalité de l’une ou l’autre des dispositions de la LSCMLC ou du RSCMLC. Cela dit, si une future demande de transfèrement de M. Eunick était refusée, il pourrait alors plaider des violations de la Charte devant le SCC. Le processus de règlement des griefs du SCC est considéré comme une solution de rechange adéquate à l’instruction devant un tribunal compétent et il peut servir à déterminer si les droits constitutionnels d’un détenu ont été violés et, dans l’affirmative, à accorder une réparation : Nome c Canada (Procureur général), 2016 CF 187, par. 22; Ewert c Canada (Procureur général), 2018 CF 47, par. 28 et 30; Wood c Canada (Service correctionnel), 2015 CF 44, par. 19.
(2)
La décision relative au grief était‑elle équitable sur le plan procédural?
[25] Comme il a été mentionné précédemment, le contrôle judiciaire porte à la fois sur le résultat et sur le processus. La Cour doit établir si la décision contestée, soit la décision relative au grief en l’espèce, était déraisonnable, compte tenu du fil d’analyse du conseiller spécial. Autrement dit, la décision était‑elle intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée au regard des faits et du droit qui limitent le pouvoir décisionnel? Lorsqu’elle examine une question d’équité procédurale, la Cour cherche à savoir en fin de compte si le processus visé était équitable; l’équité procédurale dépend du contexte, et les droits imposés dans un contexte donné ne sont pas nécessairement appropriés dans un autre contexte : Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 [Khela], par. 90. Autrement dit, « [l]’obligation d’équité procédurale en droit administratif est “éminemment variable”, intrinsèquement souple et tributaire du contexte »
: Vavilov, précité, par. 77 [citant entre autres Knight c Indian Head School Division No. 19, [1990] 1 RCS 653, à la page 682, et Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, par. 22‑23].
[26] M. Eunick fait valoir qu’il n’a pas été mis au courant des conclusions du GIE ou du CIC avant la décision du directeur et que, comme il n’avait pas accès à ces renseignements, il n’a pas été en mesure de présenter des observations sur le refus proposé à son transfèrement sollicité. Il ajoute que [traduction] « les décideurs du SCC doivent avoir pris en compte d’autres renseignements qui ne figurent pas au dossier ».
[27] Le procureur général soutient que les deux observations présentées par M. Eunick en août 2017 et en septembre 2018 dans le cadre du processus de règlement des griefs démontrent qu’il était bien au courant des décisions de son EGC, du GIE et du CIC [collectivement, les décisions du SCC] et que, par conséquent, [traduction] « il n’est pas fondé à […] prétendre qu’il aurait dû légitimement recevoir un avis de leur part et que cela n’a pas été le cas ».
Le procureur général souligne en outre la demande de M. Eunick de mettre à jour son affiliation à un GMS [pour inscrire « inactive »
] comme preuve qu’il savait qu’il s’agissait d’un facteur pertinent relativement à sa demande de transfèrement, et il fait valoir que M. Eunick pouvait raisonnablement savoir que son déni continu de culpabilité à l’égard des infractions à l’origine de la peine serait pris en considération, étant donné qu’il était resté sur sa position tout au long de sa peine. De plus, le procureur général affirme que rien ne prouve l’allégation de M. Eunick selon laquelle le SCC a dû se fonder sur des renseignements supplémentaires [non divulgués] et souligne que le fondement de chacune des décisions du SCC est clairement énoncé dans les décisions respectives que M. Eunick a contestées dans le cadre du processus de règlement du grief de dernier palier.
[28] En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le SCC s’est fondé sur des renseignements supplémentaires [non divulgués], je suis d’accord avec le procureur général pour dire qu’il n’y a pas de preuve à l’appui de cette allégation, et que l’on ne peut pas déduire cette allégation du fait que le SCC a maintenu dans ses décisions la CS de M. Eunick à moyenne au lieu d’adopter les recommandations de l’ED visant à abaisser les cotes de RE et de RSP et, par conséquent, la CS globale. La décision relative au grief résume les renseignements que le conseiller spécial a pris en considération [les observations de M. Eunick; la politique et la législation pertinentes; la documentation pertinente figurant dans son dossier du Système de gestion des délinquants], et il ressort clairement des observations d’août 2017 de M. Eunick en particulier qu’il a eu accès aux renseignements le concernant consignés dans son dossier vu la déclaration suivante : [TRADUCTION] « Il n’y a pas non plus de renseignements au dossier indiquant que mon comportement ou mon attitude s’est détérioré après que j’ai épuisé mes deux appels. »
De plus, il a cité un extrait de sa dernière évaluation psychologique concernant le risque, qui date de plusieurs mois avant la décision du directeur.
[29] Le paragraphe 27(1) de la LSCMLC prévoit que lorsqu’un délinquant a le droit [en vertu de la partie I de la LSCMLC ou du RSCMLC] de présenter des observations avant qu’une décision ne soit prise par le SCC, le décideur doit donner au délinquant [au moyen d’une communication directe des renseignements ou d’un sommaire de ceux-ci] tous les renseignements pertinents avant que la décision ne soit prise. Par contre, le paragraphe 27(2) de la LSCMLC prescrit la communication des renseignements qui sous‑tendent les décisions seulement après qu’elles ont été prises, de sorte que le détenu peut « interjeter appel »
de la décision au moyen du processus interne de règlement des griefs : Leblanc c Canada (Procureur général), 2006 CF 1337, par. 20‑22. En ce qui concerne la « cote de sécurité »
ou CS, le paragraphe 30(2) de la LSCMLC oblige le SCC à donner, « par écrit, à chaque détenu les motifs à l’appui de l’attribution d’une cote de sécurité ou du changement de celle‑ci »
. De même, en ce qui concerne les demandes de transfèrement sollicité, l’article 15 du RSCMLC prévoit que le commissaire ou un membre du personnel doit, « dans les 60 jours suivant la présentation de la demande, examiner celle‑ci et aviser par écrit le détenu de sa décision et, s’il la refuse, indiquer les motifs de son refus »
. Dans les deux cas, le délinquant n’a pas le droit, en vertu de dispositions légales ou réglementaires, de présenter des observations avant que la décision ne soit rendue.
[30] Je conclus que le SCC n’était pas tenu de divulguer les décisions du GIE et du CIC en particulier à M. Eunick, avant que le directeur de l’établissement ne décide d’adopter les recommandations du CIC concernant la cote de sécurité de M. Eunick et de rejeter sa demande de transfèrement. Comme il a déjà été mentionné, M. Eunick a participé à l’EGC le concernant et à ses discussions, et il doit avoir reçu l’ED effectuée ou, à tout le moins, doit avoir été mis au courant de son contenu. Cette ED traite de ses déclarations de culpabilité antérieures, de son affiliation à un GMS et des efforts qu’il a déployés pour s’en détacher, ainsi que du déni continu de M. Eunick à l’égard des infractions à l’origine de la peine, comme des facteurs pertinents pour ses recommandations. Compte tenu de cela, et du fait que la LSCMLC, le RSCMLC et les DC applicables renvoient tous à la CS comme facteur pertinent pour les décisions de transfèrement, il ne s’agissait pas d’une situation où M. Eunick n’était pas au courant des éléments qui lui étaient défavorables. Il est raisonnable de présumer qu’il savait que sa CS aurait une incidence sur la décision de transfèrement et qu’il était possible que sa cote de sécurité moyenne soit maintenue. De plus, M. Eunick n’a ni plaidé ni établi qu’il ne connaissait pas les décisions sous‑jacentes du SCC avant la décision du conseiller spécial.
[31] Comme M. Eunick n’a étayé aucune de ses préoccupations en matière de procédure, ce motif ne fonctionne pas.
(3)
La décision relative au grief était‑elle raisonnable?
[32] Comme il a été conclu dans l’arrêt Vavilov, il existe une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable, à moins qu’on ne puisse la réfuter sur le fondement soit de l’intention du législateur soit de la primauté du droit : Vavilov, précité, par. 17, 69. Une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits. À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas les conclusions de fait et doivent également s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur : Vavilov, précité, par. 125‑126. Le défaut de justifier une décision de manière transparente rend la décision déraisonnable : Vavilov, précité, par. 99, 136. De plus, la Cour suprême a souligné que « une décision est considérée comme déraisonnable et, partant, illégale, si les droits à la liberté d’un détenu sont sacrifiés en l’absence de toute preuve, sur la foi d’une preuve non fiable, d’une preuve non pertinente ou d’une preuve qui n’étaye pas la conclusion »
: Khela, par. 74.
[33] L’expertise demeure pertinente lors de l’exercice du contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable : Vavilov, précité, par. 31. Les principes directeurs relatifs à la place de l’expertise institutionnelle dans le cadre d’un contrôle en fonction de la norme du caractère raisonnable sont énoncés aux paragraphes 92 à 94 de l’arrêt Vavilov :
[92] […] [L]es concepts et le vocabulaire employés par les décideurs administratifs sont souvent, dans une très large mesure, propres à leur champ d’expertise et d’expérience, et ils influent tant sur la forme que sur la teneur de leurs motifs. Ces différences ne sont pas forcément le signe d’une décision déraisonnable; en fait, elles peuvent indiquer la force du décideur dans son champ d’expertise précis. La « justice administrative » ne ressemble pas toujours à la « justice judiciaire » et les cours de révision doivent en demeurer pleinement conscientes.
[93] Par ses motifs, le décideur administratif peut démontrer qu’il a rendu une décision donnée en mettant à contribution son expertise et son expérience institutionnelle : voir Dunsmuir, par. 49. Lors du contrôle selon la norme de la décision raisonnable, le juge doit être attentif à la manière dont le décideur administratif met à profit son expertise, tel qu’en font foi les motifs de ce dernier. L’attention respectueuse accordée à l’expertise établie du décideur peut indiquer à une cour de révision qu’un résultat qui semble déroutant ou contre‑intuitif à première vue est néanmoins conforme aux objets et aux réalités pratiques du régime administratif en cause et témoigne d’une approche raisonnable compte tenu des conséquences et des effets concrets de la décision. Lorsqu’établies, cette expérience et cette expertise peuvent elles aussi expliquer pourquoi l’analyse d’une question donnée est moins étoffée.
[94] La cour de révision doit également interpréter les motifs du décideur en fonction de l’historique et du contexte de l’instance dans laquelle ils ont été rendus. Elle peut considérer, par exemple, la preuve dont disposait le décideur, les observations des parties, les politiques ou lignes directrices accessibles au public dont a tenu compte le décideur et les décisions antérieures de l’organisme administratif en question. Cela peut expliquer un aspect du raisonnement du décideur qui ne ressort pas à l’évidence des motifs eux‑mêmes; cela peut aussi révéler que ce qui semble être une lacune des motifs ne constitue pas en définitive un manque de justification, d’intelligibilité ou de transparence. Ainsi, les parties adverses ont pu faire des concessions pour éviter que le décideur n’ait à trancher une question. De même, un décideur a pu suivre une jurisprudence administrative bien établie sur une question qu’aucune partie n’a contestée au cours de l’instance. Ou encore, un décideur a pu adopter une interprétation énoncée dans une politique d’interprétation publiée par l’organisme administratif dont il fait partie.
[34] En résumé, il faut accorder une attention particulière aux motifs écrits du décideur afin de comprendre le fondement sur lequel repose la décision. Vavilov, précité, par. 97. De plus, « [l]a cour de révision doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable »
: Vavilov, précité, par. 99. Les motifs qui ne font que reprendre le libellé de la loi, résumer les arguments avancés et formuler ensuite une conclusion péremptoire permettent rarement à la cour de révision de comprendre le raisonnement qui justifie une décision : Vavilov, précité, par. 102. Toutefois, comme il a été mentionné précédemment, il incombe toujours à la partie qui conteste une décision de convaincre la cour de révision que la décision est déraisonnable.
[35] Le conseiller spécial a résumé les observations de M. Eunick présentées à l’appui de son grief et de ses plaintes concernant les décisions du SCC. Étant donné l’importance de la CS pour la demande de transfèrement à l’EJ‑MIN, deux questions que M. Eunick a soulevées dans sa demande de mesures correctives, le conseiller spécial s’est concentré sur les évaluations des cotes de RE et de RSP. Comme son EGC n’a recommandé aucun changement à l’égard de la classification AE déjà faible de M. Eunick, et que le GIE et le CIC ont donné leur accord, il n’en a plus été question.
[36] Tout comme le directeur de l’établissement, le conseiller spécial doit tenir compte de nombreux facteurs lorsqu’il décide de la CS d’un détenu : RSCMLC, art. 17. Certains de ces facteurs sont axés sur le passé du détenu (facteurs statiques), dont la gravité de son infraction, les accusations en instance contre lui et ses antécédents sociaux et criminels, tandis que d’autres mettent l’accent sur les progrès et les risques actuels et futurs (facteurs dynamiques), dont le rendement et la conduite du détenu en établissement, sa santé mentale et physique, sa propension à la violence et la poursuite d’activités criminelles. Le SCC maintient son expertise en matière d’évaluation de la sécurité et de la conduite, et établit ainsi le poids relatif approprié de ces facteurs pour établir la CS. Par conséquent, la Cour ne doit intervenir que lorsque la décision est manifestement fondée sur une analyse irrationnelle ou contraire à la raison : Vavilov, précité, par. 93‑94; Canada (Procureur général) c Boucher, 2005 CAF 77, par. 16; Kim c Canada (Procureur général), 2012 CF 870, par. 59.
[37] La DC 710‑6 fournit les paramètres de chaque cote de sécurité pertinente :
Risque d’évasion
a. Faible – Le détenu :
i. n’a pas d’antécédents sérieux récents d’évasion, et aucun signe ne donne à croire qu’il pourrait chercher à s’évader
ii. n’a pas d’antécédents sérieux de manquements
b. Modéré – Le détenu :
i. a des antécédents récents d’évasion et/ou de tentative d’évasion OU certains signes donnent à croire qu’il pourrait chercher à s’évader
ii. ne fera probablement aucun effort pour s’évader, mais pourrait tenter le coup si l’occasion se présente
iii. présente un risque réel d’évasion s’il est hébergé dans un établissement sans mur ou clôture périmétrique
Risque pour la sécurité du public
a. Faible – Le détenu :
i. a des antécédents criminels non violents
ii. a des antécédents criminels violents et/ou à caractère sexuel, mais a fait des progrès considérables par rapport aux facteurs dynamiques ayant contribué à son comportement criminel et il n’existe pas de signes précurseurs de récidive criminelle ni de signes de situations à risque élevé liées au cycle de délinquance (s’il est connu)
iii. a des antécédents criminels violents, mais les circonstances entourant l’infraction sont telles qu’une récidive avec violence est peu probable
b. Modéré – Le détenu :
i. a des antécédents criminels violents, mais a fait certains progrès par rapport aux facteurs dynamiques ayant contribué à son comportement violent
ii. a des antécédents criminels violents, mais a manifesté la volonté de se prendre en main et de réduire les facteurs dynamiques ayant contribué à son comportement violent
iii. présente un ou plusieurs indicateurs d’un risque moyen et/ou de problèmes modérés
[38] Le conseiller spécial fait remarquer que la définition de « RE modéré »
vise le cas du détenu qui présente un risque réel d’évasion s’il est hébergé dans un établissement sans mur ou clôture périmétrique, et juge que les facteurs suivants sont pertinents pour l’analyse du RE :
- Aucun comportement d’évasion depuis le début de l’incarcération;
- Antécédents de manquements et condamnation antérieure pour défaut de se conformer à un engagement, qui remontaient à 2001;
- L’EGC a recommandé une réduction de la CS compte tenu des changements positifs liés à sa conduite;
- La période d’attente jusqu’à la date d’admissibilité à la semi‑liberté de M. Eunick [sept ans] préoccupait l’EGC et le GIE;
- Le GIE et le CIC s’entendaient tous deux pour dire qu’une décision défavorable dans le cadre du contrôle judiciaire en instance concernant le délai d’admissibilité à la libération conditionnelle de M. Eunick pourrait vraisemblablement avoir une incidence négative importante sur sa conduite, et ce, parce qu’il avait continuellement nié avoir participé à la perpétration des infractions à l’origine de la peine, et une décision défavorable pourrait faire en sorte qu’il se fâche suffisamment pour s’enfuir d’un établissement à sécurité minimale;
- Le directeur d’établissement de l’EBC‑MOY était d’accord avec le GIE et a précisé que le RE demeurerait modéré en raison des mauvais antécédents sous supervision de M. Eunick et du temps qu’il lui restait pour être admissible à la libération conditionnelle;
- Il n’existe aucune preuve de trouble mental aigu pouvant contre‑indiquer un transfèrement.
[39] À la lumière des facteurs qui précèdent, il y a, à mon avis, une justification suffisamment transparente et intelligible à l’appui de rejet du grief par le conseiller spécial, et donc du maintien de la CS modérée de M. Eunick. La décision est intrinsèquement cohérente et rationnelle compte tenu du sous‑alinéa 18b)(i) du RSCMLC, qui prévoit que le détenu reçoit une cote de sécurité ou CS « moyenne »
s’il « présente un risque d’évasion de faible à moyen et, en cas d’évasion, constituerait une menace moyenne pour la sécurité du public »
[caractères gras ajoutés], et compte tenu de la DC 710‑6 et des paramètres applicables à un RE moyen. Bien qu’il s’agisse d’un point relativement mineur et que ce n’est pas pertinent en l’espèce, je constate que les termes « moyen »
et « modéré »
semblent être utilisés de façon interchangeable pour l’ensemble de la CS et de ses éléments constitutifs, soit l’AE, le RE et le RSP.
[40] En ce qui concerne l’analyse du RSP, le conseiller spécial a fait remarquer que la définition de « risque modéré pour la SP »
vise le cas du délinquant qui a fait des progrès en ce qui a trait aux facteurs dynamiques qui ont contribué à la conduite violente et existe en présence d’indicateurs de risque modéré ou de problèmes modérés. Il estime que les éléments suivants sont pertinents pour l’analyse du RSP :
- le fait que l’EGC, le GIE et le CIC s’entendent pour dire que M. Eunick s’était amélioré pendant l’incarcération, mais qu’il a continué de nier sa participation aux infractions à l’origine de la peine et qu’il avait toujours des liens avec un GMS;
- bien que l’EGC ait conclu que la réduction du RSP était justifiée, le GIE et le CIC ont conclu que le déni continu des infractions à l’origine de la peine et l’affiliation à un GMS étaient des signes préoccupants;
- le directeur d’établissement de l’EBC‑MOY était d’accord avec le GIE et a précisé que le RSP demeurerait modéré en raison du déni continu de M. Eunick à l’égard des infractions à l’origine de la peine et de son implication criminelle avant la perpétration de ces infractions.
[41] De plus, le conseiller spécial s’est dit conscient de la préoccupation de M. Eunick concernant le fait que les décisions du SCC indiquaient à tort qu’il était affilié à un GMS, alors que cette affiliation avait été par la suite modifiée pour qu’il soit inscrit « inactive »
. Ainsi, il a conclu ce qui suit :
[traduction]
En ce qui concerne votre statut de membre actif d’un GMS au moment de l’évaluation de la CS, les renseignements figurant dans votre dossier précisent qu’un ARS a examiné la demande de mise à jour de votre statut et a modifié en conséquence votre statut d’affiliation pour le faire passer à membre inactif de GMS, le 28 août 2017. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle votre risque pour la SP a été déterminé uniquement à l’aide de renseignements erronés sur le GMS, l’analyse décrite dans l’ED du 19 juillet 2017 et la Recommandation/Décision relativement au placement correspondant à la CS précisent clairement deux (2) signes de risque/problème modéré : votre déni continu des infractions à l’origine de la peine et votre affiliation continue à un GMS avant les infractions à l’origine de la peine. Votre déni continu des infractions à l’origine de la peine était, en soi, un indicateur important des progrès que vous devez encore réaliser par rapport à votre Plan correctionnel et un signe préoccupant selon l’annexe B de la DC 710‑6 (13 février 2017).
[Caractères gras ajoutés.]
[42] À mon avis, le conseiller spécial a fourni une justification suffisamment transparente et intelligible à l’appui du rejet du grief, ce qui a fondé le maintien de la cote de RSP modéré. Cette décision est intrinsèquement cohérente et rationnelle compte tenu du paragraphe 4a) de la LSCMLC [« la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant »
], du sous‑alinéa 18c)(i) du RSCMLC, qui prévoit une CS minimale, seulement lorsque le détenu démontre un faible risque d’évasion et une faible menace pour la sécurité du public en cas d’évasion, et en tenant compte de la DC 710‑6 et des paramètres susmentionnés applicables à un RSP moyen.
[43] Enfin, bien que les motifs fournis par le conseiller spécial dans la décision relative au grief soient peu nombreux, contrairement au résumé des observations et des décisions du SCC, l’examen de l’ensemble du dossier me permet de comprendre le raisonnement qui sous‑tend la décision relative au grief et de conclure qu’elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques applicables en l’espèce.
VII.
Conclusion
[44] Le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de convaincre la Cour que la décision relative au grief était déraisonnable et, par conséquent, je rejette la demande de contrôle judiciaire en l’espèce. Comme le défendeur a avisé la Cour que le défendeur ne demande pas de dépens dans la présente affaire, aucuns dépens ne sont adjugés.
JUGEMENT dans le dossier T‑29‑19
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, et qu’aucuns dépens ne sont adjugés.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 5e jour de février 2020
Sandra de Azevedo, LL.B.
ANNEXE
Cadre législatif, réglementaire et politique applicable
Les articles 3 et 4 de la LSCMLC énoncent respectivement l’objectif général du système correctionnel et ses principes de fonctionnement. L’article 3 et le paragraphe 4a) de la LSCMLC prévoient ce qui suit :
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Les paragraphes 17 et 18 du RSCMLC énoncent les facteurs à prendre en considération pour évaluer le niveau de sécurité d’un détenu. La façon dont s’effectue une évaluation de la CS, y compris l’évaluation des facteurs, est décrite plus à fond dans la DC 710‑6 (Réévaluation de la cote de sécurité des détenus – version du 23 janvier 2017 applicable en l’espèce) et la DC 710‑1. (Progrès par rapport au Plan correctionnel – version d’août 2017 applicable en l’espèce) et leurs lignes directrices applicables. Le paragraphe 30(2) de la LSCMLC exige que des motifs soient fournis lorsqu’un détenu se voit attribuer une cote de sécurité ou lorsque cette cote est modifiée par la suite.
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Les articles 28 et 29 de la LSCMLC et 15 du RSCMLC énoncent le processus applicable lorsqu’un détenu demande un transfèrement sollicité. La DC 710‑2 (Processus de transfèrement des détenus – version du 15 mai 2017 applicable en l’espèce) et les lignes directrices qui s’y rattachent donnent des précisions à ce sujet :
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Les articles 74 à 82 du RSCMLC énoncent la procédure interne de règlement des griefs et la procédure mise à la disposition d’un détenu insatisfait de la mesure ou de la décision du personnel du SCC. Les articles 80 à 82 du RSCMLC traitent expressément de la situation de M. Eunick :
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L’article 27 de la LSCMLC énonce les obligations en matière de communication de renseignements du SCC pour diverses décisions rendues par ce dernier :
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M. Eunick a également allégué des violations des articles 2, 7 et 8 de la Charte :
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L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales permet à la Cour de procéder à un contrôle judiciaire de la décision relative au grief :
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑29‑19
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INTITULÉ :
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GARY EUNICK c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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OTTAWA (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 9 décembre 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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La juge FUHRER
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DATE DES MOTIFS :
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le 10 janvier 2020
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COMPARUTIONS :
J. Todd Sloan
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POUR LE DEMANDEUR
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Taylor G. Andreas
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
J. Todd Sloan
Avocat
Kanata (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Sous‑procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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